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DOBELL, RICHARD REID, homme d’affaires et homme politique, né en 1837 à Liverpool, Angleterre, fils de George Dobell, commerçant ; en 1866, il épousa Elizabeth Frances Macpherson, fille aînée de David Lewis Macpherson*, et ils eurent trois fils et deux filles ; décédé le 12 janvier 1902 entre Hythe (comté de Kent, Angleterre) et Folkestone, d’un traumatisme crânien dû à une chute de cheval.
Richard Reid Dobell passe toute sa jeunesse à Liverpool. Il étudie au Liverpool College. En août 1857, il s’installe à Québec dans le but de faire le commerce du bois. Il s’associe à Thomas Beckett, son futur beau-frère, et, en 1860, tous deux s’établissent à Sillery, sur l’emplacement du chantier de la LeMesurier and Brothers. La R. R. Dobell and Company entretient d’étroits rapports avec des marchands de Liverpool qui lui fournissent de puissantes assises financières tout au long des années 1860. En 1867, elle est considérée par les agences de crédit comme une des entreprises les plus fiables sur le marché et ses ressources financières sont évaluées à plus de 500 000 $. En 1873, le retrait de James Bland, William et Hughes Pierce, importants négociants de Liverpool, entraîne une réorganisation de la firme. Quentin Fleming et Charles Taylor deviennent alors les principaux associés de Dobell et Beckett, à Liverpool, même si l’influence de Bland est encore prépondérante sur le plan du financement. Ce dernier laisse au moins 40 000 £ dans le fonds de capital de l’entreprise, pour une période de trois ans. Disposant d’un actif de 180 000 £, la R. R. Dobell and Company jouit d’une imposante marge de crédit à Liverpool ; elle possède un compte ouvert de 40 000 £ à la Bank of England, et bénéficie des faveurs de la A. Heywood and Son Company, établissement financier privé.
L’entreprise réussit, non sans difficultés, à traverser la crise des années 1873–1879. Dobell et Beckett font preuve de prudence et décident de moins recourir au crédit. Au début de 1876, ils paient comptant leurs achats et diminuent substantiellement leurs commandes dans les zones d’extraction forestières. Cependant, la concurrence des autres pays exportateurs sur le marché britannique et l’accroissement des taux de fret, de manutention et de chargement, au port de Québec, leur font reporter à plus tard les problèmes liés à la consolidation financière de leur entreprise. Ces facteurs conjoncturels ont des incidences marquantes. À court terme, ils expliquent peut-être le désistement de Fleming et de Taylor, leurs associés britanniques. À compter de 1879, Dobell et Beckett deviennent les principaux responsables de leur destinée commerciale.
Ce changement ne s’effectue pas sans heurts. Les ressources financières de la R. R. Dobell and Company ne sont évaluées qu’entre 75 000 $ et 100 000 $ en 1879. La firme québécoise doit faire face à de nouveaux défis. Les années 1880 s’ouvrent donc sur une période de reconstruction. Conscients que Québec ne représente plus le principal port d’expédition des produits forestiers, les associés utilisent autant les ports de Montréal (ils y établissent une agence), et de New York que d’autres des États-Unis ; les coûts de transport, de manutention et de chargement y sont beaucoup moins élevés. De plus, ils diversifient leurs sources d’approvisionnement en n’hésitant pas, par exemple, à envoyer un agent au Honduras afin de se procurer le bois d’acajou dont ils ont besoin pour satisfaire la demande britannique. Enfin, ils déplacent leur bureau d’affaires en Angleterre, de Liverpool à Londres.
