INUKJUARJUK, chef de campement inuit, né vers 1849 au fort Chimo (Kuujjuaq, Québec), fils d’Etidluie et d’Ekahalook ; il épousa Nirukatsiak, puis Kreemipikulu, puis Kooyoo et enfin Kowmadjuk, et de ces quatre mariages naquirent au moins 16 enfants ; décédé en 1915 à Etidliajuk (Territoires du Nord-Ouest).

Inukjuarjuk naquit à la fin des années 1840 ou au début des années 1850, à l’époque où son père travaillait pour le poste de la Hudson’s Bay Company au fort Chimo. Dès son enfance, il fut mêlé à des événements troublants. Son fils Peter Pitseolak*, photographe et historien de Cape Dorset, a révélé : « quand mon père était bébé, des Indiens l’ont pris en échange d’un petit Indien. Etidluie était parti à la chasse [...] et ma grand-mère avait trop peur des Indiens pour dire non. » À son retour, Etidluie « plaça le petit Indien dans une boîte, le transporta sur son dos et alla chercher son fils ». Il trouva Inukjuarjuk avec une Indienne qui lui chantait cette chanson :

Ce petit va m’apporter à manger
Des magasins de l’homme blanc,
Ce petit va m’apporter à manger.
Ce petit va m’apporter à manger –
Il m’apporte à manger.

« Etidluie avait l’habitude de recevoir de la nourriture là où il travaillait, expliquait Peter Pitseolak, mais les Indiens pouvaient avoir de la nourriture des kadlunas [hommes blancs] seulement en faisant de la traite. » Trois quarts de siècle après l’enlèvement, selon Peter Pitseolak, des parents d’Etidluie vivant dans la région du fort Chimo se souvenaient encore de la chanson et pouvaient la chanter.

Inukjuarjuk était encore un petit garçon – « pas assez grand pour ramer » – lorsque sa famille entreprit un long voyage qui allait finalement la conduire dans le sud de l’île de Baffin. Après avoir accumulé des peaux de phoque tout l’hiver, son père fabriqua un grand umiak. Il fixa, dans les tolets, des tortillons de corde – ingénieux dispositif grâce auquel les lourdes rames rebondissaient par elles-mêmes hors de l’eau – et ajouta au bateau un mât fait d’une bille de bois et une voile en étoffe solide. Ses trois fils, Kiakshuk, Kavavow et Inukjuarjuk, l’accompagnaient, ainsi que d’autres parents (ses femmes Atsutoongwa et Ekahalook étaient décédées). Ils longèrent la côte de la péninsule d’Ungava jusqu’au territoire situé entre la baie de Mosquito et l’emplacement actuel d’Ivujivik, au Québec. Le groupe resta peut-être deux hivers dans cette région. C’est là que, au début des années 1860, les trois frères furent impliqués dans ce qui fut, dit-on, la dernière des tueries qui caractérisèrent les premiers contacts entre Inuit et Blancs dans l’est de la baie d’Hudson. Plusieurs évocations de ce drame subsistent : on en trouve dans les archives de postes de la Hudson’s Bay Company, dans un livre écrit par James Archibald Houston, The white dawn [...] (où la tragédie est racontée sous la forme d’un récit romancé dont l’action se situe plutôt dans le sud de l’île de Baffin dans les années 1890), dans le film du même nom et dans les souvenirs de Peter Pitseolak.

À l’automne de 1858 ou de 1859, un navire échoua dans la région de la baie Mosquito. En racontant les événements qui suivirent, Peter Pitseolak rapporte que, partis chasser l’ours polaire, les trois garçons et un beau-frère aperçurent des traces de naufragés de race blanche et finirent par trouver plusieurs survivants sur un bateau Peterhead. « Avec des gestes, le patron du bateau expliqua aux Inuit qu’ils devaient rapprocher leur campement du bateau et les aider. Etidluie et ses fils ne comprirent pas ses paroles mais comprirent ce qu’il voulait. » Après avoir bâti leurs igloos autour du bateau, Etidluie et sa famille commencèrent à travailler pour les hommes blancs, qui les payaient en nature. « [Puis] d’autres Esquimaux trouvèrent le campement [...] Ces gens qui arrivaient étaient fous de jalousie [...] Tout ce qui les intéressait, c’était les possessions [des hommes blancs]. Ces gens qui arrivaient ne travaillaient pas pour les hommes blancs, alors, naturellement, ils n’avaient rien reçu. Ils décidèrent de tuer les hommes blancs ; après, ils auraient tout ce qui appartenait à ceux-ci. »

