SUTHERLAND, THOMAS JEFFERSON, volontaire dans l’armée des patriotes et auteur, né vers 1801 à Plymouth, New York ; il épousa une prénommée Laura ; décédé le 7 septembre 1852 à Iowa and Sac Mission (près de Highland, Kansas).
Thomas Jefferson Sutherland, qui avait reçu une formation d’imprimeur, s’enrôla dans les United States Marines le 5 décembre 1821 à Philadelphie. Il avait atteint le grade de sergent lorsqu’il fut licencié le 15 février 1830 ; il retourna alors dans le domaine de la presse. Au cours des deux années suivantes, il imprima ou édita, dans différentes villes de l’ouest de l’état de New York, plusieurs journaux éphémères qui, pour la plupart, soutinrent le mouvement anti-franc-maçon qui balayait alors cette région. On ne sait pas trop ce qu’il fit durant les années qui suivirent mais, en 1832, pendant qu’il s’occupait encore de journalisme, il « faisait son droit » et, selon le New-York Daily Tribune, il fit plus tard son apparition comme « avocat de second ordre » dans le comté d’Erie, état de New York.
À la fin de 1837, après que la nouvelle de la rébellion dans le Bas-Canada fut parvenue à Buffalo, des sympathisants de la cause canadienne organisèrent des assemblées dans le but de recruter des volontaires pour un « service canadien indépendant ». Le 5 décembre, Sutherland prit la parole au cours d’une telle réunion et demanda aux personnes présentes : « Allons-nous refuser notre appui [aux Canadiens] et, comme individus, notre aide ? » Immédiatement après, il partit pour Toronto, probablement avec la lettre qui, selon James Latimer, ouvrier imprimeur au service de William Lyon Mackenzie*, fut lue par Mackenzie, le 6 décembre, aux rebelles rassemblés à la taverne Montgomery. Rédigée par le secrétaire de l’assemblée de Buffalo tenue le 5 décembre, cette lettre disait que 200 hommes venaient leur prêter main-forte. Même si, plus tard, Sutherland nia avoir eu « quelque rapport que ce soit » avec Mackenzie avant que ce dernier ne soit arrivé à Buffalo, il déclara avoir quitté Toronto avec mission de lever un détachement armé pour appuyer la rébellion ; de retour à Buffalo, il entreprit de recruter des volontaires. C’est probablement vers cette époque qu’il commença à prétendre qu’il avait participé aux guerres d’indépendance sud-américaines sous les ordres de Simón Bolívar et qu’il avait dirigé une école militaire.
Ensuite, Sutherland rendit visite à Rensselaer Van Rensselaer, qui était déjà au courant de la défaite des rebelles à la taverne Montgomery. Il lui remit une lettre de recommandation de John W. Taylor, homme politique éminent de New York, et l’informa de ce que lui et d’autres sympathisants de la cause canadienne, à Buffalo, avaient déjà accompli. Sutherland exhorta Van Rensselaer à prendre le commandement de l’armée des patriotes puisque, en tant que fils d’un héros de la guerre de 1812, il pourrait donner à leur entreprise un « caractère respectable ». Le 12 décembre, Sutherland, John Rolph* et Mackenzie, qui était arrivé à Buffalo la veille, se rendirent ensemble auprès de Van Rensselaer, qui accepta de prendre le commandement de la troupe de patriotes une fois qu’elle serait rassemblée en sol canadien. Sutherland déclara que c’était lui et « quelques autres », plutôt que Mackenzie, qui avaient décidé de conduire la troupe de patriotes à l’île Navy, en territoire canadien, où Van Rensselaer pourrait prendre le commandement. Avant que les hommes ne se mettent en marche, le 15 décembre, Sutherland avait irrité ses partisans à Buffalo, en agissant sans aucun respect de la loi, en recrutant n’importe qui et en volant des armes à l’hôtel de ville, et ces derniers furent soulagés d’entendre parler du plan de l’île Navy. Cependant, Sutherland n’accompagna pas Van Rensselaer et Mackenzie à l’île, mais arriva plus tard.
