O’BRIEN, sir JOHN TERENCE NICHOLLS, gouverneur de Terre-Neuve, né le 23 avril 1830 à Guernesey, fils aîné de Terence O’Brien et de Catherine Collins ; en 1853, il épousa à Darjeeling, Inde, Philippa Leeds Eastgate (décédée en 1867), et ils eurent trois fils, puis en 1880, Victoria Fane, née Temple, avec qui il n’eut pas d’enfants ; décédé le 23 février 1903 à Londres.

Issu d’une famille attachée à l’armée des Indes, John Terence Nicholls O’Brien fit ses études au Royal Military College de Sandhurst, en Angleterre. En 1849, il se mit en route pour l’Inde, où il apprit les langues indigènes et devint arpenteur et ingénieur. Il participa à la répression de la révolte des cipayes puis se rendit en 1861 à Ceylan, où il fut sous-secrétaire militaire de son père. En 1867, après avoir passé deux ans là-bas et servi quatre ans dans l’armée du Bengale à titre de major de brigade, il rentra en Angleterre avec une demi-solde. Presque tout de suite, il accepta le poste d’inspecteur général de la police de l’île Maurice. Nommé gouverneur de l’Helgoland (Allemagne) en 1881, il consentit à être muté à Terre-Neuve sept ans plus tard. À la mi-janvier 1889, il débarquait à St John’s.

Sir Terence (il portait ce titre depuis 1887) n’était pas le gouverneur qui convenait le mieux à Terre-Neuve. Des problèmes économiques et diplomatiques affligeaient la colonie, et le jeu politique y était complexe. Alors que la situation réclamait un gouverneur plein de souplesse et de tact, qui comprenait les rouages du gouvernement responsable, on envoyait à la colonie un ex-officier qui avait peu d’expérience pertinente. Nul doute qu’O’Brien était plein de bonnes intentions, honorable et consciencieux ; tout simplement, il n’avait pas les qualités politiques et diplomatiques requises. Durant les six années où il gouverna la colonie, il fut toujours tiraillé entre ce qu’il jugeait convenable et ce que ses ministres trouvaient commodes. « J’aimerais les secouer, écrivait-il, et mettre un peu de sens civique en eux au lieu de morue. »

Sa maladresse se manifesta au lendemain du scrutin de novembre 1889. Défait, le gouvernement de sir Robert Thorburn décida de rester en place jusqu’à la fin de l’année. Au lieu d’accepter ce désagrément, comme le lui conseillaient ses ministres, O’Brien restreignit la liberté d’action du gouvernement et insista pour que le futur premier ministre, sir William Vallance Whiteway, ait son mot à dire dans la distribution des emplois reliés au chemin de fer de Terre-Neuve. Son intervention indisposa les deux hommes politiques.

Les cinq années qui suivirent furent parmi les plus tumultueuses de l’histoire de Terre-Neuve. Le mépris instinctif qu’O’Brien éprouvait pour les hommes politiques coloniaux ne fit que s’accroître. Frustré du peu d’emprise qu’il exerçait sur le cours des événements, il éclatait de colère et sermonnait vertement le cabinet. Il était furieux que le gouvernement refuse d’agir comme il fallait à propos de la « côte française » [V. William Vallance Whiteway], dégoûté par le favoritisme qui régnait dans la vie publique et scandalisé par les reproches qui pleuvaient sur le gouvernement impérial. En 1891, il fallut l’empêcher de prendre une mesure qui aurait provoqué une crise certaine : exclure du cabinet Robert Bond*, censeur impitoyable du ministère des Colonies. Tard l’année suivante, il demandait une mutation, mais, ayant dépassé la soixantaine, il ne pouvait plus espérer un autre poste de gouverneur. Il dut donc rester dans cette colonie qui, pour lui, n’était qu’« une médiocre Irlande d’outre-Atlantique ».

Whiteway remporta les élections de 1893, mais les tories ripostèrent en accusant 17 libéraux de corruption. Quand il devint évident qu’ils gagneraient leur cause, O’Brien refusa d’examiner l’alternative proposée par Whiteway, soit approuver une loi d’amnistie pour les élus ou dissoudre l’Assemblée. S’appuyant sur Parliamentary government in the British colonies, ouvrage publié à Londres en 1880 dans lequel Alpheus Todd* qualifiait le gouverneur de « rempart contre tous les abus de pouvoir », O’Brien voyait dans les poursuites électorales un excellent moyen de nettoyer la scène politique de Terre-Neuve – ces écuries d’Augias. Ce faisant, il adoptait une position partisane et aggravait une situation déjà délicate. Whiteway démissionna en avril 1894, et O’Brien approuva la formation d’un gouvernement tory minoritaire qu’il autorisa à rester en poste après l’expiration des lois de finances. Selon lui, mieux valait percevoir des recettes sans y être légalement autorisé que « reconvoquer à [ses] conseils ces hommes marqués par la corruption, cinglés par la défaite ». Les libéraux recouvrèrent leur majorité après des élections complémentaires tenues à l’automne. Les tories s’accrochèrent, mais la catastrophe bancaire de décembre [V. James Goodfellow*] les convainquit finalement de démissionner. Sachant que les libéraux reprendraient le pouvoir, O’Brien, désespéré, appuya des pétitions qui demandaient au gouvernement impérial d’intervenir. « C’est maintenant ou jamais, écrivit-il, que l’Angleterre doit s’en mêler et mettre fin au déshonneur que [subit] cette contrée sous [le régime du] gouvernement responsable. »

