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CRAWFORD, ISABELLA VALANCY, écrivain et poète, née le 25 décembre 1850 à Dublin, fille du docteur Stephen Dennis Crawford et de Sydney Scott, décédée célibataire le 12 février 1887 à Toronto.
La vie d’Isabella Valancy Crawford est la moins connue de toutes celles des écrivains de sa génération en Ontario. On ne peut que s’étonner et s’interroger devant le fait qu’elle ait écrit dans des styles aussi variés et traité un aussi large éventail de sujets, alors qu’elle n’avait aucun contact avec des collègues écrivains. Avant la publication en 1972 de « The short life of Isabella Valancy Crawford », par Mary F. Martin, les seuls éléments biographiques connus sur cet écrivain apparaissaient dans la préface écrite par John William Garvin* pour The collected poems [...] (1905) de Crawford. L’épouse de Garvin, Katherine Hale, ajouta bien quelques informations en 1923, mais ni l’un ni l’autre de ces biographes ne vérifièrent la date de naissance ainsi que les origines de cette femme poète. Mais, au cours des années 1970, la recherche universitaire prit de l’ampleur. Une réimpression de The collected poems en 1972, dont l’introduction est du poète James Reaney, a rendu l’œuvre de Crawford plus accessible ; six de ses nouvelles éditées par Penny Petrone ont paru en 1975 ; en 1977, les Borealis Press ont fait paraître un livre de contes de fées ainsi qu’un long poème inachevé intitulé Hugh and Ion. Dorothy Livesay avait trouvé ce poème dans les archives de la Queen’s University (Kingston, Ontario) et l’avait intitulé The Hunters Twain. Elle avait aussi trouvé dans les Dublin Castle Archives une généalogie de la famille Crawford remontant à 1616, année au cours de laquelle un dénommé William Crawford avait quitté « Cunningburne », en Écosse, pour aller s’établir dans le comté d’Antrim (Irlande du Nord). Son descendant en ligne directe, Stephen Crawford, était inscrit sur la liste électorale de Donnybrook à Dublin à compter de 1836, mais il ne vécut pas à cet endroit avant 1845 (l’année de sa mort). Il se peut dès lors qu’il ait eu aussi un logement au-dessus de sa maison de commerce dans la rue Grafton et que son deuxième fils, Stephen Dennis, ait pu installer sa femme, Sydney Scott, à cette adresse. L’acte de ce mariage ainsi que les lieux et dates de naissance d’au moins six enfants, dont Isabella écrit qu’elle était la sixième, n’ont pu être retracés.
Il est possible que les épidémies qui sévirent en Irlande aient entraîné la mort des cinq premiers enfants et aient amené les parents à émigrer au Wisconsin. Nous ne savons pas encore quand les parents arrivèrent à cet endroit et si la petite Isabella les accompagnait. Mais il est certain qu’une autre fille, Emma Naomi, naquit au Wisconsin en 1854, tandis qu’un fils, Stephen Walter, vit le jour en Irlande en 1856. Dans un ouvrage sur la famille Crawford que prépare une descendante en ligne directe de ce fils, Mme Catherine Humphrey, l’auteur avance l’hypothèse que Mme Crawford retourna à Dublin pour la naissance de son fils, alors que le docteur vint au Canada à la recherche d’une maison. Penny Petrone a trouvé au bureau d’enregistrement de Walkerton, Ontario, l’acte d’une transaction effectuée à Paisley, Haut-Canada, en 1858, concernant une maison au nom de « Mme Sydney Crawford ».