Par la suite, Van Rensselaer envoya Sutherland à Detroit pour venir en aide aux patriotes qui se trouvaient le long de la frontière ouest et pour y organiser une diversion. En cours de route, le jour de l’An 1838, il prit la parole à Cleveland, en Ohio, devant une vaste assemblée venue entendre parler du Canada. On adopta des résolutions de solidarité touchant l’« intérêt de la liberté dans tous les pays », ainsi que des résolutions marquant l’inquiétude des participants face au gouvernement du Haut-Canada, qui se servait de « sauvages assoiffés de sang » contre leurs voisins, « frères innocents [...] de la frontière canadienne ». Le même jour, Sutherland fit une proclamation, qu’il signa à titre de général de brigade de l’armée des patriotes, laquelle offrait à ceux qui se porteraient volontaires 300 acres de terre et 100 $ en pièces d’argent avant le 1er mai. Par suite de cette proclamation, 100 hommes s’enrôlèrent et partirent pour Detroit sous son commandement.
Les officiers de l’armée des patriotes de la région du Nord-Ouest, commandée par le général Henry S. Handy, n’étaient pas disposés à reconnaître l’autorité conférée à Sutherland par Van Rensselaer. Finalement, il fut convenu que Sutherland commanderait une expédition chargée d’occuper l’île Bois Blanc, dans la rivière de Detroit, et de s’emparer du fort Malden à Amherstburg, dans le Haut-Canada. De l’île Bois Blanc, les 9 et 10 janvier, Sutherland publia des proclamations qui demandaient aux citoyens du Haut-Canada de se joindre aux troupes des patriotes et de libérer le pays « de la tyrannie », et qui leur promettaient « tous les bienfaits de la liberté ». Le 9 janvier, le schooner des patriotes commandé par Edward Alexander Theller s’échoua au large d’Amherstburg et fut capturé par des miliciens canadiens ; Sutherland ne tenta pas de lui venir en aide, mais, malgré les supplications de ses hommes, il leur ordonna de se replier en territoire américain. Son geste amena les soldats à voter pour qu’il soit remplacé par Handy au poste de commandant. Theller l’accusa de s’être conduit lâchement à l’île Bois Blanc. Par ailleurs, le colonel patriote E. D. Bradley tint Sutherland et Theller responsables du fiasco.
Le 13 janvier, Sutherland fut arrêté à Detroit pour violation des lois américaines de neutralité, mais il fut déclaré non coupable. Selon l’historien américain Robert B. Ross, lors de sa comparution devant le tribunal, Sutherland apparut comme un homme « de grande taille, pesant environ 220 livres, aux cheveux et au teint foncés [...] un très beau spécimen du genre humain. Il était habillé d’un mackinaw bleu sous lequel il portait une chemise de chasse du Kentucky avec deux épaulettes voyantes. » Même s’il sut utiliser sa grande facilité de parole pour défendre la cause des patriotes, Sutherland n’en demeurait pas moins un personnage vaniteux et indécis qui, comme beaucoup de chefs patriotes, n’inspirait que méfiance et jalousie.
Après avoir publiquement résigné son grade de l’armée des patriotes vers le 5 février 1838, Sutherland quitta Detroit pour l’Ohio, mais il fut capturé le 4 mars, sur la glace, à l’embouchure de la rivière de Detroit, par le lieutenant-colonel John Prince*. On le conduisit à Toronto, où il fut interrogé par le lieutenant-gouverneur, sir Francis Bond Head*, après quoi, convaincu qu’il serait exécuté, il tenta de se suicider en s’ouvrant les veines des bras et des pieds. Il fut jugé pour trahison devant un conseil de guerre présidé par Samuel Peters Jarvis et, en avril, il fut condamné à la transportation à perpétuité dans l’une des colonies australiennes. Il était douteux, cependant, qu’il ait été pris, comme la loi l’exigeait, en territoire canadien et armé, et que son procès ait été mené régulièrement (certains chefs d’accusation ne furent pas prouvés, et la composition du conseil de guerre n’était pas conforme à la loi). On crut à Toronto qu’il avait fait certaines révélations selon lesquelles les plans des rebelles du Haut-Canada avaient reposé totalement sur l’aide américaine. Il y eut effectivement des révélations, mais Sutherland n’en fut pas l’auteur. Son assistant, un des fils du juge en chef Ambrose Spencer, de New York, qui avait été capturé en même temps que lui, communiqua au lieutenant-gouverneur Head les informations en question, à condition d’obtenir son pardon.
