DELORME, CHARLES-SIMON, menuisier, charpentier, entrepreneur de construction et propriétaire foncier, né le 14 juin 1769 à Montréal, fils de Charles-Simon Delorme et de Catherine Roy ; le 22 novembre 1802, il épousa au même endroit Marie-Marguerite Dufresne, fille de François Dufresne, menuisier ; décédé le 9 juin 1837 dans sa ville natale.

Charles-Simon Delorme étudia au collège Saint-Raphaël à Montréal de 1783 à 1784. Par la suite, il fit probablement un stage d’apprenti avec un maître artisan comme c’était la coutume à l’époque, notamment parmi les métiers de la construction. Dès 1794, il était propriétaire d’un petit atelier dans le faubourg Saint-Laurent où il travaillait seul à fabriquer des portes et des fenêtres afin de ‘ fournir les quelques entrepreneurs de Montréal. À partir de 1800, il délaissa cette production peu lucrative pour se consacrer essentiellement à la construction d’immeubles.

Profitant de la croissance démographique que connaissait Montréal au début du xixe siècle, Delorme mit en chantier plus de 96 maisons et 30 édifices durant sa carrière d’entrepreneur qui s’étendit de 1800 à 1830. Au début, il participa de près à la plupart des étapes dans l’exécution des travaux, mais recourut à l’occasion à quelques travailleurs à gages afin de respecter les délais de livraison exigés par ses clients. À la suite de l’essor rapide de son entreprise, il put se consacrer à l’organisation du procès de travail sur les chantiers et abandonna peu à peu les tâches manuelles, sauf celles qui consistaient à dresser les solives soutenant la charpente des bâtiments. Ainsi, l’embauche de la main-d’œuvre, l’approvisionnement en matériaux et la gestion des affaires courantes devinrent ses principales préoccupations au fil des années. En général, les chantiers de Delorme requéraient la présence d’un maçon, de trois à cinq scieurs de long et d’une demi-douzaine de charretiers. Ici comme ailleurs, le rapport salarial devenait l’essence même de la relation patron-employés et la base de l’accumulation du capital. D’ailleurs, les scieurs de long engagés par Delorme ne préfiguraient-ils pas le prolétariat moderne dans la mesure où ils n’avaient déjà plus la propriété de leurs outils et travaillaient en équipe, sous la direction d’un contremaître, pour un salaire à la pièce ?

Les honoraires de Delorme pouvaient varier de £60 à £1 000. Dans la plupart des marchés de construction, il exigeait une avance qui s’élevait à 10 % du prix total, afin de se procurer les fonds de roulement nécessaires à la mise en chantier. À compter de 1819, à la suite de travaux mal exécutés par des sous-traitants à son service, Delorme s’associa au maçon Joseph Fournier. Cette société était également la résultante d’une période d’intense activité où, durant les années 1816–1817, Delorme avait entrepris la construction de 21 bâtiments à l’aide de 23 ouvriers. Il lui devenait donc impérieux de trouver rapidement un associé en vue d’éviter des délais de livraison et le paiement d’amendes le cas échéant.

Outre la construction de résidences luxueuses, rue Saint-Paul ou place d’Armes, Delorme fut mêlé à la mise en chantier d’édifices civils et religieux. La vocation de plus en plus manifeste de Montréal comme centre d’import-export au début du xixe siècle lui valut de bâtir plusieurs entrepôts et hangars pour le compte de marchands. En 1809, Louis Charland*, inspecteur des grands chemins, rues et ruelles de Montréal, lui confia le soin de construire une halle de 14 étaux et une « maison à peser », place du Vieux-Marché (place Royale). L’année suivante, Delorme figurait parmi les six entrepreneurs chargés d’édifier l’église de la paroisse Saint-Antoine, à Longueuil ; ce contrat était avantageux puisqu’il représentait £4 020 à partager. Sans doute à cause de la qualité d’exécution de ses ouvrages, d’autres fabriques firent appel à ses services, dont celles de Saint-Constant en 1811 et de Notre-Dame de Montréal pour la construction d’une chapelle en 1816. Delorme compta aussi parmi les entrepreneurs à qui on laissa le soin d’élaborer des sections de l’église Notre-Dame de Montréal, de 1824 à 1829 [V. James O’Donnell*]. C’est toutefois dans le domaine de l’architecture civile qu’il apporta sa contribution la plus importante avec la construction de l’Hôtel-Dieu et de la résidence adjacente des religieuses, qu’il avait entreprise en 1826 et 1827 avec son associé.

Delorme profita également des retombées du développement urbain de Montréal de 1800 à 1830. Ainsi, en 1805, les commissaires de la navigation intérieure le choisirent pour retirer les débris qui obstruaient le chenail de Sault-Saint-Louis (Kahnawake) et pour y construire un quai d’une longueur de 300 pieds. Il semble qu’il ait eu des difficultés à mener à terme ce contrat, puisque l’année suivante la chambre d’Assemblée du Bas-Canada lui accorda des crédits « pour les peines extraordinaires et les pertes dans le cours de son ouvrage l’été [précédent] ». De 1807 à 1810, il effectua divers travaux pour les commissaires chargés d’enlever les fortifications de Montréal. En 1818, par l’entremise de Jacques Viger*, inspecteur des chemins, rues, ruelles et ponts de la cité et paroisse de Montréal, il obtint le contrat pour la construction de trottoirs, de descentes et d’égouts en bois.

