SMITH, WILLIAM, historien, juriste et homme politique, né le 18 juin 1728 à New York, premier-né de William Smith et de Mary Het ; il épousa le 3 novembre 1752 Janet Livingston, et ils eurent 11 enfants ; décédé à Québec le 6 décembre 1793.

Le grand-père de William Smith avait été marchand en Angleterre avant d’émigrer à New York en 1715. Son père, diplômé du Yale College en 1722, réussit comme avocat et fut nommé, en 1753, membre du Conseil de la province de New York ; sa mère appartenait au groupe huguenot de langue française établi à New Rochelle (New York). Smith obtint son diplôme au Yale College en 1745 et entra comme clerc dans l’étude de son père. Reçu attorney en octobre 1750, il se tailla rapidement une place lucrative dans l’exercice de sa profession. Il devint particulièrement habile dans les causes relatives aux biens fonciers, souvent mal délimités ; il s’illustra aussi par ses efforts pour élever les normes de sa profession, en prônant l’adoption des usages britanniques. En 1763, le gouverneur Monckton offrit à Smith, alors âgé de 35 ans seulement, le poste de juge en chef de la Cour suprême. Smith hésita, son père venant tout juste d’être nommé troisième juge de la même cour, et l’occasion passa. En 1767, il fut nommé au Conseil de la colonie, remplaçant son père qui se retirait.

Dès son jeune âge, Smith fut un écrivain prolifique. Après avoir tenté plusieurs aventures littéraires, il fut en 1753–1754 coauteur de l’Independent Reflector, la première revue de New York. Avec l’un de ses amis, William Livingston, il avait compilé le premier recueil des Laws of New-York from the year 1691 to 1751, inclusive, publié en 1752, acquérant ainsi la documentation de base pour The history of the province of New-York [...] qu’il publia à Londres en 1757. Cet ouvrage le servit bien au cours des années, lui apportant une grande réputation en tant qu’autorité concernant la colonie : on faisait souvent allusion à lui comme à « l’historien de New York ». Vingt ans plus tard, il entreprit un second volume, publié après sa mort. En 1757, il fut également coauteur, encore avec Livingston, d’un pamphlet intitulé A review of the military operations in North-America [...] dans lequel il condamnait la façon dont était menée la guerre de Sept Ans. C’est à l’occasion de cette polémique qu’il jeta pour la première fois les yeux sur son futur pays : « Le Canada doit être détruit – Delenda est Carthago – ou nous sommes perdus. » Poussé comme malgré lui à écrire, Smith tint son journal, de 1763 à 1787, qu’il conçut en partie comme une sorte de confident, mais plus encore comme une source de renseignements d’ordre historique. C’est à ce titre que les historiens de l’Empire britannique en Amérique du Nord se sont servis du journal de Smith depuis sa publication au milieu du xxe siècle.

Les talents d’écrivain de William Smith furent souvent mis au service de causes partisanes. La vie politique de New York était dominée par des groupes de familles qui luttaient pour s’assurer la maîtrise du « patronage » ; Smith épousa la vieille antipathie de son père pour le parti de Lancey. Presbytérien, il s’opposa à des entreprises anglicanes telles que la fondation, en 1754, du King’s College (la future Columbia University) et l’établissement d’un évêque en Amérique. William Livingston, John Morin Scott et Smith furent bientôt connus comme « le triumvirat new-yorkais », dont l’objectif, selon un critique, était « d’abattre l’Église et l’État ». Au dire de John Adams, Smith avait « agi avec intrépidité, honnêteté et prudence » lors de la crise de la loi du Timbre en 1765 ; son rôle à cette occasion lui valut le surnom de « Patriotic Billy ». Après sa nomination au conseil, toutefois, Smith devint plus prudent et, alors que ses spéculations foncières prenaient de l’ampleur, il laissa tomber certains enthousiasmes de sa jeunesse. Il préféra s’opposer en secret au parti de Lancey et à l’Église d’Angleterre, et présenta de lui-même, aux gouverneurs successifs, l’image de l’homme « au-dessus des partis » auquel ils pouvaient avec confiance demander des avis désintéressés. Néanmoins, quand la colonie de New York commença à glisser vers la rébellion, les adversaires de la Grande-Bretagne, tant radicaux que conservateurs, se tournèrent vers lui pour obtenir de l’aide. En 1776, il déménagea dans sa maison de campagne, tentant, d’ailleurs inutilement, de se tenir à l’écart de la crise dans cette retraite rurale, et il refusa de prêter allégeance au nouvel État. Ayant passé deux ans en liberté surveillée à Albany, et finalement forcé de prendre position, il alla rejoindre les Britanniques à New York. Bien qu’il reconnût que les deux côtés avaient des torts dans le conflit, il croyait que rien ne pouvait faire pardonner aux révolutionnaires leur désir de briser l’unité de l’Empire, et il déclara son allégeance à la couronne en 1778. Pour les Britanniques, c’était une prise équivalente à celle d’un Samuel Adams repentant et une invitation pour les gentilshommes « qui s’étaient accordé un moment de répit », encore qu’il y eût quelques réserves : « peu d’hommes [étaient] aussi capables, si on [pouvait] lui faire confiance ». Deux ans plus tard, il recevait sa récompense : il était nommé juge en chef de New York.

