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MESPLET, FLEURY, imprimeur, éditeur et libraire, né à Marseille le 10 janvier 1734, fils de Jean-Baptiste Mesplet et d’Antoinette Capeau, décédé à Montréal le 24 janvier 1794.
Contrairement à ce que l’on avait toujours supposé, Fleury Mesplet n’est pas né à Lyon, mais à Marseille. Cependant, c’est bien à Lyon, où sa famille s’était établie, qu’il passa sa jeunesse. Son père était né à Agen et il était imprimeur, sans qu’on sache s’il était maître ou compagnon. On ignore donc si Fleury fit son apprentissage auprès de son père, qui mourut en 1760, ou chez un maître de Lyon. Rien jusqu’ici n’a permis d’expliquer son départ pour l’Angleterre en 1773, où il s’établit comme imprimeur à Londres, près de Covent Garden. Il est possible que la conjoncture économique de la France et la situation difficile où se trouvait l’imprimerie lyonnaise à ce moment lui aient donné envie de chercher fortune ailleurs.
On ne peut affirmer que Mesplet a rencontré Benjamin Franklin à Londres, mais il était certes au courant du conflit entre la métropole anglaise et ses colonies du continent américain. Qu’il ait décidé de tenter la chance outre-mer suffit à expliquer son départ pour l’Amérique. Ayant emporté avec lui son matériel d’imprimerie, il s’installe à Philadelphie avec sa femme, Marie Mirabeau, dès 1774, et s’y associe à un autre imprimeur. À l’exception de la Lettre adressée aux habitans de la province de Québec, ci-devant le Canada, que lui fait imprimer le premier Congrès continental, Mesplet ne reçoit guère de commandes ; mais il rencontre Charles Berger, un compatriote mieux nanti, qui va devenir son bailleur de fonds. La province de Québec, dont il a sans doute appris qu’elle ne possédait qu’une imprimerie, l’attire et il se met en route pour Québec au début de 1775. Cependant, à Philadelphie, Charles Berger doit dégager à ses frais les effets personnels et le matériel d’imprimerie de Mesplet que l’associé a fait saisir, et il doit aussi payer le loyer et les autres dettes. Sa visite l’ayant décidé à s’installer dans la province, l’imprimeur lyonnais rentre à Philadelphie, non sans passer par Montréal. Il ne lui manque plus désormais que des capitaux, et les événements politiques vont le servir.
Richard Montgomery ayant conquis la ville de Montréal, en novembre 1775, Mesplet réussit à convaincre le deuxième Congrès continental qu’une imprimerie française est nécessaire à la révolution dans cette ville. Une très modeste somme de $200 lui est accordée pour le transport de sa famille et de son atelier à Montréal. Mesplet, qui avait dissous sa première association, en forme une autre avec son ami Charles Berger, à qui il emprunte $2 666 pour acheter de nouveaux caractères, du papier et autre matériel. Il engage un rédacteur, Alexandre Pochard, pour le journal qu’il compte créer dès son arrivée, deux compagnons imprimeurs, Jacques-Clément Herse et John Gray, ainsi qu’un domestique. Muni d’une commission d’imprimeur du Congrès, Mesplet part de Philadelphie le 18 mars 1776 pour arriver à Montréal le 6 mai. C’est déjà la fin de l’équipée américaine dans la province : l’armée quitte Montréal le 15 juin, laissant Mesplet et son groupe à la vindicte de ceux qui sont restés fidèles à la couronne. Arrêté et mis en prison avec ses employés, Mesplet est vite relâché et il s’établit rue Capitale ; bien qu’Alexandre Pochard soit rentré en France, cinq ouvrages sont publiés en 1776.