Toutes ces initiatives ont des répercussions immédiates sur la santé financière de l’entreprise. En quelques années, la R. R. Dobell and Company retrouve presque sa prestance d’antan. À partir de 1887, elle cumule un actif minimal de 300 000 $ à 400 000 $. Cette croissance amène une réorganisation de la firme. En 1886, on crée deux sociétés commerciales : la Dobell, Beckett and Company de Québec et la Richard R. Dobell and Company de Londres. Thomas Stevenson devient le représentant de la firme dans la capitale anglaise tandis que Lorenzo Evans seconde Dobell et Beckett à Québec. Dobell assume la direction de ces entreprises. Les clauses de l’association lui sont d’ailleurs très favorables. Il détient 39 % des actions, reçoit un salaire annuel de 15 000 $ et peut se retirer en tout temps avec une indemnité de 450 000 $, qui représente l’ensemble des capitaux et profits qu’il a investis au Canada. Cette position de commande est renforcée en 1894. Beckett quitte alors Québec pour rejoindre Stevenson, à Londres, et le fils de Dobell, William Molson, est admis comme associé à Québec. Si Dobell, dans le nouveau partage, n’a que 34 % des actions, il retire désormais un salaire annuel de 25 000 $ tout en demeurant l’actionnaire le mieux nanti. Plus important encore, il n’est plus tenu de consacrer tout son temps et ses efforts à la bonne marche des affaires. Ses entreprises sont d’ailleurs bien implantées, malgré une légère décroissance des ressources financières, qui s’établissent entre 250 000 $ et 300 000 $ à compter de 1893. Néanmoins, elles continuent de faire bonne figure et bénéficient même, vers la fin du xixe siècle, des contrats d’approvisionnement en bois de l’Amirauté britannique.
Libéré des contraintes commerciales, Dobell joue un rôle de plus en plus important sur la scène économique canadienne. C’est déjà un personnage de premier plan au sein de la communauté commerciale du pays. Il exerce une influence certaine sur les destinées de l’économie nationale. Actif au sein du Bureau de commerce de Québec depuis sa venue au Canada, il en a assumé la présidence en 1873 (il le fera encore en 1895), et participera, durant les années 1890, à des commissions sur la navigation d’hiver et le commerce d’exportation du bétail. Membre de la Commission du havre de Québec au cours des années 1880, il prend une part active aux décisions entourant la construction du bassin Louise ; au cours des années 1890, il sera d’ailleurs réélu commissaire. Ses voyages fréquents en Angleterre, depuis 1885, et ses relations d’affaires lui confèrent une crédibilité commerciale et politique. Partisan d’une union fédérative impériale sur le plan commercial, il est associé au Parti conservateur fédéral, qui tente de faire aboutir un tel projet. C’est sans doute pour cette raison qu’il est le délégué de la Chambre de commerce du dominion à Londres, en 1892, et qu’il représente les intérêts canadiens au Cap (Afrique du Sud), la même année. En 1894, il participe à l’organisation de la conférence des chambres de commerce intercontinentales, tenue à Québec, au mois de juillet. Il favorise de plus en plus une réforme des tarifs protecteurs, une réciprocité commerciale intercoloniale, avec une préférence pour la Grande-Bretagne, et une ouverture aux échanges commerciaux avec les États-Unis.
En 1895, Dobell décide de se porter candidat dans la circonscription de Québec-Ouest, lors d’une élection partielle fédérale. Son adversaire est Thomas McGreevy*, qui tente de se faire réélire aux Communes, après ses déboires avec la justice. Tous deux se présentent comme indépendants, mais ils flirtent jusqu’à un certain point avec les programmes politiques des libéraux et des conservateurs. Encore associé aux conservateurs, Dobell se dit toutefois favorable à une forme de libre-échange avec les États-Unis. Il réussit à s’attirer la faveur de l’électorat libéral francophone et irlandais en se prononçant publiquement en faveur des revendications de la minorité francophone sur la question des écoles manitobaines [V. Thomas Greenway]. Il remporte les élections par une faible majorité de sept voix, résultat qui est aussitôt contesté. Le recomptage confirme l’élection de McGreevy par une majorité de voix équivalente. Malgré cette défaite, Dobell n’hésite pas à se représenter comme candidat libéral dans Québec-Ouest aux élections générales de 1896. Même s’il s’affiche encore comme indépendant, son programme électoral s’apparente à celui des libéraux. En dépit des tractations du Parti conservateur, McGreevy se représente comme indépendant, mais une partie importante de l’élite commerciale de Québec se range du côté de Dobell, qui est élu par une majorité de 231 voix. Le 13 juillet, il est assermenté comme ministre sans portefeuille dans le cabinet de Wilfrid Laurier*.
