RAYMOND, JEAN-LOUIS DE, comte de Raymond, officier et gouverneur de l’île Royale, né vers 1702 et décédé le 12 octobre 1771 dans la paroisse Saint-Antonin, à Angoulême, France.

On n’est guère renseigné sur les premières années de Jean-Louis de Raymond. Selon Michel Le Courtois de Surlaville, les Raymond étaient de petits seigneurs de province, probablement de l’Angoumois. Raymond entreprit sa carrière militaire à titre de lieutenant dans le régiment de Vexin. Il fut promu capitaine en 1725 et lieutenant-colonel en 1743. En 1731, Raymond s’assura la lieutenance de roi de la ville et du château d’Angoulême, poste qui s’avéra permanent et lui rapporta un revenu annuel à vie de 2 100#. Il était à la bataille de Dettingen (République fédérale d’Allemagne) en 1743 et servit avec les armées françaises sur le Rhin en 1744–1745, bien qu’il ne prît, à ce qu’il semble, aucune part directe au combat. En 1747, il obtint le grade non vénal de général de brigade (grade d’officier général) et, en 1749, fut muté aux Grenadiers de France avec le grade de lieutenant-colonel. Au cours de sa carrière dans l’armée, il avait appris à manipuler à son profit les ficelles du favoritisme officiel. Après avoir convaincu le ministre de la Guerre, Voyer d’Argenson, qu’ils étaient parents par le sang, celui-ci l’aida à obtenir sa promotion au grade de maréchal de camp en 1751, et, la même année, il intercéda avec le ministre de la Marine, Rouillé, pour que Raymond obtînt le poste de gouverneur de l’île Royale (île du Cap-Breton) en remplacement de Charles Des Herbiers* de La Ralière.

Sans qu’il l’ait sollicité, ce poste offrait à Raymond les deux choses qu’il désirait le plus : le prestige et l’argent. Son mode de vie fastueux l’avait appauvri, et Rouillé lui proposait des conditions généreuses : une gratification initiale de 10 000#, un salaire annuel de 9 000#, à quoi s’ajoutait l’allocation de 1 200# accordée chaque année au gouverneur et au commissaire ordonnateur pour leurs déplacements à l’intérieur de la colonie, et la permission de retourner en France à un an d’avis. Après que Pierre-Arnaud de Laporte, premier commis du bureau des Colonies au ministère de la Marine, eut bien flatté sa vanité, Raymond accepta volontiers le poste qu’on lui offrait, bien qu’il n’eût aucune expérience dans le service de la Marine non plus que des affaires coloniales.

La nomination de Raymond s’inscrit dans la tentative de Rouillé visant à améliorer la qualité du personnel au service des colonies. Raymond fut le dernier gouverneur d’une colonie canadienne, sous le Régime français, à avoir fait carrière dans les troupes de terre, et le seul, à Louisbourg, qui ne fût pas officier des troupes de la Marine. Il vint à Louisbourg avec des titres et des recommandations capables d’impressionner à première vue. Avant sa nomination, il avait acheté le minuscule fief d’Oyes (dép. de la Marne) et il fut le premier de sa famille à être qualifié de comte, bien que son cousin éloigné, Charles de Raymond Des Rivières (qui appartenait à une branche noble de la famille), et Surlaville doutassent de la légitimité de ce titre.

Raymond se montra le plus excentrique des gouverneurs du Canada, de Frontenac [Buade*] à lord Durham [Lambton*]. Avec Frontenac, il partageait une ambition effrénée et la passion pour un mode de vie extravagant. Pour ces deux hommes, le titre de gouverneur évoquait, comme l’écrivait Mme de Sévigné, « du bruit, des trompettes et des violons ». Et comme Durham, Raymond mettait sa gloire dans la pompe et les solennités. La fanfare qui salua son arrivée à Louisbourg, le 3 août 1751, était plus nombreuse que celle qui se fit entendre lors du débarquement de Durham à Québec, en 1838. Les célébrations qu’il organisa à l’occasion de la naissance du dauphin, en 1752, sont insurpassées dans les annales de la colonie.

Raymond arriva à Louisbourg avec le désir d’impressionner ses nouveaux supérieurs. Il était déterminé à ne laisser aucun domaine échapper à son attention, ni aucune de ses actions échapper à celle de ses supérieurs. Certains de ses gestes s’avérèrent des défis au bon sens. Il chercha à faire impression sur Rouillé en envoyant en France des animaux canadiens, et même des pâtés de perdrix qui étaient gâtés à l’arrivée. Quand on découvrit de la pyrite de fer (l’or des fous), Raymond annonça inconsidérément que l’île Royale était un nouveau Pérou. À cause de pareilles histoires, la rumeur courut dans les ports de France qu’il avait l’esprit dérangé. Avec l’aide de Surlaville et de Thomas Pichon, il écrivit une quantité énorme de mémoires sur plusieurs sujets. Il recommanda qu’on apportât des changements à la réglementation du commerce, à l’organisation religieuse, à l’administration de la justice et aux fortifications de Louisbourg. Il surveilla étroitement les Britanniques de la Nouvelle-Écosse et, en 1752, il fit une tournée tant de l’île Royale que de l’île Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard), rencontrant les Indiens alliés au cours de conférences bien orchestrées. Des rapports détaillés, mais exagérés, de ses déplacements furent adressés à Versailles.

