DUQUET, CYRILLE, horloger, joaillier, inventeur et homme politique, né le 31 mars 1841 à Québec, fils de Joseph Duquet, journalier, et de Madeleine Therrien (Terrien) ; le 22 février 1865, il épousa à Québec Adélaïde Saint-Laurent, fille de Jean-Baptiste Saint-Laurent et d’Adélaïde Gazzo (Gazeau), et ils eurent 16 enfants ; décédé le 1er décembre 1922 au même endroit.

À l’âge de 13 ans, après des études chez les Frères des écoles chrétiennes, Cyrille Duquet entre comme apprenti chez l’orfèvre Joseph-Prudent Gendron de la rue Saint-Jean à Québec. Lorsque ce dernier décide de déménager en 1862, l’apprentissage du jeune Duquet s’achève. Sans hésiter, Duquet propose au propriétaire de s’établir à son compte au même endroit. L’affaire conclue, il partage pendant un certain temps ses locaux avec Simon Levy, vendeur en horlogerie et bijouterie.

Sans aucun doute, Duquet est un homme solide et travailleur. Il est aussi passionné par les sciences. Non satisfait d’assembler et d’installer des horloges, de fabriquer et de vendre des bijoux, il entreprend d’attirer l’attention en installant dans la vitrine de son magasin ses inventions et ses créations. Si Duquet aime surprendre, éblouir, étonner, émerveiller, il a aussi l’esprit pratique. En 1868–1869, avec le professeur François-Alexandre-Hubert La Rue*, il conçoit un séparateur magnétique.

Autour de 1870, Duquet invente un instrument qui permet de contrôler l’heure exacte du passage des gardiens de télégraphes d’alarme aux divers points de leur ronde de surveillance. Le brevet est acheté l’année même, par la New Haven Clock Company des États-Unis. Il a également l’idée d’installer des horloges électriques dans les clochers et les tours des édifices.

C’est toutefois avec son combiné téléphonique que Duquet acquiert la notoriété. Contemporain d’Alexander Graham Bell, il aurait eu avec ce dernier un échange de correspondance – dont il ne reste pas de traces connues pour l’instant – sur l’évolution de leurs expériences respectives. Ce qui est cependant bien établi, c’est le brevet que Duquet obtient, le 1er février 1878, pour certaines modifications « facilitant la transmission du son et améliorant [les] propriétés acoustiques » et surtout pour la conception d’un nouvel appareil réunissant, sur une même planchette, l’émetteur et le récepteur.

Après quelques expériences entre son magasin de la rue de la Fabrique (là où débute la rue Saint-Jean) et un second magasin – qu’il possède avec Louis Dalaire – dans le quartier Saint-Roch, ou entre Ottawa et Montréal, il commence à établir quelques lignes téléphoniques régulières dont l’une avec Spencer Wood, où réside le lieutenant-gouverneur, et une autre avec le couvent Jésus-Marie de Sillery, où étudie une de ses filles.

Persuadé que Duquet utilise l’invention de Bell, Charles Fleetford Sise*, vice-président de la Canadian Telephone Company, le met en demeure dans une lettre du 31 décembre 1880 « de cesser la fabrication de ces téléphones ». Piqué au vif, Duquet lui réplique dès le 7 janvier 1881 que « le brevet pour lequel vous faites tant de bruit est périmé et de nul effet ». « Veuillez en finir avec vos menaces de poursuite qui ne meffraye nullement, ajoute-t-il. Si vous désirez avoir un brevet inataquable je vous conseille d’acheter le mien [...] le plus tot possible, conclut-il, car plus vous retarderez plus il vous faudra payer cher. »

Le 11 mai 1882, la Cour supérieure de la province de Québec tranche en faveur de la Canadian Telephone Company (intégrée cette année-là à la Compagnie canadienne de téléphone Bell). Des 5 000 $ qu’elle réclamait le 1er avril 1881, la compagnie a réduit « sa demande de dommages-intérêts à la somme de dix dollars », « convaincue que le défendeur [Duquet] agissait de bonne foi », explique le juge William Collis Meredith.

Pourquoi les demandeurs ont-ils ainsi réduit leurs réclamations ? La vraie raison n’est pas la bonne foi de Duquet mais bien l’intérêt de la compagnie pour ses diverses améliorations. Dès le 15 mai 1882, Duquet cède en effet pour la somme de 2 100 $ ses « titres, brevets, droits de brevet, licences, contrats, outils de production, appareils, biens meubles et fonds commercial » et renonce à tout projet dans le monde de la téléphonie. Sa célébrité lui ouvre cependant celui de la politique. François Langelier*, avocat libéral bien connu, vient de faire son entrée sur la scène municipale. Comme conseiller municipal élu dans le quartier Saint-Louis, Duquet sera à ses côtés de 1884 à 1890.