Cette nomination déplaît à ses confrères d’antan. À la Chambre des communes, Thomas Chase-Casgrain* l’accuse d’opportunisme politique. Sir Charles Hibbert Tupper* va beaucoup plus loin en prétendant malicieusement qu’il peut être acheté pour 5 $. Dobell rétorque en invoquant le manque d’éthique dont ses confrères ont fait preuve, notamment envers sir Mackenzie Bowell*, dont ils ont amené la démission comme premier ministre. En fait, les conservateurs ne lui pardonnent pas ce changement d’allégeance si rapide. À la session de 1896, du 19 août au 5 octobre, Dobell est ministre de l’Intérieur par intérim. Il ne tarde pas à croiser le fer avec l’opposition au cours des débats qui entourent la création d’une ligne de steamers rapides entre l’Angleterre et le Canada. Ce projet, déjà mis de l’avant par le cabinet de sir John Alexander Macdonald*, et dans lequel le chef de l’opposition, sir Charles Tupper*, a joué un rôle important, rejoint les intérêts de Dobell. En effet, il est un des principaux promoteurs et actionnaires de la Quebec Cold Storage and Warehouse Company et de la Louise Wharfage and Warehouse Company, entreprises de réfrigération et d’entreposage de Québec qui ne pourraient que bénéficier d’une telle liaison. Toutefois, le projet, appuyé par Dobell, suscite de vives critiques de la part des conservateurs. Ainsi, Casgrain demeure perplexe face à une déclaration ministérielle qui confirme que Québec sera le terminus maritime, mais laisse entrevoir une liaison maritime jusqu’à Montréal. Sir Charles Tupper reproche à Dobell de vouloir instaurer une liaison de steamers ne filant qu’à 18 nœuds au lieu des 20 nœuds initialement prévus. Il parle aussi d’un éventuel conflit d’intérêt entre Dobell et la Cunard Steamship Company, avec qui ce dernier semble entretenir d’étroites relations d’affaires. En fait, différentes raisons financières poussent le cabinet Laurier à favoriser une ligne moins rapide que celle envisagée initialement par les conservateurs. Porte-parole du gouvernement, Dobell affirme que des navires filant à 18 nœuds peuvent concurrencer adéquatement la liaison New York-Liverpool, à la condition d’y rajouter des compartiments frigorifiques et un plus grand espace de chargement, améliorations qui n’avaient pas été envisagées par Tupper lors des négociations antérieures. Même le montant de la subvention annuelle – initialement prévue à 750 000 $ par les libéraux – est ramené par Dobell à 500 000 $, somme plus conforme aux capacités budgétaires canadiennes.
Toutefois, en 1897, le développement de la technologie de l’ingénierie navale britannique permet d’entrevoir une liaison maritime de navires filant à plus de 20 nœuds et jaugeant 10 000 tonneaux, soit 1 500 tonneaux supplémentaires, et une capacité de chargement additionnel permettant le transport d’un plus grand nombre de passagers. À la recommandation de Dobell, le contrat de mise en service est octroyé à la Petersen, Tate and Company, de Newcastle upon Tyne, en Angleterre, qui a réussi à écarter la ligne Allan, au grand dam des conservateurs. Bénéficiant d’une subvention annuelle de 750 000 $, versée conjointement par le Canada et le gouvernement impérial, la Petersen, Tate and Company s’engage à construire, avant le 1er mai 1900, et à exploiter, pendant une dizaine d’années, quatre steamers transocéaniques entre Liverpool et Québec. Des tractations douteuses à la bourse londonienne, une grève des chantiers de construction en Angleterre, au cours de l’année 1897, et la guerre espagnole de 1898 minent le projet, à tel point que le cabinet Laurier en constate l’échec cette année-là.
C’est une défaite cuisante pour Dobell. Sa stratégie de développement pour la région de Québec était principalement articulée autour de ce pôle de croissance qui aurait eu, avec le parachèvement du Grand Nord, des incidences majeures sur le développement économique de la ville. Malgré ce revers, il continue de défendre avec vigueur les prétentions québécoises à devenir le principal port d’expédition de la voie maritime laurentienne. Depuis 1890, une conjoncture favorable a permis d’ajouter trois élévateurs à grain et un entrepôt frigorifique, à la fine pointe de la technologie, aux infrastructures du bassin Louise. Dobell a obtenu du gouvernement fédéral une subvention de 350 000 $ qui a amené la Commission du havre à entreprendre, à compter de 1898, un vaste programme de modernisation : construction de nouveaux hangars, prolongement des voies ferrées aux quais et aux entrepôts, agrandissement de la surface d’accostage en eau profonde et électrification des emplacements. De plus, l’ouverture du chemin le Grand Nord assure l’accès à un volume substantiel de marchandises de l’Ouest destinées à l’exportation. Toutes ces améliorations amènent la Leyland Line à transférer, en 1901, son terminus de Montréal à Québec. Toutefois, deux ans plus tard, un groupe dirigé par William Mackenzie* et Donald Mann* réussit à prendre le contrôle du Grand Nord et transfère son siège social à Montréal. Les conséquences sont lourdes pour le port de Québec : une diminution de revenus de 1,4 million de dollars sur le volume des marchandises transitées par rail jusqu’au port et la perte de sa seule communication directe avec l’Angleterre, la Leyland Line, qui refait de Montréal son terminus. Dobell, qui a été réélu aux élections fédérales de 1900 dans Québec-Ouest et a conservé son poste de ministre sans portefeuille, ne voit pas toutefois l’échec de ses efforts. En effet, il meurt en janvier 1902 en Angleterre, où il s’était rendu pour refaire sa santé.
