KEEFER, SAMUEL, ingénieur civil et fonctionnaire, né le 22 janvier 1811 à Thorold, Haut-Canada, quatrième fils de George Keefer* et de Catherine Lampman ; le 13 mai 1840, il épousa Anne E. Crawford, deuxième fille du sénateur George Crawford*, de Brockville, Haut-Canada, laquelle mourut en 1876, puis, le 13 décembre 1883, Rosalie Ellis Pocock, également de Brockville ; décédé le 7 janvier 1890, à Brockville.

Au milieu du xixe siècle, la politique et le génie civil étaient étroitement liés au Canada ; en effet, la plupart des projets d’envergure appartenaient au domaine des travaux publics, de sorte que les principaux emplois relevaient du domaine de la politique. L’apprentissage que fit Samuel Keefer, de 1827 à 1833 (sauf les deux années pendant lesquelles il fréquenta l’Upper Canada College à Toronto), au sein de la Welland Canal Company, ne pouvait, dans ces circonstances, mieux le préparer à une carrière d’ingénieur. Dirigé par son père, président de la compagnie, par William Hamilton Merritt*, qui en était l’inspirateur, et par des ingénieurs possédant déjà l’expérience du canal Érié, Keefer assimila les données techniques et politiques de son art. Sa science et des influences politiques lui permirent d’accéder à l’échelon le plus élevé de la profession qu’il avait choisie et, lorsqu’il tomba en disgrâce, il reçut aussitôt le secours d’amis politiques redevables envers lui.

En 1833, après l’achèvement du canal Welland, Keefer parvint à se faire nommer secrétaire d’une commission formée par le gouvernement du Bas-Canada pour faire des recommandations touchant la façon d’améliorer la navigation sur le Saint-Laurent, près de Montréal. Toutefois, le rapport de la commission ne fut pas pris en considération par l’Assemblée et, comme tout laissait croire qu’aucun projet n’allait en résulter, Keefer regagna le Haut-Canada en 1834 pour travailler au canal de Cornwall à titre d’aide-ingénieur. Les travaux, maintes fois interrompus, furent abandonnés quand les fonds vinrent à manquer en 1838, et Keefer fut mis à pied en même temps que le reste du personnel. Il se releva cependant de cet échec : un an plus tard, aidé sans doute par des amis, il fut nommé secrétaire du nouveau bureau des Travaux publics du Bas-Canada ; après l’Union de 1841, on réorganisa ce service et il en devint l’ingénieur en chef. À 30 ans, Keefer obtenait l’un des postes les plus élevés accessibles à un ingénieur en Amérique du Nord britannique.

Le bureau des Travaux publics (devenu le département des Travaux publics après 1846) représentait le plus vaste service au sein de la fonction publique de la province du Canada. En 1842, les quatre administrateurs du bureau principal se trouvaient à la tête d’un groupe de 92 employés, dont un grand nombre d’ingénieurs. Dix ans plus tard, le personnel s’éleva à plus de 200 hommes et il avait atteint le nombre de 500 au moment de la Confédération. Le bureau construisait et entretenait dans la province plusieurs chemins et ponts (lesquels, dans la mesure du possible, étaient cédés aux autorités locales) ; il s’occupait également des « glissoires », des ports et des phares, et il devait assurer le logement du gouvernement et de ses ministères lors de leurs fréquents déménagements. Dans les années 1840, toutefois, sa tâche la plus considérable et la plus coûteuse s’avéra être l’achèvement du réseau de canaux du Saint-Laurent. À ces responsabilités vint s’ajouter, dans les années 1850, la surveillance des préparatifs et de la construction du réseau de chemins de fer.

