DOBIE, RICHARD, trafiquant de fourrures, homme d’affaires et officier de milice, né vers 1731 à Liberton, Écosse ; décédé le 23 mars 1805 à Montréal.
Richard Dobie, issu semble–t–il d’un milieu assez modeste, aurait été marchand en Écosse avant son arrivée dans la province de Québec peu de temps après la Conquête. En 1761, il loue une maison de pierre rue Saint–Paul, à Montréal, et il s’engage très rapidement dans la traite des fourrures. En juillet 1764, il achète un canot en société avec Lawrence Ermatinger*. En septembre, il choisit un associé canadien, Pierre Montbrun, qui doit se rendre aux postes de traite. Dobie équipe deux canots, assume toutes les dépenses et finalement s’occupe de la vente des fourrures. Il se peut que les deux associés aient trafiqué avec les Indiens du fort Témiscamingue (près de Ville–Marie), puisque Dobie fera plus tard mention d’un envoi de 30 ballots de marchandises à ce poste pour l’hiver de 1764–1765, à moins qu’ils n’aient trafiqué dans la région située au sud–ouest des Grands Lacs. Les profits sont partagés également entre les deux hommes ; leur entente dure deux ans.
En 1767, Dobie s’associe avec Benjamin Frobisher* qui se rend et hiverne aux postes de traite tandis que Dobie reste à Montréal. Au début, les associés font la traite dans la région qui se trouve au sud–ouest des Grands Lacs ; en 1767, ils organisent une expédition au poste de La Baye (Green Bay, Wisconsin) et, l’année suivante, ils engagent plusieurs hommes pour Michillimakinac (Mackinaw City, Michigan). En 1769 et 1770, ils tentent leurs premières incursions du côté du Nord–Ouest. Ils obtiennent des permis pour cinq canots à destination de Michillimakinac en 1769, et Benjamin et Joseph Frobisher essaient de se rendre dans le Nord–Ouest. Mais leur expédition est arrêtée par des Indiens au lac à la Pluie (Ontario). L’année suivante, les associés expédient trois canots à Michillimakinac et à Grand Portage (près de Grand Portage, Minnesota). En novembre 1770, la société est dissoute pour des motifs et dans des conditions qu’on ignore.
Les affaires de Dobie semblent aller au ralenti jusqu’en 1777, année au cours de laquelle s’amorce une autre phase de sa carrière, marquée par l’importance accrue de son rôle d’équipeur et de bailleur de fonds. Ainsi, pendant les années qui suivent, Dobie se signale comme l’un des principaux trafiquants et équipeurs dans le sud–ouest des Grands Lacs et dans la région des lacs Supérieur et Nipigon (Ontario). De 1777 à 1790, il se porte garant, seul ou avec d’autres, de plusieurs expéditions transportant des marchandises évaluées à près de £100 000. La valeur des expéditions varie d’un minimum de £2 500 en 1777 à un maximum de £22 000 en 1783, et la majorité d’entre elles se dirigent vers Michillimakinac, Niagara (près de Youngstown, New York) et Detroit. Seulement deux expéditions s’acheminent vers le Nord–Ouest, avec des marchandises évaluées à £3 224. Il s’agit de celles de Jean–Étienne Waddens* et de son associé Venance Lemaire, dit Saint–Germain, en 1778 et 1781, qui comprennent respectivement trois et quatre canots et qui se dirigent vers Grand Portage et les zones plus à l’ouest. Après le meurtre de Waddens en 1782, Dobie ne semble plus s’intéresser à la traite dans cette région.
