GRASS, MICHAEL, fonctionnaire, né vers 1735 à Strasbourg, France ; il épousa d’abord une prénommée Mary Ann, puis Margaret Swartz avec qui il eut au moins six enfants ; décédé le 25 avril 1813 à Kingston, Haut-Canada.

Michael Grass fit partie de ce fort groupe d’Allemands du Palatinat qui immigrèrent en Amérique du Nord au xviiie siècle. Il arriva à Philadelphie le 22 septembre 1752 et y demeura quelque temps, tirant sa subsistance du métier de sellier. Par la suite, il s’établit dans le comté de Tryon, New York, où, en plus d’être fermier, il exploita une sellerie, ce qui lui assura une certaine aisance. Capitaine dans la milice locale, il refusa de se joindre aux rebelles après le déclenchement de la Révolution américaine. En 1777, il s’enfuit à New York où il servit à titre de lieutenant dans la milice des volontaires.

L’histoire a retenu le nom de Grass à cause du rôle qu’il joua dans l’établissement d’un groupe de Loyalistes à Cataraqui (Kingston, Ontario) après la révolution. Une tradition familiale et la légende populaire le présentent comme le fondateur de ce lieu. Selon ces sources, il avait été emprisonné dans l’ancien fort Frontenac (Cataracoui) appartenant aux Français pendant la guerre de Sept Ans. C’est ainsi qu’il fut en mesure de recommander l’endroit au commandant britannique à New York, sir Guy Carleton, lorsque ce dernier s’en informa. Il se peut que Grass ait fréquenté quelque peu Cataraqui ; cependant, aucun document ne permet de croire qu’il en fut le fondateur.

La version la plus plausible est la suivante : le 26 mai 1783, le gouverneur Haldimand ordonna à l’arpenteur général Samuel Johannes Holland de se rendre à Cataraqui pour évaluer « la possibilité de mettre un établissement sur pied » à cet endroit. Deux mois plus tard, le major John Ross* reçut instructions de préparer le terrain pour l’installation d’un poste militaire. Dans l’intervalle, de nombreux réfugiés loyalistes, dont Grass, attendaient d’être évacués de New York vers la Nouvelle-Écosse. Le 12 juin, au nom d’un groupe d’entre eux, Grass avait écrit qu’ils ne pouvaient « envisager d’aller [chercher] dans un autre endroit de l’univers les nombreux bienfaits dont cet établissement [Cataraqui] comblera[it] le colon ». Le 2 juillet, il reçut temporairement le grade de capitaine de la deuxième des huit compagnies formées en vue du transport des colons à Québec. Le groupe, qui comprenait de nombreux Loyalistes, comptait probablement moins de 500 personnes. Le 12 août, le navire de transport de Grass, le Camel, arriva le premier à Québec. Il allait être suivi de huit autres. Trois jours plus tard, le secrétaire de Haldimand, Robert Mathews, fit part à Ross de l’intention du gouverneur d’établir un grand nombre d’exilés de New York dans les environs de Cataraqui. La véritable décision ne fut cependant prise que lorsque Haldimand eut reçu l’assurance que le lieu se prêtait à l’agriculture. Au début de septembre, tandis que la plupart des Loyalistes new-yorkais s’apprêtaient à passer l’hiver à Sorel (Québec), Grass et 37 hommes remontèrent le Saint-Laurent avec une équipe d’arpentage afin de délimiter les établissements de Cataraqui. Revenu à Sorel à la fin de l’automne, il y trouva une autre compagnie venue de New York, que dirigeait le major Peter Van Alstine. La présence d’un nouveau groupe suscita la jalousie et la dissension. Grass et plusieurs autres capitaines se plaignirent de ce que des personnes « pren[aient] la liberté de se mettre à [leur] tête sans [leur] avis ou consentement ».

En janvier 1784, Grass et d’autres firent parvenir une requête à Haldimand le priant de leur prêter largement assistance dans l’établissement de leurs fermes. Ils y indiquaient aussi leur préférence pour une « forme de gouvernement [...] semblable à celle dont ils jouissaient dans la province de New York en l’année 1763 ». Haldimand les informa qu’il était impossible de répondre à leurs demandes et leur rappela que, s’ils n’étaient pas satisfaits de ses projets, il pouvait toujours leur faire gagner la Nouvelle-Écosse. Plusieurs mois après, le gouverneur fut irrité par une prétendue déclaration de Grass faite en son nom et au nom de son « parti », alléguant qu’ils avaient « les premiers découvert et conçu le projet de cet établissement ». Grass se ravisa cependant et aurait déclaré qu’il « avait seulement voulu dire qu’il fut le premier des Loyalistes avant leur départ de New York à avoir désigné cet endroit [Cataraqui] comme le plus souhaitable qui fût ». Après un hiver de mécontentement général commença donc le pénible voyage des Loyalistes vers leur nouvelle demeure, le 24 mai 1784. La région de la baie de Quinte jusqu’à Cataraqui fut divisée en cantons que l’on numérota, et le groupe de Grass, formé de quelque 220 colons, reçut le canton no 1 (Cataraqui).

