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GOWAN, sir JAMES ROBERT, avocat, juge et sénateur, né le 22 décembre 1815 à Cahore, comté de Wexford (république d’Irlande), troisième et seul survivant des fils de Henry Hatton Gowan et d’Elizabeth Burkitt ; le 7 juillet 1853, il épousa à Shanty Bay, Haut-Canada, Anne Ardagh, et ils n’eurent pas d’enfants ; décédé le 18 mars 1909 à Barrie, Ontario.
James Robert Gowan était issu de la petite noblesse campagnarde tory et anglicane du sud de l’Irlande. Élevé au domaine familial de Cahore, il fit des études privées à Dublin. En 1832, les Gowan se joignirent aux nombreux Anglo-Irlandais qui émigraient au Canada depuis l’adoption de la loi d’émancipation des catholiques. Arrivés à York (Toronto) à l’automne, ils optèrent pour le canton d’Albion, dans l’actuel comté de Peel. En décembre 1833, James entra au cabinet de James Edward Small* pour faire son stage de droit et prit pension chez lui à York. C’était un élève remarquable, et Small, élu à l’Assemblée législative en octobre 1834, lui laissa dans une large mesure la charge du cabinet afin de se consacrer à la politique.
Small était un réformiste modéré, mais à cette époque, ce n’était pas du côté des réformistes que Gowan recherchait de l’avancement. Sa famille était tory, et son premier geste politique fut pour les conservateurs. En 1835, son cousin et aîné Ogle Robert Gowan*, grand maître de l’ordre d’Orange qui cherchait à regagner son siège à l’Assemblée, lui demanda de se procurer, à Toronto, des titres fonciers francs d’hypothèques pour ses partisans du comté de Leeds afin qu’ils soient habilités à voter. James, qui avait joint les rangs de l’ordre peu après son arrivée dans le Haut-Canada, se fit un plaisir de l’obliger. (Il avait aussi une liaison avec la femme de son cousin, à l’insu de celui-ci.) Il démontra aussi son torysme en s’enrôlant dans la milice d’York dès le début de la rébellion de 1837–1838 et en participant à l’escarmouche de Gallows Hill, au nord de Toronto. Par la suite, il contribua à la renaissance de la loge orangiste No. 210 et à la mise en échec d’une tentative visant à évincer son cousin de la fonction de grand maître. Dès 1838, non seulement était-il au mieux avec Ogle, mais il était grand secrétaire de l’ordre d’Orange et exerçait une forte influence politique sur la communauté anglo-irlandaise du Haut-Canada.
Gowan termina son stage auprès de Small en 1839 et devint son associé. La même année, il fut reçu au barreau. Small n’était plus député, mais Gowan s’occupait encore de la plus grande partie des affaires courantes. En outre, il participa à la défense de bon nombre des rebelles de 1837–1838. Certains de ses premiers biographes affirment que ce fut cette expérience qui l’amena à changer d’allégeance politique. Sans nier qu’elle ait pu avoir un effet sur sa conduite, on peut estimer plus probable qu’il avait senti le vent tourner en faveur des réformistes. Small ne fut-il pas réélu en 1839, et l’opinion publique ne recommençait-elle pas à appuyer les réformistes ? Quoi qu’il en soit, Gowan fit campagne pour Small cette année-là, puis pour Small et le chef réformiste Robert Baldwin* à des élections complémentaires tenues en 1841 et en 1842. Il rompit tout lien avec l’ordre d’Orange, bastion tory, et tenta à plusieurs reprises de récupérer les lettres qu’il avait écrites à Ogle. Son opportunisme fut récompensé. Small, solliciteur général du Haut-Canada dans le gouvernement de Louis-Hippolyte La Fontaine* et de Robert Baldwin de 1842–1843, lui exprima sa gratitude (non sans y avoir été poussé par le principal intéressé) en le proposant pour le poste de juge du tout nouveau district de Simcoe. Nommé sur la recommandation de Baldwin en janvier 1843, à l’âge de 27 ans, Gowan devenait ainsi le plus jeune juge jamais mandaté jusqu’alors dans tout l’Empire britannique.
