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DOLLIER DE CASSON, FRANÇOIS, capitaine de cavalerie, prêtre, sulpicien, aumônier militaire, explorateur, supérieur des Sulpiciens en Nouvelle-France (1671–1674 et 1678–1701) et, à ce titre, seigneur de l’île de Montréal, curé de la paroisse de Trois-Rivières puis de Ville-Marie, vicaire général du diocèse de Québec, architecte et historien, né en 1636 au château de Casson-sur l’Erdre en Basse-Bretagne, diocèse de Nantes, décédé à Montréal le 27 septembre 1701.
Ses parents, Charles de Casson et Françoise de Cailleux, faisaient partie de la petite noblesse bourgeoise et militaire et possédaient une certaine richesse. Les armoiries de la famille, de gueules à trois fasces d’argent à la bande d’azur brochant sur le tout, portaient de plus des molettes d’éperon, signes de son ascendance chevaleresque et martiale.
François Dollier eut au moins deux sœurs. L’une, née à Bellé près de Nantes en 1643, devint supérieure des Bénédictines du Calvaire d’Angers, sous le nom de Julienne-Angélique de Jésus Pâtissant, et mourut le 16 septembre 1686, aimée et louangée par ses consœurs pour son humilité et sa charité. L’autre épousa Gabriel Peschart, sieur et baron de Bossac, et assura à François une rente viagère de 1 200#. Durant sa convalescence en France, Dollier se retira dans leur château (1676–1678) et agit comme précepteur de leur fils.
Comme beaucoup d’autres jeunes gens à cette époque, il fit son apprentissage de la vie dans l’armée. Il avait d’ailleurs le physique de l’emploi : d’une taille avantageuse, il jouissait d’une force si extraordinaire qu’il pouvait porter deux hommes assis sur ses mains. Une photographie d’un portrait qui serait le sien le montre assez âgé et d’une stature qui parait imposante ; la figure sans rides, les traits forts mais sans dureté, le front haut, la bouche et le menton volontaires, le regard franc et ouvert lui donnent un air de grande virilité. Il servit comme capitaine de cavalerie sous les ordres du maréchal de Turenne et sa bravoure lui valut l’estime du général.
Après trois ans de vie militaire, Dollier entra chez les Sulpiciens pour continuer ses études et devenir prêtre. On a malheureusement détruit la plupart des documents anciens du séminaire de Saint-Sulpice de Paris et l’on n’y retrouve plus trace de son séjour. Tout aussi difficile est la reconstitution de son activité au Canada, à cause de lacunes énormes dans les archives du séminaire de Montréal. La correspondance de Tronson, supérieur à Paris, et l’Histoire du Montréal de Dollier lui-même constituent pratiquement les seules sources importantes de renseignements qu’on ait sur lui.
Ainsi, c’est Dollier lui-même qui nous apprend qu’il fut l’une des trois « victimes » désignées par le supérieur de Saint-Sulpice pour venir au Canada. Arrivé à Québec le 7 septembre 1666, il repartit une semaine plus tard pour accompagner l’expédition de Prouville* de Tracy contre les Agniers en qualité d’aumônier militaire. Il n’apprécia pas beaucoup cette prise de contact avec la Nouvelle-France ; outre les difficultés du voyage, il dut entendre les confessions une partie de la nuit et subir un sévère rationnement de vivres. Il qualifia ce régime de « noviciat d’abstinence » et son capitaine de « grand maître du Jeûne [digne de] servir de père maître en ce point chez les pères du désert ». Il en fut tellement affaibli qu’il ne put porter secours à un homme qui se noyait.
Il n’était pas encore remis de son expédition et d’une mauvaise saignée pratiquée par un chirurgien que son supérieur le désignait, à l’automne de 1666, pour porter les secours de la religion à 60 soldats en garnison au fort Sainte-Anne de l’île Lamothe sur le lac Champlain. Il résolut de partir malgré sa faiblesse et réussit à persuader une dizaine de soldats de l’escorter sur une partie du trajet. À son arrivée, les deux tiers de la garnison souffraient du scorbut ; ses soins empressés lui permirent de sauver la plupart d’entre eux.