L’arrivée de sir Guy Carleton* comme commandant en chef des forces britanniques, en 1782, détermina l’orientation que suivrait désormais la carrière de William Smith. Les deux hommes se mirent rapidement en rapport l’un avec l’autre, ayant de fréquents échanges d’idées sur l’Empire et sur la manière de le diriger. Smith s’était fait longtemps l’avocat de l’union des colonies américaines : de 1765 à 1775, il avait écrit plusieurs articles pour promouvoir une législature unie, formée d’un lord-lieutenant muni de vastes pouvoirs discrétionnaires, d’un conseil et d’une assemblée choisie par une élection indirecte. Chacun des gouvernements coloniaux serait resté tel qu’il était sous cette superstructure ; l’Assemblée continentale aurait disposé de toute réquisition royale relative aux impositions de taxes. Comme Carleton avait d’abord espéré exercer les pouvoirs vice-royaux à New York, et qu’il était dégoûté de la façon dont son commandement avait été entravé par la détermination du gouvernement britannique à accepter la défaite, il vit beaucoup d’avantages à la structure impériale proposée par Smith, surtout quand celui-ci laissa entendre que le commandant en chef était de toute évidence l’homme qu’il fallait pour en prendre la direction.

Les Britanniques évacuèrent New York en 1783. En décembre, Carleton et Smith s’embarquèrent pour l’Angleterre, sur le même navire : Carleton allait rencontrer un gouvernement qui n’appréciait pas son mérite réel ; Smith connaîtrait les froides démarches qu’exigeaient la recherche d’un emploi et la quête de compensations pour les pertes qu’il avait encourues. Mais Londres fut aussi, pour l’ancien juge en chef de New York, le lieu d’une expérience enrichissante : il y rencontra plusieurs des réformateurs dissidents du jour, avec lesquels il se sentit à l’aise. La destinée de Smith était inextricablement liée à celle de Carleton, qui avait recommandé sa nomination comme juge en chef de Québec, alors que tous deux étaient encore à New York. Bref, si Carleton devenait gouverneur de Québec, Smith y deviendrait juge en chef ; sinon, l’avenir de ce dernier restait une inconnue. Il apparut peu à peu que même l’obtention d’une compensation pour ses pertes en tant que loyaliste pouvait dépendre du succès de Carleton : Smith entendit dire que William Pitt lui-même avait des « doutes sur [les] principes » qui le guidèrent pendant la guerre récente.