Gowan avait du pain sur la planche. Le district de Simcoe était la plus vaste juridiction du Haut-Canada. Il allait s’étendre de la rivière Holland, au sud du lac Simcoe, jusqu’à la rivière French au nord. Avant la nomination de Gowan, les juges de la Cour du banc de la reine entendaient au cours de tournées trimestrielles les causes où la somme en jeu se situait entre 40 s et 40 £. Les litiges plus modestes étaient tranchés par les tribunaux de district, où siégeaient des juges de paix. Ces derniers avaient aussi juridiction en matière criminelle et, avec le jury d’accusation aux assises trimestrielles, constituaient les autorités locales. En qualité de premier juge permanent des tribunaux de district et de ceux de division, et en celle de président des assises trimestrielles, Gowan devait mettre en place l’appareil judiciaire, nommer les officiers de justice nécessaires, de même qu’organiser et effectuer les tournées à cheval. En plus, les juges de paix tories lui étaient hostiles, car ils avaient perdu à son profit leur juridiction civile et s’étaient vu retirer leur rôle administratif (assorti d’un pouvoir non négligeable de distribuer des faveurs) au bénéfice du nouveau conseil de district, dont le préfet, Jacob Æmilius Irving, nommé par Baldwin, était tout dévoué à Gowan. Peu après s’être installé à Barrie, le siège du district, Gowan s’occupa aussi d’éducation. Il fut administrateur de la grammar school de la municipalité de 1843 à 1893, président du conseil de l’instruction publique du district de 1844 à 1871 et président du conseil de l’école secondaire locale puis du conseil de l’institut collégial, dont il démissionna en 1892.
Gowan avait une prodigieuse capacité de travail, et aucun problème judiciaire n’avait raison de lui. Sa réussite tenait en grande partie à sa personnalité imposante et au fait qu’il connaissait mieux que quiconque la législation qui réorganisa les tribunaux et institua les conseils de district dans le Haut-Canada après la proclamation de l’Union en 1841. Avant sa nomination, il s’était rendu utile à Baldwin en rédigeant des projets de loi. Il continua de le faire une fois devenu juge, parce qu’il avait des idées bien arrêtées sur la composition et la fonction des tribunaux inférieurs, l’administration locale et une foule d’autres questions. Sûr de sa position, il dispensait des conseils et remettait des avant-projets de loi non seulement à Baldwin, mais aussi aux chefs des gouvernements qui suivirent, de quelque parti qu’ils aient été. Ravis, ceux-ci l’attelaient à de nouvelles tâches.
Gowan se vit ainsi confier toute une série de mandats. Il fut d’abord nommé en 1853 à un conseil de juges de district qui devait recommander des améliorations aux tribunaux inférieurs et refondre les lois concernant les juges de paix. Dans le courant de l’année, ce conseil produisit l’Acte pour amender l’acte des cours de division du Haut-Canada et en étendre la juridiction, et trois lois sur les fonctions des juges de paix. William Buell Richards*, procureur général dans le gouvernement réformiste de Francis Hincks* et d’Augustin-Norbert Morin*, en attribuait la rédaction à Gowan. Ce fut ce travail qui attira l’attention de John Alexander Macdonald*, procureur général conservateur du Haut-Canada dans le gouvernement de coalition suivant. Dès lors, une amitié longue et fructueuse allait unir les deux hommes.