De retour à Montréal au début de l’été de 1667, Dollier fut envoyé à Trois-Rivières pour y exercer les fonctions curiales. Il remplit pendant un an les devoirs de sa charge dans cette petite paroisse de quelques centaines d’habitants. À l’automne de 1668, il partit en mission chez les Népissingues afin d’apprendre la langue algonquine. Peut-être y apprit-il aussi à fumer, car on rapporta plus tard qu’il adorait le tabac. Il passa l’hiver chez un chef qui possédait un petit esclave venu des régions du Sud. Le sulpicien, enthousiasmé par les propos du jeune Indien, fit part à son supérieur des possibilités d’évangélisation qu’il entrevoyait chez les « nations outaouas » de la région du Mississipi. Queylus [Thubières*], désireux d’ouvrir de nouveaux champs d’apostolat aux Sulpiciens, approuva les desseins missionnaires de Dollier. Ce dernier descendit alors à Québec pour obtenir des autorités civiles et religieuses les permissions nécessaires et préparer son voyage et son séjour chez les Indiens. Il « avoit résolu [en effet] de ne jamais revenir [à Montréal] s’il pouvoit trouver quelque nation qui l’eust voulu recevoir ». À la demande du gouverneur, il accepta cependant de se joindre à l’expédition de l’aventureux Robert Cavelier* de La Salle. Mais le supérieur des Sulpiciens, qui se méfiait de La Salle, remplaça le compagnon désigné de Dollier, Michel Barthélemy, par René Bréhant* de Galinée qui possédait quelques notions de géographie.
L’équipe d’explorateurs, formée de 22 Européens et d’interprètes algonquins, quitta Montréal le 6 juillet 1669. Les voyageurs atteignirent le lac Ontario au début du mois d’août. L’absence d’un bon interprète – La Salle avouant enfin son ignorance de la langue iroquoise – et la mauvaise volonté des Tsonnontouans à leur fournir un guide les immobilisèrent pendant près d’un mois. La rencontre d’un Iroquois qui retournait chez lui et qui offrait de les conduire les tira d’embarras. Ils longèrent le sud du lac Ontario, traversèrent la rivière Niagara et remontèrent jusqu’à Tinaouataoua (près de la ville actuelle de Hamilton). Ils y rencontrèrent Adrien Jolliet, le frère de Louis*, qui revenait d’une mission aux Grands Lacs. Il leur décrivit la route à suivre pour atteindre les « nations outaouas », les possibilités d’évangélisation chez les Potéouatamis, et leur indiqua l’endroit où il avait laissé un canot. Cette rencontre renouvela l’enthousiasme des missionnaires ; elle eut un effet contraire sur La Salle. L’aventurier sans scrupule prétexta une indisposition causée par la fièvre pour abandonner les Sulpiciens.
Ces derniers, accompagnés de sept hommes et équipés de trois canots, poursuivirent leur route jusqu’à la rive nord du lac Érié où ils décidèrent d’hiverner. La richesse de la faune et de la flore leur permit d’amasser rapidement une grande quantité de vivres et de passer un hiver très calme. Dollier affirmait souvent que ce séjour dans la solitude de la grande nature valait plus pour l’éternité que les dix meilleures années de la vie, et allait jusqu’à souhaiter mourir au milieu des bois plutôt qu’entouré de ses confrères du séminaire. Cette joie quasi mystique n’empêcha pas Dollier de songer aux fins politiques du voyage ; le 23 mars 1670, il planta une croix et prit officiellement possession du territoire au nom du roi de France. Il signa l’acte rédigé à cette occasion « francois dollier, prestre du diocèse de nantes en bretagne ».
Les missionnaires se mirent en route dès le lendemain afin d’arriver au plus tôt chez les Indiens du Mississipi. Peu après le départ, cependant, Bréhant de Galinée perdit son canot avec tout son contenu. Avec deux canots seulement, sans vivres, ils allaient abandonner la partie quand ils découvrirent par hasard le canot laissé par Jolliet ; puis un troupeau de biches vint se placer sous leurs fusils. Ce n’était qu’un répit. Quelques jours plus tard, une tempête s’éleva au cours de la nuit et les vagues furieuses emportèrent le canot de Dollier. Le missionnaire perdit son bien le plus précieux : l’autel portatif avec tous ses accessoires. Après délibération, les sulpiciens décidèrent de revenir à Montréal.
