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TANGUAY, CYPRIEN, prêtre catholique, fonctionnaire, auteur et historien, né le 15 septembre 1819 à Québec, fils de Pierre Tangué, maçon, et de Reine Barthell ; décédé le 28 avril 1902 à Ottawa.
Cyprien Tanguay fit ses études primaires à Québec. À l’âge de dix ans seulement, il fut inscrit au collège naissant de Sainte-Anne-de-la-Pocatière pour y commencer des études secondaires, mais n’y demeura que trois mois. Il entra par la suite au petit séminaire de Québec où il gradua en 1839. Ordonné prêtre le 14 mai 1843, après des études théologiques dans sa ville natale, l’abbé Tanguay commença dès ce moment une vie fort active. Il fut vicaire à Sainte-Luce, à Trois-Pistoles et à Saint-Germain-de-Rimouski (Rimouski) (décembre 1843–1846), curé à Saint-Raymond (1846–1850) avec desserte de Saint-Basile (1847–1849), à Saint-Germain-de-Rimouski (1850–1859), à Saint-Michel, près de Québec (1859–1862), et enfin à Sainte-Hénédine (1862–1865).
Dans toutes les paroisses où il a œuvré, Tanguay a laissé la réputation d’un bâtisseur, d’un homme d’action qui, au passage, a soulevé parfois de vives oppositions. Ainsi, à Saint-Germain-de-Rimouski, le projet d’ériger une majestueuse et coûteuse église de pierre à l’endroit où se situe maintenant le palais de justice rencontra une très forte résistance de la part d’un groupe de paroissiens. Son passage à Saint-Michel fut aussi bref que tumultueux. Est-ce parce que, après avoir parachevé la nouvelle église, il mit en vente la vieille église à la criée ? Toujours est-il qu’il eut beaucoup à souffrir à cause de quelques paroissiens, qui en vinrent à l’accuser directement. Il écrivit à l’archevêque de Québec et lui demanda un changement.
Tanguay fut peut-être un administrateur autoritaire, prodigue, maladroit, sourd aux représentations de son entourage ou, tout simplement, un incompris, un « mal aimé ». Au delà des difficultés réelles qu’il connut, la postérité n’a pas toujours démontré un excès de reconnaissance pour les entreprises diverses qu’il mena. C’est particulièrement le cas pour le collège de Rimouski, dont on lui contesta le titre de fondateur. Le débat a passionné des générations de prêtres diocésains et d’étudiants de l’établissement qui se sont évertués a faire valoir les mérites respectifs des deux prétendants au titre, l’abbé Cyprien Tanguay et l’abbé Georges Potvin.
Comme curé de Saint-Germain-de-Rimouski, Tanguay désirait procurer aux jeunes gens de sa paroisse une éducation soignée et pratique. Le 12 janvier 1854, il adressait à l’archevêque de Québec le Prospectus du collège industriel en contemplation en cette localité. Il précisait : « les neuf dixièmes des élèves sortis de cet établissement se destineront en effet à l’agriculture, aux arts mécaniques, au commerce et à la navigation [...] Ce cours ne devant pas excéder cinq années permettra au jeune élève peu fortuné de recevoir une éducation pratique qui après cette époque lui assure les moyens d’une honnête existence. » Les autres étudiants devaient suivre un programme d’études littéraires en vue du sacerdoce ou des professions libérales.
Le collège se révéla toutefois un pâle reflet de l’idéal de son concepteur. En 1859, l’inspecteur Georges Tanguay écrivait : « Il y a à Rimouski [...] un Collège industriel, dont l’enseignement est, ni plus ni moins, celui d’une bonne école ordinaire. ». L’œuvre de Tanguay demeura donc une simple école de village jusqu’à la fin de 1861, quand intervint l’abbé Georges Potvin, vicaire à la paroisse Saint-Germain. Comme président des commissaires d’écoles, ce dernier demanda la permission d’utiliser la sacristie de l’ancienne église inoccupée, qu’il transforma lui-même en grande partie ; il devint le directeur de la maison, et se chargea de l’administration spirituelle et temporelle. En 1863, le programme d’études en vigueur depuis 1855 fut élargi de manière à répondre aux exigences de la population. C’est ainsi que l’étude du latin fut introduite graduellement, d’année en année, après bien des résistances de la part de Mgr Charles-François Baillargeon*, administrateur de l’archidiocèse de Québec, qui subissait les fortes pressions des institutions de Québec et de Sainte-Anne-de-la-Pocatière (La Pocatière).
Tanguay avait eu le mérite d’essayer de mettre sur pied un établissement d’enseignement propre à répondre aux besoins d’une région. Peut-être espérait-il en faire un premier jalon qui permettrait, en temps opportun, d’établir un collège classique. Ses admirateurs soutiennent cette thèse avec force. Quant à l’abbé Potvin, il a lui aussi une cohorte de partisans. En définitive, c’est toute la population d’une région qui a bénéficié de leurs efforts soutenus.