Malgré l’état de guerre, Mesplet estime bientôt qu’il est en mesure de publier un hebdomadaire, dont l’avocat Valentin Jautard sera le rédacteur. Le premier numéro de la Gazette du commerce et littéraire, pour la ville et district de Montréal paraît le 3 juin 1778 ; le journal se nomme la Gazette littéraire pour la ville et district de Montréal à partir de septembre. Ce premier journal de langue française au Canada ne dure pourtant qu’une année. À cause de la guerre, Mesplet s’est engagé auprès de l’administration à ne pas critiquer les autorités civiles et religieuses, et Jautard, pourtant un fervent voltairien, donne beaucoup de place aux écrits antivoltairiens. Mais le supérieur des sulpiciens, Étienne Montgolfier, n’aime pas du tout ces hommes qui lui disputent le gouvernement des intelligences. Lorsque Jautard fonde son académie et qu’il demande au gouverneur Haldimand de la reconnaître à la fin de décembre 1778, Montgolfier s’empresse d’écrire au gouverneur pour dénoncer cette académie ainsi que la Gazette littéraire. Au printemps de 1779, Jautard critique certains jugements du juge René-Ovide Hertel de Rouville, qui le concernent en tant qu’avocat. Le juge à son tour se plaint à Haldimand, qui, cédant à toutes ces pressions, fait arrêter Jautard et Mesplet le 2 juin. Les deux hommes ne retrouveront leur liberté qu’en septembre 1782, avec la connivence des autorités qui, sans les élargir officiellement, les laissent quitter la prison.
Mesplet, dont le courage n’a pas faibli, retourne à son atelier. Mais sa situation est précaire. Criblé de dettes, il est pressé par ses créanciers, dont Charles Berger, qui avait été son associé jusqu’en septembre 1778 et à qui il doit $4 800. Berger vient à Montréal se faire rembourser en septembre 1784. L’affaire est si compliquée qu’il faut nommer quatre arbitres qui font appel aux conseils de Benjamin Frobisher. l’un des gros négociants de Montréal. Berger accepte de régler pour $1 200, mais ne recevra que $460. De son côté, Mesplet, qui avait réclamé une indemnité de $9 450 du Congrès américain en juin 1784, n’en reçut que $426,50. Un autre gros créancier, le tailleur Joseph-Marie Desautels, à qui Mesplet devait $4 000, fait saisir les biens de ce dernier en novembre 1785, mais la vente ne rapporte que $600. Ironie du sort, l’acquéreur du matériel d’imprimerie, Edward William Gray*, est obligé de le louer à Fleury Mesplet, seul capable de l’utiliser.
Débarrassé de ses créanciers et, si l’on peut dire, libéré de la propriété de son atelier, Mesplet en profite pour reprendre l’idée d’un journal : le 25 août 1785 paraît la première édition de la Gazette de Montréal/The Montreal Gazette. Ses affaires semblent bien aller et il s’installe rue Notre-Dame deux ans après. Le 1er septembre 1789, Marie Mirabeau, sa fidèle compagne de Lyon qu’il avait épousée vers 1765, meurt à l’âge d’environ 43 ans. Mesplet se remarie six mois plus tard à une jeune Montréalaise de 23 ans, Marie-Anne, fille de son ami le perruquier Jean-Baptiste Tison. Depuis la fondation de sa gazette bilingue, Mesplet avait publié quelques livres et des brochures, mais on peut certes penser que les profits de son journal représentaient l’essentiel de son revenu. Le fait qu’en 1793 il ait fait venir de France de nouveaux caractères d’imprimerie – avec l’aide financière du marchand Jean-Baptiste-Amable Durocher – est un signe certain de la bonne marche de l’entreprise. Ce qui n’empêche qu’à sa mort Mesplet laissera à sa jeune veuve une situation financière embrouillée.
L’imprimerie avait été établie dans les provinces Maritimes par des colons britanniques venus du sud [V. Bartholomew Green* ; John Bushell*]. Il en fut de même à Québec grâce à William Brown et à Thomas Gilmore, imprimeurs de Philadelphie. Cette dernière ville servit également de point de départ au Lyonnais Fleury Mesplet pour Montréal. Le premier imprimeur à l’ouest de Québec n’a certes pas publié autant que William Brown, qui a laissé plus de 250 titres dont huit comptent plus de 100 pages, et qui est mort riche. Au contraire, Mesplet a connu d’énormes difficultés au cours de ses 20 années de travail à Londres, Philadelphie et Montréal. On lui attribue environ 80 titres, dont deux périodiques. Le quart de sa production est consacré aux ouvrages religieux, ce qui se comprend aisément dans une petite ville dont la population, en grande majorité catholique, est dirigée par une communauté de sulpiciens : ceux-ci possèdent un collège d’humanités tout en étant les seigneurs du territoire et c’est l’un d’eux qui remplit les fonctions de curé et de vicaire général. Les besoins du culte et de l’éducation fournissent donc le gros des commandes à l’atelier de Mesplet, comme c’est le cas en France au xviiie siècle dans les villes qui possèdent un atelier. Dix de ses livres comptent plus de 100 pages, tels les Cantiques de l’âme dévote [...], de Laurent Durand, connus sous le titre de Cantiques de Marseilles (610 pages), le Formulaire de prières à l’usage des pensionnaires des religieuses ursulines (467 pages) et un Pseautier de David, avec les cantiques à l’usage des écoles (304 pages), tous ouvrages parus en Europe et imprimés par Mesplet sans autorisation, comme cela se pratiquait couramment à l’époque. Le reste de sa production comprend des ouvrages touchant la justice et des brochures, comme celle sur le mal de la baie Saint-Paul. Son atelier a également imprimé en quatre langues, en français, en anglais, en latin et en iroquois. Tout cela prouve l’excellente qualité de Fleury Mesplet en tant qu’imprimeur.
