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RIVERIN, DENIS, secrétaire de l’intendant Duchesneau*, représentant de la Compagnie de la Ferme du Roi, membre du Conseil souverain, directeur de la Compagnie du Nord et de la Compagnie de la Colonie, lieutenant général de la Prévôté de Québec, commerçant en fourrures, propriétaire terrien et entrepreneur en pêcheries, né à Tours vers 1650, fils de Pierre Riverin, marchand-bourgeois, et de Madeleine Mahyet, mort en février 1717.
Riverin arriva en Nouvelle-France en 1675, pour remplir les fonctions de secrétaire du nouvel intendant, Jacques Duchesneau. Comme bien d’autres « bourgeois-gentilshommes » membres de l’élite de la Nouvelle-France, il occupa divers postes dans la colonie. Il fut membre de l’administration civile et participa à toutes sortes d’activités commerciales : fourrures, pêche, importations et exportations.
Au début de sa carrière, de 1675 environ jusque vers 1680, il était secrétaire de Duchesneau et, en même temps, représentait Jean Oudiette qui avait le monopole de la Compagnie de la Ferme du Roi en Nouvelle-France. En 1694 il devint membre titulaire du Conseil souverain et, en 1698, membre régulier. Il conserva ce poste jusqu’en 1710, en dépit du fait qu’il quitta la Nouvelle-France en 1702 pour n’y plus revenir. De plus, en 1710 il fut nommé lieutenant général de la Prévôté de Québec sans jamais occuper effectivement ce poste mais il en reçut le traitement. On constate par ces deux derniers faits le favoritisme dont Riverin était l’objet, grâce sans doute à la protection des intendants et des gouverneurs dont il était bien vu, du moins jusqu’à l’arrivée de Rigaud de Vaudreuil et de Raudot. Un autre facteur qui expliquerait peut-être la place que Riverin occupa dans la société de l’époque est la protection que lui accorda Tantouin de La Touche, membre du conseil de Marine, qui servit en Nouvelle-France jusqu’en 1701. De plus, Riverin semble avoir connu la faveur du ministre de la Marine, Louis Phélypeaux de Pontchartrain.
Jusqu’au départ de Duchesneau en 1682, Riverin, selon toute apparence, s’est livré à la traite des fourrures à la fois comme représentant d’Oudiette et, si l’on en croit ses détracteurs Le Febvre* de La Barre et Ruette d’Auteuil, aussi pour son propre compte. Il ne fait aucun doute qu’il était, comme le fait remarquer W. J. Eccles, « le fort habile secrétaire de l’intendant Duchesneau » mais aussi visiblement son protégé. À la formation de la Compagnie de la Colonie en 1700, Riverin en devint un des premiers directeurs. Il fut nommé représentant de la compagnie en France en 1702. Son mandat fut renouvelé en 1706 et il conserva son poste jusqu’à sa mort, en 1717, bien que d’autres directeurs aient prétendu qu’il avait été relevé de ses fonctions en 1713.
Pour faire partie du conseil d’administration d’une compagnie, à l’époque, il fallait posséder un certain nombre d’actions et, de plus, être élu par les actionnaires qui avaient le droit de vote. En tant que représentant de la compagnie en France, Riverin était chargé de l’administration des affaires de la compagnie dans la métropole. C’était lui qui devait trouver des entrepôts, les louer, passer les commandes pour les marchandises destinées au troc et pour l’équipement nécessaire. Il devait aussi, et c’était peut-être là le plus important, obtenir du crédit et négocier les emprunts dont avait besoin la compagnie.
Ses idées sur la traite des fourrures entraient plus ou moins en contradiction avec celles qu’il émit plus tard à l’égard de la pêche. En Nouvelle-France, lorsqu’il s’occupa de la traite des fourrures, il était partisan des congés et ne trouvait rien à redire à l’exode des hommes de la colonie vers les pays d’en haut. Mais lorsqu’il se livra à la pêche sur le plan commercial, il insista pour qu’on garde les jeunes hommes dans la colonie, encore qu’il voulût parler de la partie située tout à fait à l’est.
