BLACKADAR, HENRY DUGWELL, rédacteur en chef et propriétaire de journal, né le 6 février 1845 à Halifax, troisième fils de Hugh William Blackadar* et de sa deuxième femme, Sophia Coleman ; le 16 septembre 1875, il épousa dans cette ville Jessie Smith, nièce d’Amor De Cosmos*, et ils eurent deux fils ; décédé au même endroit le 21 juillet 1901.
Les ancêtres de Henry Blackadar vivaient au Massachusetts, et lui-même tenait son deuxième prénom de John Dugwell, qui avait épousé sa grand-tante et, semble-t-il, fait embaucher certains des Blackadar au chantier naval de Halifax. Comme d’autres membres de sa famille, il fut inextricablement lié à l’Acadian Recorder, journal fondé en 1813 par Anthony Henry Holland*, dont son père devint copropriétaire en 1837 et propriétaire en 1857. Dès l’âge de sept ans, Henry apprit le métier de typographe à l’imprimerie du Recorder. Dans l’intention de devenir avocat, il fréquenta la Horton Academy de Wolfville. C’est là qu’un jour, avec des condisciples, il lâcha une chèvre dans la section féminine, le Grand-Pre Seminary. Cette farce se solda par l’échange avec les jeunes filles de poèmes satiriques qui déridèrent tout le campus.
Henry Blackadar fit un court stage de clerc chez Robert Linton Weatherbe*, mais il avait le journalisme dans le sang, et à la mort de son père, en 1863, il devint reporter au Recorder. La propriété du journal, alors hebdomadaire, passa à son frère aîné, Hugh William, qui en fit un trihebdomadaire, puis un quotidien. En 1867, Henry succéda à Weatherbe comme rédacteur en chef ; il allait exercer cette fonction jusqu’à sa mort. Quand Hugh William devint maître de poste de Halifax, en 1874, Henry devint propriétaire du journal, qu’il dirigea avec son jeune frère Charles Coleman.
Henry Blackadar était éminemment qualifié. Initié dès l’enfance aux aspects pratiques du journalisme, il connaissait aussi bien la population de Halifax que les débuts de l’histoire de la province. Il pouvait « produire un éditorial en le composant directement en caractères d’imprimerie », ce qui faisait l’envie des autres journalistes. Un ami et ancien condisciple, James Wilberforce Longley*, a laissé entendre que ses qualités intellectuelles lui auraient permis de se consacrer à la littérature, et notamment à la poésie. Il lisait énormément, du Dickens surtout, et on le sentait dans ses articles, où il lui arrivait souvent de donner un « coup de bec » à un adversaire. Sa journée de travail commençait tôt le matin et se terminait tard le soir. Il s’occupait des détails les plus infimes ; presque jusqu’à la fin, il supervisa la dernière étape du montage, avant la mise sous presse. Bien qu’il n’aimât pas être distrait de son travail journalistique, il remplit un mandat au conseil des commissaires d’école de Halifax, dont il fut un an président. En outre, il occupa la vice-présidence de la Nova Scotia Tourist Association, dont il fit progresser le travail par sa correspondance ; selon un observateur, ce fut surtout grâce à lui que bien des Américains découvrirent Halifax. Cependant, il refusa toujours de sauter dans l’arène politique, même municipale ; comme le disait son frère Charles, il préférait « critiquer, louer ou conseiller en matière d’administration ou de réforme municipales à partir de son fauteuil d’éditorialiste ».
Bien que, de 1867 à 1877, James Wilberforce Longley ait publié quelques éditoriaux dans le Recorder, c’est Blackadar qui écrivit la plupart d’entre eux, tant avant 1877 qu’après, et qui détermina l’orientation du journal. Amer comme tous les adversaires de la Confédération, il était prêt, malgré sa loyauté envers la Grande-Bretagne, à accorder son allégeance à n’importe quel pays, y compris aux États-Unis, si l’on ne pouvait annuler la Confédération. Après que Joseph Howe* eut accepté l’ordre nouveau, en 1868, il lui adressa les mêmes injures qu’à Charles Tupper*, sa principale bête noire. Les chefs libéraux fédéraux Alexander Mackenzie* et Edward Blake* appuyaient la Confédération, mais Blackadar, qui était au fond un tenant du libéralisme anglais, donna d’emblée son appui à leur parti, qui défendait l’économie et s’opposait vigoureusement aux barrières tarifaires et au protectionnisme. En 1878, Blackadar s’éleva ouvertement contre la Politique nationale, proposée par le gouvernement de sir John Alexander Macdonald* ; ce serait, écrivit-il, « la plus vilaine tache faite, dans l’histoire, sur le beau visage des institutions britanniques ». La défaite des libéraux de Mackenzie ne lui sembla pouvoir être attribuée qu’à un accès de folie. En 1882, il parla surtout de corruption politique et d’augmentations de taxe ; jusqu’à quand, demandait-il, la Nouvelle-Écosse devrait-elle porter le fardeau de la Politique nationale et permettre que le pain des pauvres gens se vende à un prix excessif ? Encore une fois, le verdict de l’électorat lui parut incompréhensible. À compter de 1884, il couvrit d’éloges le premier ministre de la province, William Stevens Fielding*. Lorsque celui-ci, aux élections provinciales de 1886, plaida pour que la province quitte la Confédération, il l’appuya vigoureusement en raillant la « bande de pirates » qui, à Ottawa, enchaînait toujours davantage la Nouvelle-Écosse « prostrée » en la privant des ressources financières nécessaires aux besoins de base. Les Néo-Écossais, après avoir donné à Fielding une solide victoire en 1886, revinrent sur leur position aux élections fédérales de 1887. Blackadar dut alors se contenter de dire que la population finirait bien par prononcer un jugement éclairé.
