TEKARIHOGEN (Decarrihoga, Dekarihokenh, Karrahogle, Tekarihogea, Tokarihogea, Tyhorihoga, Henry, Hendrick ; orthographié Tekarihó:ken en agnier moderne), membre du clan de la Tortue et chef agnier, né vers 1750 dans la vallée de la Mohawk, New York, probablement le fils ou le petit-fils de Sarah, qui semble avoir été la matrone du clan, et de son mari, Karaghtadie* ; il épousa Catharine, Agnière du clan du Loup ; décédé à la mi-août 1830 à la rivière Grand, Haut-Canada.

Par sa mère, Henry appartenait à la famille dans laquelle le titre de Tekarihogen était héréditaire, et il lui fut accordé quand il était jeune homme. Au conseil de la ligue des Six-Nations, le chef qui le portait était chef en titre des Agniers, donc premier dans la hiérarchie des neuf sachems de cette tribu. Comme les Agniers figuraient en tête de la liste des 49 ou 50 chefs du conseil, son nom avait préséance sur tous les autres. C’était donc un titre qui conférait une haute dignité et une grande influence.

Pendant la Révolution américaine, Henry Tekarihogen, comme on l’appelait souvent, combattit aux côtés des Britanniques. D’après son petit-fils, c’était même sous son impulsion que les Agniers avaient décidé de les soutenir. Le fait qu’il ait participé aux combats laisse supposer que le titre de Tekarihogen lui fut donné après la fin des hostilités car, selon la coutume, les sachems ne pouvaient pas aller sur le sentier de la guerre tout en conservant leur titre de chefs civils. Après la victoire des Américains, les Britanniques mirent à la disposition des Iroquois qui étaient demeurés fidèles à la couronne des terres dans ce qui allait devenir le Haut-Canada [V. Thayendanegea*]. Dans la vaste réserve des Six-Nations, le long de la rivière Grand, Tekarihogen exerça un pouvoir considérable non seulement sur les Agniers, mais aussi sur les autres membres de la ligue qui s’y étaient établis. Dans une lettre du 28 novembre 1808, Alexander McDonell* (Collachie), qui s’apprêtait alors à acheter une partie des terres de la rivière Grand au nom de lord Selkirk [Douglas*], parlait de lui en ces termes : « Même du vivant de Brant, Tyhorihoga était reconnu comme le premier chef et sachem, quoique [Brant], en raison de son instruction et de sa connaissance des coutumes européennes, se soit chargé d’administrer toutes leurs terres. » En parlant des Six-Nations de la rivière Grand, certains historiens, guidés (ou trompés) par les sources écrites qui étaient disponibles, ont peut-être surestimé le pouvoir et l’influence de Joseph Brant, simple chef de guerre qui a laissé une correspondance assez abondante, et ont négligé Tekarihogen qui, même s’il savait un peu parler l’anglais, ne pouvait l’écrire.

Une grande partie de l’influence de Brant dans la réserve provenait sans nul doute de ses liens étroits avec Tekarihogen. Vers 1779, il avait épousé Catherine [Ohtowaˀkéhson*] que Tekarihogen appelait sa sœur, même si elle n’était peut-être qu’une proche parente. Puis, en 1798, Augustus Jones*, ami de Brant et arpenteur blanc, épousa la fille de Tekarihogen, Sarah. Ensemble, Tekarihogen et Brant, avec Jones comme homme de confiance, en vinrent à représenter l’aile « progressiste », comme on allait dire plus tard au xixe siècle. Fervents chrétiens, donc adversaires déterminés de la religion traditionnelle des Iroquois, ils cherchaient à s’adapter à la société dominante qui les entourait. Ils accueillirent parmi eux des fermiers blancs, à qui ils louèrent ou vendirent de grandes parties de leur vaste réserve. Selon eux, ces transactions étaient justifiables parce que les sommes obtenues servaient de fonds de fiducie, grâce auxquels les fermiers iroquois pourraient acheter des semences et de l’outillage, et parce que les Blancs, en introduisant de nouvelles techniques agricoles, rendaient service à la communauté indienne.