Tout efficaces qu’elles aient été, les méthodes de Gowan étaient lentes et empiriques. Manifestement, il estima qu’il aurait plus d’influence sur les lois s’il élargissait son auditoire. La solution qu’il trouva s’avéra un moyen singulièrement efficace de manipuler l’opinion publique et d’exercer des pressions en vue d’obtenir des changements. Désormais à l’aise financièrement, il décida en 1855 de garantir la publication du premier périodique juridique de la colonie, l’Upper Canada Law Journal, qui porte aujourd’hui le titre de Canada Bar Review. Il versa comptant le fonds de lancement et engagea un directeur, avec qui il conclut une entente secrète. Lui-même allait fournir tous les éditoriaux, articles de fond et lettres à publier dans le Journal, et « rien à quoi [il] s’oppos[ait] n’y paraîtr[ait], mais sa relation avec [le périodique] ne devait pas être révélée ». C’était un curieux arrangement, mais bien caractéristique de Gowan, qui tenait davantage à réaliser des réformes qu’à en récolter le mérite. S’étant doté de cet organe de diffusion, il en tira parti presque tout de suite.
En tant que juge, Gowan s’opposait à l’obligation qui lui était faite de jouer en plus le rôle d’avocat de la poursuite quand un particulier intentait une action en justice sans retenir les services d’un avocat. Il écrivit donc pour le Journal une série d’éditoriaux dans lesquels il exposa le problème et proposa que l’on engage des procureurs permanents et salariés. En même temps, il envoya à Macdonald une lettre dans laquelle il citait ces éditoriaux et lui suggérait de présenter une loi qui irait dans ce sens. De toute évidence, les articles avaient plu aux gens de robe, et la solution proposée allait éviter beaucoup d’épineux problèmes administratifs au procureur général. Macdonald demanda à Gowan de lui rédiger un projet de loi que l’Assemblée législative adopta pendant la session de 1857 ; c’était l’Acte pour la nomination d’avocats de comté, relativement à l’administration locale de la justice dans le Haut-Canada. Ainsi, le Haut-Canada devint la première juridiction de l’Empire britannique à abandonner la tradition selon laquelle la victime d’un crime devait acquitter les frais de la poursuite et à instaurer un système dans lequel un officier de justice salarié poursuivait les accusés. Par la suite, les provinces s’en inspirèrent. Toujours à l’aide du Journal, Gowan utilisa plus ou moins la même stratégie pour lancer et promouvoir l’idée de bon nombre d’autres lois, ou pour lutter contre des initiatives et des propositions avec lesquelles il n’était pas d’accord. Par exemple, il s’opposa au projet de loi sur les jurys de 1861, en vertu duquel un verdict majoritaire aurait suffi en matière civile ; lui-même tenait au verdict unanime.
En agissant ainsi, Gowan s’assurait que ses opinions prévaudraient ou, à tout le moins, seraient prises en considération dans la rédaction des lois qu’il estimait essentielles à ses intérêts. De même, son influence sur l’administration de la justice était considérable. Bien qu’il ait beaucoup écrit et pris de notes, et qu’il ait produit plusieurs index des statuts du Haut-Canada, il ne signa jamais d’ouvrage important. Par contre, il sélectionna de jeunes membres du barreau, dont certains étaient rédacteurs au Journal, et s’en servit comme prête-noms. Il leur fournissait des notes et des copies de ses discours, et suivait de près le travail de rédaction. Quand les épreuves arrivaient, il lisait et révisait chaque page. Il arriva au moins une fois qu’il verse de l’argent pour la publication d’un ouvrage. C’est de cette façon que plusieurs textes juridiques virent le jour, dont Canadian constables’ assistant de James Patton (Barrie, Ontario, 1852), Common Law Procedure Act (Toronto, 1858) et New municipal manual (Toronto, 1859) de Robert Alexander Harrison*, Practical treatise on the office and duties of coroners (Toronto, 1864) de William Fuller Alves Boys, Division Court’s Act, rules and forms (Toronto, 1866) de Henry O’Brien, The pratice of the Parliament of Canada upon bills of divorce (Toronto, 1889) de John Alexander Gemmill et un livre sur les lacunes du jury d’accusation, How say you ? (St Thomas, Ontario, 1893) de John Alexander Kains. Les avocats récoltaient le mérite et Gowan diffusait ses idées de telle façon qu’il pouvait les promouvoir ensuite avec un zèle apparemment désintéressé. Du même coup, ces jeunes gens en pleine ascension contractaient envers lui une dette dont il pourrait réclamer le paiement au moment opportun.
