HUGUET, dit Latour, PIERRE, perruquier, orfèvre et marchand, né le 24 janvier 1749 à Québec, fils de Claude Huguet, marchand, et de Charlotte La Motte ; décédé le 17 juin 1817 à Montréal.

On ne sait rien des premières années que Pierre Huguet, dit Latour, passa à Québec. On ne sait pas non plus quand il alla s’installer à Montréal. Ce fut dans cette ville, le 26 février 1770, qu’il épousa Charlotte Desève, veuve de Jean Leheup, dit Latulippe. Un mois plus tard, dans l’inventaire des biens que possédaient conjointement Charlotte Desève et Leheup, apparaît le nom d’Huguet, identifié comme étant perruquier. Pierre et Charlotte eurent bientôt deux fils, Pierre, baptisé en septembre 1771, et Louis, baptisé en mai 1773 ; le frère cadet d’Huguet, Louis-Alexandre, orfèvre, fut parrain du second. Pierre servit de témoin au mariage de son frère en janvier 1776, de même que Dominique Rousseau*, ami de Louis-Alexandre et orfèvre lui aussi. « Latour perruquier » et « Latour orfèvre » furent parmi les acquéreurs à une vente de la succession de François Simonnet*, en décembre 1778. Deux ans plus tard, une parente, Marie-Anne Chaboillez, veuve de Pierre Parent, céda à Huguet sa maison en pierre, rue Notre-Dame, en échange d’une chambre avec pension et d’une rente viagère. Huguet y habita et eut boutique et entrepôt sur ces lieux jusqu’à quelques mois avant sa mort.

En 1781, Huguet se lança dans l’orfèvrerie. Le 17 septembre, se décrivant encore comme perruquier, il signa un contrat d’un an avec Simon Beaugrand, orfèvre de 21 ans, qui devait faire autant de boucles d’oreilles que possible pour Huguet. Ce dernier convint de fournir le métal d’argent ; quant à Beaugrand, il devait payer 600# par an pour une chambre avec pension. Pour chaque lot de 100 paires de boucles d’oreilles, Beaugrand allait recevoir « quatre piastres du meritte de cinq chellins ». Deux jours plus tôt, un autre contrat avait été rédigé pour le maître orfèvre François Larsonneur, mais il ne fut pas signé avant octobre. Cet orfèvre avait appris son métier entre 1775 et 1780 à Québec, avec Joseph Lucas, lui-même ancien apprenti de Joseph Schindler*, comme Louis-Alexandre Huguet. Larsonneur accepta de faire 800 paires de boucles d’oreilles par mois pendant un an ; il serait payé £48, dont « deux portugaises [pièces d’or] », à la fin de chaque mois, et Huguet allait fournir la pension complète et le métal.

Le 21 août 1785, Huguet, décrit alors comme orfèvre, engagea comme apprenti, pour quatre ans, Michel Létourneau qui promit d’apprendre le métier auprès d’Huguet « ou ses représentants » ; désormais, Huguet serait toujours identifié comme orfèvre. Après la mort de sa femme, en juin 1787, il épousa Josette Valois le 16 novembre 1788. L’inventaire de son atelier, que les orfèvres Narsise Roy et Pierre Foureur, dit Champagne, dressèrent en janvier 1788, comprenait des outils évalués à 918# ; de l’argenterie domestique, soit des écuelles, des pots, des gobelets, des pinces à sucre, diverses cuillers, fourchettes et louches d’une valeur de 422# ; de l’orfèvrerie, surtout des pendants d’oreilles, épinglettes, bracelets, croix, broches, évalués à 857# ; de l’orfèvrerie de traite évaluée à 448# ; et de l’argent en lingots pour une valeur de 113#. L’inventaire comportait aussi des objets personnels ouvragés, révélateurs d’un style de vie raffiné. À en juger par le testament d’Huguet, daté de 1812, il semble qu’en 1788, son fils Pierre, âgé de 17 ans, se mit à travailler à l’atelier comme orfèvre. À cette époque, Huguet s’appliquait aussi à d’autres affaires : en décembre 1786, il avait acheté de la terre dans le faubourg Saint-Antoine puis, en 1790–1791, il s’occupait de l’héritage de la mère de sa seconde femme et du legs fait à sa belle-fille, Marguerite Leheup, dit Latulippe.

