DONLEVY, CHARLES, éditeur de journal et fonctionnaire, né en 1812 ou 1813 à Ballymote (république d’Irlande), probablement le fils du docteur Patrick Donlevy ; le 26 octobre 1846, il épousa à Brockville, Haut-Canada, Mary Walsh, et ils eurent au moins un fils ; décédé le 22 juillet 1858 à Toronto.

On ne sait pas où vécut Charles Donlevy entre le moment où il immigra en Amérique du Nord britannique, en 1831, et celui où il s’installa à Toronto, au milieu des années 1830. Après avoir été apprenti chez John et Michael Reynolds, imprimeurs et éditeurs de journaux, il devint rapidement un membre important de la communauté catholique irlandaise de Toronto. En plus de publier le Toronto Mirror, qui, durant la période précédant la Confédération, fut l’un des porte-parole les plus importants des réformistes catholiques irlandais du Haut-Canada, Donlevy joua un rôle de premier plan dans la St Patrick’s Benevolent Society, la Total Abstinence Society, le Catholic Institute et la Catholic Colonization Society. Cette dernière organisation s’occupait des Irlandais établis dans les villes de la province, qui, dans l’ensemble, souffraient de « la misère et de la détresse de la vie urbaine » dans ce « pays stable ». Durant le mandat du gouverneur sir Charles Theophilus Metcalfe*, Donlevy faisait partie du conseil d’administration de la Reform Association of Canada, organisation qui se retrouvait à travers tout le Haut-Canada et qui défendait le principe du gouvernement responsable. En 1843, il contribua par son action à la création de la Loyal Irish Repeal Association of Toronto, qui, comme son nom l’indique, réclamait la dissolution de l’union de 1800 entre la Grande-Bretagne et l’Irlande ; à la fin des années 1840, il siégea au conseil d’administration d’une organisation mise sur pied pour venir en aide à ceux qui souffraient de la famine en Irlande ; et, en 1853, il fut élu membre du conseil d’administration d’une école séparée du quartier St James et exerça la fonction de président du conseil scolaire des écoles séparées de Toronto.

Le trait le plus marquant, sur le plan historique, de la vie de Donlevy fut sans aucun doute sa longue association au Mirror. Fondé par Donlevy et Patrick McTavey en 1837, le Mirror, qui paraissait une fois par semaine, fut le seul journal réformiste à survivre à la rébellion sans avoir à fermer ses portes au moins temporairement. Quelques années plus tard, en 1843, McTavey lança son propre journal, le Constitution, et Donlevy devint l’unique éditeur du Mirror. Malgré un incendie qui détruisit ses locaux en 1849, le Mirror prospéra sous la direction de Donlevy ; il atteignit un nombre considérable de lecteurs non seulement à Toronto mais dans tous les coins du Haut-Canada. Cependant, il est évident qu’au moment où Donlevy mourut, en juillet 1858, le Mirror éprouvait des difficultés financières, car, le mois suivant, à titre d’exécutrice testamentaire, la veuve de Donlevy annonça dans le journal que « les recettes des derniers temps [avaient] été bien inférieures aux dépenses réelles et qu’à moins que les débiteurs ne paient rapidement leur dû la valeur financière du journal [allait] sensiblement diminuer ». Le Mirror survécut à cette crise et continua à paraître sous la direction de Patrick A. O’Neill jusque vers 1866. Pour ce qui est de Donlevy lui-même, il y a lieu de croire que son revenu personnel, dans les années 1850, subit une baisse importante par suite des difficultés financières de son journal. Quand il mourut, il laissa des dettes et, au cours d’une grand-messe spéciale, le célébrant fit remarquer que les contributions pécuniaires de Donlevy à des causes religieuses étaient d’autant plus méritoires que ses « ressources [étaient] limitées dans les derniers temps ».

