LUGGER, ROBERT, ministre de l’Église d’Angleterre et éducateur, né le 11 février 1793 à Plymouth Dock (Devonport, Angleterre), fils de Joseph Lugger et d’une prénommée Elizabeth ; décédé le 28 juin 1837 à Plymouth, Angleterre.
Fils de gentleman, Robert Lugger fréquenta une grammar school et se destinait aux professions libérales. Toutefois, appelé à servir dans l’artillerie royale pendant les guerres napoléoniennes, il y demeura après la fin des hostilités et, en 1817, on l’envoya à la Barbade pour participer à des travaux de fortification. Manifestement, tout cela ne l’empêcha pas de se consacrer à la réalisation d’un vieux rêve : devenir instituteur. En 1818, soutenu par la Church Missionary Society, il ouvrit dans l’île ce qu’il appela une « école nationale pour les nègres », où il entreprit de s’attaquer aux effets de l’esclavage en appliquant le système novateur d’Andrew Bell, fondé sur le recours à des moniteurs. L’expérience le convainquit que « l’éducation seule ne suffira[it] jamais » et qu’il fallait « ameublir la terre et semer la bonne graine en même temps ». Par la suite, son travail missionnaire dans le Haut-Canada viserait tout entier à instruire aussi bien qu’à pourvoir aux besoins spirituels.
Libéré de l’armée pour des raisons médicales, Lugger rentra en Angleterre en 1819. Inscrit au St Catharine’s College de Cambridge, il fut ordonné en 1823 et obtint son diplôme l’année suivante. Au collège, il s’était apparemment lié avec l’un des frères de sir Peregrine Maitland*, lieutenant-gouverneur du Haut-Canada, dont on connaissait le vif intérêt qu’il portait au sort des Indiens de sa province. Ce lien tout comme l’influence qu’exerçait à Cambridge le mouvement évangélique furent peut-être bien ce qui modela le missionnariat de Lugger et l’amena plus tard à manifester son désir de coopérer avec des missionnaires d’autres confessions.
L’occasion d’agir se présenta en 1827 : après une entrevue, la New England Company accepta Lugger et décida d’en faire son premier missionnaire résidant parmi les Six-Nations de la vallée de la rivière Grand, dans le Haut-Canada. Cette organisation laïque, formée au xviie siècle pour évangéliser les Indiens de la Nouvelle-Angleterre, avait dû se tourner vers le Nouveau-Brunswick après la Révolution américaine, mais ses difficultés avec les Micmacs et les Malécites « errants » de là-bas l’avaient amenée à lorgner vers la communauté sédentaire d’Iroquois de la rivière Grand. Parmi les Indiens des Six-Nations, c’étaient les Agniers qui montraient les meilleures dispositions. Depuis quelques années, ils réclamaient un missionnaire anglican à demeure et s’étaient plaints maintes fois de ce que la Society for the Propagation of the Gospel in Foreign Parts, principale œuvre missionnaire à s’occuper d’eux, ne veillait pas régulièrement à leurs besoins. Ils avaient dû se contenter des visites de ministres en poste à Niagara (Niagara-on-the-Lake) ou à Ancaster [V. Ralph Leeming*] et d’offices que célébraient des catéchistes, tel Henry Aaron Hill [Kenwendeshon*]. Pour mettre fin à cette situation, le 15 juin 1827, la New England Company choisit Lugger.
Lugger avait appris à connaître les Iroquois par de nombreuses lectures et par des conversations avec l’abolitionniste William Wilberforce, qui l’avait renseigné sur le travail éducatif que John Norton* avait accompli à la rivière Grand. Comme Norton et comme les frères moraves qui couvraient parmi les Loups (Delawares) à New Fairfield (Moraviantown) [V. Christian Frederick Denke], Lugger entendait combiner instruction religieuse courante et formation en arts mécaniques. En outre, il était impatient d’appliquer le système de Bell et avait la certitude de pouvoir « amener l’école des Agniers au plus haut niveau possible afin d’envoyer des instituteurs dans d’autres régions ».