Pendant que Sutherland était emprisonné à Québec en attendant d’être déporté, il adressa une requête à lord Durham [Lambton*] pour obtenir sa grâce et celle de neuf autres prisonniers, dont Theller et William Wallin Dodge, en se basant sur le fait qu’ils étaient des citoyens américains qui avaient été induits en erreur. Sa femme fit parvenir à Durham une copie d’une brochure dont il était l’auteur, The trial of General Th. J. Sutherland [...] ; ce texte, qu’il avait réussi à faire publier à Buffalo, démontrait sa connaissance du droit international. En août 1838, le gouvernement impérial ordonna qu’il soit libéré, à cause des irrégularités du procès, à condition qu’il fournisse une caution garantissant qu’il ne remettrait pas les pieds en territoire britannique. Il fut incapable de trouver cette caution. Finalement, en mai 1839, on l’envoya à Cornwall, dans le Haut-Canada, où il fut relâché.
En retournant dans l’état de New York, Sutherland reprit contact avec les patriotes et, à l’automne, il aurait collaboré, à Lewiston et à Detroit, avec des aventuriers tels que Donald M’Leod* et Benjamin Lett. Par la suite, l’activité des patriotes déclina des deux côtés de la frontière, mais, peut-être dans le but de maintenir l’intérêt pour cette cause, Sutherland écrivit un certain nombre de brochures concernant la rébellion. Dans son ouvrage intitulé A canvass of the proceedings on the trial of William Lyon Mackenzie [...], publié en 1840, il minimise l’importance du rôle joué par Mackenzie dans l’île Navy. Loose leaves, from the port folio of a late Patriot prisoner in Canada, paru en 1839–1840, est un récit très peu convaincant, dont une bonne partie est consacrée à sa poésie et à son autoportrait d’avocat habile et de prisonnier plein de dignité, respecté de ses geôliers. Plus tard, Theller affirma au contraire que les plaintes et les gémissements de Sutherland pendant qu’il était en prison, sa « mauvaise conduite et ses tentatives de se quereller avec tout le monde dans la salle, ses mensonges, son orgueil et sa prétention, ainsi que le fait de jouer à l’espion à [leurs] dépens », avaient « amené tous les hommes à le mépriser ». De 1840 à 1845, Sutherland, dans d’autres brochures, dans plusieurs lettres adressées à des rédacteurs en chef de journaux, ainsi qu’au cours d’assemblées publiques dans l’ouest de l’état de New York, plaida avec acharnement en faveur de la libération des patriotes emprisonnés dans la terre de Van Diemen (Tasmanie, Australie) pour leur participation à la rébellion. De plus, en 1841, il lança un journal à Buffalo dans le but de faire connaître cette cause à un plus grand nombre de gens.
En 1846, appuyé de toute évidence par les whigs, Sutherland entra publiquement en conflit avec le colonel Jonathan Drake Stevenson, à New York, au sujet de la formation d’un régiment pour combattre le Mexique dans le territoire de la Californie. On ignore ses allées et venues durant les cinq années qui suivirent. En 1851, il fit son apparition dans les villes situées au bord des cours d’eau du Centre-Ouest américain ; le Putnam’s Monthly Magazine rapporta plus tard que c’était « un personnage à l’air mystérieux, qui voyageait avec un sac en bandoulière et qui suffisait à ses besoins, où qu’il aille, en prononçant des conférences sur la « phrénologie » et en la pratiquant ». Au cours de ces voyages, de même que par le biais d’articles de journaux, il encouragea vivement l’exploration et la colonisation du territoire du Nebraska. Même s’il lui arrivait de critiquer les mormons pour le traitement qu’ils réservaient aux Indiens de cette région, il « estimait que les Indiens n’avaient pas le droit de garder de si belles terres », ainsi que le fit remarquer le Putnam’s, et il préconisa une réforme des lois sur les concessions et les ventes de terres. Admirateur enthousiaste de héros révolutionnaires tels que lord Byron et le nationaliste hongrois Lajos Kossuth, Sutherland proposa aussi d’établir au Nebraska une « école militaire d’agriculture » qui servirait à former des officiers pour « une armée républicaine [qui participerait à] une guerre révolutionnaire en Europe ».