Il est difficile de dire si oui ou non Donlevy rédigeait les éditoriaux du Mirror ; en 1838, A. K. Mackenzie, écrivant à William Lyon Mackenzie*, décrivit un certain McSweeney comme « l’ancien rédacteur en chef du Mirror », et, pendant une courte période en 1843, C. P. O’Dwyer était mentionné dans le Mirror comme le rédacteur en chef du journal. Il reste que Donlevy était l’éditeur du Mirror, et il s’assura sans aucun doute que les pages du journal reflétaient fidèlement ses idées. Ainsi, par exemple, l’intérêt de Donlevy pour la situation de l’Irlande soumise à l’autorité britannique fut une préoccupation importante du Mirror dès ses débuts. Dans d’innombrables éditoriaux, tous empreints d’un fervent esprit de patriotisme irlandais, le Mirror dénonça l’oppression du peuple irlandais par la Grande-Bretagne et insista sur la nécessité de dissoudre immédiatement l’union de 1800, symbole tangible des « chaînes insupportables du despotisme de l’arrogante Angleterre ». La plupart de ces éditoriaux rejetaient catégoriquement l’idée d’une résistance armée à l’oppression britannique et pressaient plutôt les Irlandais d’appuyer sans réserve l’agitation pacifique et constitutionnelle du « libérateur » de l’Irlande, Daniel O’Connell. Toutefois, le Mirror adopta une position plus agressive après que la famine se fut déclarée en Irlande. En octobre 1846, il décrivit les propriétaires absentéistes de l’Irlande comme étant « impitoyables, brutaux, incorrigibles », et exprima le vœu que ces « tyrans » soient réduits au « néant » par les « foules affamées ». Quelques années plus tard, en 1851, un autre éditorial du Mirror fit l’éloge de ces rebelles de la Jeune-Irlande qui, en 1848, « poussés au désespoir par les gémissements et les larmes de leurs compatriotes affamés, déployèrent leur drapeau au vent et convièrent une race agonisante à se battre pour sa vie, pour sa liberté, pour son pays ».

Sur le plan des affaires intérieures, on ne peut comprendre parfaitement la position politique du Mirror que si on la considère en regard de l’expérience des Irlandais catholiques du Haut-Canada. Contrairement à l’Irlande, où la population autochtone était opprimée et exploitée, le Haut-Canada offrait l’entière égalité civile et religieuse aux Irlandais catholiques. Par conséquent, le radicalisme traditionnel de la politique irlandaise qui dégénéra souvent en rébellion ouverte était totalement absent dans le Haut-Canada. Cela ne veut pas dire que tout allait bien pour les Irlandais de la colonie ; la plupart des Irlandais du Haut-Canada, du moins ceux qui étaient installés dans les villes, vivaient dans l’indigence et, durant de nombreuses années, leur penchant pour la violence, l’ivrognerie et les crimes de toutes sortes engendra de graves problèmes sociaux. Néanmoins, il est remarquable que la turbulence des Irlandais ne se soit jamais traduite en une attaque directe contre l’ordre social et politique. De même, il est significatif que les chefs de file de la communauté catholique irlandaise, à l’exception de renégats tels que William John O’Grady*, aient rejeté le radicalisme pour se ranger plutôt du côté du réformisme modéré. Pour eux, défendre la structure fondamentale de la société du Haut-Canada était d’abord une question de bon sens : quelque difficile qu’ait été la vie des Irlandais dans le Haut-Canada, les conditions étaient bien pires en Irlande. En même temps, leur conservatisme foncier reflétait une connaissance intuitive des réalités de la vie dans le Haut-Canada. Ils considéraient que, si les Irlandais catholiques devaient se tailler une place dans leur nouvelle patrie, ils devraient faire très attention de ne pas éveiller de soupçons sur leurs liens politiques.

Dans ce contexte, les opinions politiques du Mirror nous en apprennent beaucoup sur Donlevy lui-même et sur la communauté catholique irlandaise en général. Quand la rébellion éclata en décembre 1837, le Mirror dénonça les « hommes induits en erreur » qui en étaient responsables, rappela aux catholiques leur obligation de manifester « une obéissance respectueuse aux lois du pays » et affirma sans équivoque que la rupture du lien impérial conduirait à la « disparition pour toujours » des deux Canadas. La dernière remarque avait de quoi surprendre pour un journal qui se montrait si vivement hostile à l’autorité britannique en Irlande, mais il reste que, pendant la majeure partie de son existence, le Mirror fit preuve d’un grand respect pour les liens de la colonie avec la Grande-Bretagne. Au cours des années 1840, le Mirror prit position politiquement pour un réformisme modéré, se tenant aux côtés du parti réformiste dirigé par Robert Baldwin et Louis-Hippolyte La Fontaine* dans la lutte pour obtenir le gouvernement responsable. Le Mirror soutenait que le gouvernement responsable, en donnant à la province du Canada pleine autorité sur ses affaires intérieures, renforcerait les liens affectifs qui unissaient la colonie à la mère patrie. Le Mirror se réjouit à l’annonce de l’obtention du gouvernement responsable en 1849, et il choisit de louanger le gouverneur lord Elgin [Bruce*] qui, « par son adhésion inébranlable aux principes constitutionnels, [avait] fait davantage pour renforcer les liens entre cette colonie et la mère patrie que tous ses prédécesseurs ». Après la publication du Manifeste annexionniste à Montréal en 1849, le loyalisme du Mirror montra des signes d’hésitation, mais, même alors, le journal fut remarquable par son ton prudent, modéré. Dans un éditorial du mois d’octobre, le Mirror déclara que c’est avec calme et en utilisant sa raison que l’on devrait s’opposer à l’annexion, et non pas en se laissant emporter dans des attaques virulentes ; en même temps, il ajoutait qu’à son avis une « prolongation sans fin » du lien avec la Grande-Bretagne n’était ni probable ni souhaitable. Le mois suivant, il recula légèrement, affirmant que l’annexion revêtait « un certain caractère de vassalité ».

