HOPKINS, CALEB, fermier et homme politique, né en 1785 ou 1786 dans le New Jersey, neuvième des 13 enfants de Silas Hopkins et de Mary Swayze, décédé le 8 octobre 1880, à Toronto, Ont.
Caleb Hopkins, issu d’une famille de « loyalistes de la dernière heure », était un fermier du canton de Nelson, dans le comté de Halton, Haut-Canada. Avec trois de ses frères, il fonda le village de Hannahville et joua un rôle important dans les affaires locales. Il créa la première école de la région en 1828, présida la première réunion du conseil municipal de Nelson en 1836 et fut conseiller de district en 1842 ; il fut également l’un des plus éminents laïcs de l’Église méthodiste wesleyenne. Il épousa Hannah, fille du loyaliste John Green, de Grimsby, Haut-Canada ; ils eurent plusieurs enfants, dont l’une de leurs filles, Rachel ; épousa Anson Green.
Vers la fin des années 20, le comté de Halton était une place forte pour les radicaux. Hopkins y fut élu député réformiste à la chambre d’Assemblée du Haut-Canada en 1828. Bien qu’il fût l’un des rares députés dont le radicalisme était assez orthodoxe pour lui valoir l’approbation du Colonial Advocate de William Lyon Mackenzie*, il décida de ne pas se représenter aux élections de 1830. Il fut toutefois réélu député de Halton en 1834. À la différence d’un grand nombre de ses collègues radicaux, il ne prit aucune part à la rébellion de 1837. Cette abstention lui valut, par un processus d’élimination, d’atteindre avec quelques autres hommes politiques de seconde zone, une place prépondérante au sein du parti réformiste. Lors des premières élections qui suivirent l’union du Haut et du Bas-Canada en 1841 ; il fut l’un des quelques réformistes qui surent résister aux pressions exercées par le nouveau gouverneur, lord Sydenham [Thomson*]. Il fut réélu dans la circonscription de Halton-Est comme député réformiste opposé à Sydenham.
Au Canada-Ouest, la seule opposition efficace contre Sydenham venait de six « ultra-réformistes » menés par Robert Baldwin*. Hopkins était du nombre, mais déjà il faisait preuve de l’esprit d’indépendance qui devait plus tard marquer sa carrière. Il rompit pour la première fois avec les leaders réformistes en 1841. En tant que président du comité parlementaire sur le projet de loi concernant la constitution juridique des municipalités du Canada-Ouest, il ne cessa de soutenir le projet de loi en dépit de l’opposition irréductible de Baldwin et d’autres réformistes éminents.
Hopkins revint à l’orthodoxie libérale et accorda son appui à l’administration réformiste qui gouverna en 1842–1843. Cependant, lorsque Louis-Hippolyte La Fontaine* et Baldwin proposèrent de transférer la capitale de Kingston à Montréal, Hopkins, en vrai Canadien du Haut-Canada qu’il était, se joignit aux tories en novembre 1843 pour s’opposer à cette mesure. Mais ceci n’était rien comparé au geste qu’il posa de désapprouver publiquement la démission des ministres réformistes, après leur querelle à propos de favoritisme avec le gouverneur, sir Charles Metcalfe*, en novembre 1843. Les procédés de Hopkins entraînèrent sa mise à l’écart du parti réformiste aux niveaux local et provincial. Lors des élections de 1844, les réformistes de Halton-Est refusèrent d’en faire leur candidat et à l’issue d’un congrès mouvementé, ils nommèrent à sa place John Wetenhall. Hopkins refusa toutefois de se retirer de la course, et Baldwin fut forcé d’intervenir, pour éviter la dispersion des votes réformistes. Il envoya deux de ses représentants à Halton-Est en octobre 1844, George Brown et Thomas Ewart. Loin de devoir se montrer neutres dans la querelle, ces deux hommes avaient pour mission d’écarter le turbulent Hopkins. Brown confia plus tard à Baldwin : « Il nous est apparu nécessaire d’évincer M. Hopkins. » Mais rien n’y fit : Hopkins se présenta, partageant avec son concurrent les votes des réformistes, ce qui permit à un tory d’être élu dans cette place forte libérale.