Par esprit d’aventure et pour bien connaître la région, ils effectuèrent leur retour par la « route du Nord », bien connue des Jésuites et des coureurs de bois ; ayant passé par la rivière du Détroit et le lac des Hurons, ils abordèrent la mission de Michillimakinac, franchirent la baie Georgienne, le lac Nipissing et la rivière des Outaouais, pour arriver à Montréal le 18 juin 1670. Le voyage avait duré 347 jours et aboutissait à un échec partiel. Si l’entreprise missionnaire avait échoué, les administrateurs politiques pour leur part étaient satisfaits des résultats acquis. Les sulpiciens n’avaient pas découvert les lacs Ontario, Érié ou Huron, mais ils avaient établi formellement que ces lacs communiquaient entre eux. De plus, premiers Européens à entrer dans la rivière Niagara à partir du lac Ontario, ils avaient pris possession officiellement de cette contrée, avaient fait un relevé précis de sa géographie et laissé un récit de leur expédition. Ce journal, écrit par Bréhant de Galinée, fut publié successivement par la Société historique de Montréal en 1875, par Margry en 1879, et par Coyne dans Ontario Historical Society Papers and Records en 1903. Dollier, qui avait fait son propre récit, jugea celui de son compagnon supérieur au sien et détruisit son manuscrit.
Le sulpicien espérait bien repartir chez les Indiens peu après son retour à Montréal en juin 1670, mais la guerre entre les Algonquins et les Iroquois le força à retarder son projet. Il accompagna cependant les 56 volontaires assemblés par Rémy* de Courcelle pour aller sur le lac Ontario calmer les Iroquois à l’été de 1670. De retour de cette brève expédition à la mi-août, il remplaça Queylus comme supérieur à Montréal.
La tâche du nouveau supérieur ne s’annonçait pas facile. La population de Montréal avait triplé depuis son arrivée au Canada et se composait en grande partie de soldats, plus intéressés à la traite qu’à la terre. De plus, cet avant-poste recevait chaque année un fort contingent d’Indiens venus y porter leurs pelleteries. À titre de supérieur, Dollier devait remplir les devoirs de seigneur haut-justicier ; cela nécessitait de la fermeté et de la diplomatie. Il s’en tira avec honneur.
Au lendemain de sa nomination comme supérieur, Dollier consacra son temps à diverses tâches qui lui tenaient particulièrement à cœur : l’organisation de la ville, la construction d’une église et la rédaction de son Histoire du Montréal. La population de Ville-Marie se chiffrant par près de 1 500 âmes, la construction d’une église paroissiale s’imposait. Dollier en traça le plan, choisit et bénit le site et posa l’une des premières pierres le 30 juin 1672. L’église Notre-Dame, ouverte au culte dès 1678, fut parachevée le 16 juin 1683 par la bénédiction de sa cloche et desservit la paroisse jusqu’en 1829.
Désirant organiser le développement de la ville, Dollier traça les premières rues, en 1672, avec l’aide du notaire-arpenteur Bénigne Basset*. Il marqua l’emplacement des rues Saint-Joseph, Saint-Pierre, Saint-Paul, Saint-Charles, Saint-François, du Calvaire, Saint-Lambert, Saint-Gabriel et Notre-Dame, et fit respecter son travail en s’opposant à l’ensemencement du tracé de ces rues par les habitants. Il rappela en outre aux concessionnaires leur obligation de tenir feu et lieu.
Entre-temps, Dollier rédigea son Histoire du Montréal. Pierre Margry découvrit ce manuscrit à Paris en 1844, et Louis-Joseph Papineau* le fit copier pour le compte du gouvernement. La Société historique de Montréal le publia en 1868 ; il fut repris dans la Revue canadienne l’année suivante et par la Société littéraire et historique de Québec en 1871 ; la plus récente et la meilleure édition de ce texte est toutefois celle de Ralph Flenley, publiée en 1928.
Premier historien de Montréal, Dollier donne des renseignements uniques sur la fondation, les pionniers et le premier quart de siècle de cette ville. À l’exemple des célèbres Relations, il résume année par année les principaux événements de la colonie, et il déborde largement le cadre de l’activité sulpicienne. Si, à l’instar des Jésuites – et de la plupart de ses contemporains – il cède au désir d’édifier le lecteur et fait de la Providence la cause première des événements, il accorde toutefois plus d’importance et d’espace aux facteurs politiques, économiques et militaires qui influencèrent le développement de la colonie.
Il s’efforça en outre de n’avancer que des faits certains, basés sur des témoignages authentiques et souvent rapportés par ceux-là mêmes qui avaient joué un rôle dans les débuts de Montréal. Malgré sa bonne foi et son désir de s’en tenir à la vérité – il avertit ses lecteurs que son récit pourrait comporter des erreurs et des oublis – il ne put cependant discerner la part de déformation ou d’exagération que la sentimentalité et un recul de 20 ans avaient pu apporter à la tradition orale à l’égard de certains faits comme « l’exploit de Dollard* ».