Hamilton Hartley Killaly*, Irlandais turbulent et excentrique, prit la direction de ce vaste empire du domaine des transports, et, faisant montre de fierté et de modération, Keefer fut son lieutenant et son plus grand rival. Chacun de leur côté, ils recrutèrent, formèrent et protégèrent leur « école » d’ingénieurs, et, naturellement, les sentiments de jalousie qui divisaient les professionnels au plus haut échelon du service se firent sentir au niveau du personnel dans la course aux emplois et aux promotions. Au début des années 1840, cependant, il y avait assez de travail pour tout ce monde. Durant la période où il œuvra en qualité d’ingénieur en chef, Keefer fit le tracé du canal de Beauharnois, dirigea les travaux d’élargissement du canal de Lachine, fit reconstruire l’écluse de Sainte-Anne-de-Bellevue et le canal à Saint-Ours, sur le Richelieu, et mena des études préliminaires en vue de construire un canal à Sault-Sainte-Marie (Ontario). Il traça le plan d’un pont suspendu au-dessus des chutes des Chaudières, à Bytown (Ottawa), dont on acheva la construction en 1844, et il fit installer en 1850, dans les écluses du Saint-Laurent, des portes en bois, solides et peu coûteuses. De 1846 à 1848, il fut directement responsable de l’élargissement et du redressement du canal Welland.

Keefer réussit à effectuer le difficile passage à de nouvelles techniques de transport. Lorsque l’ère du chemin de fer fut arrivée pour de bon, il quitta le département des Travaux publics, en 1853, pour assumer les fonctions plus lucratives d’ingénieur de division au chemin de fer du Grand Tronc, sous la direction d’Alexander McKenzie Ross. À ce poste, il acquit les connaissances et l’expérience qui servirent d’assises à la seconde moitié de sa carrière. Il dirigea la construction de la ligne reliant Montréal et Kingston (dont il avait auparavant tracé le plan pour le compte du gouvernement) ; ce tronçon comportait deux ponts importants à Sainte-Anne-du-Bout-de-l’Île (Sainte-Anne-de-Bellevue) et à Kingston Mills. Il choisit également l’emplacement de l’imposant pont Victoria, à Montréal, à la suite des études qu’avait menées son demi-frère, Thomas Coltrin Keefer*. Lorsqu’on ouvrit la ligne aux opérations commerciales en 1856, il occupa quelque temps le poste de surintendant de la division est, en même temps qu’il remplissait les fonctions d’ingénieur en chef du chemin de fer qu’on projetait de construire entre Brockville et Ottawa.

Keefer fut rappelé à la fonction publique par le gouvernement de John Alexander Macdonald* et d’Étienne-Paschal Taché*. Après le terrible accident ferroviaire survenu au canal Desjardins, le 12 mars 1857, qui avait causé la mort de 60 personnes, dont celle de l’entrepreneur ferroviaire Samuel Zimmerman*, l’Assemblée avait voté cette même année une loi pour prévenir les accidents sur les chemins de fer, loi qui rendait obligatoire l’inspection régulière des terre-pleins, des déblais, des remblais, des ponts, du matériel roulant, des locomotives et des modes de fonctionnement de toutes les voies ferrées de la province. Keefer devint en 1857 le premier inspecteur des chemins de fer. Les copies de ses lettres qui nous sont restées attestent la grande méticulosité et le sérieux avec lesquels il accomplissait sa tâche de gardien de la sécurité publique. Mais cette correspondance montre également combien il s’avérait difficile en pratique de faire adopter des méthodes adéquates et des améliorations coûteuses à des compagnies ferroviaires ayant une situation financière incertaine. En fait, les règles de sécurité devinrent l’objet d’un compromis entre des hommes politiques souples et accommodants et des fonctionnaires consciencieux mais impuissants, ce qui donna lieu trop souvent à des désastres.

