WEIR, WILLIAM, homme d’affaires, éditeur d’un journal et auteur, né le 28 octobre 1823 à Greenden, Écosse ; en 1849, il épousa Elizabeth Somerville, et ils eurent six fils et une fille, puis, en secondes noces, une nommée Scoville ; décédé le 25 mars 1905 à Ottawa.

William Weir représente assez bien les hommes d’affaires montréalais de la seconde moitié du xixe siècle. Comme bon nombre de ses homologues anglophones, il naquit en Écosse et reçut une « bonne éducation » avant d’entrer sur le marché du travail. À compter de l’âge de 14 ans, il fut, durant plus de trois ans, garçon de boutique à Brechin, près de son village natal. Énumérateur au recensement de 1841, il occupa un emploi de commis en 1841–1842. Il s’embarqua pour le Bas-Canada au printemps de 1842. À son arrivée, il alla vivre chez un oncle, brasseur et distillateur à Lachute. Après avoir enseigné non loin de là, dans le canton de Chatham, il trouva une place de teneur de livres chez le négociant Daniel McDonald à Saint-Laurent.

En 1847, Weir se fit marchand commissionnaire à Montréal. Ses premières années dans la ville ne durent pas être fastes, car il changea régulièrement de domaine d’activité. Devenu cambiste en 1849, il se lança en 1852 dans la vente d’articles en cuir. Cinq ans plus tard, il quitta Montréal pour Toronto, où il devint éditeur du Canadian Merchants’ Magazine and Commercial Review. À la fin de 1858 ou au début de 1859, il fonda dans la même ville, avec Ebenezer Clemo*, une firme de « courtiers à la commission et représentants de manufacturiers ». Une fois que le magazine et l’entreprise eurent fermé leurs portes, dans les derniers mois de 1859, il retourna à Montréal et tenta de se relancer dans le courtage. Comme il l’écrivit à l’homme d’affaires Isaac Buchanan*, il cherchait « un associé avec un capital d’environ 10 000 $ pour ouvrir un véritable comptoir d’escompte et de change ». L’existence de la firme Weir and Larminie, de 1862 à 1864, laisse entendre qu’il le trouva. Après la dissolution de cette entreprise, il continua seul. Il se désigna comme courtier jusqu’en 1871, puis courtier et banquier. Vers 1885, avec deux de ses fils, il forma la W. Weir and Sons, qui dura jusqu’en 1899.

Le peu que l’on sait de sa carrière de courtier et de banquier se rapporte en grande partie à son rôle dans trois domaines qui intéressaient les milieux d’affaires des provinces centrales. En premier lieu, il y eut l’établissement d’une protection pour l’industrie canadienne après l’abrogation des Corn Laws. En 1849, Weir signa, à l’instar d’autres hommes d’affaires montréalais, le Manifeste annexionniste pour protester contre le fait que l’on prive les exportations canadiennes de toute protection sur les marchés britanniques. Les signataires, déclara-t-il, étaient les « hommes d’affaires sérieux de Montréal [... qui] pla[çaient] la loyauté envers leur famille et leur patrie au-dessus de la loyauté envers leur Reine ». Selon l’historien Benjamin Forster, ils soutenaient l’annexion aux États-Unis, faute de solutions de rechange acceptables : « Le retour au régime préférentiel était impossible, l’union des colonies rassemblerait des économies rivales et non pas complémentaires, l’indépendance affaiblirait trop la province, la protection engendrerait la stagnation parce que le marché intérieur était petit et la réciprocité avec les États-Unis n’était qu’un pis-aller. »

Toutefois, au fil des années 1850, Weir perdit ses préventions contre le protectionnisme. En 1857, il notait encore dans le Canadian Merchants’ Magazine : « comme notre population est réduite et notre richesse limitée, nos produits manufacturés n’auraient pas assez de débouchés [si nous imposions des droits de douane élevés] ». Il voulait plutôt « le libre-échange avec les États-Unis dans le secteur manufacturier ou, si cela [était] irréalisable, la réciprocité du tarif ». Puis, en 1858, voyant qu’aucune des deux possibilités ne semblait pouvoir se matérialiser et que l’économie avait ralenti, il adhéra à la proposition suivante : « à défaut d’avoir accès au marché américain, nous nous assurerons au moins de vendre nos produits sur notre marché ». Une fois converti au protectionnisme, il fut secrétaire de deux groupes de pression qui réclamaient une hausse du tarif douanier : l’Association for the Promotion of Canadian Industry et la Tariff Reform Association.