« Sans aucun doute, Dollier ne fut pas un écrivain de métier », comme le souligne Roger Duhamel, mais il manifesta un certain souci littéraire : « Si la manière d’écrire les histoires me permettait [...] mais puisque le discours historique ne m’accorde plus cette liberté [...] ». Ce sulpicien ni mystique ni poète, qui savait voir, écouter et raconter, n’a pas craint de parsemer son récit d’anecdotes, telles que celles de la femme remariée avant même que son mari n’eût été enterré, et de Martine Messier*, sauvée des Iroquois grâce à une ferme emprise à un endroit particulièrement sensible de l’anatomie de l’un d’entre eux, mais qui gifla un Montréalais qui l’avait embrassée en manifestant sa joie de la voir sauve. Il utilisa aussi l’ironie, expliquant l’origine du toponyme Lachine par la risée qu’avait provoquée l’échec de La Salle. Il a également laissé des phrases inoubliables que les historiens et les patriotes se plurent à citer par la suite. On lui doit, entre autres, la fière réponse de Maisonneuve [Chomedey*] au gouverneur : « il est de mon honneur, et vous trouverez bon que j’y monte [à Montréal] pour commencer une colonie, quand tous les arbres de cet Isle se devraient changer en autant d’Iroquois ». Pour ces raisons et parce qu’elle constitue une source indispensable de l’histoire de Montréal et de la colonie, l’œuvre de Dollier a exercé une influence considérable sur l’historiographie canadienne-française. Dollier a généralement fixé et pour longtemps le caractère, l’œuvre ou la renommée des Montréalais.
Dollier se préoccupa aussi du respect des droits seigneuriaux du séminaire de Saint-Sulpice. En 1672, il protesta fermement auprès du gouverneur de Montréal, François-Marie Perrot*, qui avait emprisonné sans bonnes raisons le procureur du bailliage, Jean-Baptiste Migeon* de Branssat. Deux ans plus tard, il adressa un acte de remontrance à Frontenac [Buade*] qui avait chargé Gilles de Boyvinet, lieutenant général du la juridiction de Trois-Rivières, d’instruire à Montréal les procès concernant les coureurs de bois. Dollier écrivit qu’il aurait rendu la cause publique en s’adressant au Conseil souverain, si le respect et la déférence qu’il portait au gouverneur, joints à la méfiance de ce dernier depuis l’emprisonnement de Perrot, ne l’avaient retenu, d’autant plus que Frontenac aurait pu croire que les seigneurs de l’île de Montréal voulaient empêcher qu’on donnât suite à ses ordres. Or, trois jours plus tard, l’abbé Fénelon [Salignac*] prononçait le fameux sermon qui parut à tous comme une attaque contre l’usage de l’autorité telle que pratiquée par Frontenac. On comprend la vive réaction de ce dernier : mis au courant du sermon de Fénelon en même temps qu’il recevait l’avis de Dollier, il put facilement croire à une attaque concertée des Sulpiciens et prendre pour des menaces les allusions de Dollier. Exaspéré par le refus subséquent du supérieur de venir témoigner à Québec sur l’affaire Fénelon, à cause de maladie – Dollier avait passé à travers les glaces le 14 février précédent, était demeuré partiellement immergé pendant plusieurs heures et n’était pas encore remis de cet accident–, Frontenac le força à répondre à l’assignation sous peine de saisie du temporel de sa communauté. Le sulpicien séjourna au séminaire de Québec, où deux officiers de justice durent se rendre pour obtenir sa version des faits. Son témoignage n’apporta rien puisque, malade, il n’avait pas entendu le sermon. Toutefois, il demanda au Conseil souverain et obtint un dédommagement de 100# pour son voyage.
À l’automne de 1674, le sulpicien passa en France pour parfaire sa convalescence ; rien n’indique qu’il ait voulu s’éloigner pour calmer les esprits ou pour appuyer la version des faits que soumettraient Fénelon et Perrot, qui étaient du voyage. Il n’arriva chez sa sœur, Mme de Bossac, qu’au printemps de 1676 ; il servit alors de précepteur à son fils. Revenu à la santé et d’accord avec son supérieur, il quitta subrepticement les siens et rentra à Montréal en 1678.
