BEERS, WILLIAM GEORGE, dentiste, athlète, éditeur, rédacteur en chef et auteur, né le 5 mai 1841 à Montréal, fils de James Crawford Beers, ébéniste, et d’Isabella Hope ; il épousa Mary E. Hope ; décédé le 26 décembre 1900 dans sa ville natale.

Après ses études à Montréal, à la Philips School puis au Lower Canada College, William George Beers fit un stage d’apprentissage de quatre ans au cabinet du dentiste Charles M. Dickinson de Montréal. Grâce à cette formation, il devint rapidement un dentiste de premier plan dans la province du Canada et, dès le début des années 1860, il publiait des articles dans des revues d’art dentaire américaines. Beers fut parmi les premiers à favoriser la création d’écoles dentaires et l’adoption d’une loi qui reconnaissait la profession de dentiste. Il compta également parmi les fondateurs, en 1868, de l’Association des dentistes de la province de Québec, dont il devint le secrétaire, puis le président. La même année, il fonda et finança lui-même le Canada Journal of Dental Science, de Montréal ; malheureusement, cette revue se heurta à des difficultés financières à compter de 1871, pour finalement sombrer en 1879 après que Beers y eut englouti toutes ses ressources.

Beers, par ailleurs, pratiquait la crosse depuis l’âge de six ans. Pendant l’été de 1860, il avait été gardien de but pour le Montreal Lacrosse dans un match présenté devant le prince de Galles en visite au pays. Depuis les années 1830, des Blancs pratiquaient occasionnellement la crosse, mais les maîtres reconnus de ce jeu étaient les Indiens, ses inventeurs. Dans sa jeunesse, Beers suivait passionnément les matchs disputés entre les Indiens de Saint-Régis (Akwesasne) et ceux de Caughnawaga (Kahnawake) dans la région de Montréal, mais il ne pouvait accepter leur style de jeu farouche et souvent violent. Il en arriva à la conclusion qu’il fallait rationaliser ce sport et, en 1860, il publia une brochure dans laquelle il en fixait les règles fondamentales en établissant la dimension du terrain, la distance entre les buts et le nombre de joueurs par équipe. La crosse acquit par la suite une grande popularité chez les Blancs. Le 26 septembre 1867, dans une large mesure grâce aux efforts de Beers, les représentants de 29 clubs du Québec et de l’Ontario formèrent à Kingston, en Ontario, la National Lacrosse Association ; elle adopta les règles de Beers. Deux ans plus tard, il publia un livre intitulé Lacrosse, the national game of Canada, dans lequel il faisait un bref historique du jeu, en répétait les règles et proposait certaines réflexions sur la théorie et la stratégie du jeu aux diverses positions.

Dans ses écrits sur la crosse, Beers manifestait à maints égards des attitudes et des opinions typiques de l’élite canadienne anglaise de son temps. Il appuyait la conception britannique d’un christianisme robuste, exprimait sa croyance profonde en la nécessité de l’ordre et affirmait que la science et les méthodes scientifiques constituaient les clés du progrès. Selon Beers, l’Indien jouait à la crosse « surtout d’instinct [...] mais [il était] incapable de jouer avec autant de science que les meilleurs joueurs blancs ». « Le jeu actuel, affirmait-il, amélioré et réglementé par les Blancs, emploie la plus grande combinaison d’activité physique et mentale que l’homme blanc peut soutenir dans le jeu, et est aussi supérieur à l’original que la civilisation l’est à la barbarie. » Plus tard, cependant, Beers reconnaîtrait les limites inhérentes aux règlements et à la « civilisation » dans la mentalité canadienne. « Les sports canadiens [...] ont un caractère distinctif », écrivait-il en 1883. « Ils tiennent davantage de l’ingouverné et de l’ingouvernable que les jeux de l’Ancien Monde et semblent mal s’accommoder du poids des règlements. »