Ce fut au cours des années 1850 que Gowan entra dans la période la plus productive de sa carrière publique. Des tâches extérieures, outre celles qui se rattachaient à l’éducation, commençaient à l’occuper davantage que ses fonctions judiciaires. En 1856, une commission fut chargée de refondre les lois de la province du Canada et de ses deux sections. Nommé par Macdonald deux ans plus tard, Gowan rédigea un grand nombre des statuts du volume haut-canadien et du volume provincial. Disciple de Jeremy Bentham, il pressait depuis longtemps le procureur général de codifier les lois, comme le recommandait ce théoricien britannique du droit. Macdonald aussi avait lu Bentham, et il avait discuté de codification avec Gowan. En fait, son objectif ultime était la codification, mais c’était un pragmatique. Dans l’immédiat, il voulait condenser, sous une forme qui conviendrait aux administrateurs et aux praticiens, les lois adoptées depuis plus d’un demi-siècle, et non en débattre le fond point par point au Parlement. Le gouvernement lança donc le processus de refonte. Les Statuts refondus du Canada et le volume d’accompagnement sur le Haut-Canada parurent en 1859, et le volume sur le Bas-Canada, deux ans plus tard. Tout de même, ces volumes étaient différents de tous les recueils de lois déjà parus au Canada, et ils ressemblaient davantage à des codes qu’à des refontes classiques. Chacun était divisé par sujets et comportait une table des matières, un index complet et un appareil de titres, de chapitres et de notes marginales, à la manière des codes parus en Nouvelle-Écosse en 1851 et au Nouveau-Brunswick en 1854. Même si, en privé, Gowan avait prôné la codification, il aurait appuyé toute solution propre à réduire le nombre de lois et à mettre de l’ordre dans celles qui seraient restées. Les éditoriaux qu’il fit paraître dans le Journal défendaient donc la solution pratique de Macdonald. En 1859, il écrivait : « Dans l’abstrait, [la codification], c’est la perfection. Dans les faits, c’est une absurdité. Et pourtant, nous admettons que certains mérites de la refonte reposent dans son approximation d’une codification. »
En 1869, donc après la Confédération, Macdonald demanda à Gowan de participer à la rédaction des lois pénales du dominion. Encore une fois, Gowan prit parti pour la codification, et encore une fois, Macdonald l’apaisa avec des promesses, en insistant pour que l’on prenne les statuts anglais en les modifiant. Il voulait en effet éviter un débat potentiellement long et amer sur la variante du droit criminel colonial qui devrait être adoptée.
Comme l’immigration et l’industrialisation augmentaient sans cesse dans le Haut-Canada du milieu du xixe siècle, la charge des juges de district s’alourdissait de plus en plus. Ils réclamaient donc une augmentation de salaire et de l’assistance. Gowan servit officieusement de médiateur entre eux et Macdonald. Au début, il exerça une influence modératrice sur ses confrères, mais, comme le procureur général continuait de temporiser, il se fit irascible et prit leur parti. Conscient que le temps pressait, Macdonald régla la question avant qu’un conflit n’éclate. Gowan lui-même s’occupa de son district judiciaire sans aide jusqu’en 1869, année où son beau-frère, John Anderson Ardagh, fut nommé juge adjoint de comté dans Simcoe.