À son arrivée dans la colonie, la tension était grande entre les administrateurs : « J’y ai trouvé, écrit-il à sa sœur, une aliénation d’esprit générale et une désunion qui enfermait tout le Canada [...] M. le Gouverneur [Frontenac] et M. l’Intendant [Duchesneau*] étaient très mal ensemble. J’ai osé me mêler de cette affaire, Dieu y a versé sa bénédiction. Ces deux grands arbres canadiens réunissent déjà leurs rameaux ». Le supérieur de Dollier à Paris reconnut la valeur de cette intervention, disant qu’il avait été reçu comme un ange de paix. L’esprit de conciliation fut d’ailleurs l’une des caractéristiques dominantes de sa personnalité et lui valut les louanges de tous ses contemporains. Grand diplomate, il réussit à s’allier l’évêque après le départ de Queylus, en 1671. Ami de Mgr de Laval, il fut quand même l’homme de confiance de Mgr de Saint-Vallier [La Croix] qui le nomma vicaire général et qui, en veine de compliment, écrivit de lui : « Leur Superieur [des Sulpiciens] est un sujet de merite et de grace qui a recue de Dieu un merveilleux discernement pour placer ceux qui sont sous sa conduite selon la diversité de leurs talens. Il sçait l’art de ménager tous les esprits, et sa prudence jointe à sa douceur et à ses autres vertus luy a gagné l’estime et l’affection de toutes sortes de personnes ». Dollier entretint d’excellentes relations avec les communautés religieuses en Nouvelle-France : Jésuites, Récollets et prêtres des Missions étrangères ; il contracta d’ailleurs une union spirituelle avec le séminaire des Missions étrangères en 1688.
Dollier ne fut impliqué que dans un seul conflit grave : la crise de 1694–1697, suite de « l’affaire du prie-Dieu ». En 1694, les Récollets avaient invité le gouverneur de Montréal et l’évêque à l’inauguration de leur église, mais Mgr de Saint-Vallier fut relégué au second plan, derrière Callière. Il en résulta, l’année suivante, une querelle parsemée d’accusations, d’ordonnances et même d’interdits ; la situation s’envenima au point que, à l’automne de 1694, l’évêque dut aller justifier sa conduite en France. Dollier de Casson, alors grand vicaire, fut entraîné dans la dispute. Il soutint l’évêque et fit pression sur le ministre en faveur du retour de Mgr de Saint-Vallier au Canada – ce qu’il fit sur l’ordre formel de Saint-Vallier, au dire de Laval, et peut-être par crainte de la nomination d’un évêque jésuite. Ayant songé un instant à profiter de la querelle opposant les Jésuites et les Récollets pour s’emparer des missions, du moins selon Mgr de Laval, Dollier se ravisa toutefois, permit aux Récollets de s’installer chez les Outaouais, pacifia les esprits et réconcilia tout le monde.
Ce don de réconcilier les gens et de se faire aimer de tous ne s’exerça cependant pas au détriment des Sulpiciens, car Dollier savait se montrer ferme à l’occasion. S’il appuya l’évêque lors de cette crise de 1694, il ne lui en exprima pas moins clairement sa façon de penser en lui écrivant que l’évêque de Québec agirait comme un lâche en démissionnant à cause de l’opposition d’une communauté, que toutefois il ne nomme pas. Il avait usé de la même fermeté et de la même franchise à l’égard des Indiens quand le grand chef Garakontié* lui demanda des terres dans l’île de Montréal sous prétexte que les siennes n’étaient pas aussi bonnes ; il lui répondit publiquement qu’il mentait.
Sa franchise, sa compréhension des problèmes et ses fonctions, jointes à son expérience de la vie au Canada, lui valurent une grande autorité. Ainsi, quand le gouverneur Le Febvre* de La Barre convoqua en 1682 une assemblée des grands du pays, Dollier fut invité à exposer la situation de Montréal relativement au péril iroquois. Sur le plan religieux, sa compétence fut aussi reconnue par Mgr de Saint-Vallier qui fit de lui son grand vicaire pour la région de Montréal et qui, au moment de rentrer en France en 1694, ordonna au grand vicaire de la région de Québec de se mettre au besoin en rapport avec Dollier.
