VÉZINA, FRANÇOIS, financier, né le 13 août 1818 à Québec, fils de François Vézina, boulanger, et de Claire Moisan ; le 11 juin 1844, il épousa Éléonore Rinfret, dit Malouin, troisième fille de Rémi Rinfret, dit Malouin, maître maçon ; décédé à Québec le 25 janvier 1882 et inhumé au cimetière Belmont, Sainte-Foy, trois jours plus tard.

Aîné d’une famille modeste, François Vézina fit ses études secondaires au petit séminaire de Québec entre 1829 et 1840. Ses dispositions naturelles pour les affaires l’amenèrent, au sortir de ses études, à accepter un poste de commis chez Babineau et Gaudry, marchands fournisseurs de la marine à Québec. Il y demeura 18 mois, révélant déjà par son assiduité au travail, son esprit rigoureux, prudent et pratique, ses aptitudes en affaires. Impressionnés par ses qualités, Louis-Joseph Massue* et le notaire Charles-Maxime Defoy le recommandèrent à Daniel McCallum qui dirigeait la Compagnie d’assurance du Canada, contre les accidents du feu, et qui l’engagea. Les grands incendies qui ravagèrent la ville de Québec en 1845 portèrent un dur coup à la compagnie qui fit faillite, laissant ses employés en chômage. Mais Vézina, qui avait déjà une réputation et des amis, n’eut guère de peine à se trouver un emploi : John Sharples* l’embaucha au Bureau du surintendant des inspecteurs-mesureurs de bois. En l’espace de six ans, Vézina était donc entré en contact avec les principaux milieux d’affaires de Québec, tout en occupant ses loisirs à lire des ouvrages d’économie politique.

En 1848, le secrétaire de la Société de construction de Québec mourut, laissant les comptes dans un fouillis indescriptible. Les actionnaires étaient inquiets et exigeaient un coup de barre. Les administrateurs francophones, dont Guillaume-Eugène Chinic et le docteur Olivier Robitaille, suggérèrent de retenir les services de Vézina, au grand mécontentement de nombreux actionnaires anglophones. Il semble, toutefois, que John Sharples réussit à apaiser leurs craintes et à les rallier à la candidature de Vézina. Ils n’eurent pas à le regretter : dès janvier 1849, Vézina présenta un bilan clair et précis qui lui attira l’admiration des actionnaires et assura sa réputation « d’homme de chiffre et de finance de première force ». Plus d’un homme d’affaires commença de lui demander des conseils et les investisseurs reprirent confiance dans la Société de construction de Québec. Comme toutes les sociétés reconnues juridiquement d’après la loi sur les sociétés de construction, celle-ci prélevait son capital par des actions que les membres s’engageaient à payer sur une base périodique et le prêtait sur hypothèque quand ces derniers voulaient construire un édifice ou acquérir quelque bien-fonds. Vézina n’était pas d’accord avec les règlements et certains aspects de la constitution de la société. Il étudia le fonctionnement de sociétés similaires et se rendit même à Toronto pour assimiler les rouages de la société de construction de cette ville. Fort de son expérience, il proposa aux actionnaires, en 1856, de liquider la société et de créer la Société de construction permanente de Québec, dont il avait conçu le fonctionnement, les règlements et toute l’organisation. Celle-ci différait de l’ancienne société en ce qu’elle était plus libérale dans ses prêts et n’exigeait pas que tous les emprunteurs fussent solidaires des pertes ou profits de la société. Les actionnaires acceptèrent la proposition de Vézina et le nommèrent secrétaire-trésorier de la nouvelle compagnie avec mandat de liquider l’ancienne. La société prospéra, versant en moyenne un dividende de 10 p. cent aux actionnaires. Vézina accédera, en 1863, au poste de président qu’il occupera jusqu’à sa mort.

C’est également au cours de 1848 que des membres de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, fondée à Québec par François Soulard en 1844, lui demandèrent de participer à la fondation d’une banque d’épargne pour les classes pauvres. Ces banques existaient depuis quelque temps en Europe et aux États-Unis. Elles avaient pour but de susciter « des habitudes d’ordre, d’économie, de moralité » et de « fournir à l’ouvrier un moyen de se créer à la longue un capital ». Souvent établies et administrées bénévolement par des philanthropes, du moins à leur début, ces banques ne pratiquaient pas l’escompte des billets « sans avoir des bons provinciaux comme sûreté collatérale » ; elles plaçaient les épargnes dans des obligations de corporations publiques facilement convertibles en espèces, garantissaient un intérêt peu élevé, mais stable, et employaient une partie de leurs profits à soutenir des institutions de charité. Le 11 mai 1848, 13 membres de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, dont Vézina qui agissait à titre de secrétaire du comité, se réunirent pour jeter les bases de la Caisse d’épargnes de Notre-Dame de Québec qui allait devenir, lors de sa reconnaissance juridique en 1855, la Caisse d’économie de Notre-Dame de Québec. La constitution et les règlements adoptés le 28 mai s’inspiraient de ceux de la Caisse d’économie de Saint-Roch. La banque ouvrit ses portes le 18 juill. Elle acceptait des dépôts de 1 shilling 3 pence à 500 louis, exigeait un préavis de dix jours pour un retrait de 10 louis et plus, et garantissait un intérêt de 41/2 p. cent. Vézina avait, dès le début, joué un rôle de premier plan : secrétaire du comité, il participa à la préparation des règlements « et à la confection des livres et blancs » nécessaires à la comptabilité, et, comme il se doit, fut élu secrétaire du premier conseil d’administration. Cumulant, à partir du 2 mars 1851, les postes de secrétaire et de trésorier, il devint l’âme dirigeante de la caisse. Celle-ci connut des débuts difficiles, car les ouvriers se montraient méfiants, mais grâce à l’influence du clergé et à une grande prudence dans les placements la clientèle augmenta au point que les administrateurs durent louer, en décembre 1851, des locaux plus grands au 19 de la rue Saint-Jean ; à partir de mai 1852, la banque ouvrit ses portes trois fois par semaine. Durant l’année financière 1853–1854, elle enregistra 308 nouveaux dépôts : les résistances étaient vaincues et l’œuvre, lancée.

