HAMILTON, GEORGE, homme d’affaires, officier de milice, juge de paix, juge et fonctionnaire, né le 13 avril 1781 à Hamwood (république d’Irlande), troisième fils de Charles Hamilton, homme d’affaires, et d’Elizabeth Chetwood ; décédé le 7 janvier 1839 à Hawkesbury, Haut-Canada, et inhumé près de St Andrews (Saint-André-Est, Québec).
La famille de George Hamilton venait des Lowlands d’Écosse mais avait acquis des terres en Irlande. Au début du xixe siècle, elle faisait le commerce du bois de la Baltique, des vins de Madère et sans doute d’autres produits, et menait ses affaires surtout à partir de Liverpool. Probablement en 1804, mais sûrement avant juin 1806, George débarqua à Québec afin d’ouvrir une filiale de l’entreprise familiale. En 1808, il vendait des vins de Madère reçus via Liverpool et, en mai 1809, il était associé à son frère William. Au moins jusqu’en 1811, la George and William Hamilton, maison d’« encanteurs et de courtiers », vendit de tout, des clous aux parasols de soie, dans ses locaux de la haute ville.
Après 1807, le blocus continental de Napoléon Ier empêcha quelque temps les Hamilton de Liverpool de s’approvisionner en bois de la Baltique. Attirés par les contrats lucratifs que l’Amirauté britannique passait pour équiper ses navires, ils suivirent la voie qu’avait tracée Henry Usborne au début des années 1800 et transférèrent au moins une partie de leur commerce de bois au Canada où, pour l’année 1809 seulement, l’Amirauté fit produire du matériel de guerre évalué à £2 500 000. Le 31 août 1809, George et William Hamilton signèrent avec le seigneur de Lauzon, Henry Caldwell*, un bail qui leur assurait pour 21 ans un lot et une plage à l’embouchure de la rivière Chaudière, dans le Bas-Canada. Sans tarder, leur entreprise annonça qu’elle était prête à recevoir des trains de bois et des douves à cet endroit, baptisé « anse de New-Liverpool ». Non seulement les Hamilton exportaient-ils du bois, en partie dans des navires qu’ils avaient eux-mêmes construits à New-Liverpool, mais ils en vendaient à Québec, où la construction navale était en plein essor. En mars et avril 1810, leur entreprise devint la représentante, sur le Saint-Laurent, des assureurs maritimes de Londres, Liverpool, Dundee et Aberdeen ; à ce titre, elle était habilitée à prendre en charge les navires naufragés ou en détresse qu’aucun agent d’assurances autorisé dans le Bas-Canada ne représentait.
En 1809, les Hamilton avaient conclu un marché d’approvisionnement en bois avec deux entrepreneurs forestiers de l’Outaouais, Thomas Mears et David Pattee*, à qui ils versaient des avances sur leurs livraisons afin de financer leurs activités. Cependant, comme Mears et Pattee ne parvenaient plus à honorer leurs engagements, les Hamilton saisirent dès octobre 1811 leur seul bien corporel, une scierie située à Hawkesbury. William alla donc s’installer dans ce village pour s’occuper de la scierie et de l’exploitation forestière, qui se faisait en bonne partie le long de la rivière Rideau. Peu après son arrivée, un incendie rasa les installations et les stocks de bois mais, désireux de profiter de la nouvelle politique tarifaire de la Grande-Bretagne, qui venait de doubler les droits sur le bois de la Baltique, les Hamilton reconstruisirent en plus grand, même si le commerce d’exportation était perturbé en raison de la guerre de 1812. Demeuré à Québec, George veillait à négocier les ventes de bois et à obtenir clés contrats de l’Amirauté ; au cours de l’été de 1813, il écoula sur le marché de Québec plus de 300 000 pieds cubes de bois d’œuvre, de douves et de madriers. De mai à décembre 1815, les Hamilton firent affaire avec un troisième associé, George Davies, sous le nom de « Hamilton’s and Davies ». En mars 1816, ils mirent l’anse de New-Liverpool en vente ou en location pour le 1er mai ; l’établissement regroupait alors une maison, un quai, des cales de construction, un atelier, une forge, une « chaufferie à vapeur », un entrepôt et des logements pour les ouvriers. Toutefois, ils conservèrent leur entreprise, la George and William Hamilton, jusqu’à la fin de 1816, après quoi William se retira et celle-ci fut dissoute.
