SENÉCAL, EUSÈBE, imprimeur, éditeur et propriétaire de journaux, né le 7 octobre 1833 à Boucherville, Bas-Canada, fils de Jean-Baptiste Senécal, cabaretier, et de Marie Huet ; le 17 mai 1853, il épousa à Montréal Marguerite Labelle, et ils eurent plusieurs enfants ; décédé le 30 janvier 1902 à Montréal.

Eusèbe Senécal étudia chez les Frères des écoles chrétiennes et, en 1848–1849, au petit séminaire de Montréal. Il apprit l’art typographique à l’atelier de la Minerve sous la direction de Ludger Duvernay*. Deux de ses frères, Chrysologue et Joseph-André, étaient imprimeurs. Le premier avait comme associé François Daniel dans la firme Senécal et Daniel, qui imprimait la Patrie (1855–1857) et différentes feuilles éphémères, notamment le Bulletin commercial et l’Union. Cette maison obtint en 1857 le contrat d’impression du Journal de l’Instruction publique et de son équivalent anglais, le Journal of Education for Lower Canada. L’année suivante, l’imprimerie fut vendue aux enchères « en paiement d’une action intentée par un ouvrier ». Jean-Baptiste Senécal, sellier de profession et frère aîné d’Eusèbe et de Chrysologue, racheta le matériel. La compagnie Senécal et Daniel poursuivit ses activités jusqu’en 1859. Les frères Senécal s’associèrent pour former une entreprise appelée Senécal et Frères dont on ignore tout, sauf qu’elle aurait publié un périodique, l’Omnibus, en 1860.

Eusèbe Senécal était déjà imprimeur-éditeur en 1853 au moment de son mariage avec Marguerite Labelle. En 1860, il commença à publier des ouvrages sous son nom. Son atelier, situé rue Saint-Vincent, devint avec les années l’une des maisons d’imprimerie et d’édition les plus importantes de Montréal. La firme d’Eusèbe Senécal prit la relève de Senécal et Daniel dans la publication du Journal de l’Instruction publique (éditions française et anglaise) et elle édita l’Écho du Cabinet de lecture paroissial, à Montréal, de 1861 à 1873. Organe des sulpiciens dans la propagande pour le bon livre, l’Écho publiait les conférences du Cabinet de lecture paroissial et les essais du Cercle littéraire. Un cousin d’Eusèbe, le jeune avocat Denis-Henri Senécal, était un membre actif du cercle. Avec plusieurs des collaborateurs de l’Écho, il se retrouva à la tête de la Revue canadienne, création et propriété d’Eusèbe Senécal depuis sa fondation en 1864 jusqu’en 1874.

La clientèle gouvernementale et sulpicienne resterait fidèle à Senécal pendant plus de 30 ans. En 1871, Senécal perdit au profit de Léger Brousseau* le contrat de publication du Journal de l’Instruction publique et celui du Journal of Education l’année suivante, mais il obtint en revanche le contrat du Journal d’agriculture illustré, à Montréal, de 1879 à 1897. Si l’Écho du Cabinet de lecture paroissial cessa de paraître en 1873, l’imprimeur-éditeur se vit confier la publication de plusieurs ouvrages des messieurs de Saint-Sulpice et des conférences du Cercle Ville-Marie de 1885 à 1900.

À compter de 1865, Senécal publia à Montréal des œuvres littéraires dont certaines avaient paru dans la Revue canadienne, comme Jacques et Marie : souvenir d’un peuple dispersé (1866) de Napoléon Bourassa* et Une de perdue, deux de trouvées (l 874) de Georges de Boucherville*. L’éditeur s’était porté acquéreur de manuscrits en espérant encourager ainsi la littérature canadienne. Dans l’avant-propos du roman de Boucherville, il écrivait : « Ainsi c’est après avoir cédé aux pressantes sollicitations des nombreux amis de notre littérature que je me suis décidé à publier une édition en deux volumes in–12 de cet intéressant Roman [...] j’ai dû [...] être animé du désir de poursuivre le but que je me suis proposé de publier une série de livres de littérature canadienne, si je puis obtenir dans cet entreprise le même encouragement que je me flatte d’avoir rencontré jusqu’à présent. » Un grand nombre de lettrés auraient joui de sa protection, surtout à l’époque où il publia la Revue canadienne.

De nombreux changements marquèrent le début des années 1880. Senécal lança une revue mensuelle de législation et de jurisprudence, la Thémis (1879–1884), consacrée à l’étude théorique du droit, et publia des ouvrages sur le droit canadien. En 1881, la compagnie changea de nom. En s’associant à ses fils qui avaient atteint leur majorité, Senécal forma la société d’imprimeurs-éditeurs Eusèbe Senécal et Fils. La firme devait continuer à publier des dizaines de volumes et de brochures dans les domaines de l’agriculture, de la religion, de l’éducation et du droit, qui avaient fait jusque-là son succès.