Le 10 octobre 1791, Huguet engagea Augustin Lagrave comme apprenti, pour sept ans, puis, en mars 1795, il embaucha Faustin Gigon pour une même durée. Les premières mentions de réparations faites par Huguet aux pièces d’argenterie religieuse de l’église Notre-Dame datent de cette période. En 1795, il faisait ajouter un second étage à sa maison de la rue Notre-Dame. Comme les travaux ne progressaient pas à sa guise, il protesta contre les entrepreneurs, spécifiant que sa famille et ses affaires pâtiraient de ces retards ; de plus, il devenait difficile de s’occuper de son atelier situé derrière la maison, car il lui avait fallu louer un logement à une certaine distance.

Outre la réparation de pièces d’argenterie, Huguet faisait des colifichets pour la traite des fourrures. De 1797 à 1801, la North West Company dépensa £4 184 3 shillings 5 pence en ornements d’argent, dont £3 068 8 shillings 9 pence furent versés à Huguet. Les frères McGill, James et Andrew, comptèrent aussi parmi ses clients. En mars 1797, Huguet mit un terme à l’apprentissage d’Augustin Lagrave et le remplaça en septembre par François Blache, âgé de 16 ans environ, qu’il engagea pour cinq ans. Huguet embaucha également comme apprenti Salomon Marion*, en juillet 1798, pour une durée de cinq ans. Le 6 juin 1799, Huguet fut des quelques orfèvres, dont Charles Duval*, John Oakes, Jean-Henry Lerche et Christian Grothé, qui participèrent à la vente de succession de l’orfèvre Louis-Alexandre Picard*, laquelle eut lieu au domicile d’un autre orfèvre, Michel Roy ; Huguet acheta quelques outils pour £68 8 shillings. L’année suivante, il vendit de l’orfèvrerie de traite à son voisin, le marchand Joseph Borrel, pour une somme de 1 219#. En avril 1802, il embaucha comme apprenti, pour une période de trois ans, Paul Morand*, âgé de 18 ans. L’année précédente, Huguet avait servi de témoin au mariage de sa nièce Magdeleine Huguet avec l’orfèvre Jean-Baptiste Dupéré.

Les affaires d’Huguet augmentaient : on en a pour preuve un inventaire, dressé en 1802, après la mort de sa deuxième femme, des biens qu’ils possédaient conjointement. La totalité de leurs avoirs fut évaluée à 56 674#, y compris 30 525# en espèces. Les outils, évalués par les orfèvres Narsise Roy et Nathan Starns, valaient alors 2 272#. L’atelier de Huguet comptait du linge évalué à 862#, de l’argenterie domestique, d’une valeur de 738#, et de l’argenterie de traite, pour un montant de 1 284#. Huguet reçut la garde des trois enfants survivants de ce mariage : Louis-Maximilien-Théodore, 12 ans, Agathe-Henriette, 6 ans, et Scholastique, 5 ans. La même année, le fils de Huguet, Louis, qui avait renoncé à devenir prêtre pour se faire marchand, épousa Claire Trudeau, dont l’un des amis était l’orfèvre Joseph Normandeau.

En 1803, Huguet décida d’installer sa boutique dans un nouveau bâtiment qui serait construit derrière sa maison. Fait de pierre, comprenant deux étages et équipé d’une forge, il devait coûter 3 180#. Les versements reçus de diverses églises révèlent qu’à cette époque Huguet fabriquait des pièces d’argenterie religieuse plutôt que d’en réparer ; ces versements remontent à 1803 et continuent jusqu’à sa mort.