Au début des années 1850, le journal de Donlevy se consacra à la défense de la forme de réformisme modéré incarnée dans le Haut-Canada par Baldwin et Francis Hincks*. Bien qu’il ait été d’accord lui aussi pour étendre le principe de l’élection, particulièrement en ce qui concernait le Conseil législatif, le Mirror soutenait que l’impatience des clear grits [V. George Brown*] à voir l’avènement de changements radicaux pouvait détruire le parti réformiste. Le Mirror lança souvent des attaques violentes contre l’intolérance raciale et religieuse aussi bien des clear grits que de George Brown, ce dernier étant qualifié par le journal de « fléau de la société et [de] traître à son parti ». De l’avis du Mirror, les demandes pour obtenir la représentation proportionnelle et l’abrogation de l’Union étaient inspirées par une francophobie irrationnelle et risquaient d’entraîner les Canadas dans une guerre civile. Quant à la campagne antipapiste, le Mirror déclara avec colère que cette sorte d’intolérance religieuse constituait un affront intolérable à tous les catholiques, ceux-là mêmes qui avaient toujours formé la base du parti réformiste dans le Haut-Canada. Comme il devint peu à peu évident que les partisans de Brown et les clear grits étaient en train de prendre la direction du mouvement réformiste dans le Haut-Canada, le Mirror alla jusqu’à indiquer que la communauté catholique pourrait être forcée de changer de parti politique. En octobre 1851, le journal se plaignit que les catholiques étaient « insultés jour après jour par la presse du parti pour lequel ils avaient tant fait, [... et que] leur religion et leurs pasteurs religieux [... étaient] injuriés et calomniés », et il ajoutait : « Il vaut mieux, mille fois mieux, appuyer les tories ou les orangistes, ou tout autre groupe politique, que de continuer à se faire donner des coups de pied et à se faire cracher dessus par des vauriens aussi odieux. »

Une autre question, celle des écoles séparées, créa tout autant de problèmes et finit par laisser le Mirror sans aucune direction politique précise. Au début des années 1850, le journal s’unit à Mgr Armand-François-Marie de Charbonnel* et aux autres membres de la hiérarchie catholique pour faire campagne afin d’obtenir un meilleur système d’écoles séparées. D’abord, le Mirror appuya généralement les efforts déployés par le parti réformiste pour régler cette question, mais, au milieu de la décennie, il commença à s’impatienter et incita les catholiques à refuser de voter pour tous les candidats, réformistes ou tories, qui étaient opposés à l’adoption de lois plus généreuses concernant les écoles séparées. À l’arrivée au pouvoir du ministère libéral-conservateur de sir Allan Napier MacNab* et d’Augustin-Norbert Morin*, à la fin de 1854, l’engagement du Mirror dans la question des écoles séparées, autant que son mécontentement vis-à-vis de la croisade antipapiste, le poussa à manifester son appui au nouveau gouvernement. Cette situation ne fut cependant que temporaire. En 1856, un projet de loi sur les écoles séparées, présenté par John George Bowes*, fut mis en veilleuse par le gouvernement de John A. Macdonald* et d’Étienne-Paschal Taché* à la suite de pressions exercées par le surintendant de l’Éducation du Haut-Canada, Egerton Ryerson*. Dénonçant ce geste « déloyal », le Mirror déclara : « il est grand temps que l’alliance politique actuelle, démoralisante [pour nous et] dans laquelle nous nous trouvons trahis et déshonorés, commence à prendre fin ».