En 1859, contraint de toutes parts à la réduction des dépenses, le gouvernement dut se départir des services de Killaly au poste de responsable permanent du département ayant le budget le plus élevé, et, le 6 mai, Keefer se vit charger de la fonction de commissaire adjoint des Travaux publics, en sus de sa tâche d’inspecteur des chemins de fer. En tout premier lieu, on lui confia la responsabilité des plans et de la construction des édifices permanents devant abriter le parlement et les ministères à Ottawa. Ayant mis au point un système complexe en vue de choisir le meilleur des plans, présentés dans le cadre d’un concours architectural, il recommanda le projet de Thomas Fuller* et Chilion Jones pour l’immeuble central et celui de Thomas Stent et Augustus Laver* pour les immeubles adjacents, et ce choix reçut l’approbation de tous. Mais la nomination de Thomas McGreevy* comme entrepreneur principal, dont le travail devait être supervisé par Keefer, marqua pour ce dernier le début de la période la plus difficile de sa vie. Alors que les travaux étaient déjà en cours, il fallut modifier les plans de manière à installer, entre autres choses, le chauffage et la ventilation. Les dépenses excédèrent largement les chiffres prévus. Les communications furent rompues entre le commissaire John Rose et son adjoint, tous deux étant déçus et plongés dans l’embarras. On rappela Killaly pour lui demander de juger du travail de son successeur. Finalement, après un changement de gouvernement et le remplacement du gouverneur général, le ministère de John Sandfield Macdonald* et de Louis-Victor Sicotte nomma une commission royale chargée d’enquêter sur ce qui était devenu le scandale des édifices du parlement.

Dans un rapport présenté en 1863, les membres de la commission d’enquête indiquèrent que le département des Travaux publics n’avait pas examiné convenablement le site du projet avant de lancer des appels d’offres. Au lieu d’être de niveau comme les architectes et les entrepreneurs l’avaient cru, le terrain formait une colline de roc solide. L’indignation devint encore plus grande lorsque les enquêteurs découvrirent que la soumission agréée, soit celle de McGreevy, avait été établie par des fonctionnaires du département à partir des documents annexés aux plans accompagnant les offres concurrentes. En dépit de cette collusion, chaque fois que les entrepreneurs et le gouvernement n’étaient pas parvenus à s’entendre sur les travaux qui devaient être payés conformément à la soumission et sur ceux qui occasionnaient des frais plus élevés, Keefer semble avoir donné le bénéfice du doute à McGreevy. En sa qualité de commissaire adjoint, Keefer fut celui qui porta le poids de ces accusations, ce qu’il fit sans dénoncer les hommes politiques également coupables dont il était le subordonné. Sa compétence mise en doute et sa réputation ternie, il se rabattit sur la pratique privée en 1864.

Keefer retourna dans le district de Niagara afin de relancer sa carrière. C’est là qu’il construisit, au-dessus de la gorge de la rivière, un second pont suspendu qu’on ouvrit à la circulation en 1869, devenant alors le plus long ouvrage de ce genre dans le monde. Cette réalisation allait lui valoir une médaille d’or au concours des sciences de l’ingénieur tenu à l’Exposition universelle de Paris en 1878. Toutefois, les administrateurs de la compagnie de construction, sans prendre l’avis de leur ingénieur, doublèrent la largeur du pont et celui-ci s’écroula malheureusement au cours de la violente tempête de 1889.

Les amis que Keefer comptait parmi les hommes politiques n’oublièrent jamais sa rude épreuve et son abnégation et montrèrent leur reconnaissance en tentant de rétablir sa réputation. « J’ai longtemps attendu l’occasion de vous remettre en contact de quelque façon avec la fonction publique, lui écrivit sir John A. Macdonald en novembre 1870, et je pense maintenant que le temps est venu. » Macdonald nomma Keefer au poste de secrétaire de la commission du canal, présidée par Hugh Allan, en espérant qu’il obtiendrait du travail à la suite du rapport de cet organisme. Keefer mena quelques études reliées au projet mort-né du canal de la baie Verte au Nouveau-Brunswick en 1872, mais, durant les jours sombres de l’administration libérale, il fut réduit à construire des ponts pour la ville d’Ottawa ; son principal ouvrage fut l’édification du pont Dufferin enjambant le canal Rideau à partir de la place de la Confédération. Quand les conservateurs reprirent le pouvoir, Keefer devint, en 1880, l’un des trois membres d’une commission royale chargée d’étudier la conduite des affaires de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique sous le gouvernement d’Alexander Mackenzie*. Après avoir été victime, il était devenu juge : sa revanche, pourrait-on dire, était complète.