Au dire de tous, l’augmentation du tarif décrétée en 1859 par l’inspecteur général Alexander Tilloch Galt* plut à Weir. Un jour, il le qualifia de « ministre des Finances le plus capable de cette période ». Tous les ex-membres de l’Association for the Promotion of Canadian Industry n’étaient pas aussi élogieux. C’était le cas de Buchanan, mais cette divergence de vues ne l’empêcherait pas d’être un grand ami de Weir jusqu’à sa mort en 1883. Au début des années 1860, ils s’associèrent en vue de fabriquer du papier. Dans les années 1870, Buchanan tenta de convaincre Weir de quitter Montréal pour travailler avec lui à Hamilton. Ils partageaient en outre la même vision de la société sous l’influence de l’industrialisation. Ils favorisaient l’instauration du tarif en partie pour créer une certaine communauté d’intérêts entre travailleurs et fabricants. Étant donné la rapidité des changements sociaux alors en cours, Buchanan souhaitait « une société sans conflits débilitants » tandis que Weir prônait une politique qui ne servirait pas « les intérêts d’une classe [mais] les intérêts de l’ensemble du pays ».

Sans jamais se désintéresser totalement de la cause protectionniste (à la fin des années 1890, il la défendrait encore auprès du gouvernement fédéral), Weir la délaissa après les années 1850 et s’occupa par la suite d’une autre question qui touchait le milieu des affaires montréalais. Après la suspension des paiements en numéraire aux États-Unis, en 1862, l’entrée massive de pièces d’argent américaines au Canada menaçait la santé de la monnaie canadienne. On se servait assez régulièrement des pièces d’argent dans le commerce de détail et le versement des salaires. Toutefois, elles n’avaient pas cours légal et l’on ne pouvait pas s’en servir dans les banques pour faire un dépôt ou régler un compte. Il fallait donc se rendre chez un courtier qui les changeait au-dessous du pair avant de les remettre en circulation.

Pour mettre fin à ce chaos, le gouvernement fédéral, après avoir, dans un premier temps, interdit d’importer d’autres pièces, en exporta pour une valeur de un million de dollars en 1868. L’année suivante, le secteur privé en exporta encore plus par l’entremise du courtier Weir. Ces mesures ne résolurent pas le problème, qui retomba sur les bras du ministre des Finances sir Francis Hincks*. Comme la compétence de Weir en cette matière était reconnue, tous deux travaillèrent de concert dans les premiers mois de 1870.

Le gouvernement nomma Weir agent pour l’exportation des pièces d’argent américaines et lui donna le pouvoir de mettre à exécution le plan suivant. Pendant un temps limité, le gouvernement accepterait ces pièces moyennant une retenue minime. Puis, une fois cette période écoulée, on appliquerait une réduction plus radicale en imposant une pénalité à quiconque verserait un taux supérieur à celui qu’Ottawa avait fixé. Ainsi, les détenteurs de pièces seraient incités à s’en départir. Ensuite, les banques dont Weir aurait requis la participation exporteraient les pièces. Le plan suscita une certaine opposition. Le Bureau de commerce de Montréal, notamment, refusait d’admettre qu’il y avait problème et prétendait que « la commodité et la simplicité de l’utilisation de l’argent américain compens[aient] largement les inconvénients, si elles ne les dépass[aient] pas ». Néanmoins, le plan réussit : on exporta plus de 7 millions de dollars de pièces. Quant à Weir, il reçut, en récompense, un service à thé... en argent.