La communauté qui accueillit Lugger en 1827 se composait de quelque 2 200 Iroquois, dont environ 600 Agniers. Depuis des années, des visiteurs d’outre-mer, revenus de la fascination que « le bon sauvage » avait exercée sur la génération précédente, décrivaient cette communauté en termes peu flatteurs. Cependant, pour l’incurable optimiste qu’était Lugger, il y avait des indices encourageants. Ainsi John Brant [Tekarihogen*], fils estimé de Joseph Brant [Thayendanegea*], avait tenté de poursuivre les initiatives culturelles de son père à la rivière Grand et veillé par exemple à l’achèvement de deux écoles près de la chapelle des Agniers. Après son arrivée, Lugger collabora d’ailleurs quelque temps avec John Brant, notamment à la rédaction d’une grammaire agnière.
Chaleureusement reçu par les Agniers, Lugger eut moins de succès parmi les Tsonnontouans, Goyogouins et Loups qui adhéraient aux enseignements de Skanyadariyoh (Handsome Lake), prophète tsonnontouan qui avait déclenché au début du siècle un retour spectaculaire aux pratiques religieuses traditionnelles des Iroquois et raillé les Indiens parce qu’ils adoptaient le mode de vie des Blancs. Par contre, Lugger réussit assez bien parmi les Onontagués, les Onneiouts et les Tuscarorens. Ces derniers demandèrent même d’avoir leur propre missionnaire ; on leur envoya alors le révérend Abram Nelles*, qui vint assister Lugger.
Lugger avait des concurrents plus rudes que les héritiers spirituels de Handsome Lake : les méthodistes, qui cherchaient à se tailler une place dans la vallée. Leurs succès parmi les Iroquois [V. Tehowagherengaraghkwen*] expliquent probablement l’attitude de Lugger, moins disposé à collaborer étroitement avec d’autres missionnaires et plus enclin à favoriser la Haute Église, comme le nota le ministre presbytérien William Proudfoot* à l’occasion d’une visite. En outre, la rivalité des méthodistes et des anglicans causa une brouille entre John Brant et lui en 1831. Brant et ses partisans chez les Agniers d’en Haut se rangèrent du côté des méthodistes, tandis que les Agniers d’en Bas demeurèrent avec Lugger (on nommait ainsi les deux groupes d’après l’emplacement de leurs villages d’origine dans la vallée de la Mohawk). Brant accusa même Lugger d’avoir tenté de miner son autorité en renvoyant un instituteur pour qui il avait de l’estime. Pour couronner le tout, certains chefs critiquaient l’instruction dispensée dans les écoles de la mission parce que, selon eux, elle affaiblissait des traditions comme la chasse et la pêche.
En dépit des controverses, Lugger n’abandonna pas le projet qu’il caressait depuis longtemps et put enfin ouvrir en 1831 ce qui devint l’orgueil de sa mission : une école technique pour les Indiens, connue à compter de 1850 sous le nom de Mohawk Institute. Malgré le scepticisme et l’hostilité des Indiens, il organisa des classes où l’on enseignait le filage et le tissage aux filles et la menuiserie, la confection de vêtements et l’agriculture aux garçons. Puis en 1836, pour assurer aux élèves une formation encore plus complète, Lugger transforma l’école en pensionnat, même si certains fonctionnaires l’avaient prévenu que cette formule était tout à fait étrangère à la mentalité indienne. L’établissement, qui existe toujours, est récemment devenu un important centre culturel pour les Indiens des Bois.
Son fondateur, cependant, n’eut pas la chance de le voir prospérer. À peine quelques mois après l’ouverture du pensionnat, Lugger, malade, rentra en Angleterre et y mourut. La veille de son départ, une délégation d’Agniers et d’Onneiouts lui avaient exprimé leur reconnaissance : « nous vous remercions sincèrement [...] pour toutes les bonnes choses que vous avez faites [...] autant pour notre bien temporel qu’éternel ». Ils le félicitèrent, ainsi que son épouse, d’avoir tant travaillé à protéger les Indiens contre les pires effets du monde des Blancs et de leur avoir apporté non seulement la parole de Dieu mais des médicaments et du réconfort en cas de maladie.