Beers ne s’est pas contenté de codifier le jeu de crosse ; il en a également fait une promotion fructueuse. La National Lacrosse Association lui donna la structure et l’élan nécessaires pour rivaliser avec des sports comme le cricket, les courses de chevaux, le soccer, le rugby et le baseball, tandis que le livre de Beers le popularisait dans tout le pays. En 1876 et 1883, Beers fut l’organisateur principal des tournées effectuées dans les îles Britanniques par des équipes canadiennes de crosse. Ces tournées avaient pour but de susciter à l’étranger un intérêt pour ce sport. La volonté de Beers de donner une impulsion à la crosse révélait un ardent nationalisme. « Si la république de Grèce fut redevable aux Jeux Olympiques, si l’Angleterre avait des motifs de louer le jeu de cricket, le Canada peut, quant à lui, s’enorgueillir de la crosse », affirmait-il. « Elle a amené des jeunes gens de tout le dominion à faire un exercice sain ; [...] et [elle] a peut-être contribué plus que n’importe quoi à instiller le sentiment de patriotisme chez les jeunes hommes du Canada. » Beers fit si bien pour promouvoir la crosse qu’il parvint à implanter et à répandre le mythe selon lequel ce jeu avait été déclaré sport national du Canada par une loi du Parlement. Ce rang de sport national reviendrait tout de même à la crosse vers la fin du siècle. En effet, le travail de pionnier accompli par Beers pour son développement et sa promotion en ferait un modèle, à l’époque, sur les plans de l’organisation et de l’administration, pour les autres sports pratiqués au Canada.

Pourtant, Beers se rendait compte des problèmes que la crosse pourrait connaître si « une déviation courante du sport » caractérisée par le recours à la force brutale et au jeu rude chez « des joueurs jeunes et non scientifiques » s’accentuait. Ses efforts en vue d’éliminer toute violence du jeu sans pour autant interdire les contacts corporels virils étaient cependant voués à l’échec à une époque où les conflits ethniques et religieux trouvaient un exutoire dans les matchs entre équipes issues de groupes antagonistes ; au début du xxe siècle, la crosse allait commencer à perdre de sa popularité.

La crosse ne fut pas le seul sport auquel Beers s’intéressa ni le seul moyen par lequel il exprima son nationalisme. Dans les années 1850, il avait été membre du Montreal Snow Shoe Club, de l’Olympic Club et d’un club de luge. En 1862 et 1863, il envoya 20 articles sur les sports canadiens au Wilkes’ Spirit of the Times, de New York, après quoi il écrivit sur divers aspects de la vie canadienne dans le Saturday Reader de Montréal et le Once a Week de Londres ainsi que dans le Harper’s Magazine de New York, le Lippincott’s Magazine de Philadelphie, le Century Illustrated Magazine et le Scribner’s Magazine, tous deux de New York, ainsi que d’autres grands périodiques américains. Après l’affaire du Trent en 1861 [V. sir Charles Hastings Doyle*], il forma et équipa à ses frais une compagnie intégrée au bataillon des Victoria Rifle Volunteers et recrutée parmi les joueurs du Montreal Lacrosse Club et du Beaver Lacrosse Club. Le bataillon en question devint célèbre sous le nom de Victoria Rifles of Canada. Beers fut l’un des fondateurs de l’Association des gymnastes amateurs de Montréal. Constituée juridiquement en 1881, celle-ci s’affilia rapidement à des clubs de raquette, de crosse, de bicyclette, de luge et de football de Montréal, auxquels s’ajoutèrent par la suite des clubs de hockey, d’échecs et de cricket. Grâce à son expansion, elle put bientôt disposer d’excellentes installations sportives et compter sur des dirigeants très compétents pour l’organisation de sports à l’échelle nationale. L’organisme finit par diversifier ses activités pour inclure le théâtre, la musique et les débats contradictoires. En 1883, se remémorant une époque où, dans la société canadienne, « on considérait les lettrés et les sportifs comme aussi étrangers les uns aux autres que le vice et la vertu », Beers applaudit ceux qui, comme lui, avaient préparé le terrain pour une « appréciation rationnelle des activités récréatives » dans la vie canadienne. Excellent orateur, Beers s’était fait largement connaître au Canada et aux États-Unis et il écrivait de la poésie, des chansons, des articles et des livres de nature à susciter le patriotisme chez les habitants du nouveau dominion. Sur le plan politique, il était conservateur et sur le plan religieux, presbytérien, mais ce qui le caractérisait surtout, c’était son nationalisme ; « il croit davantage en l’annihilation qu’en l’annexion, écrivit Henry James Morgan*, et dans un canadianisme impérial ». Beers fut d’ailleurs l’un des fondateurs de la Canadien National League en 1893.