Si sa production s’apparente à la production française, elle est aussi nord-américaine, notamment par la publication d’almanachs et de calendriers. On doit ainsi à Mesplet sept almanachs entre 1777 et 1784, comptant de 48 à 62 pages et contenant des renseignements divers comme la liste des prêtres et religieux du pays, celle des bureaux de poste, une table des poids et mesures, la nomenclature des monnaies utilisées, un répertoire des royaumes et républiques connus, le tout parsemé de fables et d’anecdotes. Mesplet s’identifie au type américain, qui est d’abord imprimeur-journaliste, contrairement à son homologue européen qui est imprimeur-libraire. C’est que le journal convient parfaitement aux besoins des Américains, qui vivent dans de petits centres, loin du pays qu’ils ont quitté, sans contact avec le monde. Le journal devient ainsi la source d’information du lointain et du proche, aussi bien que le truchement par lequel chacun peut offrir ses services. Ce rôle assure le revenu de base de l’atelier typographique, ce que Mesplet souhaitait avant d’arriver à Montréal et qu’il avait tenté une première fois sans succès. Sa Gazette littéraire, en effet, était une publication à caractère exclusivement littéraire, à peu près sans autres annonces que les siennes pour les livres qu’il imprime et le papier qu’il vend. C’est peut-être son rédacteur Valentin Jautard qui aurait incité l’éditeur à adopter ce parti. La Gazette publia durant son année d’existence des articles de nature philosophique, littéraire ou anecdotique, des vers et de la correspondance, matière qui prête à discussion mais qui ne rapporte tien en argent à l’imprimeur. C’est ce que semble avoir compris Mesplet lorsqu’il publie son second journal hebdomadaire en 1785. Sa Gazette de Montréal – aujourd’hui The Gazette – paraît sur le modèle de la Gazette de Québec, c’est-à-dire en français sur la colonne de gauche, en anglais sur celle de droite, sur quatre pages consacrées pour moitié aux annonces publicitaires et aux communiqués de toutes sortes, qui font voir le développement rapide de la vie économique, sociale et culturelle de Montréal. L’autre moitié. présente des nouvelles étrangères et locales, souvent reproduites de la Gazette de Québec, car la Gazette de Montréal n’a que des moyens limités, et des articles sur l’éducation, la religion, la littérature et la politique à partir de 1788, alors qu’elle revendique résolument la création d’une assemblée législative à Québec. La Gazette de Mesplet devient voltairienne et anticléricale, fustigeant l’ignorance des clercs qui s’occupent d’éducation, traitant l’évêque de Québec, Mgr Hubert, de despote chrétien dans des articles consacrés aux trop nombreuses fêtes chômées ou dénonçant son obscurantisme quand il se prononce contre le projet, qu’il trouve prématuré, d’une université mixte, catholique et protestante.