Le seul compte rendu existant de l’enfance d’Isabella Crawford à Paisley décrit le style de vie distingué de cette famille d’origine écossaise et irlandaise, style qui devait cacher leur pauvreté. Un voisin des Crawford raconte dans une lettre que dans un village isolé comme Paisley le médecin était surtout appelé à faire des accouchements, dont le paiement se faisait souvent en nature ; toutefois, « les femmes avaient peur de faire appel à lui [le docteur Crawford] parce qu’il buvait beaucoup, mais [il était] très habile lorsqu’[il était] sobre. » Un document anonyme (provenant probablement d’un membre de la famille Strickland) rapporte que les Crawford quittèrent le village agricole de pionniers en 1864 pour s’établir dans l’établissement plus développé du canton de Douro : « Ils semblaient vivre très pauvrement et nous étions vraiment peinés de les [voir installés] au Canada dans un milieu aussi défavorisé. Mon frère, sachant qu’il n’y avait pas de médecin résidant dans le village de Lakefield, leur fit l’offre [...] de déménager à Lakefield et d’utiliser sa maison pendant les mois où il serait absent du village. » Lakefield était une communauté plus sophistiquée où se trouvait « l’école d’agriculture » de Samuel Strickland* destinée aux jeunes gentlemen agriculteurs. Mais ce furent les sœurs de celui-ci, les écrivains Susanna Moodie [Strickland] et Catharine Parr Traill [Strickland*], qui doivent avoir fasciné les jeunes Crawford. On croit que la fille de Mme Traill, Katie (Katharine Agnes), fut une amie intime d’Isabella. De plus, les Traill possédaient une maison de campagne près de la réserve d’Indiens stonies, et il se peut que la jeune fille s’y soit éprise des légendes et des croyances indiennes. L’image du canot revient fréquemment dans la poésie de Crawford et elle a dû apprécier grandement les randonnées en canot sur la rivière Otonabee et sur le lac Kawartha, où les Indiens chassaient et pêchaient dans les nénuphars. Ce paysage sauvage est diamétralement opposé à la ville bourdonnante d’activité commerciale de Peterborough, où le docteur Crawford s’installa pour pratiquer en 1869.
Pendant ce séjour à Peterborough, Isabella Crawford se mit à adresser des poèmes et des contes aux journaux dont elle aurait découvert l’existence à l’institut des artisans. C’est le Mail de Toronto qui publia pour la première fois le 24 décembre 1873 un poème de Crawford intitulé The Vesper Star. À la mort du docteur Crawford, le 3 juillet 1875, les trois femmes durent compter pour leur subsistance sur l’argent que rapportait à Isabella son métier d’écrivain. La famille avait eu l’habitude de recevoir une certaine somme d’argent, tous les trois mois, du plus jeune frère du médecin, le docteur John Irwin Crawford, d’Irlande, mais cet envoi cessa, peut-être dès l’époque du déménagement à Peterborough. Le seul frère vivant d’Isabella, Stephen Walter, avait quitté la maison à 16 ans, à la recherche d’un travail dans le nord de l’Ontario, et même s’il rendait visite de temps en temps à sa mère et s’efforçait apparemment de l’aider, il se maria en 1886 et, par la suite, il eut sa propre famille à faire vivre. Un autre malheur frappa Isabella et sa mère quand Emma Naomi mourut « de consomption » en 1876, à l’âge de 21 ans. Devant toutes ces difficultés, Isabella persuada sa mère que c’était à Toronto, centre de l’édition du Canada anglais, qu’elle pourrait le mieux gagner sa vie. La date de leur départ de Peterborough n’est pas connue.
Katherine Hale, dans l’introduction de son anthologie, raconte de façon colorée l’histoire des luttes qu’Isabella eut à mener dans le monde littéraire. Crawford publia un seul livre de poésie intitulé Old Spookses’ Pass, Malcolm’s Katie, and other poems, à compte d’auteur, en 1884. Cette publication lui rapporta très peu pendant sa vie (seulement 50 exemplaires furent vendus), même si on en fit mention dans des journaux de Londres comme le Spectator, le Graphic [...], la Leisure Hour, et la Saturday Review [...]. Ces articles témoignaient de « la versatilité de son talent » et de qualités comme « l’humour, la vivacité, la puissance », qui ne laissaient pas les gens indifférents et auguraient bien pour l’avenir, malgré l’extravagance des faits relatés par l’auteur et une « grandiloquence malhabile ». Cependant, les critiques du xxe siècle ont commenté son œuvre avec de plus en plus de respect et d’admiration.