Delorme avait su élargir son patrimoine foncier si bien qu’à sa mort il possédait à Montréal 13 terrains, 9 maisons, 12 hangars, 8 écuries, une boutique de menuisier et une autre de tonnelier. Certains indices laissent croire qu’il pratiquait l’élevage de chevaux ; en 1819, la Société d’agriculture du district de Montréal lui avait décerné un prix de « 30 piastres » pour le meilleur étalon de race canadienne présenté dans le cadre d’une exposition. Toutefois, Delorme n’était pas à l’abri d’ennuis financiers. Le 20 avril 1820, un incendie avait détruit sa propriété du faubourg des Récollets ainsi que cinq autres maisons. Trois jours plus tard, les journaux rapportaient que la responsabilité du sinistre incombait à Delorme et que celui-ci n’avait pas d’assurance.

Les surplus qu’avait accumulés Delorme n’étaient pas essentiellement recyclés dans son entreprise ; une partie était réinvestie dans le crédit à court terme et dans d’autres types de placements comme en témoignent les £4 754 de créances qu’il détenait au moment du relevé de son inventaire après décès, ainsi que les £800 d’actions qu’il possédait dans la Banque du peuple et les £500 dans la Compagnie d’assurance de Québec contre les accidents du feu. Le cas de Delorme illustre parfaitement cette frange avancée de la communauté des artisans en voie de consolider ses assises financières et de former les éléments dynamiques d’une moyenne bourgeoisie, peu avant la rébellion de 1837–1838. D’ailleurs, on retrouve les membres de cette moyenne bourgeoisie, dont Delorme, autour d’un projet de société bancaire qu’avaient lançé en 1833 Louis-Michel Viger* et Jacob De Witt* afin d’assurer aux Canadiens les ressources pécuniaires destinées à activer et à encourager le commerce et l’industrie dans la province. Cette société ouvrit ses portes deux ans plus tard sous le nom de Banque du peuple et eut à sa disposition un capital initial de £75 000. Préoccupé également par le problème du transport terrestre dans la colonie, Delorme participa en 1831, à titre d’actionnaire, à la fondation de la Compagnie des propriétaires du chemin à lisses de Champlain et du Saint-Laurent [V. John Molson*].

Même si Charles-Simon Delorme ne se mêla pas directement à la politique, il ne cacha jamais ses sympathies à l’endroit du parti patriote. Au début des années 1830, il avait refusé un poste de juge de paix en raison de la situation trouble dans laquelle se trouvait son pays. Il mourut le 9 juin 1837 à la suite d’une maladie dont il était affligé depuis plusieurs mois, selon les dires de son médecin, Wolfred Nelson*. À cette occasion, la Minerve lui rendit ce témoignage : « C’était un de ces amis sincères des institutions et des libertés de sa patrie. »

Robert Tremblay

ANQ-M, CE1-51, 14 juin 1769, 27 nov. 1802 ; CN1-16, 21 nov. 1802, 25 juill. 1809, 10 févr. 1816, 21, 26 janv., 12 avril 1819 ; CN1-28, 12 mars, 22 mai 1818, 20 janv., 4 juin 1819, 5 juill. 1823, 7, 15 avril 1824, 5 juill. 1826, 5, 14 mai, 26 oct. 1827, 8 sept. 1837 ; CN1-68, 23, 30 mai 1809, 8 avril 1811, 28 avril 1813, 14 mai 1814, 3, 26 avril, 6 juin 1815, 23 janv. 1826 ; CN1-74, 2 août 1802, 1er mars, 20 août, 22 déc. 1803, 24 janv., 11, 15 mai 1804, 1er mars, 26 août, 21 déc. 1805, 23 juill. 1806, 2 juin 1807, 4 juill. 1809, 5 mai 1810, 20 juill. 1811, 7 sept. 1812, 13 févr. 1813 ; CN1-121, 13 juin 1794, 17 sept. 1803, 20 avril 1804 ; CN1-134, 27 sept. 1816, 1er, 5, 7, 12, 23 mai, 14 juill., 19, 23 août 1817 ; CN1-194, 18 juill. 1809 ; CN1-215, 6 mai 1815 ; CN1-295, 13 avril 1805, 23 déc. 1807 ; CN1-313, 19 juill. 1832.— MAC-CD, Fonds Morisset, 2, dossier C.-S. Delorme. B.-C., Statuts, 1832, chap. 58.— La Gazette de Québec, 13 mars 1806, 11 oct. 1819, 5 oct. 1820, 23 avril 1821.— La Minerve, 15 juin 1837.— André Giroux et al., Inventaire des marchés de construction des Archives nationales du Québec à Montréal, 1800–1830 (2 vol., Ottawa, 1981).— Maurault, le Collège de Montréal (Dansereau ; 1967) ; la Paroisse : hist. de N.-D. de Montréal (1957).— Robert Tremblay, « la Nature du procès de travail à Montréal entre 1790 et 1830 » (thèse de m.a., univ. de Montréal, 1979).— Louis Richard, « Jacob DeWitt (1785–1859) », RHAF, 3 (1949–1950) : 537–555.

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Robert Tremblay, « DELORME, CHARLES-SIMON », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 6 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/delorme_charles_simon_7F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
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