Auréolé du prestige de la compagnie de Liverpool, George avait été accueilli d’emblée parmi l’élite de Québec. Au début de 1807, il faisait déjà partie du très sélect Club des barons, qui réunissait Caldwell, Herman Witsius Ryland, George Heriot, Thomas Dunn* et 16 autres grands marchands et fonctionnaires d’allégeance conservatrice. De 1807 à 1815, il fut successivement trésorier et maître de cérémonie aux Courses de Québec, qui organisaient des compétitions tant dans le but d’améliorer la qualité des chevaux de la colonie que d’offrir un divertissement ; Hamilton lui-même élevait ou importait des chevaux pour la vente. Pendant la guerre de 1812, on le retrouve lieutenant dans le 3e bataillon de milice de la ville de Québec, puis aide-major et major du 2e bataillon de Lotbinière, sous le commandement de Caldwell. En 1814, il devint juge de paix à Québec. Le 18 mars 1816, à l’âge de 34 ans, il épousa devant l’évêque anglican de Québec, Jacob Mountain*, Susannah Christiana Craigie, alors âgée de 17 ans, fille de feu le conseiller exécutif John Craigie*. Le couple allait avoir au moins sept enfants, peut-être même dix.
Les nouveaux mariés quittèrent bientôt la brillante société québécoise pour les sombres forêts de la vallée de l’Outaouais. Quand William prit sa retraite, George s’associa à ses frères Robert et John. Robert s’occupait de la mise en marché à Liverpool et John s’installa à New-Liverpool ; quant à George, il alla mettre à profit son expérience à Hawkesbury. La scierie occupait un endroit idéal : située à la naissance des rapides du Long-Sault, elle était proche des forêts de la rivière des Outaouais et de ses affluents. Comme les rapides produisaient de l’énergie en abondance et faisaient obstacle à la descente des trains de bois vers Québec, les entrepreneurs forestiers qui ne voulaient pas défaire leurs trains et devoir les reconstituer les vendaient à Hamilton. Enfin, la vallée de l’Outaouais s’ouvrait au peuplement, et les colons étaient heureux d’échanger des grumes abattues sur leurs terres contre des marchandises du magasin que Hamilton avait eu la perspicacité d’ouvrir. Comme il appartenait à une compagnie intégrée, il pouvait, contrairement aux autres entrepreneurs forestiers de la région, se passer d’intermédiaires à Québec et en Angleterre, d’où des économies de temps et d’argent. L’exploitation de Hawkesbury s’agrandit : en 1818, elle comptait 80 employés, un nombre élevé pour l’époque ; en 1822, elle disposait, disait-on, de 40 scies.
Pour parvenir à de tels résultats, Hamilton dut s’adapter aux conditions qui régissaient le commerce du bois dans la vallée, c’est-à-dire recourir à la force et faire des pressions politiques, probablement par le truchement de ses relations à Québec. De 1816 à 1823, il put s’implanter et asseoir les bases de sa puissance dans la région. En mars 1816, on le nomma juge de paix et juge du nouveau tribunal du district d’Ottawa, dans le Haut-Canada ; en août 1818, avec George Garden* et Joseph Papineau, il devenait commissaire chargé d’améliorer la navigation entre le Bas et le Haut-Canada par le fleuve Saint-Laurent et la rivière des Outaouais ; en avril 1822, tout comme Joel Stone*, il était chargé à titre de commissaire d’appliquer la loi des non-naturalisés dans le district d’Ottawa ; en juin, il recevait une commission de dedimus potestatem et devenait lieutenant-colonel de la Prescott Reserve Militia du Haut-Canada ; enfin, en janvier 1823, il était l’un des trois commissaires d’écoles du district d’Ottawa.