Comme supérieur, il dut organiser la vie interne de son institution religieuse ; au dire de Tronson, le supérieur à Paris, et de Souart*, ancien supérieur à Ville-Marie, le séminaire de Montréal fonctionnait très bien sous sa direction. Mais Dollier était avant tout un homme d’action : il construisit un nouveau séminaire où les Sulpiciens emménagèrent en 1686. Il donna son appui aux autres communautés de la région de Montréal : il organisa une collecte qui rapporta 8 000# pour la reconstruction de l’Hôtel-Dieu, procura des secours spirituels et matériels à la congrégation de Notre-Dame et accepta ‘le poste d’administrateur de l’hôpital au décès de Jeanne Mance*. Finalement, le supérieur de Paris lui demanda de limiter ses activités et lui ordonna d’abandonner son poste d’administrateur de l’Hôtel-Dieu. Il aida néanmoins François Charon de La Barre à préparer la fondation de son institut des frères Hospitaliers de Saint-Joseph, allant même jusqu’à les héberger pendant quelque temps. Il fonda aussi des paroisses autour de Ville-Marie et géra les missions des Sulpiciens à Montréal et en Acadie. Nommé curé de Ville-Marie en 1694, il ne semble toutefois pas avoir exercé ce ministère ; dans l’acte de création du Bureau des pauvres, en 1698, on inscrivit M. de Breslay comme y faisant les fonctions curiales.
Dollier se préoccupa aussi de promouvoir l’éducation à Montréal. Depuis l’invitation que leur en avait faite le roi en 1668, les Sulpiciens prodiguaient leur enseignement aux Indiens, s’il est fort douteux que Dollier leur ait lui-même enseigné, il apporta néanmoins beaucoup d’attention à cette activité, qui donnait l’occasion d’évangéliser les Indiens. Quelques jours avant son départ pour l’Ouest en 1669, il avait offert deux prix de 1 000# aux jeunes indigènes qui manifesteraient le plus de talent et de bonne volonté pour la poursuite de leurs études. Le gouverneur de Courcelle lui confia, par ailleurs, 1 000# pour l’éducation d’une jeune Iroquoise. Dollier procura en outre une dot de 150 à une jeune Indienne éduquée à Montréal pour lui permettre d’épouser un Français. Il accueillit dans le séminaire même l’école primaire des frères Charon, y logeant maîtres et élèves. Mais Tronson blâma cette initiative : « On avait pris la résolution de loger les enfants dans la maison et de se charger de leur nourriture sans en avoir d’ici la permission [...] Qu’on fasse une union spirituelle avec les Frères Charon ou Hermites, qu’on se charge de leur conduite, de leur règlement de vie, qu’on leur donne des avis : très bien, mais c’est assez ! »
Le supérieur de Paris allait avoir d’autres difficultés avec son confrère de Montréal, car la prodigalité de Dollier ne s’étendait pas qu’aux institutions religieuses. Plein d’entrain, aimant la compagnie, Dollier offrait libéralement l’hospitalité au gouverneur, à l’intendant et aux dignitaires ecclésiastiques lors de leur séjour à Montréal. Il semble même que certains en rapportaient des pièces de choix, car l’argent était le moindre des soucis du supérieur de Montréal. Tronson prévint finalement Dollier : « Si le Séminaire de Montréal périt faute de fonds, je m’en lave les mains ».
Ce bon vivant n’en était pas moins respectueux des principes religieux et strict dans leur application. Il s’opposa par exemple au marguillier Jean Arnaud qui voulait augmenter les recettes de l’église en permettant aux dames de rendre le pain bénit et de faire la quête, comme dans l’ancienne France. Dollier y voyait plus une cause de péché qu’une source de revenu, les personnes choisies l’étant davantage pour leur beauté et leurs attraits que pour la probité de leur vie. Il refusa toujours cette autorisation aux dames.
Il reconnaissait toutefois qu’il y a une marge entre les principes et la pratique et, face à une réalité concrète, il assouplissait parfois ses positions. Ainsi, dans son Histoire du Montréal, il dénonça violemment l’utilisation de l’eau-de-vie, sans laquelle écrit-il « nous aurions des milliers d’exemples de conversion parmi les Sauvages ». Il avoua cependant qu’il ne pouvait rien faire pour empêcher ce trafic. Il alla encore plus loin : au moment même où il critiquait vertement les procédés des traiteurs, « il crut pouvoir céder aux habitants, par un écrit signé de sa main en leur accordant le droit [...] de vendre en général du vin, de l’eau-de-vie & d’autres boissons à pot & à pinte ». Faillon commente cette permission en écrivant que, selon Dollier, « le Canada avait plus besoin de bourses pleines que de bourses vides ».