Weir n’échappa jamais tout à fait au rôle qu’il avait joué au cours de cette crise : dans les dix dernières années de sa vie, il proposerait de s’attaquer aux problèmes posés par la circulation de pièces d’argent américaines au Canada. En 1895, la section des banquiers du Bureau de commerce de Montréal le nomma à un comité qui discuterait de la question avec le gouvernement fédéral. L’année suivante, dans une lettre au ministre des Finances, William Stevens Fielding*, Weir se dit prêt à faire la même chose qu’au moment de « la crise de l’argent de 1870 ». Il offrit de nouveau ses services à Fielding en 1904, mais le ministre se montra plutôt indifférent. Il faut dire que, à ce moment-là, Weir avait à son passif une peine d’emprisonnement et des problèmes d’instabilité mentale. Même cette maladie était liée à la crise de l’argent. « La bataille de 1870, avait-il confié en 1875 à Buchanan, m’a laissé ébranlé par une anxiété mentale dont je ne guérirai jamais complètement. »

Si Weir fut condamné, c’est en raison de ses activités dans le secteur bancaire canadien, le troisième de ses centres d’intérêt. Dans les années 1870 et 1880, il avait été l’un des rares hommes d’affaires anglophones à s’associer aux banques privilégiées dont le siège était au Québec et dont les administrateurs et les clients étaient surtout des francophones. Il convenait tout à fait que Weir franchisse la frontière ethnique puisqu’il se considérait comme un francophile. Peu après son arrivée au Bas-Canada, il avait été amené à « adopter le point de vue des Canadiens français » parce qu’il trouvait les anglophones « grossiers et arrogants » avec eux.

La relation de Weir avec les banques canadiennes-françaises débuta par le rôle déterminant qu’il joua dans la réorganisation de la Banque Jacques-Cartier [V. Victor Hudon*]. Cette banque, dont le siège était à Montréal, connut une phase difficile en 1875 à cause d’une mauvaise gestion financière et dut suspendre temporairement ses opérations. Cependant, dès la fin de la décennie, sa situation se redressa grâce à de nouveaux investisseurs, notamment un petit groupe d’hommes d’affaires anglophones qui avaient été ravis d’en acquérir les actions à prix d’aubaine. Weir était un membre influent de ce groupe, comme en témoigne sa nomination à un comité d’actionnaires de six membres choisis en 1878 pour examiner les livres de la banque. En 1879, il fut élu au conseil d’administration et en 1880, il accéda à la vice-présidence. S’appuyant sur l’expérience acquise à la Banque Jacques-Cartier, il encouragea le gouvernement fédéral à nommer des commissaires de banque qui « examineraient et vérifieraient les états [soumis par toutes les banques,] qui [...] en [étaient] venus à être considérés comme très douteux ». Il était convaincu que, s’il y avait eu des commissaires de banque, les difficultés qu’avaient connues la Banque Jacques-Cartier et plusieurs autres « auraient pu être prévenues ou grandement amoindries ». Or, ironiquement, le dépôt d’états falsifiés allait provoquer sa propre perte.

Lorsqu’une série de faillites bancaires frappa le milieu financier de Montréal, au printemps de 1879, la Banque Ville-Marie était encore plus mal en point que la Banque Jacques-Cartier ne l’avait été quelques années plus tôt. Depuis longtemps, elle prêtait à tout venant, sans trop se préoccuper de ce que, un jour ou l’autre, les déposants réclameraient leur avoir. Quand la panique survint, elle dut suspendre ses opérations. Elle rouvrit plus tard dans l’année, mais la liquidation sembla inévitable une fois adoptée, en 1880, la loi fédérale qui définissait cette procédure.

Les actionnaires de la Banque Ville-Marie avaient décidé de la liquider, mais au début de 1881, ils résolurent d’essayer de la remettre sur pied. Le principal initiateur de ce revirement était nul autre que Weir, qui avait acquis un grand nombre d’actions dans le courant de 1880. En retour d’un investissement qui faisait de lui le principal actionnaire de la banque, il avait d’abord été élu au conseil d’administration, puis, en juin 1881, il remplaça Louis Archambault à la présidence.