C’est sur le territoire situé au sud–ouest de Michillimakinac et des Grands Lacs que Dobie paraît le plus engagé dans le commerce des fourrures. Dans cette région, il entretient des relations avec certains des plus importants marchands et trafiquants, dont Étienne–Charles Campion* et William Grant (1743–1810), de même qu’avec d’autres trafiquants plus modestes. Ainsi, Dobie accepte de se porter caution pour Campion lorsqu’il achète des fourrures en 1780, d’être son procureur à Montréal en 1782, de le cautionner lorsqu’il reçoit des permis de traite en 1781, 1782, 1783 et 1787. Il continue de le soutenir quand il s’associe à Jean–Baptiste Tabeau pour expédier sept canots et £3 000 de marchandises à Michillimakinac (Mackinac Island, Michigan) en 1789, puis huit canots avec une cargaison évaluée à £5 000 l’année suivante. Dobie semble jouer le rôle de caution et d’équipeur auprès de l’éphémère General Company of Lake Superior and the South, qui se spécialise dans la traite au sud jusqu’au pays des Illinois et à l’ouest jusqu’à la tête du Missouri, à laquelle s’était joint Campion en 1785 et qui est dissoute vers 1787. Tout comme Campion, William Grant, trafiquant et marchand montréalais, occupe une place importante dans les affaires de Dobie qui lui fournit les cautions lors de ses expéditions en 1781, 1782, 1783, 1786, 1787 et 1788.
Généralement, Dobie mène seul ses affaires comme équipeur et bailleur de fonds, mais à l’occasion il s’associe à d’autres marchands pour fournir la caution d’un trafiquant. Parmi ces marchands, on compte John Grant et son associé Robert Griffin, William Grant et Campion, qui seront associés dans la Grant, Campion and Company à partir de 1791, de même que Thomas Forsyth, un des sociétaires de la Robert Ellice and Company. En 1788, Dobie décide de prendre un associé, Francis Badgley*, pour réduire le fardeau de ses affaires et pour consacrer plus de temps et d’énergie à la traite au Témiscamingue. La société doit voir à l’équipement des trafiquants, à l’acquisition et à la vente des fourrures, et Badgley reçoit le tiers des profits. La société disparaît en 1792.
En 1787, Dobie s’était joint à James Grant* pour faire la traite au fort Témiscamingue pendant une période de sept ans. Dobie devait fournir les articles nécessaires et il était autorisé à toucher une commission sur toutes les transactions. Grant devait hiverner au poste et s’occuper de la traite pendant au moins les deux premières années. Dobie retira les deux tiers des profits pendant les trois premières années et la moitié par la suite. Afin de pouvoir traiter au Témiscamingue, Dobie avait versé £2 900 pour acquérir les dettes actives de la société Sutherland and Grant qui détenait auparavant les droits de traite à cet endroit. Il obtint des permis de traite de 1787 à 1790, et il investit des sommes très importantes : £4 600 en marchandises et 12 canots en 1787 ; £3 500 et 12 canots l’année suivante ; £6 100 et 14 canots en 1789, £3 000 et 12 canots en 1790. Environ 100 voyageurs allaient au Témiscamingue chaque année. Dobie met un terme à sa participation à la traite dans cette région en 1791 ; il vend alors ses intérêts à la Grant, Campion and Company.
La fourrure n’est pas la seule matière première à laquelle Dobie se soit intéressé même si elle est de loin la plus importante. Pendant plusieurs années, il achète du blé de divers marchands de campagne et l’exporte via le port de Québec. En 1773, il avait acquis quelques minots d’un marchand de Varennes comme paiement pour des marchandises sèches. En 1778, il achète 2 600 minots de blé et, en 1786, il s’associe à William Maitland et à Alexander Auldjo* pour acheter 10 000 boisseaux qui sont expédiés outremer.
Dobie s’est intéressé également à la production. Par exemple, en 1769, Dobie et Frobisher avaient acheté du ginseng de Pierre Foretier. Cinq ans plus tard, Dobie tente d’en organiser la production. Il engage un dénommé Laforge pour se rendre à La Galette (près d’ Ogdensburg, New York) avec une équipe et y séjourner. Il lui donne instructions de s’occuper « essentiellement de faire faire du Ginseng de la meilleure qualité qu’il pourra ». De la même façon, en 1784, il avance des fonds à Alexander Milmine, fabricant de potasse de l’île Jésus (Québec), afin qu’il achète des cendres, les transforme et lui fournisse au moins 18 tonnes de potasse dans les 8 mois qui suivent la signature du contrat. Dobie s’intéresse aussi au bois : en 1779, il possédait une petite scierie près de Sorel, probablement située dans l’île Ronde, qui produisait de 30 à 40 planches par jour.