Hopkins était devenu l’ennemi du parti. Il avait bien des raisons de se venger, mais il dut attendre cinq ans et demi pour le faire. Ce fut la formation d’un petit groupe de réformistes radicaux dissidents, les Clear Grits, qui lui en fournit la possibilité. Rien ne prouve que Hopkins ait participé à la formation du mouvement grit, mais il faisait partie d’un groupe de « vieux réformistes », dont la réputation, bien qu’elle eût peut-être perdu un peu de son lustre, survivait cependant, depuis l’époque glorieuse qui avait précédé 1837. Les jeunes intellectuels du parti grit avaient fait de ces hommes à la fois le symbole et l’instrument de leur politique. Lorsque Malcolm Cameron, autre radical d’avant l’Union, abandonna soudainement le « grand ministère » La Fontaine-Baldwin, en 1849, pour se joindre au nouveau mouvement, c’est Wetenhall qui le remplaça. Forcé par la loi de se faire réélire, Wetenhall se prépara pour les élections partielles qui devaient avoir lieu en mars 1850, dans le comté de Halton. Hopkins annonça qu’il se présenterait contre lui ; Cameron et les Grits se rallièrent à Hopkins, espérant ainsi placer le gouvernement dans une position embarrassante. Le ministère, qu’on accusait de conservatisme depuis que le gouvernement responsable était devenu une réalité, se trouva aux prises avec des difficultés sérieuses à Halton. La santé précaire de Wetenhall et l’instabilité mentale dont il faisait déjà preuve n’arrangeaient rien. Afin de soutenir sa cause, on pria James Durand, ancien député de Halton-Ouest, de mener sa campagne électorale et on mobilisa la presse réformiste, en particulier le Globe de Toronto. Les candidats passèrent bientôt au second plan et la lutte se déroula entre Cameron et Durand. Le Globe décrivit avec méchanceté, mais de façon fort exacte, la campagne électorale : « M. Cameron [...], le misérable Caleb étant pendu à ses basques, énuméra ex cathedra tous les méfaits dont ses anciens collègues s’étaient rendus coupables. » La campagne fort efficace de Cameron et le ressentiment des électeurs à la lecture des propos injurieux du Globe à l’endroit de Hopkins portèrent leurs fruits : le 11 mars 1850, Hopkins connut une victoire éclatante. À la fin de cette lutte sans merci, Wetenhall, à bout de résistance, était devenu complètement fou ; il finit ses jours dans un asile d’aliénés.
L’élection partielle dans Halton ne fit qu’envenimer les rapports entre les Grits et les partisans de Baldwin. « Ce vieil hypocrite de Hopkins », comme l’appelait James Durand, devint la cible des quolibets des réformistes. Le Globe le dépeignait sous les traits d’un vieil imbécile un peu gâteux et se moquait des Grits en les appelant les « Calebites ». Mais le gouvernement devait s’apercevoir que « ce misérable Caleb » avait encore toute sa vigueur. Hopkins, l’un des cinq Clear Grits à l’Assemblée, ne manqua jamais une occasion de harceler le gouvernement. Il ne fut jamais, à vrai dire, un leader, mais il était un second fort efficace. S’alliant avec Henry John Boulton*, W. L. Mackenzie et Cameron, Hopkins soumit avec eux à l’Assemblée, en 1850 et en 1851, une série de propositions réclamant des réformes démocratiques essentielles, ainsi que la séparation de l’Église et de l’État.
Les Grits et Hopkins devaient connaître leur plus belle victoire le 26 juin 1851. Appuyé par Hopkins, Mackenzie déposa une motion demandant l’abolition de la Cour de la chancellerie du Canada-Ouest. L’objectif avait été bien choisi, car Baldwin, qui était un homme de loi, tenait fort à cette cour qui venait d’être réorganisée. La motion ne fut pas adoptée mais la majorité des députés du Canada-Ouest avaient voté en sa faveur. Fatigué et irrité, Baldwin donna sa démission ; il fut bientôt imité par son collègue La Fontaine.