D’entrée de jeu, Hamilton avait tenté d’user de sa position pour promouvoir l’ordre social et la prospérité dans la vallée, notamment par la création de grandes entreprises forestières stables, dont la sienne. Son modèle d’autorité locale était le squire anglais, mais il découvrit qu’à Hawkesbury l’entourait une communauté d’Américains qui non seulement se révélaient de rudes concurrents en affaires, mais étaient selon lui la source des idées démocratiques, donc séditieuses, qui se répandaient dans la région. Mears et Pattee, qu’il n’avait mis en échec que temporairement, figuraient parmi les leaders de cette communauté. Mears, solide rival de Hamilton dans le commerce du bois, était le shérif du district ; quant à Pattee, il était juge de paix et juge de la Cour de surrogate. Rendu vulnérable par les dépenses engagées pour reconstruire la scierie après l’incendie de 1812, d’origine suspecte, Hamilton se laissa aller à la violence pour soutenir la lutte contre Mears.
Le conflit qui opposait les factions de Hamilton et de Mears s’intensifia à compter de 1819, car le gouvernement du Bas-Canada, privé d’une part de ses revenus à cause d’une longue querelle avec la chambre d’Assemblée [V. George Ramsay], fit valoir avec plus de rigueur les droits forestiers de la couronne. À ses débuts, l’industrie outaouaise du bois avait largement bénéficié de l’accès aux terres de la couronne, dont le bois devait servir exclusivement à remplir les commandes qu’avait passées l’Amirauté pour ses navires. Une fois la guerre finie, on avait plutôt orienter le commerce du bois vers la satisfaction des besoins des colonies et de la Grande-Bretagne. Cependant, comme l’Outaouais était assez éloigné pour échapper à la surveillance des fonctionnaires, on n’y respectait guère l’exclusivité de l’Amirauté sur le bois des terres de la couronne. Certains stocks, constitués au mépris de cette exclusivité, avaient été saisis, mais le commerce du bois avait pris une telle importance dans l’économie coloniale que l’application des droits de la couronne ne s’était faite que de façon mitigée. Toutefois, à compter de 1819, la saisie des trains de bois devint plus fréquente ; ces derniers étaient ensuite revendus, d’ordinaire à leur propriétaire initial, et le produit de la vente inclus dans les revenus de la couronne. Pour soutenir la concurrence, Hamilton avait coupé illégalement du bois sur les terres de la couronne, et il craignait une dénonciation de Mears.
À la faveur des élections haut-canadiennes de 1820, les factions de Hamilton et de Mears se livrèrent une lutte sauvage dans la circonscription de Prescott and Russell. Finalement, la chambre d’Assemblée déclara Pattee élu aux dépens de William Hamilton, revenu d’Angleterre apparemment pour défendre les intérêts de l’entreprise familiale sur la scène politique. George Hamilton avait bien tenté de noircir la réputation de Pattee en ressortant une vieille accusation de contrefaçon, mais il avait échoué et essuyé une cuisante rebuffade de la part du Conseil exécutif du Haut-Canada, qui avait rejeté l’accusation. En outre, à compter de 1819, il avait dû renoncer en partie à la coupe illégale du bois sur les terres de la couronne pour éviter d’être traduit devant son propre tribunal.
Hamilton n’était d’ailleurs pas au bout de ses peines. En 1821, la crise du marché britannique du bois secoua durement la santé financière de l’entreprise familiale, déjà précaire. C’est la Robert Hamilton, Brothers and Company qui finançait ses activités, et c’est Robert qui assurait la liaison avec les banquiers de Liverpool. Mais ce dernier contracta de lourdes dettes envers la Gillespie, Moffatt and Company de Montréal [V. George Moffatt*], à laquelle il dut consentir un privilège sur les installations de Hawkesbury. De plus, comme il mourut l’année suivante, ses frères eurent probablement encore plus de mal à financer leurs dettes et leurs activités. En mars 1823, ils mettaient en vente, pour le 1er novembre, l’établissement de New-Liverpool (trois maisons, plus de 450 acres de terre, 11 acres de plage, des quais et d’autres constructions) ainsi que celui de Hawkesbury (200 acres de terre, deux scieries et un moulin à farine, trois granges, une forge, une boulangerie, des magasins et des maisons pour les ouvriers). En mai, ils durent céder l’actif de la compagnie à ses créanciers, que représentaient les marchands Henry McKenzie* et George Auldjo, de Montréal, et Mathew Bell, de Québec. Une réorganisation, qui visait probablement à obtenir du financement, avait amené à Québec un nouvel associé, Abraham Gibson (la compagnie avait alors pris le nom de Hamilton and Gibson), et apparemment entraîné le départ de John pour Liverpool ; cette entente prit fin en juillet, mais un prêt obtenu in extremis en Grande-Bretagne permit d’éviter la vente de l’entreprise. Le malheur semblait cependant s’attacher aux pas de George Hamilton : en un court espace de temps en 1822–1823, rapporte le révérend Joseph Abbott*, son frère John mourut, un incendie rasa sa maison de Hawkesbury avec tout son contenu et, tandis qu’il descendait l’Outaouais avec sa famille pour se rendre à Montréal, leur canot chavira dans les rapides, qui engloutirent ses trois jeunes enfants.