Gowan avait réussi à agir en restant dans l’ombre dans la plupart des cas, mais à deux occasions, il le fit en pleine lumière. Pendant le mandat du gouvernement de coalition qui négociait la Confédération, une mésentente sur les coûts de construction des édifices du Parlement d’Ottawa surgit entre le département des Travaux publics et les entrepreneurs. En 1864, le gouvernement annonça la formation d’un comité d’arbitrage. C’était le ministère de George-Étienne Cartier* et de John Alexander Macdonald qui avait autorisé la construction en 1859, et les réformistes du cabinet de coalition étaient convaincus que Macdonald nommerait nécessairement au comité d’arbitrage des gens favorables aux entrepreneurs, qui étaient reconnus pour leurs sympathies conservatrices (c’était par exemple le cas de Thomas McGreevy*). La coalition risquait donc d’éclater si les prévisions des réformistes se réalisaient. Le comité devait se composer de trois membres : un nommé par le département, un par les entrepreneurs et un par le gouvernement. Macdonald pria Gowan d’en faire partie ; celui-ci accepta, à contrecœur, et fut élu président. En fin de compte, les membres débattirent sans animosité ni désaccord sérieux, une petite indemnité fut consentie aux entrepreneurs (bien moindre que ce qu’ils avaient exigé) et la procédure fut jugée impartiale, même par l’opposition réformiste. Essentiellement, il en alla de même du rapport de la commission judiciaire qui enquêta sur le scandale du Pacifique de 1873 [V. Lucius Seth Huntington*], même si pendant l’enquête, la presse libérale avait mis les commissaires sur le gril. Gowan avait accepté un siège à cette commission, aux côtés de Charles Dewey Day* et d’Antoine Polette*, mais seulement après que Macdonald, alors premier ministre, eut beaucoup insisté. Certes, on ne peut douter que le cabinet avait choisi les commissaires parmi des gens qui lui « rendr[aient] justice », ni que Gowan aurait soutenu la cause du gouvernement si les faits avaient plaidé en faveur de celui-ci. Mais on ne peut pas contester non plus que les commissaires furent impartiaux dans leurs délibérations et dans leur rapport. Ils n’exprimèrent aucune opinion juridique : leur rôle se limitait à « épurer et enquêter », ils tinrent leurs audiences au grand jour, et ils firent savoir avec éclat que [leur relation avec [le premier ministre] et les autres membres du gouv. allait cesser pendant l’enquête ». Néanmoins, des doutes sur le caractère constitutionnel de la commission, de même que sur sa reconstitution des faits, alimentèrent une offensive de plus en plus vigoureuse contre le gouvernement, qui dut démissionner en novembre 1873.
Le premier ministre du Canada n’était nullement le seul à profiter des talents de Gowan. En 1869, John Sandfield Macdonald*, premier ministre réformiste de l’Ontario, lui confia la présidence du Board of County Judges, qu’il conserva jusqu’en 1887. Cet organisme révisait constamment les règles qui régissaient les tribunaux inférieurs de la province et entendait en appel tous les jugements contradictoires des tribunaux divisionnaires. Gowan rédigea pour John Sandfield Macdonald l’Acte pour accélérer le procès des personnes accusées de félonies et délits, que le dominion adopta en 1869 et qui s’appliqua d’abord à l’Ontario et au Québec. Ce fut aussi lui qui rédigea en bonne partie un projet de loi visant à fusionner common law et equity, dont une version abrégée fut adoptée en 1873 sous le titre d’Administration of Justice Act par le gouvernement libéral d’Oliver Mowat. Gowan devint un ami personnel de Mowat, et en 1876, celui-ci le nomma à la commission qui produisit en 1877 les Revised statutes of Ontario. Par ailleurs, après que sir John Alexander Macdonald eut perdu le pouvoir à Ottawa, Gowan s’était tourné vers le procureur général du gouvernement libéral d’Alexander Mackenzie*, Edward Blake*, qui avait entrepris la codification du droit criminel. Il offrit à Blake de l’assister et le pressa de hâter l’achèvement du processus. Malheureusement, Blake abandonna le portefeuille de la Justice en 1877, et le projet tomba à l’eau. Gowan amorça alors une correspondance avec Henri-Elzéar Taschereau*, auteur de plusieurs ouvrages de droit criminel et promu peu de temps auparavant à la Cour suprême du Canada par le gouvernement sortant, celui de Mackenzie. Gowan suggéra que, étant donné ses connaissances en la matière, Taschereau serait la personne la plus apte à rédiger un code criminel, et encore une fois, il offrit son aide, ainsi que la documentation qu’il avait amassée dans ce but. Taschereau était intéressé, mais comme il n’était pas un favori du nouveau gouvernement Macdonald, il n’entreprit pas le travail à ce moment-là. Toutefois, en 1889, il reprit l’idée de Gowan et proposa de vive voix au procureur général, sir John Sparrow David Thompson*, de préparer un code criminel. En fin de compte, ce fut cette proposition qui décida le procureur général à faire adopter le Code criminel de 1892.