Si l’on a pu contester à Tanguay le titre de fondateur du collège-séminaire de Rimouski, il en est un autre que la postérité lui accorde volontiers : celui de « père » des études généalogiques au Canada français. On raconte que, dès l’âge de dix ans, à l’occasion de son séjour de trois mois au collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, il avait pris des notes qui devaient permettre quelque 20 ans plus tard de dresser la liste des premiers élèves de cette maison. « Ces notes, comme le soulignerait Mgr Joseph-Clovis-Kemner Laflamme au moment du décès de Tanguay, renfermaient en outre la liste de tous les élèves, classe par classe, celle de tous les professeurs, prêtres et séminaristes, en un mot, le personnel complet du collège, peut-être même les domestiques. » Sa vocation de statisticien s’était affirmée dès ce moment.
En 1865, Tanguay quittait la cure de Sainte-Hénédine et, à la demande de Thomas D’Arcy McGee*, ministre de l’Agriculture, de l’Immigration et de la Statistique, il acceptait le poste d’attaché au département chargé de « constituer la statistique civile et religieuse à dater des premiers temps du pays ». Joseph-Charles Taché*, médecin de Rimouski et sous-ministre du département, n’était sans doute pas étranger à cette nomination. Une seconde carrière, très fructueuse, longue de 35 ans, venait de commencer pour Tanguay. Dès 1871, il faisait paraître à Montréal le premier tome de ce qui allait être l’œuvre de sa vie et son œuvre par excellence, le Dictionnaire généalogique des familles canadiennes depuis la fondation de la colonie jusqu’à nos jours. Il avait entrepris ce travail « si considérable et hérissé de tant de difficultés », comme il l’écrivait dans son introduction à l’ouvrage, dans un but « éminemment national ». L’Église pourrait ainsi établir avec précision les degrés de parenté qui existent parfois entre les futurs époux, grâce aux arbres généalogiques faciles à dresser à partir d’une recherche sérieuse. On éviterait de cette façon des annulations de mariage ou d’autres situations fort embarrassantes. En outre, le Dictionnaire se donnait pour mission d’annoter les registres paroissiaux, voire même parfois d’y suppléer, de coordonner les greffes et souvent même de les compléter. Ainsi, le travail de Tanguay rendait possible une collaboration, avec l’État, dans le règlement de certaines successions, et avec la magistrature, dans l’apport de preuves juridiques, puisque le Dictionnaire possédait une autorité analogue à celle des registres manquants. Enfin, Tanguay souhaitait que son œuvre contribue à la sauvegarde des archives, qu’elle constitue une contribution majeure à la recherche historique en apportant une lumière nouvelle sur les origines de la Nouvelle-France : « J’ose même espérer, précisait-il, qu’il [le Dictionnaire] donnera lieu à plus d’une étude intéressante sur une foule de questions, telles que celles du progrès, de l’émigration, de l’accroissement de la population, de la vitalité et de la moralité publique. »
Pour bâtir cette généalogie des familles canadiennes, Tanguay dépouilla systématiquement les registres paroissiaux du pays, voire même de toute l’Amérique française, afin d’en relever baptêmes, mariages et sépultures. De longs voyages sur le continent européen lui permirent d’explorer minutieusement les dépôts d’archives stratégiques, comme le Dépôt des archives de la Marine à Paris, des fonds en Belgique, en Prusse et dans d’autres États allemands, ainsi qu’en Italie. Il consulta aussi d’autres sources complémentaires : les divers recensements, souvent très détaillés, les ouvrages sur le Canada, tels les écrits de Samuel de Champlain*, Pierre-François-Xavier de Charlevoix*, Étienne-Michel Faillon* et Jean-Baptiste-Antoine Ferland*. Il regroupait sur un même bulletin les renseignements concernant chaque famille, travail qui devait représenter en 1890, à la parution du septième et dernier tome de son Dictionnaire, 122 623 bulletins avec une moyenne de dix actes ou dates sur chacun.