Les tueurs demandèrent à une femme de confectionner de longues moufles sans pouce. Ceux qui porteraient ces moufles ne pourraient pas saisir des armes parce que les peaux n’avaient pas été assouplies ; ils ne pourraient pas non plus les retirer parce qu’elles avaient des lacets. « Une fois les moufles terminées, les tueurs allèrent voir Etidluie et lui dirent : « Il va y avoir de la bagarre. Si toi et tes fils ne [nous] aidez pas à tuer les kadlunas, vous allez mourir aussi. » Etidluie aimait bien les hommes blancs et resta silencieux un instant. « Puis il parla et voici ce que dit Etidluie : « Moi, je ne tiens pas à la vie. Mais si l’un de mes fils a encore du temps à vivre, je ne veux pas qu’il se précipite vers la mort. Je ne veux pas qu’il meure de ses blessures. Alors, qu’ils vous aident parce que, même si c’est bien triste, aucun de nous ne peut vivre toujours. » Etidluie dit à ses fils : « Vous devez aider les autres. Vous devez être prêts quand les chefs diront : « Atai ! » – allons-y ! [...] J’agis comme si je voulais que vous fassiez cela. Je le fais parce que je veux que vous viviez. »

Etidluie ne participa pas à la tuerie, mais ses fils, oui. Les tueurs aidèrent les hommes blancs à enfiler les moufles et les lacèrent. Puis quelqu’un cria « Atai ! » Un des hommes blancs frappa les tueurs avec ses poings et s’éloigna d’eux en courant. Kiakshuk et Inukjuarjuk le rattrapèrent et l’immobilisèrent. L’homme blanc demanda « Suvitit – pourquoi ? », mais les garçons ne répondirent pas. Ils le tinrent jusqu’à l’arrivée de l’homme désigné pour le tuer. Inukjuarjuk avait un petit couteau et, juste avant que l’homme meure, il le planta dans la blessure pour que les autres pensent qu’il avait aidé à le tuer.

L’histoire fut rapportée au poste de la Hudson’s Bay Company à la rivière Little Whale (Petite Rivière de la Baleine, Québec) par un Inuk appelé Noma. Les archives du poste reproduisent ses renseignements : « Tous les hommes et toutes les femmes impliqués dans le meurtre ont sur le nez, dit-on, une ligne tatouée qui descend sur leurs joues – cela a été fait en l’honneur et en souvenir de l’exploit. » Peter Pitseolak précise : « Tous ceux qui avaient tué ont reçu une marque. Ils ont été tatoués sur l’arête du nez – parce qu’ils avaient tué des kadlunas. C’était la coutume de tatouer les hommes quand ils faisaient une grosse prise. Mon père a porté cette marque toute sa vie. »

Après la tuerie, peut-être vers 1862, Etidluie et sa famille traversèrent le détroit d’Hudson et se rendirent dans le sud de l’île de Baffin. Ce fut une migration importante car leurs descendants composent aujourd’hui une bonne partie de la population de cette région. Peter Pitseolak pensait que son grand-père était originaire du sud de l’île de Baffin et nota qu’il y retourna pour épouser une femme qu’il avait courtisée longtemps auparavant, Alenga. Un dessin exécuté par Peter Pitseolak dans le cadre du fameux programme d’estampes de la West Baffin Eskimo Co-operative montre Etidluie négociant Alenga avec le fils de celle-ci, Niviaksiapik. Un jeune garçon avec une fronde, Inukjuarjuk, observe les pourparlers en compagnie de ses frères. Sur un autre dessin, on voit Inukjuarjuk avec son père et ses frères dans l’umiak qui les amena à l’île de Baffin. La famille choisit comme principal territoire de chasse Seekooseelak, « là où il n’y a pas de glace au moment de la débâcle », c’est-à-dire la partie sud-ouest de l’île de Baffin autour de l’emplacement actuel de Cape Dorset. C’est là qu’Inukjuarjuk grandit et devint un chef puissant. À la fin des années 1860, quand il était encore un jeune chasseur et vivait depuis peu avec sa première femme, Nirukatsiak, il passa un autre hiver avec des naufragés de race blanche. Cette fois, les relations furent tout à fait pacifiques. Il leur donna un coup de main à leur campement et les emmena chasser à l’intérieur des terres.