C’est une époque où la ville change de visage. Des trottoirs sont aménagés ou réparés, des rues sont élargies ou macadamisées, le réseau d’aqueduc est modifié et élargi par l’entrepreneur Horace Jansen Beemer*. De 1886 à 1889, l’électricité remplace le gaz pour l’éclairage des rues. Duquet adore ce genre de défi. Mais c’est dans le dossier de l’électricité qu’il s’en donne à cœur joie. Il prend une douce revanche sur Sigismund Mohr*, qui a témoigné contre lui en 1882. Ce dernier, à titre de directeur de la Compagnie d’éclairage électrique de Québec et Lévis, étend un réseau d’éclairage électrique dont les coûts sont constamment révisés par Duquet.

En 1890, Duquet se concentre sur ses affaires. Il vend sa maison située au 153 de la rue Grande Allée à John Breakey* avec l’intention de s’installer au-dessus du nouveau magasin qu’il fait construire rue Saint-Jean, au bas de la rue de la Fabrique, sur l’emplacement de son premier magasin.

Duquet avait-il trop entrepris ? Le contexte économique était-il à ce point morose ? Toujours est-il que Duquet se trouve acculé à la faillite en juillet 1896. Ces créanciers sont de New York, Boston, Toronto, Hamilton et, bien entendu, de Québec et Montréal. En tête vient Moïse Schwob qui réclame 9 854,81 $ sur un total de 19 381,93 $, montant auquel il faut ajouter un créancier privilégié, la Société de construction permanente de Québec, pour une dette totale de 31 825,93 $. Le 5 juillet, Duquet fait cession de ses biens évalués à 42 448,20 $ dont 19 447,78 $ pour son fonds de commerce et 18 500 $ pour ses immeubles.

Le 28 septembre 1896, à l’occasion d’une assemblée spéciale, « sur proposition de M. Schwob, secondée par Augustin Gaboury, il fut résolu unanimement que vu que Mr Cyrille Duquet a obtenu de ses créanciers une composition à raison de vingt-cinq centins dans la piastre » ce dernier soit autorisé à reprendre « pleine possession et jouissance de ses biens ».

En juillet 1904, Duquet tente un retour sur la scène municipale. Il l’emporte par la mince majorité de dix voix, comme échevin du quartier du Palais, contre le dentiste Henri-Edmond Casgrain*, son voisin de la rue Saint-Jean et, surtout, son rival comme inventeur réputé. Cette fois, il siège avec Simon-Napoléon Parent*, qui est à la fois maire de la ville et premier ministre libéral de la province de Québec. Le journal l’Événement, redevenu conservateur [V. Louis-Joseph Demers*], range Duquet parmi les opposants à Parent. Dans son édition du 17 février 1906, il le classe parmi les « candidats de la réforme » dans l’élection en cours. Cette fois, sa victoire est éclatante : 138 voix de majorité. Georges Garneau* est lui aussi élu au conseil municipal et est immédiatement pressenti comme futur maire, en remplacement de Parent qui a quitté cette fonction en janvier.

Au conseil, Duquet est un membre passablement bruyant. Il fait constamment parler de lui par des interventions plus ou moins hors du sujet. En se ralliant à une vingtaine de députés qui intentent une poursuite contre l’Événement, il se met finalement à dos ce journal et perd l’élection de février 1908 contre Lawrence Arthur Dumoulin Cannon*.

Duquet a 67 ans. Il peut se permettre un bilan : se rappeler les difficultés rencontrées, certaines controverses – en particulier celle de mars 1871, quand un artisan du nom de P.-E. Poulin l’a publiquement accusé de s’être attribué à tort la réalisation d’une chaîne et d’une croix destinées à l’archevêque de Québec –, aussi son aventure, au printemps de 1887, dans l’exploitation du gaz naturel de Louiseville qui lui a laissé, au moment de sa faillite, 400 actions d’aucune valeur dans la Compagnie de gaz combustible. Par ailleurs, il peut se promener fièrement dans sa ville, se rappeler sa transformation, admirer cette résidence qu’il a fait construire sur la Grande Allée, cet autre bâtiment où se trouve son commerce, toutes ces horloges accrochées aux plus beaux édifices de Québec, notamment à l’hôtel de ville, au parlement, aux douanes et à l’église St Matthew. Son nom n’apparaît-il pas sur les cadrans qui recouvrent des mouvements fabriqués aux États-Unis ?