Keefer passa le reste de sa vie dans une semi-retraite à Brockville où il participa aux affaires de l’Église d’Angleterre et à l’activité locale du parti conservateur. Il contribua également aux efforts accomplis en vue de briser les liens étroits qui attachaient le monde des ingénieurs aux hommes politiques et aux commerçants et de leur donner un véritable statut professionnel. En 1860, il avait été admis à l’Institution of Civil Engineers de Londres, et, en 1869, il s’était joint à l’American Society of Civil Engineers. Il prit part, en 1887, à la fondation de la Société canadienne des ingénieurs civils, dont il sera le deuxième président (le premier fut Thomas Coltrin Keefer). Durant toute sa carrière, Samuel Keefer fut un conservateur, et cette attache partisane lui apporta évidemment des ennuis, mais aussi le moyen de survivre.

H. V. Nelles

AO, MU 2 664–2 776.— APC, MG 24, E1, I106 ; MG 26, A ; MG 29, A2 ; D61 ; RG 11, A1, 1–39 ; B1, 828–843 ; RG 43, sér. B4b, 91, 93–94.— B.-C., chambre d’Assemblée, Journals, 1834, app. E.— Canada, Commission royale d’enquête sur la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, Report (3 vol., Ottawa, 1882) ; Parl., Sessional papers, 1871, VI : no 54.— Canada, prov. du, Parl., Sessional papers, 1862, II : no 3 ; févr.–mai 1863, II : no 3.— Canadian Soc. of Civil Engineers, Trans. (Montréal), 1 (1887)–4 (1890).— Daylight through the mountain : letters and labours of civil engineers Walter and Francis Shanly, F. N. Walker, édit. (Montréal, 1957).— Cyclopædia of Canadian biog. (Rose), I.— H. G. J. Aitken, The Welland Canal Company : a study in Canadian enterprise (Cambridge, Mass., 1954).— Canada and its prov. (Shortt et Doughty), X : 475624.— D. [G.] Creighton, The empire of the St. Lawrence (Toronto, 1956).— Currie, Grand Trunk Railway.— J. P. Heisler, The canals of Canada (Ottawa, 1973).— Hodgetts, Pioneer public service.— Robert Keefer, Memoirs of the Keefer family (Norwood, Ontario, 1935).— T. C. Keefer, The old Welland Canal and the man who made it (Ottawa, 1911) ; Philosophy of railroads and other essays, H. V. Nelles, édit. (Toronto et Buffalo, N.Y., 1972).— R. A. J. Phillips, The east block of the Parliament Buildings of Canada : some notes about the building, and about the men who shaped Canada’s history within it (Ottawa, 1967).— A. H. Armstrong, « Profile of parliament hill », Royal Architectural Institute of Canada, Journal (Toronto), 34 (1957) : 327–331.— C. C. J. Bond, « The Canadian government comes to Ottawa, 186566 », OH, 55 (1963) : 23–34.

Bibliographie de la version modifiée :
Ancestry.com, « Mariages, Ontario, Canada, 1826 à 1938 », Samuel Keefer et Rosalie Ellis Pocock, 13 déc. 1883 : www.ancestry.ca (consulté le 5 mars 2020).— C. A. Young, The glory of Ottawa : Canadas first parliament buildings (Montréal et Kingston, Ontario, 1995).

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H. V. Nelles, « KEEFER, SAMUEL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 11 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/keefer_samuel_11F.html.

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Auteur de l'article:    H. V. Nelles
Titre de l'article:    KEEFER, SAMUEL
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1982
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