Smith voyait Québec dans la perspective de ce qu’il espérait être une ferme détermination de la part des Britanniques de réunifier l’Empire en Amérique du Nord, et il eut à encourager un Carleton souvent maussade, décidé à accéder à la pairie avant d’accepter quelque poste que ce fût au Canada, en lui faisant entrevoir ce qui pourrait être fait. Si les colonies subsistant au sein de l’Empire étaient placées sous une direction centrale et si l’on faisait en sorte qu’elles donnent un brillant exemple de la sagesse supérieure des institutions britanniques, les Américains désorganisés se repentiraient dès lors d’avoir fait l’indépendance et, peut-être, « se rangeraient sous la même puissance tutélaire ». Carleton devrait être le gouverneur général de toutes les provinces et le capitaine général de la milice, et avoir également pleins pouvoirs sur la marine ; il devrait avoir toute l’autorité pour négocier et conclure des traités à l’intérieur de l’Amérique du Nord. Lui seul entretiendrait des rapports avec le gouvernement impérial, et tous les fonctionnaires de l’Amérique du Nord correspondraient avec lui. Il devrait approuver toutes les décisions dans le domaine exécutif, diriger les affaires indiennes et la défense des frontières, régler le commerce, octroyer les terres de la couronne, les chartes des cités, universités et autres institutions publiques, et choisir tous les fonctionnaires habituellement nommés par le gouvernement britannique. Il devrait également avoir le pouvoir de conférer, relativement à l’imposition des taxes générales, avec une assemblée qui comprendrait deux chambres et se recruterait dans toutes les colonies. Toutefois, les vues du gouvernement britannique sur ce qui était nécessaire à l’Amérique du Nord différaient de celles de Smith. Quand, finalement, Carleton reçut sa commission le 15 avril 1786, ce ne fut pas à titre de gouverneur général d’une fédération des colonies, mais à titre de gouverneur particulier pour chacune des trois provinces suivantes : Québec, Nouvelle-Écosse et Nouveau-Brunswick, sans aucun des pouvoirs quasi absolus que Smith avait imaginés. Anobli, avec le titre de baron Dorchester, Carleton fut envoyé à Québec avec la mission de s’y documenter et de conseiller les ministres sur les problèmes constitutionnels de la province.

Dorchester et Smith arrivèrent à Québec le 23 octobre 1786, et, le 2 novembre, Smith prononça les serments d’office comme conseiller et juge en chef. Frustré une fois encore d’une pleine mesure de pouvoirs, Carleton se retira de la scène politique et n’assista pas aux séances du Conseil législatif. Le lieutenant-gouverneur Henry Hope, deuxième dans la hiérarchie, était souvent absent ; aussi laissa-t-on Smith présider les séances ; sa position était encore renforcée du fait qu’il présidait aussi plusieurs comités du conseil. Ce dernier était profondément divisé, chaque parti affichant le nom d’un des deux groupes nationaux.

Le French party, majoritaire, vit en Smith une puissante menace d’anglicisation, et l’hostilité d’Adam Mabane, le leader de ce parti, à l’endroit de Smith était doublement acquise, du fait qu’il avait lui-même espéré devenir juge en chef. D’autres juges, Thomas Dunn* et Pierre-Méru Panet*, le regardaient avec méfiance, comme un nouveau venu et un Américain qui détenait de grandes propriétés foncières dans le Vermont et New York, et dont la réputation de conduite équivoque l’avait précédé à Québec. Mais, le « parti des bureaucrates » ou « parti anglais » n’ayant pas de leader de la taille de Mabane, des hommes comme Hugh Finlay* et Samuel Jan Holland* jetèrent d’abord les yeux sur Smith pour ce rôle.