Dobie importe une très grande variété de produits de Grande–Bretagne qu’il vend non seulement aux trafiquants mais aussi à des marchands de campagne de la région montréalaise, notamment de Chambly, de Varennes et de Terrebonne. Il en fournit même à un marchand de Cornwall (Ontario).
Plusieurs signes portent à croire que Dobie a joué un rôle d’intermédiaire financier auprès du gouvernement de la colonie pendant le mandat du gouverneur Haldimand. Ainsi, à l’été de 1779, Dobie était au service de Haldimand et semble s’être rendu jusqu’à Niagara. Sa fonction principale était de payer des comptes et de faire des avances de fonds à divers services gouvernementaux. Ainsi, entre juin 1782 et juin 1784, Dobie fait des avances de £8 403 aux ingénieurs et de £2 386 au département des Affaires indiennes. En juillet 1784, il paie un compte de £2 418 que devait ce département à Detroit et il reçoit des sommes dues à ce même département. Cette année–là, Dobie est aussi responsable de la distribution de certains montants à des agents de recrutement. À l’hiver de 1782, le lieutenant–gouverneur de Michillimakinac, Patrick Sinclair, tire sur Dobie et William Grant quatre billets totalisant £34 586. Malheureusement, le gouvernement refuse d’en rembourser une partie, soit £3 563, et Dobie doit affronter seul les détenteurs des billets. À la même époque, soit de 1783 à 1785, Dobie est l’agent canadien de William Cullen de Londres pour le versement de l’argent aux officiers à la demi–solde de plusieurs régiments.
Vers 1790, Dobie se retire des affaires et place son capital afin d’en tirer un revenu confortable. Il prête à la fois des sommes très modestes, telles que £125 à un coiffeur pour réparer sa maison, et des montants beaucoup plus considérables, comme £1 650 à Simon McTavish en 1795 et £6 750 à la Parker, Gerrard, and Ogilvy en 1804.
La participation de Dobie à la vie politique reflète ses intérêts comme marchand engagé dans la traite des fourrures. Ainsi, il ajoute sa voix à celles qui exigent la réorganisation de la traite après la Conquête et il intervient plusieurs fois pour défendre les intérêts des marchands–trafiquants. Il est un des porte–parole des marchands montréalais lorsqu’ils demandent une chambre d’assemblée. Dans une lettre à Christian Daniel Claus*, il mentionne que le gouverneur Guy Carleton a « la tête faible et tendre », mais il « pense qu’il agit de bon cœur et avec de bonnes intentions ». Il lui fait part aussi de son mécontentement face à la manière dont sont traités les vieux sujets britanniques. « La basse flatterie à la française et suffisamment de flagornerie vous serviront mieux que votre long et dévoué service à votre roi et à votre pays », déplore–t–il à Claus. Son opposition au gouverneur a des conséquences pour d’autres personnes puisque le juge en chef Peter Livius* est destitué en 1778 à la suite d’un procès dans lequel Dobie est impliqué [V. Jean–Louis Besnard*, dit Carignant].
Dobie occupe une place dans la vie publique de Montréal qui témoigne de son succès en affaires, de sa richesse et de son prestige. Membre du jury d’accusation du district de Montréal à plusieurs reprises, il est aussi actif dans la British Militia of the Town and Banlieu of Montréal où il détient le rang de capitaine de 1788 à 1797 et celui de major de 1798 à 1803. Il appartient à la congrégation presbytérienne, et est élu président du prestigieux et puissant comité des affaires séculières [V. Duncan Fisher] en 1791, poste qu’il semble occuper jusqu’en 1800. Il est membre de la section montréalaise de la St Peter’s Lodge No. 4, dès 1772, et il en sera maître plusieurs fois par la suite.