Au cours des campagnes fédérales de 1891 et de 1896, Blackadar reprit ses arguments habituels. Dans la première, il se prononça pour la réciprocité absolue et dénonça les prétentions des conservateurs à la loyauté ; pour eux, elle supposait simplement que « les charges publiques devaient être des émoluments pour les tories ». Dans la seconde, il parla surtout de la réforme tarifaire et attaqua Tupper, « le grand menteur ». Pour lui, la victoire de Wilfrid Laurier* montrait que, même si « les hommes passent [...] les principes demeurent à jamais ». Peut-être parce qu’il était libéral de cœur, pendant la campagne électorale de 1900, il se déclara satisfait de ce que Laurier avait fait à propos du tarif, même si cela revenait surtout à instaurer la préférence britannique. Néanmoins il allait dire, que « la réforme tarifaire [était] là pour rester » et ajouter : « nous en voulons davantage [parce que] nous avons découvert que c’est une bonne chose ».
Du 4 février 1888 à la veille de sa mort, Blackadar publia tous les samedis, dans le Recorder, des lettres signées « Doesticks » et intitulées pendant nombre d’années « Vérités et vétilles ». Faites d’au moins une douzaine de paragraphes indépendants, elles étaient rédigées, selon son frère Charles, « toujours en vitesse, et souvent sous l’impulsion du moment », et montraient « sa connaissance particulière des hommes, [...] sa culture livresque et sa compréhension des faits de l’histoire locale, de même que son tour d’esprit philosophique ». Quelquefois il faisait des commentaires sur « le peu qui restent après 40 ans » et « la proportion de malhonnêteté impunie dans le monde ». Une fois il se remémora « les conserves que nos mères faisaient » et s’arrêta sur « ce qui peut contribuer à l’échec ou à la réussite de plus d’un dîner ». De temps à autre, il répondait à la question posée dans la comédie de Thomas Morton, Speed the plough : « Que dira Mme Grundy ? » Mme Grundy déclara un jour que « la femme qui se peint et se poudre le visage s’expose toujours à des ennuis » et qu’« une éducation à la mode semble négliger tout ce qui vaut le plus la peine d’être su ». Ces lettres étaient intéressantes et sans doute instructives pour un vaste cercle d’Haligoniens, les plus âgés surtout.
Henry Dugwell Blackadar succomba au mal de Bright à l’âge de 56 ans, après plusieurs mois de maladie. S’il avait fidèlement soutenu le parti libéral, tant sur la scène fédérale que provinciale, c’était, par-dessus tout, parce qu’il tenait à l’intégrité du gouvernement et rejetait le tarif protecteur. Ses fréquents recours à la récrimination dans les débats politiques ne gâchèrent jamais l’amitié personnelle qui le liait à ses adversaires. Comme d’autres, James Wilberforce Longley le tenait pour « un homme au grand cœur et aux instincts généreux ». C’était aussi un administrateur habile, grâce à qui le Recorder prospéra. Avec des investissements prudents, le journal lui permit de constituer une succession de plus de 100 000 $, fortune confortable à l’époque. De tous les Blackadar, il fut probablement le meilleur rédacteur en chef et certainement le journaliste le plus polyvalent. Cependant, le Recorder déclina à mesure que le Morning Chronicle de Halifax devenait le principal organe libéral de la province. Pendant les trois premières décennies du xxe siècle, il « ne suivit pas le courant » ; ce fut le dernier quotidien néo-écossais composé à la main. Vers la fin, Charles Coleman Blackadar dut en éponger les pertes de plus en plus lourdes. Il mourut en 1930, et le journal ne lui survécut que quelques semaines.
À notre connaissance, il n’existe même pas une brève étude de la carrière de Henry Dugwell Blackadar. Pour connaître ses antécédents familiaux, nous avons consulté un article du généalogiste le plus connu de la Nouvelle-Écosse, Charles St Clair Stayner, « The Blackadar family of Halifax », N. S. Hist. Rev., 1 (1981), no 1 : 67–72. Les notices nécrologiques et les éditoriaux du 22 juill. 1901 de l’Acadian Recorder, du Halifax Herald, et du Morning Chronicle de Halifax se sont avérés très utiles quant à l’information sur sa vie et aux commentaires sur son travail et ses attitudes ; la notice nécrologique de l’Acadian Recorder, rédigée par son frère Charles, est particulièrement révélatrice. L’hommage de son ancien condisciple et ami de longue date James Wilberforce Longley, qui a paru dans le même journal le 24 juill., n’était pas moins précieux. Nous avons examiné bon nombre des lettres signées « Doesticks » dans l’Acadian Recorder ; les numéros d’où sont tirées les citations sont ceux du 25 juin 1892, des 10 et 24 févr. 1900 et des 6 et 16 juill. 1901. Nous avons aussi examiné les éditoriaux de l’Acadian Recorder parus durant les élections partielles fédérales et provinciales tenues entre 1867 et 1900. Les renseignements concernant la presse néo-écossaise ont été fournis par l’article de D. C. Harvey, « Newspapers of Nova Scotia, 1840–1867 », CHR, 26 (1945) : 279–301. [j. m. b.]
J. Murray Beck, « BLACKADAR, HENRY DUGWELL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 10 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/blackadar_henry_dugwell_13F.html.
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Auteur de l'article: | J. Murray Beck |
Titre de l'article: | BLACKADAR, HENRY DUGWELL |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 10 déc. 2024 |