Smith ne cachait pas son désir de voir des masses d’immigrants anglophones renforcer le Québec en venant augmenter sa population, et l’un des moyens par lesquels il souhaitait encourager cet afflux était l’anglicisation du système judiciaire de la colonie. Mabane et lui en vinrent bientôt à se dresser l’un contre l’autre au sein d’un comité du conseil formé pour faire rapport sur les cours de justice. Parmi les réformes proposées par Smith, il y avait de nouveaux districts judiciaires pour les établissements loyalistes et l’extension, à toutes les causes personnelles, de la faculté de choisir un procès avec ou sans jury, ce qui était permis depuis 1785 dans certaines causes civiles seulement. Mabane, toutefois, s’opposa à tout nouvel empiétement de la pratique judiciaire anglaise sur les procédures de droit civil français. Entre-temps, deux mois après son arrivée, Smith avait déclenché une controverse d’importance en modifiant l’interprétation coutumière de l’Acte de Québec. Il renversa la décision rendue par Mabane à la Cour des plaids communs dans une affaire mettant en cause William Grant*, de Saint-Roch, et Alexander Gray, en démontrant que les lois civiles françaises ne s’appliquaient pas aux sujets du roi de naissance britannique. Il faisait valoir que l’Acte de Québec, qui accordait expressément aux Canadiens l’usage des lois canadiennes, ne refusait pas expressément aux sujets du roi de naissance britannique le recours aux lois anglaises, et que ces derniers, par conséquent, n’étaient point déchus de leurs droits naturels. Bien qu’il existât des précédents propres à étayer cette opinion juridique, Smith choisit de ne pas en faire état, et il sembla qu’il fût en train de détruire à lui seul un système de lois que beaucoup considéraient comme une digue contre le flot envahissant de l’immigration britannique. Sa décision représentait un défi politique pour le French party, au sein du conseil. Quand il tenta de traduire son opinion dans une loi, Paul-Roch de Saint-Ours contre-attaqua en présentant un projet de loi visant à abolir le droit de choisir un procès avec ou sans jury, de même que la loi anglaise des preuves, en vigueur depuis 1777 dans les causes relatives au commerce. Le 22 mars 1787, le conseil décida, par un vote majoritaire, de renvoyer sans l’étudier en comité le projet de loi de Smith. Dans une manœuvre pour éviter une défaite complète, Smith saisit l’occasion d’une protestation, sous la forme d’une requête présentée par les marchands anglais, contre le projet de loi de Saint-Ours, pour l’enterrer. La protestation des marchands fut commentée devant le conseil, le 14 avril, par le procureur général James Monk*, qui condamna l’administration passée de la justice en des termes si forts qu’une enquête officielle était inévitable. Smith, seul juge à n’avoir pas été fustigé par Monk, eut la responsabilité principale de la conduite de l’enquête et trouva assez inconfortable d’être ainsi en vedette, alors que les parties en litige, déçues, dénonçaient, les unes après les autres, ses collègues. Les preuves accumulées furent envoyées à Londres, mais sans qu’on suggérât quoi que ce fût pour corriger la situation ; le système judiciaire était déconsidéré, mais il continuait de fonctionner comme auparavant. Tenu responsable de l’impasse dans laquelle on se retrouvait, Smith perdit des appuis au sein du parti des bureaucrates. En avril 1789, Monk fut relevé de ses fonctions et remplacé par Alexander Gray ; sentant qu’il avait été un bouc émissaire dans cette affaire, Monk devint un adversaire acharné du juge en chef.

Smith poursuivit ses efforts en vue de préparer les voies à l’immigration en appuyant, et peut-être en l’inspirant, la requête que présenta, en janvier 1788, Charles-Louis Tarieu* de Lanaudière, qui demandait l’autorisation de convertir sa seigneurie en franche-tenure. Sa démarche échoua, mais, en 1790, un comité du Conseil législatif, sous la présidence de Smith, recommanda la conversion volontaire. La tenure féodale, affirmait-il, avait été un obstacle à l’expansion de la vieille colonie française ; elle l’avait laissée dans un état de faiblesse tel qu’elle avait pu être conquise ; son maintien retarderait le progrès de la province de Québec maintenant qu’elle était devenue une colonie anglaise. Une tempête de protestations publiques accueillit le rapport du comité ; et, à l’ouverture de la session législative, en mars 1791, le conseil vota à l’unanimité l’abandon du projet de loi relatif à la conversion volontaire. (De nombreux membres du parti des bureaucrates étaient eux-mêmes seigneurs.)

Se sentant isolé, Smith affichait souvent son mépris pour les hommes politiques de la province, qu’il trouvait débraillés, naïfs et inaptes à siéger dans une assemblée élective. Comme il l’écrivait au marchand londonien Brook Watson* : « ni protestant ni catholique papiste, ni Britannique ni Canadien, ni marchand ni propriétaire foncier » n’agréait ses vues. La seule initiative qui lui valut un appui presque unanime fut sa proposition, faite en 1789, en faveur d’un système provincial d’éducation couronné par une université et comprenant un conseil composé d’un nombre égal de Canadiens et d’Anglais. Mais, parce que Smith s’opposait à ce que le collège ait quelque lien que ce soit avec une quelconque dénomination religieuse, le projet fut enterré à Londres [V. Charles-François Bailly de Messein ; Jean-François Hubert].

Smith avait soulevé une âpre controverse politique autour de sa personne, ce qui contrastait avec la situation qu’il avait connue à New York, où il avait su influencer les gouverneurs et rester néanmoins dans l’ombre. Et, comme dans le cas des enquêtes judiciaires, à quoi cela servait-il ? Les décisions étaient prises à Londres, et non à Québec. Les avis de Dorchester, adressés au gouvernement de la métropole, sur les problèmes constitutionnels de la colonie étaient pour la plupart négatifs, et le juge en chef y souscrivait entièrement. En 1789, l’initiative de la réforme passa à William Wyndham Grenville, le nouveau ministre de l’Intérieur (responsable aussi des Colonies), qui élabora un projet tendant à diviser Québec en deux provinces distinctes. Il envoya à Dorchester une copie de ce document qui est à la base de l’Acte constitutionnel de 1791, en lui demandant ses commentaires ; Dorchester la transmit à Smith.