Homme plein de volonté et de ressort, Hamilton s’attela à la reconstruction de son entreprise. Malgré les complications juridiques qu’engendrait la succession de John et qui gênèrent sa tâche, il put quand même, grâce à la relance du marché du bois, songer à l’expansion : dès 1825, le nombre de ses employés, de 50 ou 60 qu’il était en 1822, passa à 200. Le règlement de la succession de John lui permit de se réorganiser sur une base solide, et, en 1830, il prit comme associé Charles Adamson Low, employé digne de confiance et habitué des luttes contre la faction de Mears. Ensemble, ils créèrent une entreprise évaluée à £66 000 qui, dès 1835, mettait chaque année sur le marché, à partir de trois endroits, quelque 11 500 000 pied-planches de pin. La Hamilton and Low était devenue l’une des trois grandes productrices de madriers au Canada ; ses scieries rivalisaient avec celles des rivières Montmorency et Etchemin, près de Québec [V. Henry Caldwell ; Peter Patterson*], et produisaient près de la moitié des madriers exportés à partir de la vallée de l’Outaouais.
Hamilton, qui avait retrouvé une certaine marge de manœuvre après 1823, se mit à réévaluer l’organisation du commerce du bois et les conditions dans lesquelles il se faisait. Tout en maintenant sa stratégie, qui consistait à promouvoir l’ordre social et les intérêts des grandes compagnies, il modifia sa tactique. Il évitait maintenant la violence : elle déstabilisait le commerce, déjà précaire en raison des constantes fluctuations du marché, et menait ultimement à la faillite des entrepreneurs forestiers respectables. Voilà pourquoi il fut choqué de voir ses collègues entrepreneurs participer aux émeutes des Shiners dans les années 1830 [V. Peter Aylen*] ; méprisant à l’égard de ses compatriotes catholiques, comme tout bon Irlandais d’origine écossaise, il n’avait en effet aucune autre raison de déplorer le conflit ethnique et économique qui opposait ouvriers irlando-catholiques et canadiens.
Hamilton comptait de plus en plus sur son influence au gouvernement pour arriver à ses fins, même si apparemment il préféra ne siéger ni au Parlement du Haut-Canada ni à celui du Bas-Canada. Sa principale préoccupation fut d’obtenir la régularisation de l’abattage sur les terres de la couronne. Il s’était naguère senti contraint d’en faire illégalement, mais n’avait jamais accepté la situation. Que la base même de l’industrie soit une activité contraire à la loi lui apparaissait une source de désordre. Une telle situation amenait les petits entrepreneurs à agir selon leur bon plaisir, ce qui contribuait à une dangereuse surproduction et favorisait la violence entre les producteurs, impatients de s’approprier le meilleur bois. Même s’il n’était guère partisan de la préservation des forêts, Hamilton comprenait, contrairement à la plupart de ses contemporains, que celle de l’Outaouais n’était pas inépuisable et qu’il fallait l’exploiter rationnellement. Enfin, l’application des droits forestiers de la couronne, tout en étant plus sévère depuis 1819, demeurait aléatoire, ce qui engendrait une incertitude néfaste pour le commerce du bois en général. De concert avec d’autres grands exploitants, Hamilton pressa donc les gouvernements du Haut et du Bas-Canada de prendre des mesures favorables à l’industrie du bois. Il fallait ou bien céder les forêts de la couronne à des intérêts privés, ou bien délivrer des permis de coupe. L’ensemble des entrepreneurs forestiers penchaient en faveur de la seconde solution, car elle éviterait aux exploitants, petits ou grands, d’avoir à immobiliser du capital pour acheter des terres. Hamilton, quant à lui, entrevoyait qu’elle permettrait aux grosses compagnies d’obtenir des droits sur de grandes surfaces, ou concessions, qui serviraient ensuite de garanties à des emprunts contractés auprès des financiers de Montréal, de Québec ou de Grande-Bretagne. De plus, en regroupant plusieurs concessions, les compagnies intégrées comme la sienne pourraient accroître leur productivité.