Même si l’on a reproché au missionnariat d’être l’aspect spirituel d’un impérialisme agressif et à peine préoccupé des cultures non européennes, il reste que l’œuvre « barbadienne et canadienne » de Robert Lugger fut utile. Ce missionnaire-instituteur contribua à amortir l’impact d’une civilisation dynamique sur d’autres qui l’étaient beaucoup moins et à diffuser les méthodes d’éducation progressistes qui florissaient alors dans la métropole impériale.
AO, MS 35, documents non reliés, extrait d’une lettre de T. G. Anderson à M. Partlock, 6 nov. 1826 ; John Strachan, brouillon de lettre à la Church Missionary Soc., 27 févr. 1827.— BL, Add. mss 21882 : 106.— Devon Record Office, West Devon Area (Plymouth, Angl.), 166/8 (Stoke Damerel), reg. of baptisms, 19 juill. 1794.— Guildhall Library (Londres), mss 7913/2 : 166, 171, 175 ; 7920/2 : 75–76, 82, 244–245, 262, 265–267, 273–274 ; 7920/3 : 69, 95 ; 7923 : 148–150, 159 ; 7956, 24 févr. 1806, 17 janv. 1815 (New England Company papers).— RHL, USPG Arch., journal of SPG, 39 : 235, 239.— Six Nations Indian Office Arch. (Brantford, Ontario), Chisholm file, accounts and letters ; Council letter-book, 1832–1837 ; Six Nations vs. New England Company ; Statistical report, 1827.— G.-B., Parl., House of Commons paper, 1836, 7, no 538 : 1–853, Report from the select committee on aborigines (British settlements) [...], 49, 635.— John Howison, Sketches of Upper Canada, domestic, local, and characteristic [...] (Édimbourg et Londres, 1821 ; réimpr., Toronto, 1970).— John Norton, The journal of Major John Norton, 1816, C. F. Klinck et J. J. Talman, édit. (Toronto, 1970).— Valley of Six Nations (Johnston).— John West, A journal of a mission to the Indians of the British provinces, of New Brunswick, and Nova Scotia, and the Mohawks, on the Ouse, or Grand River, Upper Canada (Londres, 1827).— Alumni Cantabrigienses [...], John et J. A. Venn, compil. (2 part. en 10 vol., Cambridge, Angl., 1922–1954).— S. D. Clark, Church and sect in Canada (Toronto, 1948).— Elizabeth Graham, Medicine man to missionary : missionaries as agents of change among the Indians of southern Ontario, 1784–1867 (Toronto, 1975).— C. M. Johnston, « To the Mohawk Station : the making of a New England Company missionary – the Rev. Robert Lugger », Extending the rafters : interdisciplinary approaches to Iroquoian studies, M. K. Foster et al., édit. (Albany, N.Y., 1984), 65–80.— J. W. Lydekker, The faithful Mohawks (Cambridge, Angl., 1938).— Robert Potts, Liber Cantabrigiensis [...] (Cambridge et Londres, 1855).— Annemarie Shimony, Conservatism among the Iroquois at the Six Nations Reserve (New Haven, Conn., 1961).— Isabel Thompson Kelsay, Joseph Brant, 1743–1807 : man of two worlds (Syracuse, N.Y., 1984).— J. D. Wilson, « No blanket to be worn in school » : the education of Indians in early nineteenth century Ontario », HS, 7 (1974) : 293–305.
Charles M. Johnston, « LUGGER, ROBERT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 3 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/lugger_robert_7F.html.
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Auteur de l'article: | Charles M. Johnston |
Titre de l'article: | LUGGER, ROBERT |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1988 |
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Date de consultation: | 3 déc. 2024 |