Par ailleurs, l’ancien capitaine de cavalerie ne renia pas ses antécédents militaires. S’il n’accompagna pas La Barre, il fit probablement partie de l’expédition de Brisay de Denonville, en 1687.
Au cours de ses 20 dernières années, Dollier consacra beaucoup de temps et d’argent à un projet qui lui tenait à cœur : le creusage du canal Lachine. L’idée de faire ce canal n’était pas de Dollier ; l’abbé Fénelon qui en avait parlé en 1670 ne s’attribuait pas non plus le mérite de cette idée. Dollier remit le sujet à la mode en 1680, élabora des projets et des plans et entreprit aussitôt le creusage. Il voyait deux avantages importants à la réalisation de ce projet : permettre aux canots venant des Grands Lacs d’éviter le Sault-Saint-Louis pour atteindre Montréal, et rendre possible la construction de moulins à farine sur les bords de ce canal. Dollier espérait d’ailleurs que le rendement de ces moulins compenserait les dépenses engagées pour les travaux. Le supérieur de Paris refusa toutefois son approbation par crainte de se lancer dans des dépenses trop grandes. Dollier, déjà occupé à terminer l’église paroissiale et à assurer la protection de Montréal contre les Iroquois, retarda la réalisation de son projet.
L’idée fut reprise en 1689. L’intendant Bochart de Champigny, l’abbé Pierre Rémy et l’ingénieur Gédéon de Catalogne l’appuyèrent. L’intendant facilita la tâche en émettant une ordonnance qui enjoignait aux habitants de la seigneurie des Sulpiciens de payer leurs redevances. Le même jour, Dollier ordonna aux censitaires de travailler au creusage du canal. Le massacre des habitants du village de Lachine, par les Iroquois en 1689, mit brutalement fin aux travaux.
Dollier ne se découragea pas ; l’opposition de son supérieur refroidit cependant son ardeur. En 1692, Tronson lui écrivait : « Je ne puis vous celer que vous êtes en réputation de trop entreprendre et parmi les exemples que l’on en donne, on ne manque pas d’y mettre le canal que vous avez entrepris et que vous voulez continuer ». Le projet semblait avoir fait long feu.
Le dynamique et volontaire sulpicien ne pouvait cependant pas rester sur un échec. En 1697, il entreprit la réalisation d’un projet plus restreint : le canal Saint-Gabriel, qui joindrait les eaux du lac Saint-Pierre à celles de la Petite Rivière pour mieux alimenter le moulin de la ville. Tronson fronça de nouveau les sourcils, demanda de bien s’assurer des possibilités de réussite, et s’inquieta du coût de ce canal. Le manque d’argent et la dureté du roc entraînèrent un nouvel échec.
L’entêté supérieur revint à la charge l’année suivante pour se lancer dans la « grande entre prise ». Gédéon de Catalogne lui avait présenté un mémoire détaillé – bien que souvent fort imprécis – sur les possibilités de creuser le canal Lachine. Par la suite, on a accusé Catalogne d’avoir voulu profiter de la « sénilité » de Dollier pour s’enrichir aux dépens des Sulpiciens ; à tort cependant, car le 30 octobre 1700 le supérieur, assisté de l’économe, Michel Cailhe, passait un contrat précis devant le notaire Antoine Adhémar, prévoyait les échéances à respecter dans l’avancement des travaux avant d’en effectuer le paiement. Catalogne s’engagea à creuser un chenal de 12 pieds de large et 9 pieds de profondeur, et à terminer l’ouvrage en juin 1701. Les Sulpiciens, pour leur part, fournissaient tous les outils, des vivres et de l’argent jusqu’à concurrence de 13 000# en paiements différés. À Paris, le blâme suivit l’étonnement. Tronson se plaignit qu’on eût « pour pratique à Montréal d’exécuter toujours par avance les choses que l’on avait envie de faire, et puis de les mander ici ». S’il avait cru un moment que « la nécessité lui [Dollier] apprendrait à ménager », il s’était bien trompé. L’ouvrage n’avança pas comme on l’avait prévu ; les difficultés s’accumulèrent : la rencontre du roc retarda les travaux et accrut les dépenses. Dollier n’en vit pas la fin car il mourut le 27 septembre 1701, alors que l’ouvrage était rendu aux deux tiers ; peu de temps après, on abandonnait le projet.