Mais Londres préféra laisser courir. Au début de 1895, O’Brien reçut instructions de donner son aval à un projet de loi autorisant les députés privés de leur siège par suite des poursuites électorales à reprendre leur place à l’Assemblée après des élections partielles. Il en fut humilié et outré. D’après lui, les fonctionnaires du ministère des Colonies s’étaient « trahis eux-mêmes et [lui] aussi ». « Je n’ai pas, poursuivait-il, porté l’uniforme de S[a] M[ajesté] durant 48 ans pour le laisser contaminer par la corruption de Whiteway. » Il envoya alors sa démission mais dut rester à St John’s jusqu’à la fin de juillet. Le 8 février, Whiteway avait repris le poste de premier ministre, entouré d’un cabinet qui, grognait O’Brien, faisait « aussi peu honneur à cette partie de l’Empire colonial qu’à son infortuné gouverneur, auquel seul le devoir impos[ait] de consentir à cette dégradante alliance ». O’Brien aurait aimé avoir une nouvelle affectation, et il estimait sûrement en mériter une, mais, comme le notait John Anderson du ministère des Colonies : « il n’a pas les compétences administratives nécessaires dans une [...] colonie de la couronne ». Il rentra à Londres, où il mourut huit ans plus tard.

Soldat dans l’âme, sir John Terence Nicholls O’Brien se voyait comme un serviteur du gouvernement impérial dont le premier devoir était de convaincre le gouvernement colonial d’obéir aux volontés de Londres. Il avait tendance à confondre la résistance et la critique avec la déloyauté, et il tenta rarement d’exposer le point de vue de la colonie. Il assaillit plutôt le ministère des Colonies et ses amis de lettres et de dépêches hargneuses qui durent contribuer à renforcer la conviction selon laquelle les hommes politiques de Terre-Neuve étaient exceptionnellement corrompus, fourbes, vénaux et incompétents. La plupart de ses interventions dans la politique terre-neuvienne furent malheureuses. On ne saurait douter que son attitude, en 1894, accrut l’instabilité qui précipita l’effondrement des banques. Habitué à la nette hiérarchie de l’armée et du pouvoir britannique en Inde, il fut incapable de s’adapter aux complexités du gouvernement responsable de Terre-Neuve. Ses qualités personnelles étaient admirables, et on lui fut très reconnaissant de l’aide qu’il apporta aux victimes du grand incendie de St John’s en 1892 et de l’effondrement bancaire, mais il n’était pas fait pour gouverner Terre-Neuve dans les années 1890.

James K. Hiller

Des renseignements sur sir John Terence Nicholls O’Brien ont été donnés à l’auteur par le major T. L. Gossage, de Sway, Angleterre, dans sa lettre et les pièces jointes du 11 févr. 1990.  [j. k. h.]

British Library (Londres), Add. mss 43556 (papiers Ripon) : 135, 155.— PRO, CO 194/213 : 245–246 ; 194/214 : 91 ; 194/218 : 344 ; 194/224 : 489 ; 194/228 : 128 ; 194/231 : 320–321 ; 194/233 : 429.— Yale Univ. Library, Medical Library (New Haven, Conn.), Wilfred Grenfell papers, O’Brien à Grenfell, 22 déc. 1894, 7 févr. 1895.— Evening Mercury (St John’s), 18 janv. 1889.— Evening Telegram (St John’s), 26–27 févr. 1903.— G.-B., Colonial Office, The Colonial Office list [...] (Londres), 1890 : 453.— Hiller, « Hist. of Nfld », 187–189, 230, c.6 et 7.— H[arvey] Mitchell, « The constitutional crisis of 1889 in Newfoundland », Canadian Journal of Economics and Political Science (Toronto), 24 (1958) : 323–331.— Who was who, 1897–1915 (1988).

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James K. Hiller, « O’BRIEN, sir JOHN TERENCE NICHOLLS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 6 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/o_brien_john_terence_nicholls_13F.html.

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Auteur de l'article:    James K. Hiller
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
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