Au fil du temps, comme le voulait la coutume pour les grands chasseurs, Inukjuarjuk prit d’autres femmes. (« Oh, ils en avaient besoin – pour travailler leurs peaux », a précisé un vieil Inuk.) Peter Pitseolak a raconté que sa mère, Kooyoo, portait deux tresses, et que son père l’acheta pour « un fusil et un bon chien de traîneau. Juste parce que ces tresses lui plaisaient. » Pareil mode de vie était éprouvant. La grande dessinatrice de Cape Dorset Pitseolak* Ashoona, qui a connu Inukjuarjuk quand elle était enfant, a dit : « Parfois, le pauvre, il travaillait encore à la construction des igloos même s’il faisait pas mal noir. » Inukjuarjuk eut au moins 16 enfants de ses quatre femmes, dont Peter Pitseolak et son frère aîné Pootoogook. Celui-ci, surnommé le Roi esquimau, fut le dernier « patron » inuit employé par la Hudson’s Bay Company pour les 12 campements de chasse qui faisaient de la traite avec le poste de Cape Dorset.

Inukjuarjuk vécut au moment de l’arrivée des agents du changement dans le sud de l’île de Baffin : les pêcheurs de baleine qui commencèrent à fréquenter le détroit d’Hudson dans les années 1860, les missionnaires qui apportèrent la lecture et l’écriture et fondèrent la première mission anglicane à Lake Harbour en 1909, les trafiquants de fourrure de renard qui établirent le premier poste de la Hudson’s Bay Company à cet endroit en 1911. Toutefois, le changement était imperceptible du vivant d’Inukjuarjuk. Contrairement à ses descendants, il mena la même existence que ses ancêtres. Il était encore chasseur nomade quand il mourut en 1915 à Etidliajuk, grand campement de chasse du sud de l’île de Baffin. Une maladie répandue par les Inuit qui transportaient le courrier en traîneaux à chiens à partir de Lake Harbour causa son décès.

Dorothy Harlem Eber

Des détails additionnels concernant Inukjuarjuk nous ont été communiqués par une petite-fille, Igalook Petaulassie, de Cape Dorset, Territoires du Nord-Ouest.  [d. h. e.]

Musée canadien des civilisations (Hull, Québec), Service de gestion de l’information, IV-C-126M (« Working draft of chart showing descent of Cape Dorset graphic artists », Dorothy Harley Eber, compil., 1980).— Daniel Francis et Toby Morantz, Partners in furs : a history of the fur trade in eastern James Bay, 1600–1870 (Kingston, Ontario, et Montréal, 1983), 140s.— Dorothy Harley Eber, When the whalers were up north : Inuit memories from the eastern Arctic (Montréal et Kingston, 1989).— J. [A.] Houston, The white dawn ; an Eskimo saga (Don Mills [Toronto], 1971).— Peter Pitseolak (1902–1973), Inuit historian of Seekooseelak : photographs and drawings from Cape Dorset, Baffin Island, David Bellman, édit. (catalogue d’exposition, Musée McCord d’histoire canadienne, Montréal, 1980).— Peter Pitseolak et Dorothy Harley Eber, People from our side : a life story with photographs by Peter Pi[ts]eolak and oral biography by Dorothy Harley Eber, traduction du manuscrit de Pitseolak par Ann Hanson ([nouv. éd.], Montréal et Kingston, 1993).

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Dorothy Harlem Eber, « INUKJUARJUK », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/inukjuarjuk_14F.html.

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Auteur de l'article:    Dorothy Harlem Eber
Titre de l'article:    INUKJUARJUK
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
Année de la révision:    1998
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