Les gouvernements du Haut et du Bas-Canada, alléchés par les revenus stables que leur rapporteraient les permis, réagirent favorablement. En 1826, des règlements vinrent autoriser l’abattage sur les terres de la couronne ; les redevances attachées aux permis devaient être déterminées par vente aux enchères [V. Charles Shirreff]. On nomma des inspecteurs généraux des forêts : dans le Bas-Canada, en 1826, John Davidson, ancien représentant commercial de Hamilton, et dans le Haut-Canada, en 1827, Peter Robinson. En 1828, Hamilton lui-même devint percepteur des redevances sur la rivière Rouge, dans le Bas-Canada, où il obtint des permis sur une bonne partie des terres à bois. Toutefois, le nouveau régime, comme les modifications qu’il connut par la suite, visait davantage à assurer des revenus aux gouvernements coloniaux qu’à rationaliser la coupe sur les terres de la couronne. Aussi Hamilton en devint-il l’un des principaux critiques : des hommes dépourvus de moyens, faisait-il valoir, pouvaient se lancer dans le commerce du bois, ce qui détruisait le marché, nuisait à la qualité du produit et déstabilisait les revenus des vrais entrepreneurs forestiers. Il proposa alors des règlements de son cru : en exigeant par exemple un acompte sur les redevances, on découragerait la spéculation sur les privilèges de coupe et placerait le commerce du bois entre les « mains de capitalistes ». Fort de l’appui de Charles Shirreff, agent des forêts de la couronne à Bytown (Ottawa), il convainquit vers 1832 lord Aylmer [Whitworth-Aylmer], gouverneur du Bas-Canada, d’adopter son système. Le Haut-Canada l’appliqua aussi, sous une forme légèrement différente.
Après une victoire politique à Québec pour les grandes compagnies, Hamilton mena, à leur tête, une lutte contre les petits entrepreneurs afin d’avoir la haute main sur les concessions elles-mêmes. L’enjeu le plus important de cette bataille fut la vallée de la Gatineau. Principal affluent de l’Outaouais au-dessous des chutes des Chaudières, la rivière Gatineau était devenue à la fin des années 1820 le centre de l’industrie outaouaise du bois. Vers 1830, de grands concessionnaires, dont Peter Aylen, la Philemon Wright and Sons et la Hamilton and Low, s’associèrent en vue de s’assurer l’hégémonie sur la Gatineau en obtenant des privilèges de coupe et l’amélioration du transport sur la rivière. Le groupe gagna sur ces deux points et, avant la fin de 1832, dépensa £2 000 en travaux. Pendant l’hiver de 1831–1832, les associés découvrirent qu’avec la complicité de Shirreff, plusieurs petits entrepreneurs non membres de l’association, dont Nicholas Sparks*, coupaient du bois le long de la rivière sans détenir de permis. Puisque des plaintes à la couronne et au bureau du commissaire des Terres de la couronne du Bas-Canada n’avaient produit aucun résultat, Hamilton fit appel à d’autres fonctionnaires du Bas-Canada avec lesquels il avait cultivé d’excellentes relations. Aidé de John Davidson, qui était devenu l’adjoint du commissaire des Terres de la couronne du Bas-Canada, il rédigea à l’intention d’Aylmer une requête qui demandait qu’on réserve aux associés les concessions de la Gatineau, à des conditions justes et raisonnables. Ce lobbying privé fut, lui, fructueux : en novembre 1832, un arrêté en conseil concédait à l’association ce qui allait s’appeler le monopole de la Gatineau. Les compagnies associées, à l’exception de la Hamilton and Low, auraient pendant deux ans le droit exclusif de prendre un maximum de 2 000 pièces de pin rouge par année et la Hamilton and Low, d’abattre un maximum de 12 000 billots de sciage. Quant à la nomination de Hamilton au poste de surintendant de la rivière, on l’annula après que Shirreff eut bruyamment fait valoir qu’elle empiétait sur ses droits.