À partir de cette époque, Huguet acheta, loua et vendit plusieurs propriétés, administra des successions et fit des prêts. En 1805, on le désigne comme « bourgeois » pour la première fois. Le 24 octobre 1809, il épousa Marie-Louise Dalciat, veuve de Claude-Joseph Petit-Claire, horloger. Ce troisième mariage se fit en séparation de biens, arrangement rare dans la société canadienne d’alors. Le fils d’Huguet, Louis, qui avait reçu une commission de notaire en 1804, et le notaire Jean-Baptiste Desève, ami d’Huguet, s’occupèrent de la plupart de ses contrats commerciaux.

En 1810, Huguet engagea son dernier apprenti connu, Alexander Fraser, âgé de 15 ans, dont le stage allait durer jusqu’à ce qu’il eût atteint 21 ans. La même année, un contrat bien plus important fut passé avec Salomon Marion, dont l’apprentissage s’était terminé en 1803 et qui possédait désormais son propre atelier. Marion accepta de travailler « exclusivement » pour Huguet durant un an, fabriquant différents articles religieux. Huguet dominait le marché de Montréal ; en fait, ni Marion ni Morand, autre ex-apprenti, ne furent en mesure d’établir une clientèle avant la mort d’Huguet. Le contrat passé avec Marion indique que l’identification PH représentait moins un poinçon d’artisan que la marque commerciale apposée sur des objets que vendait Huguet, mais que fabriquaient des apprentis ou des ouvriers sous contrat. Il importe de se rappeler ce fait quand on étudie les styles d’Huguet, surtout ceux de ses pièces d’argenterie religieuse, dans lesquelles Marion et Morand se spécialisèrent.

Dans son testament, Huguet légua à son fils Pierre tous les outils et biens meubles de son atelier, de même que l’usage de la maison et des bâtiments de la rue Notre-Dame, en reconnaissance des services que celui-ci lui avait rendus depuis 24 ans. En 1813, Huguet désigna Pierre son exécuteur testamentaire à la place du peintre Louis Dulongpré*. Huguet se montra également généreux envers sa fille Agathe-Henriette lorsqu’elle épousa, en 1816, Duncan Cameron McDonell. Il semble qu’à cette date l’orfèvre était à la retraite ; il habitait alors le faubourg Saint-Antoine. À sa mort en 1817, ses affaires étaient en ordre et ses legs en règle. Il avait toujours été un homme d’affaires clairvoyant, sachant juger les gens, et ces qualités lui permirent de devenir, au début du xixe siècle, l’un des orfèvres les plus en vue. Son fils Pierre, qualifié de « bourgeois » dans les contrats, administra les biens de son père jusqu’à sa propre mort, le 11 septembre 1828.

La carrière de l’orfèvre Pierre Huguet, dit Latour, est fascinante à bien des égards. Elle suivit une progression simple mais logique, reflétant l’évolution du marché. À l’origine, il avait orienté sa production exclusivement vers l’orfèvrerie de traite, mais, en 1788, il fabriquait aussi de l’orfèvrerie domestique. Il pénétra le marché de l’orfèvrerie religieuse en réparant des vases sacrés dès 1794 ; ce ne fut qu’en 1803 qu’il fabriqua des objets en argent destinés aux églises. Le contrat qu’il passa en 1810 avec Marion indique qu’il parvint à une certaine prédominance dans son domaine et ce fait est confirmé par ses relations avec presque tous les orfèvres de Montréal et par l’incapacité de ses apprentis Marion et Morand de s’imposer dans le marché avant sa mort. Dans son corps de métier, il fut sûrement l’un des plus riches, mais on a du mal à le considérer comme artisan ; ses activités relevaient davantage de celles du bourgeois qui engageait des apprentis et des maîtres destinés à travailler pour lui tandis qu’il s’occupait de la mise en marché et de l’administration. Son concurrent le plus sérieux à Montréal, Robert Cruickshank, employait moins d’orfèvres. Il ne faut donc pas être surpris que les pièces portant le poinçon d’Huguet aient moins d’unité esthétique que celles de François Ranvoyzé, de Laurent Amiot*, de Cruickshank ou de Marion ; le but d’Huguet n’était pas tant que son travail fût décoratif que lucratif.

