FORRESTER, THOMAS, soldat, marchand et homme politique, baptisé le 30 août 1790 à Halifax, fils d’Alexander Forrester et d’une prénommée Mary ; décédé le 15 novembre 1841 au même endroit.

Né dans une famille qui, semble-t-il, appartenait à la petite bourgeoisie, Thomas Forrester reçut les rudiments de sa formation scolaire à la Halifax Grammar School et, jeune encore, entra dans l’armée britannique. Pendant la guerre de 1812, il servit en Amérique du Nord britannique dans le Royal Regiment of Artillery. De retour à Halifax à la fin des hostilités, il devint détaillant de marchandises sèches, et plus particulièrement de parures chic. Habile en affaires, il profita de la croissance économique que Halifax connut dans les années 1820 et la décennie suivante. Sa cote d’imposition, de £300 en 1819, passait à £4 000 en 1841, ce qui le plaçait au nombre des Haligoniens les plus riches. Il possédait un bâtiment de pierre où il logeait et avait son magasin, rue Barrington (c’était, a-t-on dit après sa mort, « l’une des meilleures constructions de Halifax »), des immeubles urbains d’un rapport annuel de £350, plus de 1 000 acres de terre dans tous les coins de la province et £2 000 en titres de sociétés, dont 20 actions de la Banque de la Nouvelle-Écosse. Comme il seyait à un nanti, Forrester avait de l’influence dans la congrégation presbytérienne St Andrew et il occupait des postes honorifiques, la présidence de la Nova Scotia Philanthropic Society par exemple. En quelques années donc, il était sorti de l’ombre pour accéder à une « belle indépendance ». Avec sa femme, Elizabeth Martin, qu’il avait épousée le 25 février 1813, et leurs cinq enfants, il « s’entourait des signes de la prospérité ».

Cependant, la réussite matérielle ne satisfaisait pas Forrester qui, dans les années d’après-guerre, se fit aussi connaître comme un homme irascible, un fauteur de troubles. Les lettres qu’il fit publier dans les journaux pour dénoncer la prétendue fraude d’assurances de certains gros marchands locaux lui valurent en 1825 une condamnation pour diffamation et une amende de £100. Cinq ans plus tard, après plusieurs autres démêlés avec les gens en place de Halifax, il consolida sa mauvaise réputation en se plaignant de ce que les avocats, juges et fonctionnaires de la ville s’étaient ligués pour lui faire perdre un procès pour dettes qu’il avait intenté contre un officier de l’armée britannique. Convaincu qu’on l’avait traité injustement, il demanda réparation au lieutenant-gouverneur sir Peregrine Maitland* puis, après avoir essuyé une rebuffade, exposa directement son cas au ministère des Colonies dans une lettre où il réclamait vengeance. Selon un contemporain, c’étaient là les agissements d’un homme « obstiné et intraitable ». Furieux, Maitland observa que Forrester était « l’un de ces malheureux qui frôlent l’aliénation mentale sans être assez dérangés pour bénéficier de la protection accordée à ceux qui sont déclarés fous ». La méfiance des capitalistes de Halifax envers lui devint évidente quand, en 1832, ils rejetèrent en bloc sa candidature au conseil d’administration de la Banque de la Nouvelle-Écosse. Ses problèmes illustrent combien il était difficile, pour qui n’était pas né dans l’oligarchie haligonienne et n’en respectait pas les règles, de pénétrer dans ce milieu. Trop irrévérencieux, Forrester ne pouvait obtenir ni charge publique ni faveurs officielles, ce qui ne pouvait qu’aviver son antagonisme envers les autorités.

Occupé jusque-là de ses griefs personnels, Forrester se lança dans l’arène politique à la faveur du mouvement de protestation qui balaya la Nouvelle-Écosse dans les années 1830. D’abord, aux élections qui firent suite, en 1830, à la querelle du Brandy, il soutint dans le canton de Halifax Beamish Murdoch* contre le candidat de l’oligarchie, Stephen Wastie Deblois, qui remporta la victoire. Dans les années qui suivirent, il devint un habitué des assemblées convoquées pour protester contre les hauts salaires des fonctionnaires, la dévaluation du papier-monnaie de la province et d’autres questions du même genre. Après le fameux procès au criminel où on acquitta Joseph Howe* d’une accusation de diffamation, en 1835, il fut l’un des premiers à se rallier à cet homme en qui il voyait le chef du mouvement réformiste naissant. En 1836, on les élit tous les deux sous la bannière réformiste. Devenu député du canton de Halifax, Forrester ne tarda pas à joindre l’aile radicale de l’amorphe caucus réformiste.

Peu enclin à la spéculation théorique, Forrester n’exposa jamais ses principes politiques de façon systématique et prit rarement part aux interminables débats sur le sens précis du terme « gouvernement responsable ». Des problèmes plus tangibles l’occupaient davantage : assurer par exemple une meilleure protection législative aux commerçants contre les débiteurs en fuite. Il joua un rôle prépondérant en encourageant une innovation institutionnelle : l’érection de Halifax en municipalité et le remplacement des juges de paix nommés, qui administraient les affaires municipales, par un maire et des échevins élus. En usant d’arguments où entraient aussi bien l’intérêt des contribuables que les idéaux démocratiques, Forrester soulignait que cette réforme créerait une administration municipale honnête, efficace et économique. Halifax, affirmait-il, devait prendre exemple sur Boston, ville que gouvernait la bourgeoisie des propriétaires, où le gouvernement municipal pouvait à la fois taxer les riches et imposer une discipline morale aux « couches inférieures ».