En raison des nombreux services qu’il rendait, Gowan se vit offrir plusieurs fois de siéger à des tribunaux supérieurs. On ne peut guère douter qu’il se serait bien acquitté de ses fonctions, car durant toutes les années où il fut juge, seulement deux de ses jugements furent cassés en appel. Pourtant, il refusa toutes les offres. Il lui suffisait d’occuper une position relativement obscure à Barrie, d’où il pouvait exercer une influence déterminante.
En 1883, à l’âge de 67 ans, Gowan mit fin aux 40 années qu’il avait passées dans la magistrature. Répugnant à perdre un assistant aussi précieux, Macdonald le persuada d’accepter un siège au Sénat. Nommé le 29 janvier 1885, Gowan se démarqua tout de suite du stéréotype selon lequel les sénateurs, pensionnés en récompense des services rendus à un parti, passaient leurs journées à somnoler à la Chambre haute. Quelques semaines après son entrée en fonction, il appartenait à trois comités permanents et à plusieurs comités spéciaux, et il présida la moitié des comités sur le divorce qui se réunirent durant la session (depuis la Confédération, les projets de loi sur le divorce provenaient du Sénat). Il aida le département de la Justice à rédiger une quantité innombrable de textes, dont un projet de loi sur le droit de vote et une version révisée de l’Acte concernant l’administration prompte et sommaire de la justice criminelle de 1869. Il rédigea les règles sur lesquelles le Sénat s’appuya jusque dans les années 1960 dans les cas de divorce, et il présida le comité sur le divorce de 1888 à 1905. Tout au long des étapes de l’adoption du Code criminel, en 1891–1892, il assaillit le procureur général de conseils et de propositions d’amendement. Thompson reprit toutes ses propositions mais ne suivit aucun de ses conseils, car à ce moment-là, Gowan avait amplement démontré qu’il était nul en stratégie parlementaire. Il faillit d’ailleurs faire reléguer le Code criminel aux oubliettes en prononçant un discours inopportun et maladroit au Sénat. Il fit aussi frémir ses collègues du gouvernement en soutenant D’Alton McCarthy* et le programme linguistique de l’Equal Rights Association. Non seulement aida-t-il financièrement McCarthy à se faire réélire aux Communes en 1891 dans Simcoe North, mais il exerça des pressions en faveur de la nomination de McCarthy au cabinet – d’abord dans celui de Macdonald, puis dans ceux de John Joseph Caldwell Abbott* et de Thompson.