En 1871, Senécal avait lancé à Montréal le premier volume du Dictionnaire généalogique des familles canadiennes [...] de l’abbé Cyprien Tanguay. Six autres volumes virent le jour de 1886 à 1890. Cet ouvrage monumental qui offrait des difficultés typographiques inusitées exigeait un investissement considérable qui fut, semble-t-il, fort ruineux.

En plus de ces grands contrats d’imprimerie et d’édition, les ateliers des Senécal effectuaient aussi tous les travaux de ville habituels, comme la fabrication de prospectus, d’étiquettes, de formulaires, de registres et de cartes de visite. Aux ateliers d’imprimerie était joint un atelier de reliure. Senécal imprimait également pour le compte de plusieurs autres éditeurs et libraires. Jean-Baptiste Rolland*, Joseph-Alfred Langlais, la Librairie Saint-Joseph de Cadieux et Derome comptaient parmi les clients de la maison. Ainsi Senécal devait imprimer la célèbre « Bibliothèque religieuse et nationale » (1884–1891), collection de livres de récompense, de Cadieux et Derome.

En 1892, Eusèbe Senécal devint propriétaire-éditeur de la Minerve. C’était un retour aux sources puisque l’éditeur avait fait ses débuts dans les ateliers de ce journal. Mais c’était aussi le commencement du déclin. L’imprimeur, qui avait 60 ans, venait de perdre sa femme et connaissait des revers de fortune. Des difficultés financières liées aux transformations du milieu de la presse et peut-être aussi à l’édition du Dictionnaire généalogique obligèrent Senécal à cesser la publication de la Minerve en 1897. Le milieu des années 1890 fut fertile en changements politiques. Les libéraux avaient pris le pouvoir à Québec et à Ottawa. L’avènement de la nouvelle classe politique ne devait pas aider l’éditeur, dont les sympathies conservatrices étaient connues. Faut-il y voir la cause principale de la perte du contrat de publication du Journal de l’agriculture ? Toujours est-il qu’en 1897, la firme Eusèbe Senécal et Fils fut remplacée par Eusèbe Senécal et Compagnie.

Durant les dernières années, la société se fit une nouvelle clientèle chez les médecins en publiant à Montréal l’Union médicale du Canada, de 1897 à 1900, et plusieurs études de spécialistes et aliénistes montréalais. Les Soirées du château de Ramezay (1900), qui inauguraient le renouveau poétique du début du siècle en faisant connaître, entre autres, les poèmes d’Émile Nelligan*, d’Arthur de Bussières et d’Albert Lozeau*, fut l’un des derniers ouvrages sortis des presses de l’éditeur. L’entreprise familiale ne devait pas survivre à la disparition de son fondateur. Après le décès d’Eusèbe Senécal en 1902, on ne retrouverait plus trace de cette maison qui avait compté parmi les plus prolifiques et les plus importantes du Montréal de la deuxième moitié du xixe siècle.

Jacques Michon

AC, Montréal, État civil, Catholiques, Cimetière Notre-Dame-des-Neiges (Montréal), 5 févr. 1902.— AN, MG 24, B 14.— ANQ-M, CE1-22, 7 oct. 1833 ; CE1-51, 17 mai 1853.— La Presse, 31 janv. 1902 : 1, 24.— L.-A. Bélisle, Références biographiques, Canada-Québec (5 vol., Montréal, 1978), 5 : 75.— Les Catéchismes au Québec, 1702–1963, sous la dir. de Raymond Brodeur (Sainte-Foy, Québec, et Paris, 1990).— Dictionnaire national des Canadiens français (1608–1760) (3 vol., Montréal, 1965).— Encyclopédie de la musique au Canada (Kallmann et al.), 927s..— Hamel et al., DALFAN.— J. Hamelin et al., la Presse québécoise.— D. M. Hayne et Marcel Tirol, Bibliographie critique du roman canadien français, 1837–1900 ([Québec et Toronto], 1968).— Marcel Lajeunesse, les Sulpiciens et la Vie culturelle à Montréal au xixe siècle (Montréal, 1982).— François Landry, « la « Bibliothèque religieuse et nationale », 1882–1912 (Cadieux & Derome) », Documentation et Bibliothèques (Montréal), 36(1990) : 99–104.— [Télesphore Saint-Pierre], Histoire du commerce canadien-français de Montréal, 1535–1893 (Montréal, 1894), 120.

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Jacques Michon, « SENÉCAL, EUSÈBE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 8 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/senecal_eusebe_13F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
Année de la révision:    1994
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