NOOTH, JOHN MERVIN, médecin, officier et scientifique, baptisé le 5 septembre 1737 à Sturminster Newton, Angleterre, fils aîné de Henry Nooth, apothicaire, et de Bridget Mervin ; il épousa en secondes noces une prénommée Elizabeth, et ils eurent deux fils et au moins une fille ; décédé le 3 mai 1828 à Bath, Angleterre.
John Mervin Nooth entra à l’University of Edinburgh en 1762 ou 1763 et obtint son doctorat en médecine en 1766 ; sa thèse portait sur le rachitisme. De toute évidence, sa famille était bien nantie, ce qui lui permit de passer l’année 1769–1770 à visiter le continent européen, comme le faisaient couramment les jeunes gens des milieux aisés. Après cela, il poursuivit certainement ses études scientifiques car, présenté comme candidat à la Royal Society de Londres par, entre autres, Benjamin Franklin et l’anatomiste William Hunter, il y fut élu le 13 mars 1774 et y fit son entrée 11 jours plus tard. Il avait déjà fait parvenir à la société une note décrivant un modèle perfectionné de machine électrique. En 1775, il publia dans Philosophical Transactions de la société sa plus importante contribution scientifique, « The description of an apparatus for impregnating water with fixed air [...] ». Le terme fixed air était employé au xviiie siècle pour désigner le gaz carbonique. En prenant connaissance de cet article, le célèbre scientifique Joseph Priestley, qui avait été le premier à concevoir un appareil servant à dissoudre du gaz carbonique dans l’eau, contesta que celui de Nooth ait été supérieur, mais il le reconnut plus tard. L’appareil de Nooth fut largement utilisé pendant quelques décennies pour produire du gaz carbonique, auquel on prêtait notamment de grandes vertus thérapeutiques. Nooth prétendait que son dispositif permettrait de fabriquer des eaux de source artificielles, ce qui éviterait aux malades de se rendre dans de lointaines stations thermales ; en pratique, cela ne se réalisa pas, mais l’idée annonçait la production aujourd’hui massive de boissons gazeuses.
En octobre 1775, après qu’eut éclaté la Révolution américaine, Nooth fut nommé à la fois médecin extraordinaire et fournisseur du service de santé des troupes britanniques d’Amérique du Nord. Il entra en fonction à New York dans le courant de l’automne. Ce cumul de postes inhabituel laisse supposer qu’il avait un protecteur influent. Le 10 avril 1779, il devint surintendant général des hôpitaux des troupes britanniques cantonnées en Amérique du Nord. En lui confiant cette haute responsabilité, on espérait que Nooth viendrait à bout de la discorde qui régnait dans le département médical et, dans une certaine mesure, il y réussit. Il demeura surintendant général jusqu’en 1783 puis, la révolution étant terminée, il quitta l’Amérique avec les dernières unités de l’armée britannique ; il fut mis à la demi-solde le 6 février 1784. De retour à Londres dès avril 1784, Nooth inventa un instrument servant à donner la respiration artificielle. À l’époque, un rédacteur médical décrivait ainsi cet inventeur : « un gentleman qui se distingue autant par sa libéralité que par son génie [et] à qui les arts doivent plusieurs inventions précieuses qui sont couramment attribuées à d’autres ».
Réintégré dans le service actif au cours de l’année 1788, Nooth fut envoyé à Québec à la fin de l’été comme surintendant général des hôpitaux. Bientôt reconnu comme un médecin hors pair, il compta parmi ses patients des personnalités comme le gouverneur, lord Dorchester [Guy Carleton*], le lieutenant-gouverneur du Haut-Canada, John Graves Simcoe*, et le prince Edward* Augustus, futur duc de Kent et de Strathearn. En 1798, le prince, qui était alors à Halifax, y fit venir Nooth, expressément pour soigner une grave blessure qu’il s’était faite à une jambe en tombant de cheval, car il croyait que Nooth était « considéré à juste titre comme le médecin le plus compétent du continent ». Par ailleurs, Nooth participa aux recherches sur le mal de Baie-Saint-Paul, qui causait de graves complications dans les années 1780 [V. James Bowman*]. Il conclut comme la plupart des médecins de la colonie qu’il s’agissait probablement d’une forme de syphilis et trouva des remèdes que les autorités de l’époque jugèrent efficaces. En 1795, il témoigna devant la chambre d’Assemblée du Bas-Canada sur les dangers que présentaient les navires transatlantiques pour l’importation de maladies contagieuses dans la colonie. Sa participation à l’entente qui permit à l’un de ses collègues, le docteur George Longmore*, d’acquérir du prêtre catholique Pierre-Joseph Compain* un remède secret contre les chancres témoigne de son intérêt pour les découvertes médicales et de la confiance qu’il inspirait.