Le 7 septembre 1852, pendant qu’il poussait plus loin vers l’ouest pour s’y établir, Thomas Jefferson Sutherland mourut du typhus à Iowa and Sac Mission. Une petite fille lui survécut, Viola, qu’il avait adoptée au cours d’une tournée de conférences sur les rives du Mississippi. « Dans sa malle, raconta Samuel M. Irvin, ministre presbytérien responsable de la mission, on trouva une grande quantité de manuscrits, comprenant des ouvrages biographiques, historiques et poétiques, dont une grande partie semblait avoir été préparée pour l’impression ; mais on ne trouva rien qui puisse jeter une lumière quelconque sur ses ancêtres ou sur son histoire personnelle. » En effet, avant de mourir, Sutherland avait assez bien réussi à masquer ou à refaçonner les faits qui avaient marqué sa vie, certains remontant aussi loin qu’à son engagement dans l’armée des patriotes. C’est ainsi que, dans sa notice nécrologique parue dans le Sentinel de Savannah, dans le Missouri, on le décrivit comme un personnage « assez connu », quoique excentrique et discuté, « un intellectuel, un avocat et un homme politique accompli » et « l’un des chefs de la rébellion canadienne ».
Thomas Jefferson Sutherland est l’auteur des brochures suivantes : The trial of General Th. J. Sutherland, late of the Patriot army, before a court martial convened at Toronto on the 13th day of March, A.D. 1838, by order of Sir Francis Bond Head, lieutenant governor of said province, K.C.B. &c. &c. &c., on a charge of having, as a citizen of the United States, levied war in the province of Upper Canada against Her Majesty the Queen of Great Britain, &c. ; with his defence and other documents (Buffalo, N.Y., 1838) ; A canvass of the proceedings on the trial of William Lyon Mackenzie, for an alleged violation of the neutrality laws of the United States ; with a report of the testimony – the charge of the presiding judge to the jury – the arguments of the United States attorney – and a petition to the president for his release (New York, 1840) ; Loose leaves, from the portfolio of a late Patriot prisoner in Canada (New York, 1840) ; Three political letters, addressed to Dr. Wolfred Nelson, late of Lower Canada, now of Plattsburgh, N. Y. (New York, 1840) ; A letter to Her Majesty the British Queen, with letters to Lord Durham, Lord Glenelg and Sir George Arthur : to which is added an appendix embracing a report of the testimony taken on the trial of the writer by a court martial, at Toronto in Upper Canada (Albany, N. Y., 1841) ; et A letter to Lord Brougham, in behalf of the captive Patriots ; to which is annexed a list of their names (New York, 1841).
APC, MG 24, A40, Foster à Colborne, 14, 20 mars 1838 ; Arthur à Colborne, 5 avril 1838 ; RG 1, E1, 57 : 14 ; RG 5, A1 : 103319–103333, 105215–105217, 106077–106078, 106784–106785, 108168–108169, 108339–108340, 108899–108950, 109333–109340, 109816–109817, 111302–111304, 111724–111729, 112382–112386, 112686–112691, 113801–113832, 115999–116006, 121300–121306.— Kansas State Hist. Soc.,
Lillian F. Gates, « SUTHERLAND, THOMAS JEFFERSON », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 5 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/sutherland_thomas_jefferson_8F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/sutherland_thomas_jefferson_8F.html |
Auteur de l'article: | Lillian F. Gates |
Titre de l'article: | SUTHERLAND, THOMAS JEFFERSON |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1985 |
Année de la révision: | 1985 |
Date de consultation: | 5 déc. 2024 |