VENEY, ANDERSON, barbier et steward, reconnu coupable de meurtre, né vers 1845 au Kentucky ; décédé le 17 mars 1894 au pénitencier fédéral de Kingston, Ontario.

Esclave dès sa naissance au Kentucky, Anderson Veney avait cinq ans au moment où sa famille, que dirigeait son beau-père, Levi Veney, se réfugia au Canada. Ils s’établirent à Amherstburg, dans le Haut-Canada, parmi de nombreux autres esclaves qui s’étaient enfuis. Plus tard, Veney exerça le métier de barbier, se maria et eut deux enfants. Comme sa situation matérielle ne s’améliorait pas, il devint steward à bord d’un cargo qui naviguait sur les Grands Lacs. Sa femme mourut vers 1885, et il emménagea plus tard avec une autre, qui prit le nom de Mattie Veney.

Au cours de l’été de 1892, Veney tomba malade à Cleveland, en Ohio, et commença à se plaindre de violents maux de tête. Un compagnon de travail remarqua qu’il oubliait fréquemment ses tâches et qu’il souffrait d’insomnie et de mélancolie. Il se mit à croire que sa femme ne lui était pas fidèle, ce qui ne fut pas prouvé par la suite. À son retour à Amherstburg, en septembre 1892, beaucoup de gens remarquèrent qu’il était devenu morose et d’humeur imprévisible. Dans l’après-midi du dimanche 11 septembre 1892, sans raison apparente, Veney attaqua sa femme soudainement et la tua. Il était en train d’attenter à sa propre vie quand on l’arrêta.

Incapable d’assumer les frais de sa défense, Veney fut néanmoins représenté par un avocat de race noire d’Amherstburg, Delos Rogest Davis*, et par Mahlon K. Cowan de Windsor. Au procès, en avril 1893, devant le juge William Purvis Rochfort Street, on ne mit pas en doute l’homicide, mais plutôt la santé mentale de Veney. La défense fit défiler de nombreux témoins pour décrire le comportement étrange de l’accusé depuis quelque temps. Même son geôlier fut appelé à la barre pour déclarer qu’au cours des derniers mois il était demeuré assis dans sa cellule, apathique, en proie à une sorte de stupeur. Afin d’appuyer le plaidoyer d’aliénation mentale sur des arguments de nature médicale, on fit témoigner James Samson, médecin de Windsor. Il déclara que Veney souffrait d’une congestion cérébrale, probablement à l’origine de ses troubles mentaux. Cependant, lorsqu’il fut contre-interrogé, Samson dut admettre qu’il était presque impossible de préciser la nature exacte de la maladie de Veney.

La couronne répliqua en faisant témoigner le docteur Richard Maurice Bucke*, surintendant de l’asile d’aliénés de London. Il déclara que Veney souffrait de simple mélancolie, à laquelle un homicide violent ne pouvait être attribué. En outre, son odeur n’était pas, selon lui, celle d’une personne atteinte de mélancolie aiguë, qui donne généralement « une odeur morbide à la peau et à l’haleine ». Bucke fit aussi remarquer que Veney avait une température normale alors que dans les cas de mélancolie grave elle augmentait habituellement un peu. Lorsque la défense lui demanda si la congestion cérébrale pouvait être une cause directe d’aliénation, Bucke répondit que non, même si Cowan présenta des études de cas qui confirmaient l’existence d’un rapport entre les deux. Selon Bucke, tous les symptômes indiquaient que Veney était sain d’esprit.

Le procès dura neuf heures. Le juge Street résuma les débats à l’intention des jurés qui, après de courtes délibérations, rendirent un verdict de culpabilité qui recommandait un recours en grâce. Street condamna Veney à être pendu le 18 mai. Plus tard dans la soirée, il écrivit au ministère de la Justice à Ottawa qu’il faisait peu de doute que Veney était sain d’esprit lorsqu’il avait tué sa femme.

Le sous-procureur général de l’Ontario, John Robison Cartwright, demanda au docteur Théodore F. Chamberlain*, inspecteur provincial des prisons et des maisons de charité publiques, d’examiner Veney et de lui présenter son rapport. Chamberlain découvrit avec une certaine stupéfaction que le condamné à mort était « sujet à des troubles organiques du cerveau qui faisaient de lui une épave sur les plans mental et physique ». Ce rapport, envoyé au ministre de la Justice par intérim, Joseph-Aldéric Ouimet*, incita le ministère à recueillir des renseignements additionnels auprès du juge Street et des autorités médicales. Le docteur Samson rédigea un autre rapport, dans lequel il déclarait que l’exécution d’un aliéné serait « un spectacle horrible comme il ne s’en était jamais vu » et avertit que cela pourrait causer un scandale. Le cabinet fédéral étudia le cas de Veney le 13 mai et sa sentence fut commuée en emprisonnement à vie. À l’annonce de la nouvelle, le condamné demeura impassible.

Le 18 mai 1893, on emmena Veney au pénitencier de Kingston. Le médecin de l’établissement, Orlando Sampson Strange, le transféra immédiatement à la clinique de la prison. Moins d’un an plus tard, il mourait de phtisie.

Il est évident, d’après les témoignages des médecins présentés au procès d’Anderson Veney, qu’on n’avait à cette époque qu’une connaissance rudimentaire de la maladie mentale. Le témoignage d’experts comme le docteur Bucke pouvait donner lieu à une condamnation, même si la plupart des observateurs croyaient que Veney était manifestement atteint d’aliénation mentale. Il fallut l’intervention spéciale du bureau du procureur général de la province dans une cause criminelle de juridiction fédérale pour inciter le ministère de la Justice canadien à réviser cette affaire.

Patrick Brode

AN, RG 13, B1 1428, file 259A, transcription de Chamberlain à Cartwright, 4 mai 1893 ; Power à Casgrain et Street, 8 mai 1893 ; rapport du conseil, 13 mai 1893.— Ontario, Office of the Registrar General (Toronto), Deaths, registration nº 1894–05–005180.— Canada, Parl., Doc. de la session, 1894, nº 18 : 13, 29 ; 1895, nº 18 : 9, 11.— Evening Record (Windsor, Ontario), 16 mai 1893.

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Patrick Brode, « VENEY, ANDERSON », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 7 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/veney_anderson_12F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1990
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