Loin de se limiter à ses fonctions d’officier supérieur du service de santé du Canada et à la pratique de la médecine, Nooth s’intéressait à de nombreuses activités scientifiques. Pendant l’été de 1792, le botaniste français André Michaux* lui rendit une visite de trois jours lors d’une expédition dans le Bas-Canada et se montra impressionné par plusieurs de ses inventions. Correspondant régulier de sir Joseph Banks*, Nooth lui envoya des spécimens de nombreuses plantes indigènes, dont la zizania aquatica (riz sauvage). De plus, il étudiait la météorologie, examinait des sources d’eau minérale et notait des variations dans la position du pôle magnétique.
Nooth s’intéressait vivement à la situation économique, sociale et politique du Bas-Canada et en entretenait longuement Banks. Il s’inquiétait du zèle révolutionnaire des Américains et écrivait à ce propos : « [ils] se sont récemment donné l’aimable mission de corrompre le bon peuple de la colonie, lequel, je regrette de le dire, est trop bien disposé à écouter les doctrines diaboliques que la nation française a propagées depuis peu ». Il approuva donc tout autant l’adoption d’une loi sur les étrangers, qui débarrasserait la colonie des « émissaires de la France », que l’exécution exemplaire de David McLane* en 1797 ; selon lui, ces deux événements « contribu[èrent] grandement à freiner l’esprit de la démocratie » dans le Bas-Canada. Il fulminait contre le retard économique de la colonie, qui était pourtant dotée d’avantages naturels et d’un climat plus sain que ce qu’on trouvait aux États-Unis. « Si [notre] contrée était habitée par un groupe de gens intelligents, lançait-il, elle ne tarderait pas à devenir importante. » En 1790, il siégea au conseil d’administration de la Société d’agriculture de Québec, fondée l’année précédente pour promouvoir la commercialisation de l’agriculture de la colonie grâce à l’adoption des plus récentes techniques de culture et d’élevage. Il reprochait aux Canadiens de ne pas exploiter plus à fond les pêcheries du Labrador et faisait des expériences pour trouver un meilleur moyen d’extraire l’huile du gras de marsouin blanc. Par contre, il félicitait les Canadiens d’utiliser toutes les parties des carcasses de ce mammifère et déclarait que leur méthode de fabrication du savon était bien supérieure à celles des Européens.
Le mode de concession des terres, l’immigration et la colonisation faisaient aussi partie des préoccupations de Nooth. Il approuvait Simcoe d’ouvrir grandes les portes du Haut-Canada aux Américains et s’attendait à ce que les nouveaux immigrants « accro[issent] de beaucoup la force intérieure du pays » et fassent contrepoids aux Canadiens dont la loyauté était chancelante. Par ailleurs, il critiquait vivement le Conseil exécutif du Bas-Canada de contester la politique de concession des terres du gouverneur Robert Prescott*. D’après lui, en refusant de délivrer des lettres patentes sur des terres qui faisaient déjà l’objet d’une demande et qui, dans certains cas, étaient déjà occupées, le Conseil causait des embarras financiers à des colons de bonne foi tels William Berczy*, ami intime qu’il aiderait à libérer d’un emprisonnement pour dettes en 1799. Ayant participé à la guerre contre les Américains de 1775 à 1783, Nooth avait lui-même droit à une concession de la couronne dans le Bas-Canada. Seul ou en société, il en demanda aussi plusieurs autres. En novembre 1802, à titre de chef dans le cadre du système des chefs et associés de canton [V. Samuel Gale], il se vit octroyer 23 100 acres dans le canton de Thetford. Il possédait également des terres à William Henry (Sorel).
En 1790, Nooth avait acheté deux lots adjacents rue Saint-Louis, à Québec, et il s’y fit construire une maison. Cinq ans plus tard, son foyer comptait trois protestants et quatre catholiques, ces derniers étant probablement des domestiques. Puis, mystérieusement, Nooth devint de plus en plus malade à compter de 1797 et, deux ans plus tard, il demanda la permission de rentrer en Angleterre. En juillet, il vendit sa maison à John Hale* pour la somme de £1 500, prix qui suggère qu’il avait vécu dans un certain luxe. Il quitta Québec à la fin du mois et s’établit rue Quebec, à Londres. Peu après, il régurgita une bille de plomb en toussant ; apparemment, elle se trouvait dans un verre de vin qu’il avait vidé en vitesse et s’était logée dans ses bronches. Guéri, Nooth devint médecin de la maison du duc de Kent à compter de 1800 et le demeura jusqu’à la mort du duc, en 1820. Il se rendit à Gibraltar vers 1804 ; trois ans plus tard, il fut mis à la demi-solde et retourna en Angleterre. Il maintint pendant quelque temps des liens scientifiques avec le Bas-Canada en correspondant avec Jean-Baptiste Lahaille*, professeur au séminaire de Québec. Nooth mourut à Bath, où il habitait probablement au moins depuis 1819, et fut inhumé dans la paroisse rurale de Bathampton le 10 mai 1828.