Si certaines idées de Raymond étaient justes, toutes étaient de réalisation coûteuse. Même si le commissaire ordonnateur avait juridiction sur la colonie, Raymond, du fait qu’il était responsable tant de l’armée que du bon ordre au sein de la population civile, entreprit de rendre Louisbourg autosuffisante au point de vue nourriture. Il paya des militaires qu’il employa au défrichement de terres destinées à l’agriculture et chercha à renforcer la puissance défensive de l’île en établissant des soldats en des communautés agricoles semblables aux premières coloniœ romaines. En 1752, grâce à ses soins, 22 soldats mariés étaient établis dans un village obséquieusement nommé Rouillé, sur la rivière de Miré (rivière Mira). D’autres vivaient à Baie-des-Espagnols (Sydney), à Port-Toulouse (près de St Peters) et dans l’île Saint-Jean. Il conçut aussi un plan ingénieux pour la défense côtière de l’île et, sans l’autorisation de la France, paya des soldats pour la construction d’une route à peine passable de Port-Toulouse à Louisbourg, au coût de 100 000#. Son projet prévoyait une série de redoutes le long de la côte, afin d’aider au peuplement, d’écarter la contrebande et de donner l’alarme dans le cas d’une attaque ennemie. L’ingénieur Louis Franquet* s’opposa à ce plan, trop coûteux à son avis, que Rouillé finalement rejeta. Pour améliorer le groupe des officiers de la colonie, Raymond institua un enseignement formel des mathématiques et de l’artillerie, aussi bien que de la lecture et de l’écriture pour les analphabètes.

Dans la pensée de Raymond, son rôle comme gouverneur était de gouverner, dans le sens le plus large du terme. À cause de son inexpérience, de son ambition et des flatteries de Laporte, il ne se rendit pas compte que le gouvernement en Nouvelle-France était une dyarchie, au sein de laquelle le secteur militaire et le commissariat exerçaient chacun une autorité distincte et largement indépendante de l’autre : au premier revenaient les relations extérieures, les affaires indiennes et la discipline militaire ; au commissaire ordonnateur, la justice, les finances et l’approvisionnement ; ils avaient la responsabilité conjointe de l’ordre public. Le commissaire ordonnateur de Louisbourg, Jacques Prevost de La Croix, n’était pas moins vaniteux ou d’esprit moins dominateur que Raymond. Surlaville disait à ce propos que « chacun [voulait] s’emparer de toute l’authorité, [et que] tous les deux [étaient] également entetés [...] vains et présomptueuses ». Les deux hommes s’affrontèrent souvent, sur de petites affaires de juridiction comme sur des questions de grande importance. Prevost s’opposait au gouverneur en toute occasion et usait de tous les moyens à sa disposition pour gagner des partisans. Non seulement se plaignait-il sans cesse à ses supérieurs de la conduite arbitraire de Raymond, mais il gratifiait de provisions supplémentaires les officiers qui l’appuyaient. Avec l’aide de Surlaville, Raymond se vengea en préparant un long mémoire démontrant comment Prevost gonflait les comptes de la colonie. Il en venait à la conclusion que Prevost avait, en un an, fraudé la monarchie d’une somme de 33 000#. Par malchance, il soumit ces renseignements au ministère en juillet 1754, alors que Rouillé avait quitté son poste, si bien qu’aucune suite n’y fut donnée.

Malheureux de sa situation de plus en plus intenable à Louisbourg, Raymond, en poste depuis moins d’un an, demanda sa mutation. À l’annonce de la nomination de Duquesne comme gouverneur général de la Nouvelle-France, Raymond déclara que sa dignité ne lui permettrait pas de servir sous un homme d’un grade inférieur. À l’automne de 1753, il quitta la colonie avec une pension de 4 000#. Charles-Joseph d’Ailleboust* assuma temporairement le commandement, en attendant l’arrivée du successeur de Raymond, Augustin de Boschenry* de Drucour.

De retour en France, Raymond fut réaffecté au ministère de la Guerre. Il devint en 1755 commandant au Havre. Obsédé d’une façon pathologique par le sentiment de sa propre importance, il essaya d’impressionner les autorités françaises par sa connaissance poussée des affaires coloniales. Après des demandes répétées, il obtint audience auprès des ministres à Versailles en 1755 et en 1757. En 1759, il demanda la nomination de commandant de l’Angoumois, qu’on lui accorda, mais il demeura lieutenant de roi et reçut seulement 2 000#, le quart du salaire additionnel qu’il avait demandé. Cette même année, Raymond touchait 8 400# de pension, sans compter la pension attachée à son nouveau poste : 2 100# comme lieutenant de roi, 800# comme ancien lieutenant-colonel du Vexin, 1 500# de l’ordre de Saint-Louis et 4 000# de la Marine.