Il restait à la consolider. Vézina s’y employa de toutes ses forces. Secrétaire-trésorier jusqu’en avril 1863, il fut caissier (directeur général) du 1er mai 1863 à mai 1872, puis gérant jusqu’à sa mort. Sous sa sage direction ; et celle d’Olivier Robitaille, président de 1849 à 1870, la Caisse d’économie sortit victorieuse des crises cycliques qui ébranlèrent le système bancaire, notamment celle de 1856–1857 qui entrama la faillite de la Caisse d’économie de Saint-Roch. La Caisse d’économie de Notre-Dame de Québec demanda le 27 décembre 1871 une charte l’autorisant à poursuivre son activité avec un capital de $1 000 000, constitué de 2 500 actions de $400, avec privilège de le porter à $2 000 000. Cette réorganisation eut une influence sur les orientations de la Caisse d’économie, qui en vint peu à peu à se comporter comme une banque à charte. Au début du xxe siècle, Alphonse Desjardins*, en créant la Caisse populaire de Lévis, reviendra à l’esprit qui avait animé les fondateurs de la Caisse d’économie.

Les fonctions qu’exerçait Vézina au sein de la Société de construction permanente de Québec et de la Caisse d’économie l’avaient placé au cœur des milieux d’affaires francophones dont les membres, qui avaient souvent des biens fonciers, constatait Vézina, ne possédaient pas toujours « des capitaux en main pour donner l’élan nécessaire à leurs affaires ». La Caisse d’économie canalisait l’épargne des petites gens mais, parce qu’elle ne pratiquait pas l’escompte des billets de commerce, elle se coupait du monde des affaires. Les fondateurs de la Caisse d’économie sentaient de plus en plus la nécessité de mettre sur pied une banque au service des commerçants et des industriels. La crise de 1856–1857 retarda le projet jusqu’en 1858. Le 20 décembre de cette année-là, quelques hommes d’affaires, tels Chinic, Isidore Thibaudeau*, Ulric-Joseph Tessier*, Olivier Robitaille, Cirice Têtu, Abraham Hamel, Octave Crémazie* et Vézina, tinrent une réunion préparatoire. Deux jours plus tard, 51 citoyens, sous la présidence du maire Hector-Louis Langevin*, décidèrent de fonder la Banque nationale, dont le capital de $1 000 000 serait souscrit par actions de $50. Le nom de la banque était en soi un manifeste. Bien sûr, la Banque nationale serait au service de tous les hommes d’affaires, quelle que soit leur ethnie, mais elle reflétait le désir des hommes d’affaires francophones d’avoir un réseau de crédit qu’ils dirigeraient et utiliseraient comme un instrument pour se tailler une place dans le monde des affaires. Et le temps leur donnera raison. Vézina le constatera quelques années plus tard : « Le succès de la Banque Nationale a engagé nos concitoyens à se fier plus à eux-mêmes et à ne pas laisser à d’autres des sources de revenus qui peuvent être aussi utilement et aussi facilement exploitées par eux-mêmes [...] et a agrandi et facilité considérablement les modes de placements et d’économie, qui ont été longtemps limités à l’acquisition de la propriété foncière. »

Ici encore, Vézina fut l’architecte de l’établissement naissant. Membre du comité de fondation, il assuma le poste de trésorier, prépara la charte, les règlements, le prospectus, les livres de comptabilité de la future banque. Il contacta les souscripteurs durant l’été de 1859 et, le 26 décembre, il était nommé caissier. Le 28 avril 1860, la banque commença ses opérations. Ce n’est qu’en juin 1866 que la totalité du capital souscrit fut versée. L’influence de la Banque nationale, qui de 1860 à 1875 escompta environ $22 000 000 par année, fut très grande dans la région de Québec, mais on ne l’a jamais étudiée. Le Canadien, pour sa part, prétendait en 1882 que l’industrie du cuir lui devait sa prospérité. Elle devait fusionner en 1924 avec la Banque d’Hochelaga et devenir la Banque canadienne nationale.