Après avoir démissionné de la magistrature, Gowan appuya ouvertement le Parti conservateur, mais il n’occupa jamais de position influente dans la hiérarchie. De par son tempérament et son éducation, il avait trop d’indépendance d’esprit pour s’accommoder du rôle d’homme de parti, et les longues années pendant lesquelles il avait été juge avaient raffermi en lui certaines tendances autocratiques. Personne n’en savait davantage que lui sur les événements du passé, et il n’avait pas son pareil pour rédiger des lois (les procureurs généraux continuaient de solliciter son avis), mais ses initiatives durent souvent exaspérer le cabinet. Quand il déclara, au cours d’un débat, que les sénateurs ne se laissaient pas dicter ce qu’ils devaient penser, il définissait sa propre position. Il n’entendait rien à la politique partisane : il refusait de se plier à la discipline conservatrice lorsqu’elle ne lui agréait pas, et il poursuivait ses propres objectifs législatifs, qu’ils coïncident ou non avec ceux du parti.
Même s’il refusa toujours d’accéder à un tribunal supérieur, sir James Robert Gowan ne dédaignait pas les nombreux éloges qu’on lui adressait, et il accepta plusieurs honneurs. En 1884, il reçut un doctorat en droit du Queen’s College de Kingston (en 1899, il allait y fonder la chaire de science politique et d’économie Sir John A. Macdonald, et la doter en grande partie). En 1889, il fut nommé conseiller de la reine, et reçu au barreau d’Irlande. Fait compagnon de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges en 1893, et chevalier en 1905, quelques jours seulement après le décès de sa femme, il démissionna du Sénat deux ans plus tard. Il s’éteignit à l’âge de 94 ans dans sa maison de Barrie, Ardraven. Au fil des 40 années où il avait été juge et des 22 années où il avait été sénateur, il avait influé davantage sur le droit canadien et la vie de ses compatriotes que la plupart des élus.
Source primaire pour toute étude du droit dans le Haut-Canada, l’Ontario et le dominion au xixe siècle, les papiers Gowan aux AN (MG 27, I, E17) couvrent la période 1835–1909. On trouve aussi beaucoup de lettres et d’ébauches de projets de la loi de Gowan dans les papiers Macdonald (AN, MG 26, A) et dans ceux de sir John S. D. Thompson (AN, MG 26, D). Toutefois, il n’y a aucune trace de son appartenance à l’ordre d’Orange ou de sa volumineuse correspondance sur ce sujet avec Ogle R. Gowan dans toutes ces collections. Ces documents se trouvent dans les papiers de James et d’Ogle Gowan aux AO (F 28), qui détiennent aussi les papiers de Small et de Gowan (F 1293).
Même s’ils renferment beaucoup d’information essentielle, The Hon. James R. Gowan, member of Canadian senate : a memoir, édité par Arthur Hugh Urquhart Colquhoun (Toronto, 1894), et le livre de Henry Hatton Ardagh, Life of Hon. Sir James Robert Gowan [...] (Toronto, 1911) sont des hagiographies dans la pire des traditions du xixe siècle : Gowan n’y a aucun défaut. Un correctif utile à ces ouvrages est la thèse de m.a. de Mark Winston Fisher, « Sir James Robert Gowan : a pioneer judge » (Univ. of N.B., Fredericton, 1971), compte rendu fouillé et accessible qui comble plusieurs lacunes, mais qui laisse tout même plusieurs questions sans réponse. Donald Harman Akenson touche au côté peu reluisant de la relation de James avec la famille d’Ogle Gowan dans The Orangeman : the life & times of Ogle Gowan (Toronto, 1986). Marvin R. Bloos fait une étude approfondie de l’utilisation par Gowan de l’Upper Canada Law Journal (Barrie, Ontario ; Toronto) dans « The crown prosecutor in Alberta : an unfinished hybrid » (thèse de ll.m., Univ. of Alta, Edmonton, 1987). Pour mieux connaître son influence sur le droit criminel, consulter notre étude, The genesis of the Canadian Criminal Code of 1892 ([Toronto], 1989). [d. h. b.]
Desmond H. Brown, « GOWAN, sir JAMES ROBERT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 6 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/gowan_james_robert_13F.html.
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Auteur de l'article: | Desmond H. Brown |
Titre de l'article: | GOWAN, sir JAMES ROBERT |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 6 déc. 2024 |