Vers 1688 il ajoute la pêche à ses autres domaines d’activité. Entre 1688 et 1702, Riverin et ses associés, François Hazeur, Augustin Le Gardeur de Courtemanche et quelques autres, obtiennent des concessions de terres. Le 19 janvier 1689, on lui concède la seigneurie de Belle-Isle. En 1696, il loue trois seigneuries avec des baux de sept ans. Il achète une barque en 1701 et la paie 1 500#. Au cours de la même année, il s’associe avec François Hazeur et loue les droits de pêche et de commerce de fourrures de Tadoussac pour 12 700# par an. On peut apprécier l’importance de la somme en la comparant au salaire annuel d’un artisan, dont le mieux payé ne gagnait que 600# par an.
Riverin écrivit plusieurs mémoires intéressants sur la pêche. Ces écrits nous révèlent la complexité de l’organisation commerciale de la Nouvelle-France ; on y découvre aussi ce qu’on pourrait appeler une idéologie coloniale impérialiste. Riverin montre bien que, pour réussir dans la colonie, une entreprise commerciale devait avoir l’appui de financiers de la métropole – dans son cas à lui, les marchands de La Rochelle. Il justifiait l’extension permanente de la colonie, et donc de son périmètre de défense, en tenant compte des implications militaires et économiques. Il prétendait que la pêche pouvait donner du travail à 500 hommes, mais qu’il fallait assurer la protection des pêcheries. En conséquence il demanda l’aide du gouvernement français pour ses établissements de pêche. Par un enchaînement logique, il lui fallait ensuite obtenir le transport gratuit du matériel. En 1696, il demanda le passage gratuit pour 20 tonneaux. Mais Riverin ne s’aventura jamais à expliquer la contradiction possible entre l’expansion à l’est et à l’ouest – qui attirerait les hommes vers les frontières les plus reculées – et le maintien d’un système de défense convenable au cœur de la colonie.
Après 1702, année de son départ, bien des aspects de la vie de Riverin changent profondément. Jusque-là, il avait pris part personnellement à la vie commerciale et politique de la colonie. Après 1702, il fait un peu figure de parasite et semble compter autant sur la protection des gens influents que sur son travail. Quand il fut nommé représentant de la Compagnie de la Colonie en France, on lui accorda un traitement annuel de 6 000#. Il dut accomplir son travail à la satisfaction générale, car en 1706 il fut nommé de nouveau, mais avec un traitement de 3 000# par an cette fois. Les beaux jours de la compagnie étaient bien finis, c’était, en fait, la faillite. C’est de cette année-là que datent les controverses sur la personnalité et le travail de Riverin. Il avait, prétendait-il, droit à son traitement tout entier pour les années allant de 1702 à 1716, mais ses associés de Nouvelle-France refusèrent d’écouter ses revendications. Mathieu-François Martin de Lino, qui avait déjà occupé les mêmes fonctions, suggéra que les intérêts de la colonie seraient mieux servis par un représentant mieux informé que Riverin et moins soucieux de faire fortune. Ruette d’Auteuil, qui est parfois aussi peu digne de confiance que Riverin, l’accuse d’avoir comploté avec Aubert, Néret et Gayot, le groupe qui enleva le monopole de la Compagnie de la Ferme du Roi à la Compagnie de la Colonie. Les âpres discussions au sujet du traitement de Riverin ne peuvent s’expliquer qu’en partie par l’importance de la somme en cause, encore qu’il aurait, dit-on, reçu la somme de 69 000# entre 1702 et 1716, ce qui n’est pas à dédaigner. Au cœur du problème, il faut voir la dislocation des petits groupes privilégiés qui se produisit quand changèrent