Isabella Crawford vécut à Toronto avec sa mère, de 1883 jusqu’à sa mort en 1887, dans des maisons de pension de la rue Adelaide, puis en chambre, au 180 rue Adelaide Ouest et au 57 rue John. Elle faisait parvenir de nombreux vers « de circonstance » aux journaux de Toronto, un certain nombre de romans et nouvelles en feuilleton aux publications de Frank Leslie à New York ainsi que des articles au Fireside Monthly (New York). En 1886, elle devint le premier écrivain de Toronto à publier dans l’Evening Globe un roman-feuilleton intitulé A little Bacchante [...]. D’une façon générale, la prose de Crawford était dans le sillage de la mode feuilleton du jour. C’était la « formule de fiction » romantico-gothique. On sait que la jeune femme possédait d’autres dons, comme celui de pouvoir écrire des contes relatant la vie des pionniers dans le Haut-Canada. Et ses contes de fées écrits à Lakefield laissent percevoir chez elle une appréciation candide de la musique, de la poésie et de la nature.
Femme brillante, très au fait de la culture mondiale, Isabella Crawford n’avait pas grandi dans le Dublin de ses parents mais dans un milieu de pionniers. Elle doit avoir été parfaitement consciente très tôt que bien peu de lecteurs apprécieraient ses dons d’imagination et qu’elle aurait à les mettre de côté pour être en mesure de gagner sa vie et celle de sa mère. Sa seule porte de sortie était les magazines et journaux populaires pour lesquels elle écrivit de la poésie « simple », légère, des croquis humoristiques, de courts contes romantiques et des petits romans mélodramatiques. Sa vie en tant qu’esprit créateur fut à l’opposé de celle d’Emily Dickinson qui fignolait sa poésie dans la solitude.
Cependant, la poésie d’Isabella Crawford a survécu. Même si à ce jour aucune analyse critique complète de son œuvre n’a été publiée, on étudie maintenant sérieusement sa poésie. D’une certaine façon, elle était une femme poète victorienne, pour laquelle Tennyson fut un guide et une idole. Mais dans ses longs poèmes Malcolm’s Katie, une idylle recréant l’atmosphère de la vie primitive menée à la ferme et dans les bois, et Old Spookses’ Pass, décrivant un rodéo au cours de la transhumance d’un troupeau dans les Rocheuses, elle démontra une étonnante facilité pour la narration et pour le dosage de l’intrigue, du thème et de la description des personnages, sans compter sa capacité de créer des images exubérantes et saisissantes. Dans le premier poème elle présente un mythe nouveau de grande importance dans la littérature canadienne : la « frontière » canadienne créant « les conditions d’un nouvel Éden », non pas un âge d’or ou un millénium, mais « une communauté harmonieuse ici même et dès maintenant ». La perception sociale de Crawford et ses préoccupations quant à l’avenir de l’humanité l’ont engagée bien en avant de son temps et de son milieu à écrire des plaidoyers passionnés sur la fraternité, le pacifisme et la conservation de la nature. Sa croyance en la possibilité d’une société juste, où l’homme et la femme jouiraient d’un statut égal dans un monde débarrassé de la guerre, des haines de classes et des préjugés raciaux, domine les plus belles pages de sa poésie, peu importe ses sources, qu’elles soient gréco-romaines, védiques, scandinaves ou nord-amérindiennes. Ces sources, Longfellow les a aussi utilisées, mais nous n’avons qu’à nous arrêter à l’intensité imaginative et à l’originalité de la langue des versets de son poème indien South Wind ou de son Gisli, the Chieftain, pour reconnaître combien grand était le talent de Crawford et combien sa poésie peut supporter toute comparaison avec l’œuvre de ses contemporains.