De 1881 à 1899, année de la fermeture, Weir dirigea la Banque Ville-Marie comme si elle lui avait appartenu. Il écarta les administrateurs francophones pour les remplacer par des amis à lui qui ne se gênaient pas pour tirer un profit personnel des fonds de la banque. Assez curieusement, il se vantait que l’établissement avait pour règle de prêter tout l’argent des dépôts. Dans l’éventualité où il faudrait rembourser un grand nombre d’épargnants, ce serait donc la catastrophe. Quand les journaux firent savoir, en juillet 1899, qu’un employé s’était enfui avec une partie des fonds, il se produisit une ruée à laquelle la banque ne put pas survivre.

La Banque Ville-Marie ferma ses portes – pour de bon. Les clients, en grande partie francophones, récupérèrent moins de 20 % de leurs dépôts et gardèrent un fort ressentiment à l’endroit des agissements d’un homme qui s’était longtemps considéré comme un francophile. Le département des Finances reçut une avalanche de plaintes au sujet de la manière dont un étranger avait détruit une banque française. Weir comparut en novembre 1899 sous l’accusation d’avoir donné des renseignements mensongers au gouvernement. La couronne fit valoir que la banque avait faussement prétendu disposer d’une réserve de 10 000 $. En outre, elle avait déclaré des prêts à court terme pour presque 1,4 million de dollars alors que cette somme comprenait environ 400 000 $ de prêts échus et dont le remboursement était improbable. Le jury ne mit qu’un quart d’heure pour conclure à la culpabilité de Weir, qui fut condamné à deux ans de prison.

Weir n’en avait pourtant pas fini avec la justice. La couronne voulait aussi le faire comparaître avec les autres administrateurs sous des accusations de conspiration. Le procès devait commencer en avril 1901, mais fut remis parce que Weir « n’était pas, mentalement, en état de subir un procès ni de servir de témoin ». Par la suite, les nécrologies de divers journaux montréalais confirmeraient cette opinion. Dans l’une d’elles, on pouvait lire : « depuis quelque temps, son état mental n’était pas à la hauteur des difficultés de la situation ». Son équilibre avait sans doute aussi été affecté par le suicide d’un de ses fils en 1900, survenu, disait-on, à la suite de la disgrâce de son père. Finalement, les accusations de conspiration ne furent jamais portées devant les tribunaux, de sorte qu’une fois libéré de prison, à l’automne de 1901, Weir vécut ses dernières années en homme libre, quoique discrédité.

Peu de temps avant de mourir, William Weir écrivit et publia un récit de sa vie au pays, Sixty years in Canada. Il y parle longuement des efforts qu’il a déployés pour protéger l’industrie canadienne et du rôle qu’il a joué dans la crise de l’argent. Sans doute voulait-il laisser derrière lui autre chose que le souvenir d’un banquier condamné pour manquement à ses devoirs. Weir fut une exception parmi les banquiers en ceci qu’il purgea une peine d’emprisonnement pour ses méfaits. Par contre, il ne fut pas le seul à présider à la chute d’une banque privilégiée (ces faillites ne furent que trop fréquentes dans la seconde moitié du xixe siècle), à lutter pour la protection de l’industrie canadienne ni à combattre la circulation des pièces d’argent américaines au Canada. Sans être parmi les chefs de file du milieu des affaires montréalais, il en fut l’un des représentants, en raison des activités auxquelles il prit part et des causes qu’il défendit.

Ronald Rudin

William Weir a été le directeur du Canadian Merchants’ Magazine and Commercial Rev. (Toronto), 1 (avril–sept. 1857)–4 (janv.–juin 1859) et est l’auteur de Sixty years in Canada (Montréal, 1903).

AN, MG 24, D16 ; MG 26, A ; G ; RG 19, 483 ; 3123 ; 3220.— Gazette (Montréal), 22–28 nov. 1899, 27 mars 1905.— Montreal Daily Star, 27 mars 1905.— Annuaire, Montréal, 1849–1905.— [J. J.] B. Forster, A conjunction of interests : business, politics, and tariffs, 1825–1879 (Toronto, 1986).— Ronald Rudin, Banking en français : the French banks of Quebec, 1835–1925 (Toronto, 1985).

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Ronald Rudin, « WEIR, WILLIAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 11 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/weir_william_13F.html.

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Auteur de l'article:    Ronald Rudin
Titre de l'article:    WEIR, WILLIAM
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
Année de la révision:    1994
Date de consultation:    11 déc. 2024