Contrairement au journal de William Brown, la seconde Gazette de Mesplet est d’abord rédigée en français, puis traduite en anglais par Valentin Jautard qui en est sans doute le rédacteur jusqu’à sa mort en 1787. Tout comme à la Gazette littéraire, c’est dans l’officine de la Gazette de Montréal que se regroupe l’intelligentsia montréalaise de langue française, Jautard en tête. C’est là que le jeune Henry-Antoine Mézière* trouve sa voie en quittant le collège. La Gazette de Montréal mène le combat philosophique contre l’intolérance, contre les abus du clergé, contre la féodalité. Elle se déchaîne et triomphe à l’aube de la Révolution française. empruntant toujours des nouvelles à sa concurrente de Québec, mais aussi à des journaux français. Elle va encore plus loin en voulant appliquer les principes de la Révolution à la province de Québec. La guerre déclarée par la Révolution à la Grande-Bretagne, en 1793, arrête évidemment tout ce courant. Hélas ! c’est la seconde fois en 15 ans que la guerre empêche un groupe d’intellectuels d’âge mûr et de jeunes de se développer. Les deux gazettes de Mesplet ont été le centre des Lumières à Montréal. Les historiens comme les érudits ont surtout parlé de la première, pour condamner son « voltairianisme », et ont ignoré la seconde, qui a pourtant constitué le point de convergence de l’intelligentsia de Montréal durant huit ans en plus d’être un organe d’information important pour la population. La mort de Mesplet n’a suivi que de huit mois le changement obligé du ton de son journal.
Fleury Mesplet, comme on le faisait en France. se dit imprimeur-libraire, même s’il ne paraît pas vendre beaucoup de livres autres que ceux qu’il imprime. L’inventaire de la saisie de 1785 et celui qui suivit son décès n’indiquent en effet que peu de livres autres que ceux de son propre atelier. Par contre, son inventaire après décès révèle une grande quantité de papier de bonne qualité, d’encre et de plumes. En somme, Mesplet est, comme tous ses homologues du xviiie siècle, imprimeur-libraire, éditeur et imprimeur-journaliste. Mais il n’est pas rédacteur de ses journaux, comme il arrivait souvent en Amérique, car il n’est pas assez instruit. Les quelques lettres qu’on possède de lui montrent la difficulté qu’il a à s’exprimer. C’est pour cela qu’il engage Alexandre Pochard à Philadelphie puis Jautard à Montréal. Néanmoins, Mesplet est un imprimeur de première qualité. Si ses livres sont composés un peu vite, ils montrent qu’il connaît tous les secrets de son métier, qu’il travaille de main de maître. On ne lui connaît que peu d’ouvriers. Il avait emmené John Gray et Jacques-Clément Herse de Philadelphie. Herse l’aurait quitté dès 1785 pour devenir marchand. Or Mesplet n’a pris qu’un seul jeune en apprentissage, en décembre 1789, Alexander, fils d’un maître d’école de la ville, William Gunn. Ce qui tend à prouver que sa première femme, Marie Mirabeau, décédée au mois de septembre précédent, a sans doute joué le rôle d’un véritable compagnon auprès de son mari, comme cela se faisait en France.
Besogneux toute sa vie, victime de saisies et emprisonné, bon imprimeur et mauvais administrateur, Mesplet a montré une constance indéfectible et une aptitude extraordinaire à convaincre ses amis et bailleurs de fonds de ses succès à venir. Bien que sa succession fût embrouillée, il est exagéré d’affirmer qu’il a été dans la misère ; son inventaire après décès prouve qu’il possédait un mobilier et un appareil vestimentaire que bien des Montréalais de qualité pouvaient lui envier. Notable de la rue Notre-Dame par son officine et son journal, Mesplet s’est créé tout un cercle d’amis, intellectuels comme Valentin Jautard, Pierre Du Calvet et Henry-Antoine Mézière, petits-bourgeois du négoce comme les Jacques-Clément Herse, Jean-Baptiste-Amable Durocher, Joseph-Marie Desautels et Charles Lusignan, ou des professions libérales comme les notaires Antoine Foucher, François Leguay, père, Pierre-François Mézière, père d’Henry-Antoine, et Jean-Guillaume De Lisle*. C’est avec beaucoup d’exagération et d’anachronisme qu’on a fait de lui un « républicain » et un « révolutionnaire ». Mesplet fut un homme de métier doublé d’un esprit éclairé au sens du xviiie siècle.
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Claude Galarneau, « MESPLET, FLEURY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 4 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/mesplet_fleury_4F.html.
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Auteur de l'article: | Claude Galarneau |
Titre de l'article: | MESPLET, FLEURY |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1980 |
Année de la révision: | 1980 |
Date de consultation: | 4 déc. 2024 |