Ce fut le dernier triomphe des Grits qui décidèrent de s’allier avec le nouveau premier ministre, Francis Hincks*. Ce fut aussi le dernier triomphe de Caleb Hopkins. Il ne se représenta pas aux élections de 1851 et se retira, dans une retraite honorable, dans sa ferme de Nelson. Vers 1870, il alla vivre plus confortablement à Hamilton, Ont. Le temps allait apaiser les vieilles rancœurs de 1850. Les réformistes étaient maintenant fiers du surnom Clear Grits qu’ils avaient trouvé autrefois si déplaisant et Hopkins vécut assez longtemps pour devenir un des personnages légendaires de l’histoire du libéralisme en Ontario. Il mourut le 8 octobre 1880, à l’âge de 95 ans à Toronto, chez son gendre, William Leggo*, avocat et écrivain. Les chefs du parti, qui autrefois lui avaient été si hostiles, assistèrent au grand complet aux obsèques de cet indépendant invétéré. Parmi les porteurs de sa dépouille au cimetière de Toronto, se trouvaient l’ancien chef libéral, Alexander Mackenzie*, qui venait de prendre sa retraite, et le premier ministre de l’Ontario, Oliver Mowat*.
Caleb Hopkins fut un homme politique curieux. S’il ne fut jamais un leader, un innovateur, ni même un penseur, il joua malgré tout un rôle important dans un grand nombre de controverses politiques de la province du Canada. Son histoire est, au fond, celle du parti réformiste du Haut-Canada et des courants violents qui le secouèrent. Hopkins incarne bien l’indépendance opiniâtre, l’extravagance même, qui divisa si souvent le parti libéral dans le Canada du xixe siècle.
APC FO 31, A1, 1851, comté de Halton, canton de Nelson, 78s.— MTCL, Baldwin papers, 35, nos 103–104 ; Baldwin papers, 43, nos 20, 59–63 ; Baldwin papers, 47, no 7 ; Baldwin papers, 49, no 15 ; Baldwin papers, 52, nos 25–28 ; Baldwin papers, 65, no 1 ; Baldwin papers, 76, no 35.— PAO, Mackenzie-Lindsey collection, 2 482 ; William Reid collection, renseignements sur les Loyalistes.— Arthur papers (Sanderson), II : 161, 325, 334.— [Bruce et Grey], Collection Elgin-Grey (Doughty), II : 604, 690, 742, 836.— Debates of the Legislative Assembly of United Canada (Nish), 1841, 618–636.— Journal of the House of Assembly of Upper Canada, 1828–1836.— Journals of the Legislative Assembly of the Province of Canada, 1841–1851.— Colonial Advocate (York, H.-C.), 1828–1834.— Examiner (Toronto), 1840–1851.— Globe (Toronto), 1850–1851, 9–11 oct. 1880.— Chadwick, Ontarian families, I : 25.— Hamilton directory for 1872–3 (Montréal, 1872), 145.— Careless, Brown, I : 56s., 112s., 134.— Charles Clarke, Sixty years in Upper Canada, with autobiographical recollections (Toronto, 1908), 78s.— Cornell, Alignment of political groups, 6, 15–17, 28s., 93–97, 102.— Dent, Last forty years, I : 137s. ; II : 186.— C. D. Emery et Barbara Ford, From pathway to skyway ; a history of Burlington (Burlington, Ont., 1967), 53, 97, 125.— L. A. Johnson, The Halton by-election, March, 1850 : a politician’s view, Ont. Hist., LX (1968) : 147s.
Michael S. Cross, « HOPKINS, CALEB », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/hopkins_caleb_10F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/hopkins_caleb_10F.html |
Auteur de l'article: | Michael S. Cross |
Titre de l'article: | HOPKINS, CALEB |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1972 |
Année de la révision: | 1972 |
Date de consultation: | 2 déc. 2024 |