L’octroi du monopole de la Gatineau souleva immédiatement un tollé à Bytown comme dans la basse vallée de l’Outaouais et, tandis que la rumeur annonçait des violences imminentes sur la Gatineau, on constitua une commission d’enquête. Elle sanctionna le monopole en reprenant, de la requête de Hamilton à Aylmer, les arguments en faveur des grandes compagnies et en invoquant comme justification les investissements qu’avaient faits les associés au titre des travaux. Malgré des querelles entre les associés, querelles qui tournèrent à la violence en 1841, on renouvela le monopole fréquemment jusqu’en 1843, et la Hamilton and Low parvint même à obtenir pour elle seule un monopole semblable sur la rivière Rouge.
Protégée contre la concurrence de nombreux petits entrepreneurs par ses droits sur la Gatineau et la Rouge et propriétaire de terres à bois dans les cantons haut-canadiens de Plantagenet, de Clarence et de Cumberland, la Hamilton and Low put rapidement accroître sa production de madriers et de bois d’œuvre ; dès 1839, elle employait chaque année « plusieurs centaines » d’hommes. Hamilton continuait de promouvoir la grande entreprise, les politiques de développement économique et l’exercice d’une autorité ferme dans la vallée de l’Outaouais. Vivement intéressé par les événements politiques qui survenaient en Amérique du Nord britannique et dans la métropole, il faisait constamment valoir les positions tories et les besoins de l’Empire, à l’instar de ses collègues entrepreneurs forestiers. Les rébellions de 1837–1838 lui offrirent l’occasion de prêter main-forte, avec ses compagnies de milice, à l’autorité britannique. Toutefois, en se rendant à Plantagenet par mauvais temps au début de décembre 1838 pour passer en revue une compagnie de réserve, il prit un grave refroidissement à la suite duquel il succomba en janvier 1839. Il légua son entreprise à ses fils Robert et George qui, associés plus tard à leur frère John*, poursuivirent son œuvre.
Avec Philemon Wright, qui mourut à peine six mois après lui, George Hamilton fut l’un des premiers de ces grands barons du bois qui jouèrent un rôle important dans la vie publique de l’Amérique du Nord britannique au xixe siècle. Homme têtu et dogmatique, tory invétéré qui défendait des principes antidémocratiques et avait des tendances élitistes, il pouvait aller jusqu’à enfreindre la loi pour parvenir à ses fins. Par contre, il avait un raffinement de manières et une générosité d’esprit qui furent bénéfiques dans cette région rude et isolée qu’était la vallée de l’Outaouais dans les premières années du commerce du bois. Fait intéressant, il était doué aussi bien pour les affaires que pour le lobbying. Énergique, déterminé et influent, il travailla à édifier une entreprise solide dans un secteur fondamental de l’économie coloniale et à conférer un minimum de stabilité à un commerce qui, en raison des fluctuations constantes du marché et d’une surproduction récurrente, souffrait d’un mal courant dans les colonies productrices de matières premières, le syndrome de la reprise et de la faillite. Cependant, et c’était peut-être inévitable, il en vint àconfondre le bien de son entreprise et celui de l’industrie du bois en général.
L’auteur tient à remercier S. J. Gillis qui a mis à sa disposition les fruits de ses recherches sur le commerce du bois, sans quoi la rédaction de cette biographie aurait été impossible. [r. p. g.]
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Robert Peter Gillis, « HAMILTON, GEORGE (1781-1839) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 3 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/hamilton_george_1781_1839_7F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/hamilton_george_1781_1839_7F.html |
Auteur de l'article: | Robert Peter Gillis |
Titre de l'article: | HAMILTON, GEORGE (1781-1839) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1988 |
Année de la révision: | 1988 |
Date de consultation: | 3 déc. 2024 |