L’appareil que John Mervin Nooth avait mis au point en 1775 demeura d’un usage courant durant la plus grande partie de sa vie et se vendait encore dans les pharmacies au milieu du xixe siècle. La Grande-Bretagne en exporta des milliers. En décembre 1846, le chimiste Peter Squire fit de la partie inférieure de l’appareil l’élément essentiel d’un vaporisateur qu’il inventa pour administrer de l’éther lors d’une des premières opérations pratiquée sous anesthésie générale.
John Mervin Nooth est l’auteur d’une thèse de doctorat déposée en 1766 à l’University of Edinburgh qui a pour titre « Tentamen medicum inaugurale de rachidite [...] ». Il est également l’auteur d’au moins deux articles : « The description of an apparatus for impregnating water with fixed air ; and of the manner of conducting that process », Royal Soc. of London, Philosophical Trans. (Londres), 65 (1775) : 59–66 ; et « Case of a disease of the chest from a leaden shot accidentally passing through the glottis into the trachea », Soc. for the improvement of medical and chirurgical knowledge, Trans. (Londres), 3 (1812) : 1–6. Les lettres de Nooth à sir Joseph Banks, dont les originaux se trouvent à la Bibliothèque de la ville de Montréal, Salle Gagnon, ont été éditées et publiées par Jacques Rousseau dans le Naturaliste canadien (Québec), 58 (1931) : 139–147, 170–177, sous le titre de « Lettres du Dr J. M. Nooth à sir Joseph Banks ». William Berczy a peint de Nooth un portrait dont on ignore la localisation.
ANQ-Q, CN1-83, 16 avril 1790 ; CN1-256, 13, 21 juill. 1799.— APC, RG 1, L3L : 2455–2458 ; RG 8, I (C sér.), 279.— AUM, P 58, U, Nooth à [Berczy], 5 déc. 1799.— PRO, PROB 11/1742/371 ; WO 7/96.— Somerset Record Office (Taunton, Angl.), Bathampton, Reg. of burials, 10 mai 1828.— B.-C., chambre d’Assemblée, Journaux, 1823, app. T.— William Berczy, « William von Moll Berczy », ANQ Rapport, 1940–1941 : 23.— Corr. of Lieut. Governor Simcoe (Cruikshank), 1 : 159.— « Les Dénombrements de Québec » (Plessis), ANQ Rapport, 1948–1949 : 22, 72, 122.— « Le Duc de Kent : à quelle date faut-il assigner son départ définitif du Canada ? », Montarville Boucher de La Bruère, édit., BRH, 25 (1919) : 367–376.— Gwillim, Diary of Mrs Simcoe (Robertson ; 1911).— André Michaux, « Portions of the journal of André Michaux, botanist, written during his travels in the United States and Canada, 1785 to 1796 [...] », C. S. Sargent, édit., American Philosophical Soc., Proc. (Philadelphie), 26 (1889) : 72.— Joseph Priestley, Experiments and observations on different kinds of air (3 vol., Londres, 1774–1777), 2 : 265–276.— William Smith, The diary and selected papers of Chief Justice William Smith, 1784–1793, L. F. S. Upton, édit. (2 vol., Toronto, 1963–1965), 1 : 46.— F. X. Swediaur, Practical observations on the more obstinate and inveterate venereal complaints ; to which are added, an account of a new venereal disease which has lately appeared in Canada, and a pharmacopæia syphilitica [...] (3e éd., Édimbourg, 1788).— Isaac Weld, Travels through the states of North America, and the provinces of Upper and Lower Canada, during the years 1795, 1796, and 1797 (4e éd., 2 vol., Londres, 1807), 1 : 384.— Bath Chronicle (Bath, Angl.), 8 mai 1828.— La Gazette de Québec, 16 oct. 1788, 15 août 1799.— William Johnston, Roll of commissioned officers in the medical service of the British army [...] (Aberdeen, Écosse, 1917), 47.— John Andre, William Berczy, co founder of Toronto ; a sketch (Toronto, 1967), 53.— Gabriel Nadeau, « Un savant anglais à Québec à la fin du xviiie siècle : le docteur John-Mervin Nooth », l’Union médicale du Canada (Montréal), 74 (1945) : 49–74.— P.-G. Roy, « Une vieille maison de Québec, le commissariat », BRH, 48 (1942) : 362–364.— David Zuck, « Dr Nooth and his apparatus ; the role of carbon dioxide in medicine in the late eighteenth century », British Journal of Anæsthesia (Londres), 50 (1978) : 393–405.
Charles G. Roland, « NOOTH, JOHN MERVIN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 12 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/nooth_john_mervin_6F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/nooth_john_mervin_6F.html |
Auteur de l'article: | Charles G. Roland |
Titre de l'article: | NOOTH, JOHN MERVIN |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1987 |
Année de la révision: | 1987 |
Date de consultation: | 12 déc. 2024 |