Les « traditionalistes », pour employer encore une fois un terme adopté ultérieurement, s’opposèrent à Tekarihogen et à Brant sur la question des terres, surtout sur l’importante concession d’une dizaine de milles carrés qui fut accordée à Jones. Le 1er juillet 1811, un porte-parole des Agniers annonça que Tekarihogen avait été démis de son poste. « Dans les temps anciens, déclara-t-il, quand un chef agissait mal, nous lui enlevions ses cornes ; mon neveu Tekarihoga a très mal agi. Notre clan (la Tortue) s’est réuni et, en raison de sa conduite, nous avons jugé qu’il n’était pas apte à être partie de notre traité ; nous en avons fait part à notre nation, celle des Agniers, puis aux Six-Nations, qui ont été d’accord avec nous. [...] nous avons retiré les cornes de sa tête, et il ne doit s’occuper que de l’Église. » Mais Tekarihogen n’accepta pas sa destitution et, apparemment, une grande partie de son peuple l’appuya. Son nom apparaît en tête de la liste des 230 guerriers des Six-Nations qui combattirent aux côtés des Britanniques à Beaver Dams, le 24 juin 1813, et en tête des requêtes rédigées par les chefs des Six-Nations, le 22 février 1815 et le 6 septembre 1823. Qu’il soit demeuré à son poste indique combien les luttes étaient farouches entre les progressistes et les traditionalistes de la réserve.

Après la guerre de 1812, la vue de Tekarihogen baissa considérablement, « non pas en raison de son grand âge », selon sa petite-fille, mais à cause d’une « maladie qui s’install[ait] dans ses yeux ». À sa mort, il était complètement aveugle. Pendant ses dernières années, il s’occupa beaucoup de religion. John « Smoke » Johnson* se rappelait que Tekarihogen « avait l’habitude de lire l’office divin à la chapelle indienne et [qu’il] était un homme religieux et bon ». Le droit de lui nommer un successeur après sa mort en 1830 (ou un peu avant, au moment où il était devenu tout à fait aveugle) revenait à Catharine Brant, qui le tenait de sa mère. Avec le consentement de sa famille maternelle, elle choisit son propre fils, John [Tekarihogen].

George Henry Martin Johnson*, fils de John « Smoke » Johnson, traduisit un jour le nom de Tekarihogen ainsi : « deux particularités réunies ». Tel était bien Henry Tekarihogen, sachem et chrétien. Quant aux descendants de sa fille Sarah et de son mari, Augustus Jones, ils sont maintenant divisés entre ceux qui demeurent sur la liste des tribus des Six-Nations et ceux qui, bien des générations plus tard, ont choisi l’autre « particularité » en devenant membres de la société des Blancs, plus importante en nombre.

Donald B. Smith

L’orthographe Tekarihogen est celle utilisée par John Brant. Seth Newhouse, de la nation des Onontagués, qui parle couramment la langue des Agniers, emploie Dekarihokenh. Il existe de nombreuses façons d’écrire ce nom, certaines rendant mieux le sens de ce mot. Différentes formes de ce nom apparaissent au début de la biographie.  [d. b. s.]

APC, RG 10, B3, 1974, file 5620/1.— UCC, Central Arch. (Toronto), William Case, journal, 1806–1809 (transcription aux AO).— Wis., State Hist. Soc. (Madison), Draper mss, sér. F.— The Iroquois Book of Rites, H. [E.] Hale, édit., introd. de W. N. Fenton (Toronto, 1963).— Valley of Six Nations (Johnston), 56, 67–68, 174, 176–177, 197, 203, 219, 281–282, 284, 296.— Handbook of North American Indians (Sturtevant et al.), 15.— Barbara Graymont, The Iroquois in the American revolution (Syracuse, N.Y., 1972).— Isabel Thompson Kelsay, Joseph Brant, 1743–1807 : man of two worlds (Syracuse, N.Y., 1984).

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Donald B. Smith, « TEKARIHOGEN (Decarrihoga, Dekarihokenh, Karrahogle, Tekarihogea, Tokarihogea, Tyhorihoga, Tekarihó:ken) (Henry, Hendrick) (mort en 1830) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/tekarihogen_1830_6F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
Année de la révision:    1987
Date de consultation:    2 nov. 2024