Il ne fait aucun doute que Dobell a marqué son époque. Homme d’affaires sagace, il a su développer son entreprise en tenant compte de la nouvelle conjoncture économique. Dans les livres comptables de la Dobell, Beckett and Company, son avoir s’élève à son décès à 619 476 $, sans compter la valeur des différentes anses à bois dont il était propriétaire (LeMesurier, du Cap et des Mères). Ses efforts en tant que marchand et homme politique pour améliorer les infrastructures portuaires et la position commerciale de Québec sont également révélateurs, même si ses succès ont été mitigés. À bien des égards, Dobell figure en tête de liste de ces hommes d’affaires qui, comme John et James Gibb Ross*, William John Withall*, Pierre Garneau et Andrew Thomson, ont réagi au déclin de la ville en proposant de nouvelles occasions de croissance, sans toutefois pouvoir empêcher à brève échéance la prédominance de Montréal. Son portefeuille d’actions traduit bien cette appartenance à la ville de Québec. Il détenait des actions dans la Quebec Jacques-Cartier Electric Company, la Compagnie des filatures de coton de Montmorency, la Compagnie du chemin de fer de Québec, Montmorency et Charlevoix (devenue en 1899 la Compagnie de chemin de fer, d’éclairage et de force motrice de Québec), la Quebec Cold Storage and Warehouse Company, la Quebec Terminal Company et la Compagnie du pont de Québec. Dobell avait également investi dans des entreprises à l’extérieur de la ville comme la Banque de Montréal, la Banque Molson, la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, la Compagnie du chemin le Grand Nord et la Port Hood Coal Company, de la Nouvelle-Écosse.
En 1892, sir Charles Tupper avait décrit Dobell comme un des marchands les plus influents du Canada. En fait, Dobell a été plus qu’un simple promoteur de développement local. Il a véhiculé dans ses actions et ses discours une vision de ce Canada naissant où les nations fondatrices devaient se fondre en un ensemble homogène, tout en étant rattachées à la Grande-Bretagne sans pour autant s’aliéner le voisin américain. Il partageait bel et bien cette doctrine que Laurier défendait avec ferveur, l’autonomie canadienne.
Homme fortuné, Richard Reid Dobell résidait à Sillery, dans une somptueuse villa, Beauvoir. Il possédait également plusieurs parcelles de terre dans la paroisse Saint-Colomb-de-Sillery et une résidence à Ottawa. Sa villa regorgeait de trésors artistiques, dont des toiles de Cornelius Krieghoff*, Otto Reinhold Jacobi, John Constable, Guido Reni et d’autres peintres anglais et italiens. Sa bibliothèque était également bien garnie. On y trouvait notamment des œuvres de Charles Dickens, Plutarque, Edmund Burke, des historiens Francis Parkman*, François-Xavier Garneau* et Thomas Babington Macaulay, et du poète Joseph Addison. Sa philanthropie était notoire. Il a participé à plusieurs campagnes de souscription publique, telles que celles destinées à venir en aide aux francophones de Hull, à la suite de l’incendie de 1900, ou pour ériger un monument à la mémoire des premiers missionnaires jésuites, à Sillery. Cependant, ce sont surtout les œuvres de charité anglo-québécoises qui ont bénéficié de ses largesses, notamment les asiles Finlay, Sainte-Brigitte et des dames protestantes de Québec, l’hôpital Jeffery Hale et la Quebec Young Men’s Christian Association.
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Jean Benoit, « DOBELL, RICHARD REID », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 12 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/dobell_richard_reid_13F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/dobell_richard_reid_13F.html |
Auteur de l'article: | Jean Benoit |
Titre de l'article: | DOBELL, RICHARD REID |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 12 déc. 2024 |