Robert Derome et Norma Morgan

Il serait intéressant d’étudier l’organisation du travail dans l’atelier de Pierre Huguet, dit Latour, du point de vue des classes sociales des orfèvres et dans le but de comprendre sa situation sur le marché montréalais. Des recherches plus approfondies pourraient permettre de déterminer les rôles spécifiques que jouèrent son frère Louis-Alexandre et son fils Pierre dans sa carrière. Nous ne sommes pas d’accord avec Ross Fox qui affirme que Louis-Alexandre « dirigea l’atelier de Pierre jusqu’à son renvoi quelque temps avant 1792 ». Aucun document ne permet de soutenir une telle hypothèse. Le présent article, basé sur les documents originaux, fait état de toutes les relations connues qui ont existé entre les deux hommes.  [r. d. et n. m.]

ANQ-M, CE1-51, 26 févr. 1770, 1er sept. 1771, 26 mai 1773, 22, 30 janv. 1776, 30 juin 1783, 7 janv. 1784, 5 juin 1787, 6 sept. 1795, 12 oct. 1801, 5 nov. 1804, 24 oct. 1809, 19 juin, 20 oct. 1817 ; CN1-16, 4 juill. 1802, 11 oct. 1809, 20 mars 1810, 2 mars 1813 ; CN1-74, 16 janv. 1788, 24 juill. 1792, 27, 28 sept. 1802, 14 juill. 1812 ; CN1-121, 21 janv. 1776, 16 déc. 1778, 2 nov. 1796, 12 déc. 1816, 15 mars, 21 mai, 17 juin, 5, 15 juill. 1817 ; CN1-126, 21 avril 1813 ; CN1-128, 21 août 1785, 11 déc. 1786, 30 août, 7 sept., 13 nov. 1790, 1er avril 1791, 21 janv., 30 mars, 23, 24 sept. 1795, 23 mars 1796, 6 mars, 1er mai, 25 sept. 1797, 23 juill. 1798, 20 sept. 1800, 28 avril 1802, 20 déc. 1803, 20 nov. 1804 ; CN1-158, 15 sept. 1780, 15, 17 sept. 1781 ; CN1-185, 3 févr., 23 mars 1808, 10 juill. 1811 ; CN1-194, 16 févr. 1805 ; CN1-243, 13 oct. 1804, 4, 6 avril 1807, 31 janv., 26 déc. 1809, 13 févr., 14 juin 1810, 13 avril 1811, 29 janv. 1812, 7 juill. 1813, 8, 26 janv., 19 juill., 17 oct., 29 nov., 20 déc. 1814, 3 oct. 1815, 20 févr. 1816, 7 févr. 1817, 7 juin 1819, 4, 8 févr. 1820, 15 févr. 1821, 18 mars, 10 avril 1822, 8 févr., 12 mars 1823, 8 févr. 1825, 4 mars 1826 ; CN1-269, 6 juin 1799 ; CN1-372, 27 mars 1770 ; CN1-375, 16 nov. 1788.— ANQ-Q, CE1-1, 24 janv. 1749, 10 août 1754 ; CN1-25, 20 avril 1775 ; CN1-190, 20, 22 déc. 1766.— MAC-CD, Fonds Morisset, 2, H894.5/L888.9 ; H894.5/P622/1.— Almanach de Québec, 1806 : 53.— Robert Derome, « Delezenne, les orfèvres, l’orfèvrerie, 1740–1790 » (thèse de m.a., univ. de Montréal, 1974).— R. A. C. Fox, Quebec and related silver at the Detroit Institute of Arts (Detroit, 1978), 82s.— Langdon, Canadian silversmiths, 19.— Morisset, Coup d’œil sur les arts ; Évolution d’une pièce d’argenterie (Québec, 1943), 20s.— Traquair, Old silver of Quebec. É.-Z. Massicotte, « L’argentier Huguet-Latour », BRH, 46 (1940) : 287.— Gérard Morisset, « Un perruquier orfèvre », La Patrie, 2 juill. 1950 : 28s., 31.

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Robert Derome et Norma Morgan, « HUGUET, dit Latour, PIERRE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 7 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/huguet_pierre_5F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1983
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