L’autorité qu’exerça Grass au sein de sa communauté fut de courte durée. Il fut nommé juge de paix du district de Montréal (qui comprenait alors les nouveaux cantons loyalistes), le 18 avril 1785. En cette qualité, il signa une pétition réclamant la tenure anglaise, des cours de justice locales et un gouvernement municipal, de même qu’un plus grand nombre d’écoles et de ministres. Cependant, en 1788, quand Carleton (devenu lord Dorchester) fonda dans la partie ouest de la province de Québec quatre nouveaux districts administratifs pour combler les besoins des Loyalistes, Grass ne se vit confier aucune des nouvelles fonctions civiles. Son action communautaire fut par la suite limitée ; par exemple, il aida de ses dons l’Eglise d’Angleterre locale et fit partie du conseil de la paroisse en 1789.

La légende de Michael Grass, fondateur de Cataraqui, ne résiste pas aux faits. Malgré tout, il a laissé l’image d’un meneur d’hommes déterminé, peut-être même plein d’imagination, qui refusa de suivre le chemin que prenaient habituellement les réfugiés de New York qui voulaient émigrer. Non seulement il contribua à l’idée de peupler les contrées sauvages qui deviendront l’Ontario, mais il pesa de tout son poids sur la décision qui fut prise. Peut-être est-il mieux connu pour une lettre qu’il écrivit en 1811 dans la Kingston Gazette, rappelant les jours d’antan : « fort de mon attachement envers mon souverain, confiait-il, et sûr de la confiance [que m’accordaient] mes compagnons, sujets du roi, je guidai la troupe loyale, je lui montrai le lieu de sa future métropole et conquis un refuge pour des principes persécutés [...] un foyer pour moi-même et mes amis ».

Larry P. Turner

APC, RG 1, L3, 203A : G3/63 ; 204 : G6/3 ; 205 : G10/38 ; 206 : G12/30 ; 206A : G12/81 ; 222 : G misc., 1789–1795/104–105 ; G misc., 1794–1830/67.— BL, Add. mss 21716 : 132 ; 21723 : 212s. ; 21784 : 9–14 ; 21786 : 42–44, 92–95 ; 21798 : 322, 326, 343–345, 360–363 ; 21806 : 65 ; 21808 : 151–155, 158, 168, 174 ; 21825 : 110, 117, 124, 133, 143, 145, 152 ; 21827 : 1–4, 300, 351 ; 21828 : 68, 80 ; 21875 : 133s. (transcriptions aux APC).— Frontenac Land Registry Office (Kingston, Ontario), E270 (testament de Michael Grass).— PRO, ADM 9/9 ; AO 13, bundle 13 : 118–120 (mfm aux APC) ; CO 5/111 : 118 ; PRO 30/55/11 ; 30/55/21 ; 30/55/38 ; 30/55/50–51 ; 30/55/73 (copies aux APC) ; T 1/1597 ; WO 36/3 ; WO 60/22–23 ; 60/27 ; 60/32–33.— « Early records of Ontario », Adam Shortt, édit., Queen’s Quarterly (Kingston, Ontario), 7 (1899–1900) : 51–59.— « Grants of crown lands in U.C. », AO Report, 1928 : 148, 167, 169.— Kingston before War of 1812 (Preston), xlii, 25, 36s., 49–51, 72s., 91–95, 138.— Loyalist narratives from Upper Canada, J. J. Talman, édit. (Toronto, 1946), 75s.— Minutes of the Albany committee of correspondence, 1775–78 [...], James Sullivan et A. C. Flick, édit. (2 vol., Albany, N.Y., 1923–1925), 2 : 1142s.— The settlement of the United Empire Loyalists on the upper St Lawrence and Bay of Quinte in 1784 ; a documentary record, E. A. Cruikshank, édit. (Toronto, 1934 ; réimpr., 1966), 37s., 40–42, 67, 78s., 111s.— « Settlements and surveys », APC Report, 1891 : 11s.— « United Empire Loyalists : enquiry into losses and services », AO Report, 1904 : 1257s.— Kingston Gazette, 10 déc. 1811.— DBC, 4 (biog. de John Ross).— Pennsylvania German pioneers : a publication of the original lists of arrivals in the port of Philadelphia from 1727 to 1808, R. B. Strassburger, compil., W. J. Hinke, édit. (3 vol., Norristown, Pa., 1934 ; réimpr., 2 vol., Baltimore, Md., 1966), 1 : 572s.— Reid, Loyalists in Ont., 131.— Sabine, Biog. sketches of loyalists, 2 : 522.— H. C. Burleigh, « Captain Michael Grass », H. C. Burleigh, Forgotten leaves of local history : Kingston (Kingston, 1973), 81–86.— William Canniff, History of the settlement of Upper Canada (Ontario) with special reference to the Bay Quinte (Toronto, 1869 ; réimpr., Belleville, Ontario, 1971), 650s.— Dennis Duffy, Gardens, covenants, exiles : loyalism in the literature of Upper Canada/Ontario (Toronto, 1982).— E. R. Stuart, « Jessup’s Rangers as a factor in loyalist settlement », Three hist. theses, 76–78, 137.— D. E. Grass, « Michael Grass and the Grass family of Kingston », Hist. Kingston (Kingston), no 12 (1964) : 6–10.

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Larry P. Turner, « GRASS, MICHAEL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/grass_michael_5F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1983
Année de la révision:    1983
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