Pourtant, si la nécessité d’une nouvelle alliance politique était évidente, il était très difficile de savoir avec qui les Irlandais catholiques devaient s’allier. La forme de réformisme libéral mise de l’avant par Baldwin et Hincks était alors une denrée rare dans le Haut-Canada et, de toute façon, la plupart des réformistes modérés et des conservateurs appuyaient le ministère MacNab-Morin. À l’autre extrémité de l’éventail politique, Brown et les clear grits représentaient certainement une force puissante, mais, à cause de leur ultraprotestantisme, les Irlandais catholiques les avaient en aversion. Le Mirror tenta de sortir de ce dilemme en invitant tous les adversaires du gouvernement à oublier leurs différences et à créer un nouveau parti réformiste. Étant donné que cette union des réformistes ne se réalisa pas, le Mirror mit son orgueil de côté et redonna son appui au ministère Macdonald-Taché. Déclarant son loyalisme envers ce qu’il appela le véritable parti « libéral » du Haut-Canada, le Mirror affirma, en avril 1858, que le gouvernement, alors dirigé par Macdonald et George-Étienne Cartier, n’était pas « absolument le meilleur », mais qu’il était néanmoins « le meilleur que l’on puisse avoir dans les circonstances actuelles ».

Les éditoriaux du Mirror montrent donc clairement qu’à la fin des années 1850 Donlevy n’était à l’aise dans aucun des partis politiques. Ses changements d’orientation politique à partir de l’époque de la rébellion révèlent la confusion d’un Irlandais catholique face aux conditions changeantes des années 1850. Ils reflètent aussi des tendances plus générales dans la communauté catholique irlandaise. Même si ce serait aller trop loin que d’identifier les opinions de Donlevy à celles de tous les Irlandais catholiques, il semble bien que l’on puisse dire sans risque de se tromper que les éditoriaux du Mirror exprimaient les principales préoccupations de ses lecteurs. Dans ce contexte, les hésitations du journal à appuyer un parti plutôt qu’un autre pourraient bien indiquer que la communauté catholique irlandaise, à cause de ‘l’intolérance religieuse effrénée et des difficultés soulevées par la question des écoles séparées, n’était plus du tout certaine de son loyalisme politique ni de sa place dans la société du Haut-Canada.

Charles Donlevy mourut subitement en 1858 ; il n’était âgé que de 45 ans environ. Un compte rendu publié dans le Leader mentionnait que Donlevy, qui avait « été, depuis quelque temps, sujet à des attaques », était en train de dîner avec sa femme le 22 juillet lorsqu’il « tomba à la renverse sur son siège et expira immédiatement ». Ses obsèques eurent lieu le 31 juillet à la cathédrale St Michael, et il fut inhumé le 2 août dans la crypte. Le fait que son nom apparaisse sur une plaque, dans la cathédrale, qui rend honneur aux principaux « bienfaiteurs » de cette église, est un indice de la place importante qu’il occupait dans la communauté catholique irlandaise de Toronto.

Curtis Fahey

AAT, St Paul’s Church (Toronto), reg. of baptisms, 27 juill. 1849.— AO, MS 516, 11 mai 1838 ; RG 21, York County, Toronto assessment rolls, 1834–1840, St David’s Ward, Richmond St., south side ; RG 22, sér. 155, administration des biens de Charles Donlevy.— Herald (Toronto), 16 nov. 1846.— Leader, 23 juill. 1858.— Toronto Mirror, 28 oct. 1837–13 août 1858.— True Witness and Catholic Chronicle (Montréal), 30 juill. 1858.— Dict. of Toronto printers (Hulse), 85, 177.— Early Toronto newspapers (Firth), 13.— Middleton, Municipality of Toronto, 1 : 418, 421.— Wallace, Macmillan dict.— J. M. S. Careless, Brown of The Globe (2 vol., Toronto, 1959–1963 ; réimpr., 1972), 1.— J. J. Lepine, « The Irish press in Upper Canada and the reform movement, 1828–1848 » (thèse de m.a., Univ. of Toronto, 1946).— F. A. Walker, Catholic education and politics in Upper Canada : a study of the documentation relative to the origin of Catholic elementary schools in the Ontario school system (Toronto et Vancouver, 1955 ; réimpr., Toronto, 1976).— P. F. Cronin, « Early Catholic journalism in Canada », SCHÉC Rapport, 3 (1935–1936) : 31–42.— F. A. Walker, « The political opinion of Upper Canadian Catholics », SCHÉC Report, 22 (1955) : 75–86.

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Curtis Fahey, « DONLEVY, CHARLES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 12 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/donlevy_charles_8F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1985
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