Dobie a accumulé une imposante fortune dans le négoce et la traite des fourrures qui lui permet de jouir d’un train de vie confortable, même luxueux. Cette fortune lui donne aussi les moyens de veiller au bien–être matériel des nombreux membres de sa famille. Sa fille illégitime, Anne Freeman, née vraisemblablement avant son arrivée à Montréal, épouse John Grant. De ce mariage naissent au moins quatre enfants, trois filles et un garçon : Ann, qui épousera Samuel Gerrard*, Catherine, femme de Jacob Jordan*, et Elizabeth mariée à James Finlay, et Richard. Dobie fait un don important à son gendre peu de temps après son mariage pour lui permettre d’acheter une maison et de se constituer une fiducie afin de mettre ses enfants à l’abri du besoin. Par la suite, il dote généreusement les trois filles Grant et il lègue une partie substantielle de son patrimoine à ses petites–filles et à leurs descendants. Il témoigne aussi de la très grande importance qu’il attache à sa famille par son souci d’appuyer financièrement son gendre et les époux de ses petites–filles dans leur carrière d’hommes d’affaires. Il aide ainsi John Grant et son associé Robert Griffin de 1784 à 1786, Jordan en 1801 et Gerrard à diverses reprises.
Richard Dobie est un homme qui a joué un rôle de taille, mais qui malgré tout a été très peu étudié. Cette omission semble étroitement liée au fait qu’il n’a pas été l’un des promoteurs de la traite dans le Nord–Ouest canadien et qu’il n’a pas fait partie de la North West Company. Il s’est intéressé au commerce des fourrures dans une région qui fut très profitable et importante à son époque mais qui, après 1794, fut cédée aux Américains et quitta, pour ainsi dire, le champ d’intérêt des historiens canadiens. Marchand et équipeur, Dobie contribua à l’émergence d’une plus grande concentration à la fois chez les trafiquants et chez les marchands. En s’associant d’une manière non officielle avec William Grant et Campion, et avec son partenaire Badgley, il a collaboré à la mise sur pied d’un réseau relativement stable de trafiquants qu’il équipait quasi exclusivement. Ce réseau, de même que les intérêts de Dobie au Témiscamingue, semble être pris en main intégralement par la Grant, Campion and Company en 1791. Par la suite, cette compagnie, la Forsyth, Richardson and Company, la Todd, McGill and Company [V. James McGill ; Isaac Todd] ainsi qu’Alexander Henry* négocieront le partage des zones de traite avec la North West Company en 1792 et affronteront cette dernière dans le Nord–Ouest canadien, après le traité Jay en 1794.
L’auteure tient à remercier Alan Stewart, du Groupe de recherche sur les bâtiments en pierre grise de Montréal, qui lui a permis de consulter certains de ses documents. [j. b.]
ANQ–M, CN1–29, 13 juin, 12–14, 18 oct. 1786, 30 mars 1787, 12 janv., 31 oct. 1792, 26 févr. 1795 ; CN1–128, 15 oct. 1793 ; CN1–184, 25 févr. 1784, 27 mai 1788 ; CN1–185, 1er mars 1798, 21 nov. 1800, 3 avril 1801, 3 mai 1803 ; CN1–269, 9 août 1793 ; CN1–290, 2 juin 1761, 19 avril 1765, 23 janv. 1767, 17 mai 1768, 25 févr., 20 mai 1769, 20 avril 1770, 8 févr. 1774, 5 févr., 13 août 1777, 12 juin, 18 oct. 1780, 11 mai 1782, 14 oct. 1784, 19 avril, 23 mai 1785, 13 févr. 1786 ; CN1–308, 5 sept. 1764.— APC, MG 8, G65 ; MG 19, F1, 4 : 87 ; F2, 3, 22 juill. 1784 ; MG 22, A9, 4 : 42 ; MG 24, L3 : 2535s., 2540–2544, 6170s., 7506–7508, 7510s., 18278–18313, 20242–20248 ; RG 4, B16, 2, 3 août 1778 ; RG 4, B17, 7, 19 févr. 1784 ; 17, 24 juill. 1799 ; B28, 110–115 ; RG 8, I (C sér.), 280 : 155.— BL, Add.
Joanne Burgess, « DOBIE, RICHARD », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 31 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/dobie_richard_5F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/dobie_richard_5F.html |
Auteur de l'article: | Joanne Burgess |
Titre de l'article: | DOBIE, RICHARD |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 31 oct. 2024 |