En 1880, Beers se flattait de posséder le plus important cabinet de dentiste à Montréal : il était déjà l’un des chefs de file de sa profession au Canada depuis au moins les années 1870. En 1889, il devint rédacteur en chef d’une nouvelle revue, le Dominion Dental Journal, de Toronto et, en 1892, on le nomma premier doyen du Collège dentaire du Québec. Il avait été professeur de dentisterie à la McGill University et agissait à titre de conseiller auprès du gouvernement pour toutes les questions relatives à ce domaine. À deux reprises, il remplit la fonction de président du Bureau des examinateurs et, pendant 11 ans, il fut secrétaire de cet organisme chargé de réglementer la profession. Il publia en tout plus de 200 articles sur la dentisterie préventive. Il chercha constamment à améliorer la pratique de l’art dentaire et, en 1896, il abandonna son poste de doyen du Collège dentaire parce que plusieurs de ses confrères préconisaient l’embauche d’auxiliaires ; il craignait que cette innovation ne nuise à la réputation de sa profession. Au cours des années 1890 à tout le moins, Beers en vint à pratiquer uniquement la chirurgie buccale dans son cabinet ; son succès fut à l’origine d’une tendance à la spécialisation chez les dentistes des grands centres urbains. Il ne pouvait s’empêcher de manifester son nationalisme, même dans le contexte de sa profession, dont l’organisation, se plaisait-il à dire, remontait à la Confédération. Lorsqu’il prenait la parole devant des associations de dentistes, il en profitait pour faire valoir ses idées nationalistes. En 1888, par exemple, devant une assemblée de dentistes américains qui discutaient d’annexion, il déclara : « Monsieur le président, le Canada n’est pas à vendre. » Ou encore, deux ans plus tard, il affirma aux diplômés d’une école dentaire de Toronto que « ni la race, ni la religion, ni la couleur ne peuvent nous exempter de notre devoir de rendre service à notre patrie ».

William George Beers mourut d’une maladie cardiaque en décembre 1900, à l’âge de 59 ans. Il avait légué au Royal College of Dental Surgeons of Ontario sa bibliothèque d’environ 400 volumes sur l’art dentaire (certainement la plus considérable de l’époque, au Canada). Son œuvre, qui consista principalement à codifier et à promouvoir le jeu de crosse, à faire progresser le sport organisé et à rechercher l’acquisition d’un statut professionnel pour la dentisterie, eut des répercussions remarquablement durables sur l’histoire sociale canadienne. En outre, il témoigna souvent et avec éloquence du nationalisme canadien naissant, à une époque où les États-Unis, qui se remettaient de la guerre de Sécession, apparaissaient pour bien des gens comme une menace toujours croissante pour la survie du nouveau dominion en tant que pays distinct.

J. Thomas West

En plus d’avoir fait paraître de nombreuses articles de revue, William George Beers a publié, entre autres : Lacrosse, the national game of Canada (Montréal, 1869) ; Over the snow ; or the Montreal carnival (Montréal, 1883) ; et Young Canada’s reply to « annexation » ([Montréal, 1888]). Un portrait de Beers a été publié dans D. W. Gullett, A history of dentistry in Canada (Toronto, 1971), et on trouve Beers sur une photographie du Montreal Lacrosse Club de 1867, reproduite dans S. F. Wise et Douglas Fisher, Canada’s sporting heroes (Don Mills [Toronto], 1974), 29.

AN, MG 28, I 351 ; MG 29, C17.— ANQ-M, CE1-95, 29 mai 1842.— Gazette (Montréal), 27 déc. 1900.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1898).— Dane Larken, « Lacrosse : « little brother of war », the Indians called it », Canadian Geographic (Ottawa), 104 (1984), no 5 : 36–43.

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J. Thomas West, « BEERS, WILLIAM GEORGE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 12 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/beers_william_george_12F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1990
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