les hommes à la tête du gouvernement de la colonie. Les vicissitudes du favoritisme se lisent entre les lignes des écrits des intendants et des gouverneurs. Buade* de Frontenac et Duchesneau protégèrent Riverin. Pour leurs successeurs, Jacques de Meulles et La Barre, Riverin est un individu animé « par un esprit extraordinaire de gain », et ils l’accusent de vouloir monopoliser la pêche. D’un autre côté, Brisay de Denonville et Bochart de Champigny partent de Riverin en disant, l’un « le pauvre Riverin » et l’autre en en faisant un homme honnête et populaire. Le gouverneur et l’intendant qui suivirent, Vaudreuil et Raudot, critiquent sévèrement la conduite de Riverin en France. Il faut dire que ce dernier, manquant de tact sinon de perspicacité, avait déclaré que Vaudreuil était complètement sous la coupe de sa femme. Chose certaine, tant que Riverin eut l’appui de gens en place, il réussit à conserver et son poste et son traitement. L’année 1715 fut à cet égard une année cruciale pour la carrière de Denis Riverin : Louis XIV mourut, le Conseil de Marine fut institué, et les administrateurs et les marchands de la Nouvelle-France eurent leur revanche. Au fond, Riverin mourut peut-être au bon moment ; sinon, il aurait vu décliner encore son prestige et ses revenus.
Pour juger Riverin, il faut bien comprendre le milieu dans lequel il vécut. Il avait certainement les qualités nécessaires pour réussir, mais il pensait surtout à servir ses propres intérêts. Chaque fois que ceux-ci coïncidaient avec les intérêts de la colonie, sa contribution était appréciable, mais, lorsqu’il en était autrement, il avait tendance à faire preuve d’une acrimonie qui rend ses dires suspects.
Riverin avait épousé en 1696 Angélique Gaultier, fille de Philippe Gaultier* de Comporté et de Marie Bazire. Le tuteur de la jeune femme était François Hazeur avec qui Riverin s’était plusieurs fois associé pour faire du commerce. Le contrat de mariage précisait que Riverin était directeur de la « Compagnie des Pesches sédentaires de Canada ». Le couple eut quatre enfants qui naquirent de 1697 à 1700.
L’opinion varie sur la date de sa mort : Ignotus [Thomas Chapais] la situe en 1718 ; P.-G. Roy en 1717. Le dernier écrit connu de Riverin est daté de juillet 1716 et, dans un document du 5 mai 1717, le Conseil de Marine parle de feu Denis Riverin. Shortt, qui donne février 1717, a donc sans doute raison.
AN, M, Lettre de Riverin sur les affaires du Canada, 21 mars 1704 ; Col., C11G, 1–6.— AQ, NF, Coll. pièces jud. et not., 305, 3 267 ; Coll, P.-G. Roy, Riverin.— AJQ, Greffe de Louis Chambalon ; Greffe de François Genaple.— Correspondance de Frontenac (1672–1682), RAPQ, 1926–27.— Documents relatifs à la monnaie sous le régime français (Shortt).— Lettres et Mémoires de Ruette d’Auteuil, RAPQ, 1922–23.— P.-G. Roy, Inv. concessions, III, IV, V.— Gareau, La Prévôté de Québec, RAPQ, 1943–44 :51–146.— Eccles, Canada Under Louis XIV.— J.-N. Fauteux, Essai sur l’industrie sous le régime français.— Cameron Nish, Les bourgeois-gentilshommes de la Nouvelle-France 1729–1748 (Montréal, 1968).— J.-E. Roy, Les conseillers au Conseil souverain, BRH, I (1895) : 171.— P.-G. Roy, Notes sur Denis Riverin, BRH, XXXIV (1928) : 65–76, 128–139, 193–206.
Cameron Nish, « RIVERIN, DENIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/riverin_denis_2F.html.
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Auteur de l'article: | Cameron Nish |
Titre de l'article: | RIVERIN, DENIS |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1969 |
Année de la révision: | 1991 |
Date de consultation: | 1 déc. 2024 |