LEWIS, ASAHEL BRADLEY, rédacteur en chef, né en 1804 ou en 1805 à Whitehall, New York, fils de Barnabas Lewis et d’Amy Bradley ; le 9 avril 1827, il épousa à St Thomas, Haut-Canada, Alma Hopkins Freeman, et ils eurent au moins trois enfants ; décédé le 13 ou le 14 octobre 1833 au même endroit.

La date à laquelle Asahel Bradley Lewis arriva dans le Haut-Canada demeure inconnue. Au moment de son mariage en 1827, il était yeoman et vivait dans le canton de Malahide. Par la suite, et ce dès la fondation du journal en septembre 1832, il fut rédacteur en chef du Liberal de St Thomas, organe d’un parti soi-disant « libéral ». Il remplit cette fonction jusqu’à sa mort l’année suivante et pendant ces quelques mois, le Liberal profita d’un changement dans la politique réformiste à l’échelle provinciale pour manipuler et façonner l’opinion locale d’une manière probablement plus efficace et certainement plus originale qu’aucun autre journal réformiste ne l’avait fait jusqu’alors. L’objectif était de détrôner Mahlon Burwell* et Roswell Mount, députés de Middlesex à la chambre d’Assemblée qui avaient l’appui du colonel Thomas Talbot*, le personnage politique le plus redoutable de la circonscription. Un second objectif visait à unir l’opposition ; celle-ci comptait des factions, qui pour des raisons idéologiques, ethniques ou autres s’exerçaient déjà contre ces hommes, dans le but de remplacer l’organisation politique de Talbot par une nouvelle machine que dirigerait un groupe de marchands américains peu populaires. Établi à St Thomas, ce groupe s’intéressait à l’aménagement du ruisseau Kettle et de son embouchure dans le lac Érié.

Selon Lewis, le Liberal était financé par 50 actionnaires du comté de Middlesex. Ils étaient probablement disséminés dans les cantons où, au début de 1832, certains agents du radical York Central Committee, désireux d’obtenir des signatures pour des pétitions, avaient convoqué des réunions. Lewis avait agi comme secrétaire lors de la première réunion, qui s’était tenue le 4 février à Malahide. On y avait adopté des propositions condamnant Burwell et Mount pour avoir encouragé l’expulsion de William Mackenzie* de l’Assemblée et pour la position qu’ils avaient prise face à la chronique des débats parlementaires, aux réserves du clergé, au projet de loi sur les successions ab intestat ainsi qu’au projet de loi contre la diffamation. Pour la première fois des questions d’envergure provinciale, et non purement locale, faisaient l’objet de débats politiques dans Middlesex.

La réunion eut une autre conséquence plus importante encore : elle établit la structure d’une organisation permanente du parti. Lewis et huit autres membres furent ainsi nommés à un sous-comité de Malahide chargé de convoquer des réunions et d’agir de concert avec d’autres organisations cantonales. De cette activité émergea un comité de comté composé de trois personnes, soit Lewis, George Lawton, Anglais radical de Yarmouth, et Lucius Bigelow, marchand de St Thomas d’origine américaine. En septembre 1832, le Liberal parut pour la première fois. Le mois suivant, George Gurnett*, rédacteur en chef du Courier of Upper Canada, publié à York (Toronto), accusa le Liberal d’être « dirigé et possédé par quatre individus de St Thomas récemment arrivés des États-Unis » – il faisait probablement allusion à Lewis, Bigelow et à deux autres marchands de St Thomas qui étaient d’origine américaine, Josiah C. Goodhue et Bela Shaw. (C’est en réfutant cette affirmation que Lewis fit mention des 50 actionnaires du comté.) Lewis et les réformistes associés au journal constituaient une force dominante derrière ce parti qu’ils n’appelaient pas « réformiste » mais « libéral », étiquette qui n’existait nulle part ailleurs dans le Haut-Canada.