Le plan de Grenville marquait un recul par rapport aux glorieuses perspectives chères à Smith : une Amérique britannique de l’Atlantique au Pacifique et de l’Arctique au golfe du Mexique, en passant par la Louisiane. L’expansion de l’Amérique du Nord britannique supposait un gouvernement plus centralisé, et non point fragmenté plus qu’il ne l’était déjà. On devrait avoir, affirmait Smith, un gouvernement fédéral qui unifierait les colonies existantes en les plaçant sous l’autorité d’un gouverneur général et qui serait doté d’un conseil législatif et d’une assemblée générale. Le conseil serait formé de représentants de chaque province nommés à vie par le gouverneur général, et l’assemblée générale, de membres choisis par les assemblées particulières des diverses provinces. Pour être approuvé par l’assemblée générale, un projet de loi devrait non seulement recueillir un nombre majoritaire de votes, mais également un vote représentant la majorité des provinces. Cette double majorité ne serait pas nécessaire, cependant, au conseil. La législature se réunirait, sur l’ordre du gouverneur général, une fois au moins à tous les deux ans, et ne serait pas maintenue plus de sept ans entre deux élections. Il ne devrait pas y avoir d’empêchements à la nomination par le roi des membres du Conseil exécutif ou des fonctionnaires de la couronne. Dès lors, un système fédératif devrait être surajouté aux constitutions politiques des provinces. Le plan de Smith fut inclus dans la réponse de Dorchester à Grenville, mais quelques mots de Londres suffirent à dissiper le beau rêve : ce plan, écrivit Grenville, d’une plume quelque peu méprisante, est « susceptible de nombreuses objections ».

La constitution de 1791 était bien loin de rencontrer les idées de Smith, mais, désormais juge en chef du Bas-Canada, il résolut, en cette qualité, de faire de son mieux pour mettre la nouvelle province sur la bonne voie. Il était bien décidé à ce que le système politique de la province fût dirigé dans le respect des traditions parlementaires, et sa nomination comme président du Conseil législatif lui donna l’autorité dont il avait besoin à cette fin. Il rédigea des commissions pour le gentilhomme huissier de la verge noire et le sergent d’armes, qui reçurent des costumes copiés exactement sur ceux de Westminster. Sous sa direction, un comité du conseil décida que toute relation entre le conseil et l’assemblée devait « respecter strictement la pratique parlementaire », et il veilla à ce que les ordonnances destinées aux conseillers fussent des répliques exactes des assignations royales à la chambre des Lords. Il décida même de la disposition matérielle de la nouvelle législature.

La réforme du système judiciaire resta l’une des grandes préoccupations de Smith. En octobre 1792, dans une tentative pour uniformiser l’administration de la justice dans l’Amérique du Nord britannique, le successeur de Grenville, Henry Dundas, envoya un plan pour remplacer la structure judiciaire alors en vigueur au Bas-Canada (un juge en chef et six juges de la Cour des plaids communs) par deux cours du banc du roi établies l’une à Québec, l’autre à Montréal, chacune devant être sous la présidence d’un juge en chef. Smith s’opposa au changement qui menaçait sa position personnelle et, dans une ébauche de projet de loi, il exposa tout un système judiciaire qui, en vue de faire progresser l’autonomie de la province du Bas-Canada sous l’autorité de la couronne, aurait créé une réplique presque exacte du système judiciaire anglais. (Le projet de Dundas fut mis en vigueur, mais après la mort de Smith.) Smith joua également un grand rôle dans le choix d’une ligne de conduite administrative relativement aux terres de la colonie, comme président du comité chargé de faire rapport sur les clauses des instructions royales de 1791 concernant l’octroi des terres. Bien que la proclamation à laquelle donna lieu son rapport fût dans la ligne de pensée ministérielle, elle était sujette à bien des interprétations ; son zèle en faveur de l’immigration amena Smith à l’interpréter de manière à donner ouverture, au Bas-Canada, à la pire des spéculations. Des millions d’acres furent réclamées par voie de pétitions, surtout par des Américains qui n’avaient aucunement l’intention d’amener des colons. Des certificats d’arpentage de grandes étendues de terre furent promptement émis, qui furent vendus et revendus aux Etats-Unis, où ils étaient acceptés comme autant de preuves de l’existence de titres de propriété. Dans les faits, la ligne de conduite adoptée par Smith allait tout à fait à l’encontre de ses objectifs, et le problème de l’octroi des terres ne fut pas réglé de son vivant.