Retenus par des campagnards méfiants à l’endroit de l’expansion urbaine et par une élite opposée au « nivellement » qu’engendrerait l’électivité des postes municipaux, l’Assemblée et les conseils de la province mirent du temps à ériger Halifax en municipalité. Quand an adopta finalement une charte en 1841, Forrester l’accueillit avec colère : la cote d’imposition exigée pour être élu ou électeur était élevée, si bien que la nouvelle administration demeurerait entre les mains de l’élite. Cette précaution, comme les généreuses pensions accordées aux fonctionnaires municipaux sortants, convainquit Forrester que la charte était un « triomphe du torysme ».

Un fossé infranchissable séparait alors Forrester des réformistes modérés. Howe s’était joint à la coalition formée en 1840 sous le lieutenant-gouverneur lord Falkland [Cary*], à l’initiative du gouverneur Charles Edward Poulett Thomson, mais Forrester ne l’appuyait pas car elle obligeait selon lui à des compromis excessifs. La ferveur de son opposition provenait peut-être en partie du ressentiment qu’il éprouvait du fait qu’on l’avait ignoré au cours des négociations dont la coalition était née. Il en avait été exclu à cause de sa réputation d’irascibilité et d’incohérence. Nombreux étaient ceux qui se rappelaient sa conduite pendant la crise financière de 1837. Quand la panique des Britanniques avait gagné la Nouvelle-Écosse, les banques de Halifax, craignant une ruée sur leurs réserves de caisse, avaient cessé d’échanger le papier-monnaie contre des pièces. Les marchands avaient appuyé cette décision, mais les boutiquiers avaient protesté en affirmant avoir absolument besoin de numéraire. Peut-être par dépit, Forrester était venu à la rescousse des détaillants de Halifax en intentant une série de poursuites contre la Banque de la Nouvelle-Écosse, qui en vertu de sa charte, disait-il, était obligée de faire le change. La panique s’était résorbée et les paiements avaient repris avant la fin des procès, mais Forrester, en se faisant le champion des gens du commun, avait perdu la confiance des privilégiés.

Malgré sa rupture avec Howe, Forrester était toujours assez populaire, aux élections de 1840, pour conserver son siège. En chambre, il portait le flambeau du radicalisme et dénonçait le menu législatif du gouvernement de coalition. Il s’aliéna encore davantage les modérés en se prononçant en faveur du rappel de l’union parlementaire entre l’Irlande et la Grande-Bretagne. Cependant, des problèmes de santé interrompirent sa carrière politique. Il mourut à la fin de 1841, après une maladie de plusieurs mois. Howe, dans sa notice nécrologique, observa d’assez mauvaise grâce qu’il « avait nombre de qualités qu’on ne lui reconnaissait pas toujours ».

La vie publique de Thomas Forrester est instructive surtout en ceci qu’elle met en relief la tension créée à Halifax par l’« éveil intellectuel » de la Nouvelle-Écosse. La circulation de nouvelles richesses et de nouvelles idées dans cette société coloniale en pleine maturation donna naissance à des revendications que Forrester en vint à incarner. L’élément le plus significatif de sa lutte contre l’oligarchie fut sa requête pour l’érection de Halifax en municipalité. En 1841, l’hésitation des modérés semblait avoir eu raison de son rêve mais, moins d’une décennie après sa mort, aucun obstacle ne s’opposait plus à la création d’une démocratie municipale administrée par la bourgeoisie. Des mains des grands marchands, le pouvoir passait à celles des petits commerçants.

David A. Sutherland

Halifax County Court of Probate (Halifax), Estate papers, nos 1138–1139 (mfm aux PANS).— PANS, RG 1, 312, nos 63, 86 ; RG 32, 142, 25 févr. 1813 ; RG 35A, 1–3.— PRO, CO 217/151 : 110 ; 217/152 : 83 et suivantes ; 217/153 : 227.— N.-É., House of Assembly, Journal and proc., 1838, app. 75.— Acadian Recorder, 29 janv. 1825, 18 sept. 1830, 5 nov. 1836, 24 juill. 1837, 27 mars, 12 juin 1841.— Halifax Journal, 20 févr. 1837.— Novascotian, 7, 28 juin 1832, 23 janv., 29 déc. 1834, 11 juin, 10–26 nov. 1835, 8 déc. 1836, 20 avril 1837, 8 mars 1838, 17 oct. 1839, 9 avril, 12 nov. 1840, 18 févr., 11 mars, 29 avril, 18 nov. 1841.— Times (Halifax), 16 févr. 1841, 26 juill. 1842.— Weekly Chronicle (Halifax), 21–28 janv. 1825.— Belcher’s farmer’s almanack, 1841.— Directory of N.S. MLAs.— History of the Bank of Nova Scotia, 1832–1900 ; together with copies of annual statements ([Toronto, 1900]).

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David A. Sutherland, « FORRESTER, THOMAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 9 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/forrester_thomas_7F.html.

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Auteur de l'article:    David A. Sutherland
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
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