On conçoit qu’un travail aussi colossal ait requis de son auteur un esprit méthodique et une force de caractère peu commune. Pourtant, les reproches n’ont pas manqué à l’endroit de Tanguay, même de son vivant. Il a admis lui-même les lacunes de son œuvre, tout en soulignant les difficultés matérielles et intrinsèques avec lesquelles il avait dû composer : « si je n’ai pu absolument éviter toute erreur, c’est qu’il était impossible de le faire, et que je mérite quelque indulgence après toutes les peines que j’ai prises ». Cette indulgence, les continuateurs de Tanguay la lui ont accordée bien volontiers, allant même jusqu’à souligner, comme l’a fait Joseph Aimé Arthur Lebœuf dans son Complément au dictionnaire généalogique Tanguay, que « les chercheurs et les généalogistes d’expérience savent qu’en généalogie rien n’est complet et qu’il y a sans cesse à ajouter ». René Jetté, auteur du plus récent ouvrage destiné à revoir acte par acte, famille par famille, le travail de Tanguay, a pu écrire : « Son œuvre maintenant centenaire demeure aussi estimable que monumentale, tant par l’ampleur de l’information, patiemment recueillie dans des conditions d’accès, d’éclairage et de transport héroïques, que par l’élan indiscutable et toujours soutenu qu’elle a donné aux enquêtes généalogiques au Québec. »
Les nombreuses recherches de Cyprien Tanguay l’ont amené à produire d’autres œuvres, de caractère plus modeste, mais néanmoins fort utiles à ses continuateurs, dont Répertoire général du clergé canadien, par ordre chronologique depuis la fondation de la colonie jusqu’à nos jours (Québec, 1868), Monseigneur de Lauberivière, cinquième évêque de Québec 1739–1740 ; documents annotés (Montréal, 1885) et À travers les registres (Montréal, 1886). La réputation de Tanguay repose, en définitive, sur une entreprise qui a donné naissance à des études généalogiques et démographiques d’un caractère scientifique difficile à atteindre au xixe siècle. Ce n’est pas un mince mérite pour un personnage qui, s’il fut quelque peu enclin à la chicane et à la vanité, voua néanmoins sa vie laborieuse au service de l’Église et de sa patrie. Il en reçut, de son vivant, maints honneurs et de nombreuses distinctions qui durent le récompenser de son immense labeur et des critiques dont il fut l’objet. Il décéda à Ottawa à l’âge de 82 ans. Ses funérailles eurent lieu au séminaire de Québec le 2 mai 1902. Ses restes ont été déposés dans la chapelle de cette institution.
Les ASQ possèdent les fiches manuscrites du Dictionnaire généalogique de Cyprien Tanguay, qu’il leur a données en 1890, ainsi que plusieurs lettres de membres de sa famille ou de correspondants que l’on retrouve principalement dans Polygraphie, LX, LXIV et LXVI.
La plupart des ouvrages de Tanguay ont connu une réimpression ou une réédition. Ainsi le premier tome du Dictionnaire généalogique a été réimprimé à Baltimore, Md., en 1967, puis les sept tomes à New York en 1969 et à Montréal en 1975. À travers les registres a été réimprimé à Montréal en 1978 et le Répertoire général du clergé canadien a été réédité à Montréal en 1893.
On attribue à Tanguay et à Benjamin Sulte* la brochure signée du pseudonyme Félix et intitulée : le Collège de Rimouski ; qui l’a fondé ? (Rimouski, Québec, [1867 ?]).
AC, Québec, État civil, Catholiques, Notre-Dame de Québec, 2 mai 1902.— ANQ-Q, CE1-1, 16 sept. 1819. AP, Saint-Germain (Rimouski), Reg. des délibérations de la fabrique, 1853–1867.— Arch. de l’archevêché de Rimouski, 355.106 (paroisse Saint-Germain) ; 419.101 (Cyprien Tanguay).— Arch. privées, Noël Bélanger (Rimouski), Noël Bélanger, « le Prêtre-éducateur du collège-séminaire de Rimouski, 1855–1940 » (texte dactylographié).— H.-A. Bizier, « le Père « racines »... », l’Actualité (Montréal), 15 déc. 1990.— M.-A. Caron et al., Mosaïque rimouskoise ; une histoire de Rimouski (Rimouski, 1979).— [Fortunat Charron], Séminaire de Rimouski ; fêtes du cinquantenaire, les 22 et 23 juin 1920 (Rimouski, 1920).— Cyclopœdia of Canadian biog. (Rose et Charlesworth), 1.— DOLQ, l. Alphonse Fortin, Album des anciens du séminaire de Rimouski (Rimouski, 1940).— Charles Guay, Chronique de Rimouski (2 vol., Québec, 1873–1874).— René Jetté, Dictionnaire généalogique des familles du Québec (Montréal, 1983).— [J.-C.-K.] Laflamme, « le « Dictionnaire généalogique », BRH, 8 (1902) : 238–241.— Adrien Laurendeau, Notes bio-bibliographiques sur Mgr Cyprien Tanguay (thèse de bibliothéconomie, univ. de Montréal, 1949).— J.-[A.-]A. Lebœuf, Complément au dictionnaire généalogique Tanguay (3 sér., Montréal, 1957–1964).— Le Jeune, Dictionnaire. Le « Livre de raison » du séminaire de Rimouski, 1863–1963 ; images du passé, promesses d’avenir, Armand Lamontagne, édit. ([Rimouski ?, 1964 ?]).— M.-A. Roy, Saint-Michel-de-la-Durantaye ; notes et souvenirs, 1678–1929 (Québec, 1929), 109.— [L.-]P.[-R.] Sylvain, le Collège industriel de Rimouski (Rimouski, 1903) ; De la fondation du collège de Rimouski et de son fondateur (Rimouski, 1903).
Noël Bélanger, « TANGUAY, CYPRIEN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 5 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/tanguay_cyprien_13F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/tanguay_cyprien_13F.html |
Auteur de l'article: | Noël Bélanger |
Titre de l'article: | TANGUAY, CYPRIEN |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 5 déc. 2024 |