Raymond resta toujours submergé par les dettes, qui furent la plaie de sa vie, bien que, selon Surlaville, ses revenus pendant son gouvernement eussent été de 86 000#. Même la cantine du major, la seule officiellement autorisée à l’intérieur de la forteresse, à laquelle il donna une plus grande expansion et qu’il saigna à blanc pour en tirer un revenu personnel supplémentaire de 3 000#, fit faillite. Son argent lui vint en grande partie sous la forme de gratifications versées par Rouillé, car Raymond n’avait point porté atteinte à son rang en s’abaissant à faire du commerce. Le ministre effaça des dettes du gouverneur pour une somme de 20 000# mais, quand Raymond afficha assez de témérité pour demander une seconde gratification d’un égal montant, il refusa. La dernière mention de Raymond date de 1766, année où il adressa au ministre, le duc de Praslin, une requête pour qu’il payât au marchand David Gradis, de Bordeaux, une dette de 6 000# en souffrance depuis les années passées à Louisbourg. À sa manière bien typique, Raymond tentait de mettre les chances de son côté en exposant à grands traits ses liens de parenté avec le ministre, bien que ces liens remontassent à la cinquième génération, du côté maternel. Raymond n’eut jamais la touche du roi Midas, qui seule eût pu soutenir l’extravagance de son train de vie.

Vaniteux et égocentrique, Raymond força ses contemporains à être soit ses loyaux alliés, soit d’ardents adversaires. Plusieurs, dont Pichon, Franquet, Surlaville et Joannis-Galand d’Olabaratz, se plaignirent de sa manière arbitraire de les traiter. Il faisait peu de cas des gens qu’il exploitait – il engrossa à Louisbourg la jeune fille qui le servait. Surlaville, qui par la suite annota, d’une manière mordante, sarcastique et souvent cynique, une grande partie de la correspondance de Raymond, fut peut-être très charitable en écrivant que celui-ci était inspiré d’ « un enthousiasme qui ne lui permet[tait] pas de rien écouter ». Et le but qu’il visait énergiquement était son avancement personnel plutôt que le bien commun. Pichon observa qu’il savait « profiter des lumières d’autruy et les faire valoir pour lui seul ». Si plusieurs de ses projets n’étaient pas sans mérite, ils échouèrent par suite de son incapacité de concentrer ses énergies et de son manque de discernement, sans parler de l’opposition qu’il rencontra dans la colonie et en France. Ses communautés agricoles dépérirent, parce qu’il avait été incapable de juger de l’infertilité des terres où il avait choisi de les implanter ; son projet de routes fut refusé en France pour des raisons de coûts et de sécurité ; et, avant son départ de Louisbourg, ses écoles de mathématiques et d’artillerie avaient déjà commencé à s’affaisser. Les deux années que Raymond passa à l’île Royale furent tumultueuses, mais, en définitive, son influence fut négligeable.

T. A. Crowley

Certains inventaires de fonds d’archives, articles et études confondent la carrière de Raymond avec celle de son cousin Charles de Raymond Des Rivières parce que le dossier Raymond, déposé aux AN, Marine, contient des documents concernant ces deux personnages.  [t. a. c.]

AMA, Inspection du Génie, Bibliothèque, mss in-fo, 205b, f.47 ; SHA, A1, 3 393 ; 3 457 ; 3 461 ; 3 499 ; 3 526 ; 3 540 ; 3 577 ; 3 602 ; 3 631 ; Y3d, 2 121.— AN, Col., B, 100, f.109v. ; C11B, 32, ff.39, 48, 61 ; 33, f.100 ; 34, f.24 ; C11C, 9 ; F3, 50 ; Marine, C7, 270 (dossier Raymond).— APC, MG 18, J10.— ASQ, Polygraphie, LV–LVII.— Bibliothèque municipale de Vire (dép. du Calvados), Coll. Thomas Pichon, 1750–1762 (copies aux APC).— PANS, RG 1, 341–341 1/2 (papiers de Thomas Pichon).— Les derniers jours de l’Acadie (Du Boscq de Beaumont).— Docs. relating to Canadian currency during the French period (Shortt), II.— [Thomas Pichon], Lettres et mémoires pour servir à l’histoire naturelle, civile et politique du Cap Breton, depuis son établissement jusqu’à la reprise de cette isle par les Anglois en 1758 (La Haye, Pays-Bas, 1760 ; réimpr., [East Ardsley, Angl.], 1966).— Groulx, Hist. du Canada français (1960), 1 : 70.— McLennan, Louisbourg.

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T. A. Crowley, « RAYMOND, JEAN-LOUIS DE, comte de Raymond », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 3 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/raymond_jean_louis_de_4F.html.

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Auteur de l'article:    T. A. Crowley
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
Année de la révision:    1980
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