Le terme est aussi significatif que bizarre. Il ne pouvait évidemment pas provenir du parti libéral britannique qui ne devait naître que plus tard ; en effet, le père de ce parti, William Ewart Gladstone, était alors sur le point d’entrer en politique comme tory. Mais le terme « libéral » venait bel et bien de Westminster où, en 1832, il définissait un partisan du gouvernement dont les idées étaient trop avancées pour qu’on puisse le qualifier de whig, mais pas suffisamment pour qu’on le taxe de radical. Lewis et ses amis étaient des démocrates radicaux nord-américains quelque peu « nativistes » qui, dans l’espoir de s’affranchir de leur identification au républicanisme américain, se faisaient passer pour des adeptes du réformisme britannique modéré.

C’était là une attitude prudente, sinon fausse. Depuis sa création, le district avait été déchiré par un conflit loyalo-républicain qui atteignit son paroxysme pendant la guerre de 1812. Juste avant cette guerre, Talbot avait trouvé le moyen de faire élire Burwell à la place de Benajah Mallory*, qui se vendit peu après à l’ennemi. Sur la toile de fond de cette histoire, un correspondant du Liberal exprima un point de vue probablement partagé par Lewis et d’autres réformistes, en affirmant que les immigrants britanniques nostalgiques qui envahissaient alors la colonie avaient des « principes libéraux et des sentiments libéraux ». Mais « le gouvernement et la gentry d’York [avaient] arrangé les choses si joliment qu’ils [étaient] capables [...] d’étouffer efficacement tout sentiment analogue ». Cet argument montrait une méconnaissance totale de la psychologie de l’immigrant et exagérait fortement le pouvoir du gouvernement de faire exercer des pressions officielles sur ces personnes. Il demeure toutefois que le Liberal s’efforça de ranimer le sentiment réformiste chez les immigrants du Haut-Canada.

La force de l’opposition organisée par le colonel Talbot laisse supposer le succès de « la cabale ergoteuse, qui se qualifi[ait] de libérale ». Le colonel rallia de nombreux partisans, dont certains firent preuve de violence. Une bande de « saboteurs et [d’]effrontés » vinrent gâcher les célébrations libérales du 4 juillet en 1832, et des « gardes loyaux » firent échouer une tentative de formation d’union politique à St Thomas en janvier 1833. La même année, le bureau du Liberal fut démoli, et ses presses jetées au bas de la colline qu’il surplombait. Asahel Bradley Lewis, que la fièvre typhoïde tenait alité, se leva pour voir les dégâts. Il fit alors une rechute et mourut à l’âge de 28 ans ; selon la notice nécrologique qui parut dans le Chronicle & Gazette, il décéda le 13 octobre 1833 ;par contre, celle du Christian Guardian fait référence au 14 octobre. L’année suivante, la campagne électorale des libéraux fut couronnée de succès : Burwell et l’autre candidat tory, Joseph Brant Clench*, de Muncey Town, furent défaits par Elias Moore et Thomas Parke*.

Graeme H. Patterson

AO, MU 1128, Donald MacMillan, geneal. papers, biog. and geneal. notes on Amasa Lewis and family.— « Register of baptisms, marriages, and deaths, at St. Thomas, U.C., commencing with the establishment of the mission in July, 1824 », OH, 9 (1910) : 164.— The Talbot papers, J. H. Coyne, édit. (2 vol., Ottawa, 1908–1909).— Christian Guardian, 15 févr. 1832, 30 oct. 1833.— Chronicle & Gazette, 2 nov. 1833.— Colonial Advocate, 26 oct. 1833.— Liberal (St Thomas, Ontario), 25 oct., 15, 29 nov. 1832.— Illustrated historical atlas of the county of Elgin, Ont. (Toronto,.1877 ; réimpr., Port Elgin, Ontario, 1972).— C. O. [Z.] Ermatinger, The Talbot regime ; or the first half century of the Talbot settlement (St Thomas, 1904).— Élie Halévy, A history of the English people [...], E. I. Watkin et D. A. Barker, trad. (6 vol., Londres, [1924]–1934), 3.— Patterson, « Studies in elections in U.C. ».— C.[F.] Read, The rising in western Upper Canada, 1837–8 : the Duncombe revolt and after (Toronto, 1982).— Ian MacPherson, « The Liberal of St. Thomas, Ontario, 1832–33 », Western Ontario Hist. Notes ([London]), 21 (1965), no 1 : 10–29.

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Graeme H. Patterson, « LEWIS, ASAHEL BRADLEY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/lewis_asahel_bradley_6F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
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