Duquet peut désormais partager son temps entre la musique, son commerce et sa famille. Seize enfants sont nés entre 1866 et 1887, dont huit sont toujours là. L’aînée, Eva, lui a déjà plusieurs fois procuré la joie d’être grand-père, une autre, Alice, entre au noviciat des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d’Afrique, son fils Georges-Henri opte pour la peinture, tandis qu’Arthur l’assiste à son commerce.

Infatigable, curieux, tenace, rêveur parfois, Cyrille Duquet a été un autodidacte de haut niveau. Tout l’intéressait. Les progrès scientifiques et techniques le passionnaient, le stimulaient ; ils n’avaient guère de secrets pour lui. Duquet a réussi le tour de force de concilier les arts et les affaires, les sciences et la politique. Jaloux de son indépendance, il est entré dans la légende par ses créations et ses inventions.

Denis Vaugeois

Jeanne Hardy, épouse d’Arthur Duquet qui poursuivit l’entreprise paternelle jusqu’en 1933, a préparé une courte biographie à partir, comme elle l’indique, de la tradition familiale et d’articles parus dans les journaux du temps dont certains signés par Damase Potvin*, Lorenzo Saint-Mars et Mgr Victor Tremblay. Cette biographie inédite d’une dizaine de pages est conservée, avec plusieurs autres documents concernant Cyrille Duquet, par Denise Duquet (Lamonde) (Sainte-Foy, Québec). On trouve au Service de la documentation hist. de Bell Canada (Montréal), dans la Coll. hist. de Bell Canada, plusieurs documents intéressants, sous la cote générale 21732. Il y a dans la coll. générale de Soc. hist. du Saguenay (Chicoutimi, Québec) quelques articles au sujet de Cyrille Duquet et du téléphone. Le collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière (La Pocatière, Québec) possède la machine à vapeur inventée en 1865 ; la masse de l’Assemblée nationale du Québec compte parmi les réalisations les plus connues de l’orfèvre Duquet. Un édifice porte son nom, le 1500, boulevard Charest ouest, à Québec, où est logée la direction des communications du ministère de la Culture et des Communications du Québec. L’édifice de la rue Saint-Jean comptait trois étages ; il a été démoli pour permettre la construction d’une banque tandis que la résidence de la Grande Allée a cédé la place à l’hôtel Loews Le Concorde. En 1983, l’Institut national de la recherche scientifique donnait son nom à une nouvelle chaire de logiciels liés à l’informatique. [d. v.]

ANQ-Q, CE301-S1, 31 mars 1841 ; CE301-S97, 22 févr. 1865 ; Index BMS, dist. judiciaire de Québec, Notre-Dame de Québec, 2 déc. 1922 ; P1000, D2396 ; TP11, S1, SS2, SSS1, dossiers 170 (1891), 730 (1896), 1251 (1885), 1338 (1889), 1411 (1889), 1536 (1873), 1544 (1881), 1955 (1891), 2462 (1890).— AVQ, QD4-1A, 1662–1663 ; QD4-1G, 1739-02–1739-05 ; QP1-4, 40/0004, 62/0005.— Monique Duval, « Québec doit le téléphone ... à Cyrille Duquet », le Soleil, 11 mai 1977.— L’Événement, 13, 17, 20 févr. 1906, 5 nov. 1907, 10, 18 févr. 1908.— Le Journal de Québec, 29 nov. 1866, 26 févr. 1868, 27, 31 mars 1871.— Le Soleil, 16 févr. 1904.— « Orfèvrerie : établissement de M. Cyrille Duquet », dans Annuaire du commerce et de l’industrie de Québec [...] (Québec), 1873 : 44–46.— René Lagacé, « Cyrille Duquet, inventeur de renom », Concorde (Québec), 7 (1956), nos 6–7 : 9–11.— Alyne Le Bel, « le Magicien de la rue Saint-Jean : l’inventeur Cyrille Duquet », Cap-aux-Diamants (Québec), 4 (1988–1989), no 4 : 45–48.— William Patten, Pioneering the telephone in Canada (Montréal, 1926).

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Denis Vaugeois, « DUQUET, CYRILLE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 13 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/duquet_cyrille_15F.html.

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Auteur de l'article:    Denis Vaugeois
Titre de l'article:    DUQUET, CYRILLE
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
Date de consultation:    13 déc. 2024