La fondation de la Banque nationale marque le sommet de la carrière de Vézina. Le succès de celle-ci a établi sa notoriété. Les corporations publiques et les maisons d’affaires, comme la fabrique de Notre-Dame de Québec, la Compagnie des mines d’or de Léry, dont il est trésorier à partir de 1870, la Commission du havre de Québec, dont il est vice-président de 1870 à 1874, la maison Hamel et Frères et bien d’autres recourent à ses services. Farouche défenseur de l’entreprise privée et du système bancaire écossais, Vézina se fait, à plusieurs reprises, le porte-parole des hommes d’affaires de Québec face au gouvernement. Ainsi, en mars 1860, il s’était opposé publiquement au projet d’Alexander Tilloch Galt* qui visait à créer un département de la Trésorerie faisant office de banque d’État destinée à monopoliser la circulation des billets.

Ses multiples occupations n’empêchaient point Vézina de s’intéresser de près à sa famille. De son mariage en 1844, dix enfants étaient nés, dont sept atteignirent l’âge adulte. Il se souciait de leur établissement. Son fils Adolphe lui avait succédé au poste de secrétaire-trésorier de la Caisse d’économie et un autre, Ludger, était comptable à la même banque. Il veillait avec la même sollicitude à l’avenir des jeunes francophones désireux de se lancer en affaires. Il en forma des dizaines qui occupèrent de hauts postes dans les succursales de la Banque nationale ou trouvèrent de l’emploi dans le système bancaire canadien. Malgré le décès de son épouse, en 1880, Vézina n’avait pas ralenti son activité, mais il devait mourir brusquement en 1882, à l’âge de 63 ans, des suites d’une pneumonie.

En collaboration avec Jean Hamelin

François Vézina eut son biographe de son vivant. Jean-Chrysostome Langelier, à la demande des employés de la Banque nationale, publia une Biographie de Frs. Vézina, caissier de la Banque nationale (Québec, 1876). Cet ouvrage, assez hagiographique en certains endroits, demeure un document de première importance, autant pour comprendre l’homme que pour saisir la perception qu’on en avait dans son milieu. Il a été repris, sinon copié, par Auguste Béchard, qui a fait paraître une étude sur Vézina dans le Nouvelliste (Québec), 10, 12, 14, 15, 17, 18, 20–22 déc. 1877, qu’il a par la suite publiée sous forme de brochure sous le titre de Biographie de M. François Vézina, caissier de la Banque nationale [...] (Québec, 1878). La biographie de Béchard, écrite pour éduquer la jeunesse, reflète les idées nationalistes qui avaient cours alors dans certains milieux de la ville de Québec. Les articles de Pierre-Georges Roy* dans Fils de Québec (4 sér., Lévis, Québec, 1933), IV : 28–30, et de Francis-Joseph Audet*, « François Vézina », BRH, 39 (1933) : 117–120, sont des résumés du volume de Langelier. Il en est ainsi de l’article consacré à Vézina dans le Canadian biog. dict., II : 144–146. Pour sa part, le Dominion annual register, 1882, ne nous apprend rien de nouveau à son sujet.

Sur les œuvres fondées par Vézina, nous disposons de deux autres ouvrages sûrs. Le premier, de la plume d’Auguste Béchard, s’intitule Histoire de la Banque nationale [...] (Québec, 1878). Cet ouvrage, rédigé à partir des procès-verbaux et des états financiers de la Banque nationale, contient un supplément qui regroupe des articles publiés par Vézina, de 1858 à 1860, dans différents journaux de Québec : le Canadien, le Courrier du Canada et le Morning Chronicle. L’autre, Récit historique de la progression financière de la Caisse d’économie de Notre-Dame de Québec (Québec, 1878), est une compilation par Vézina lui-même de procès-verbaux et d’états financiers, et constitue une source capitale pour l’histoire de la Caisse d’économie.

D’autres sources nous ont permis de retracer des segments de la carrière de François Vézina : Canada, Statuts, 1871, c.7 ; Canada, prov. du, Statuts, 1858, c.131 ; 1859, c.103 ; 1866, c.140 ; Quebec directory, 1847 à 1883. Soulignons enfin que les dates de naissance et du mariage de Vézina ont été vérifiées aux ANQ-Q, État civil, Catholiques, Notre-Dame de Québec, 13 août 1818, 11 juin 1844. Quant à la date de décès, elle nous fut confirmée par le Canadien, 25 janv. 1882, et par l’Opinion publique, 23 févr. 1882.  [j. h.]

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

En collaboration avec Jean Hamelin, « VÉZINA, FRANÇOIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 8 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/vezina_francois_11F.html.

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Auteur de l'article:    En collaboration avec Jean Hamelin
Titre de l'article:    VÉZINA, FRANÇOIS
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1982
Année de la révision:    1982
Date de consultation:    8 déc. 2024