Smith mourut le 6 décembre 1793, à la suite d’une longue maladie. Le cortège funèbre fut conduit par Son Altesse Royale Edward Augustus* et suivi par les membres du Conseil législatif et de l’Assemblée, des fonctionnaires et des officiers, « et d’un concours des citoyens les plus respectables et les plus nombreux qu’on ait vus en pareille occasion ». Smith fut enseveli – étrange fin pour un adversaire de toujours – dans un cimetière anglican. Lui survivaient sa femme, Janet, et quatre enfants, dont Harriet, qui devint la femme de Jonathan Sewell*, et William*, futur historien et membre du Conseil exécutif.

William Smith reçut l’un des plus grands dons qu’un homme puisse espérer, une deuxième chance. Il fut l’un des rares Loyalistes à même de reprendre une carrière détruite par la Révolution américaine. Aussi sa vie ne se déroula-t-elle pas seulement dans deux colonies, mais aussi dans deux empires. C’est dans les perspectives du vieil empire qu’il sut prévoir le nouveau ; une Amérique britannique, fédérée, virtuellement autonome, mais ayant pour remparts les conceptions et les traditions politiques britanniques. Il sut, alors qu’il était fonctionnaire sous le second empire, adapter des idées qu’il avait formulées sous le premier. Toutefois, la carrière de Smith intéresse davantage par ce qu’il aurait pu réaliser que par ce qu’il a réellement accompli. Il paya très cher le fait de s’accrocher si longtemps à la vie politique. Trop de gens ont énoncé à son sujet trop de réserves ; trop nombreuses furent les accusations de duplicité, de cupidité et d’hypocrisie. Son portrait révèle un homme de taille moyenne, au front haut et au menton peu accentué. Il avait une allure d’ascète, des manières guindées, et paraissait sûr de lui ; c’était aussi un intellectuel qui avait le don des réparties dévastatrices. Il eut la malchance de vivre en des temps où il fallait prendre des positions bien tranchées ou, à tout le moins, donner les apparences de la rectitude. La devise de Smith avait toujours été in medio tutissimus ibis.

L. F. S. Upton

William Smith est l’auteur de The history of the province of New-York, from the first discovery to the year M.DCC. XXXII. ; to which is annexed, a description of the country with a short account of the inhabitants, their religious and political state, and the constitution of the courts of justice in that colony (Londres, 1757), ouvrage traduit par M.-A. Eidous sous le titre d’Histoire de la Nouvelle-York [...] (Londres, 1767) ; de Continuation of the history of the province of New York, to the appointment of Governor Colden, in 1762, William Smith, Jr, édit. (New York, 1826) ; et de A review of the military operations in North-America ; from the commencement of the French hostilities on the frontier of Virginia in 1753, to the surrender of Oswego, on the 14th of August, 1756 [...] (Londres, 1757). De plus, avec William Livingston, il est le compilateur de Laws of New-York from the year 1691 to 1751, inclusive (New York, 1752) et de Laws of New-York from the 11th Nov. 1752, to 22d May 1762 (New York, 1762).

W. H. W. Sabine a édité, à New York en 1956, Historical memoirs from 16 March 1763 to 9 July 1776 of William Smith [...] et, en 1958, Historical memoirs from 29 July 1776 to 28 July 1778 [...], tandis que L. F. S. Upton a préparé l’édition de The diary and selected papers of Chief Justice William Smith, 1784–1793 (2 vol., Toronto, 1963–1965). Pour une liste plus complète des écrits de William Smith, ainsi qu’une biographie exhaustive, le lecteur consultera L. F. S. Upton, The loyal whig : William Smith of New York & Quebec (Toronto, 1969). [l. f. s. u.]

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L. F. S. Upton, « SMITH, WILLIAM (1728-1793) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 4 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/smith_william_1728_1793_4F.html.

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Auteur de l'article:    L. F. S. Upton
Titre de l'article:    SMITH, WILLIAM (1728-1793)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
Année de la révision:    1980
Date de consultation:    4 déc. 2024