Isabella Valancy Crawford ne publia qu’un seul ouvrage, Old Spookses’ Pass, Malcolm’s Katie, and other poems ([Toronto], 1884). Elle fit paraître, toutefois, dans les journaux et les revues de l’époque un grand nombre de poèmes ainsi que plusieurs textes en prose dont : « A five-o’clock tea », Frank Leslie’s Popular Monthly (New York), 17 (janv.–juin 1884) : 287–291 ; « Extradited », Globe, 4 sept. 1886 : 11, réimprimé dans le Journal of Canadian Fiction (Montréal), 2 (1973), no 3 : 168–173 ; et « A little Bacchante [...] », paru dans plusieurs numéros de l’Evening Globe en 1886. John William Garvin fut le premier à éditer, sous le titre de The collected poems of Isabella Valancy Crawford (Toronto, 1905), la poésie de l’auteur après sa mort ; son épouse, Katherine Hale, édita 18 ans plus tard Isabella Valancy Crawford (Toronto) qui constitue une anthologie de la poésie de Crawford et qui renferme également des renseignements d’ordre biographique. On assista au cours des années 1970 à un renouveau d’intérêt pour l’œuvre de Crawford ; on réimprima la collection de Garvin avec une introduction de James Reaney (Toronto et Buffalo, N.Y., 1972). Trois ans plus tard, parurent les Selected stories of Isabella Valancy Crawford (Ottawa), éditées par Penny Petrone, et, en 1977, Glenn Clever publia un poème inédit intitulé Hugh and Ion (Ottawa). On trouvera une description plus complète des ouvrages de Crawford dans « Annotated bibliography on Isabella Valancy Crawford », Lynne Suo, compil., Essays on Canadian Writing (Downsview, Ontario), 11 (été 1978) : 289–314, et dans « A preliminary checklist of the writings of Isabella Valancy Crawford », Margo Dunn, compil., The Crawford symposium, F. M. Tierney, édit. (Ottawa, 1979), 141–155.
Les QUA possèdent la plupart des écrits non publiés de Crawford ; on en trouvera une description dans A catalogue of Canadian manuscripts collected by Lorne Pierce and presented to Queen’s University [Dorothy Harlowe, compil., E. C. Kyte, édit.] (Toronto, 1946), 100–104. [d. l.]
Leisure Hour (Londres), 34 (1885) : 165.— Evening News (Toronto), 13 juin 1884.— Evening Telegram (Toronto), 12 juin 1884, 14 févr. 1887.— Globe, 14 juin 1884, 14 févr. 1887.— Graphic : an Illustrated Weekly Newspaper (Londres), 4 avril 1885.— Illustrated London News, 3 avril 1886.— Saturday Rev. of Politics, Literature, Science, and Art (Londres), 23 mai 1885.— Spectator (Londres), 18 oct. 1884.— Varsity (Toronto), 23 janv. 1886.— Week (Toronto), 11 sept. 1884, 24 févr. 1887.— The Crawford symposium.— Roy Daniells, « Crawford, Carman, and D. C. Scott », Literary history of Canada : Canadian literature in English, C. F. Klinck et al., édit. (Toronto, 1965), 406–410.— Margo Dunn, « The development of narrative in the writing of Isabella Valancy Crawford » (thèse de m.a., Simon Fraser Univ., Burnaby, C.-B., 1975).— Pelham Edgar, « English-Canadian literature », The Cambridge history of English literature, A. W. Ward et A. R. Waller, édit. (15 vol., Cambridge, Angl., 1907–1927), XIV : 343–360.— S. R. MacGillivray, « Theme and imagery in the poetry of Isabella Valancy Crawford » (thèse de
Dorothy Livesay, « CRAWFORD, ISABELLA VALANCY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 6 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/crawford_isabella_valancy_11F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/crawford_isabella_valancy_11F.html |
Auteur de l'article: | Dorothy Livesay |
Titre de l'article: | CRAWFORD, ISABELLA VALANCY |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1982 |
Année de la révision: | 1982 |
Date de consultation: | 6 déc. 2024 |