Dollier fut inhumé dans l’église paroissiale et Joseph Grandet, qui l’avait bien connu, fit de lui cet éloge : « Il s’était acquis dans tout le Canada une estime générale et un crédit universel par un abord prévenant, par des manières honnêtes et polies, et par une conversation facile et pleine de bonté, soutenue par un air de qualité, un port et une dignité qui, sans fard et sans affectation, lui conciliaient les cœurs et lui donnaient une autorité imposante de laquelle on ne pouvait se défendre ». Mais toute cette littérature, ces louanges répétées et toute l’admiration qu’il suscitait par l’ensemble de ses qualités, les Indiens les résumaient bien plus simplement en disant : « Voilà un homme ».
AJM, Greffe d’Antoine Adhémar, 30 oct. 1700.— AN, Col., C11A, 3, f.56.— APC, FM 17, 7–2, 1, pp.11–16.—AQ, Dollier de Casson, Histoire du Montré,al, 1640–1672 ; de plus, on conserve dans ce dépôt une photographie d’un portrait qui serait celui de Dollier de Casson.— ASQ, Chapitre, I : 13 ; Congrégation de Notre-Dame, II ; Lettres, O, 36 ; Lettres, M, 21, 22, 23 ; Polygraphie, IV : 20 ; XXIV : 12a, 24 ; Séminaire, I : 20.— Dollier de Casson, Histoire du Montréal 1640–1672 (« Mémoires de la Société historique de Montréal », IV, 1868) ; Histoire du Montréal 1640–1672, RC, 1re sér., VI (1869), passim ; Histoire du Montréal 1640–1672 (« Lit. and Hist. Soc. of Quebec », 1871) ; A History of Montréal 1640–1672, trad. par Ralph Flenley, édit. (Toronto, 1928).— [René de Bréhant de Galinée], [...] Exploration of the Great Lakes 1669–1670 [...], James H. Coyne, édit., Ont. Hist. Soc., Papers and Records, IV (1903).— Saint-Vallier, Estat présent de l’Église.— Procès-verbal d’une assemblée tenue à Québec le 10 octobre 1682, BRH, XXX (1924) : 249–252.— Acte de remontrance des seigneurs de Montréal au sujet des usurpations du Sieur de Boyvinet, BRH, XXXI (1925) : 291–293.— Roger Duhamel, Dollier de Casson, Cahiers de l’Académie canadienne française, VIII [1964] : 131–136.— [Faillon], Histoire de la colonie.— Jean-Marc Paradis, Le lieu d’hiverne ment de l’expédition Dollier-Galinée (mémoire de d.e.s., université Laval, 1967).— Un Breton supérieur du Séminaire de Montréal, NF, III (1927–28) : 183–186.— Raphaël Bellemare, Le bureau des pauvres de Montréal, BRH, V (1899) : 279–281.— R. Bonin, Le canal Lachine sous le régime Français, BRH, XLII (1936) : 265–299.— O. Lapalice, Le pain bénit à Notre-Dame de Montréal, BRH, XXVII (1921) : 153–160.— É.-Z. Massicotte, Maçons, entrepreneurs, architectes, BRH, XXXV (1929) 132–142 ; Ville Marie–Montréal, BRH XX (1914) 125.— Olivier Maurault, Les origines de l’enseignement secondaire a Montréal, Cahiers des Dix, I (1936) : 95–104 ; Les aumôniers de troupes [...] sous le régime français, Cahiers des Dix, XXX (1965) : 9–17.— Robert de Roquebrune, Deux historiens de Montréal, CF, 2e sér., XXI (1933) : 19–30.— F. Uzureau, L’abbé Dollier de Casson, supérieur du Séminaire de Montréal, CF, 2e sér., XII (1924) : 134–139.— Olivier Maurault, Études sur Dollier de Casson, Revue trimestrielle canadienne, IV (1919) : 361–371 ; Les Sulpiciens seigneurs de Montréal, Revue trimestrielle canadienne, XXVIII (1942) : 237–253.— [Jean Marmier, «Le Récit de M. de Courcelles [...] et Dollier de Casson », RHAF, 32(1978).]
Jacques Mathieu, « DOLLIER DE CASSON, FRANÇOIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 8 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/dollier_de_casson_francois_2F.html.
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Auteur de l'article: | Jacques Mathieu |
Titre de l'article: | DOLLIER DE CASSON, FRANÇOIS |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1969 |
Année de la révision: | 1991 |
Date de consultation: | 8 oct. 2024 |