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GUAY, JOSEPH-DOMINIQUE, journaliste, agriculteur, homme politique et homme d’affaires, né le 14 avril 1866 à Chicoutimi, Bas-Canada, fils de Johnny (Jean) Guay, marchand, et de Marie-Émilie Tremblay ; le 2 septembre 1889, il épousa à Saint-Louis-de-Métabetchouan (Chambord, Québec) Maria Morin, et ils eurent six enfants ; décédé le 18 septembre 1925 dans sa ville natale.
Joseph-Dominique Guay appartient à l’une des premières familles à faire souche au Saguenay au début de l’année 1850 ; il est le neuvième de 11 enfants. Son père, maire de Chicoutimi de 1863 à 1870, est considéré comme l’homme d’affaires le plus important de la région après William Price*. À sa mort, en 1880, Johnny Guay laissera à sa veuve une fortune de près de 100 000 $ ; femme d’affaires redoutable et de talent, Marie-Émilie Guay verra, jusqu’à son décès en 1904, à enrichir le patrimoine familial, ainsi qu’à faire instruire et à établir ses enfants. En 1873, Joseph-Dominique entre au petit séminaire de Chicoutimi, où il se destine à suivre les traces de son parrain, Dominique Racine*, futur évêque de Chicoutimi, et à enseigner dans cet établissement. Ses résultats scolaires semblent bons puisqu’il y obtient plusieurs distinctions. Après avoir fait une année de philosophie au petit séminaire de Québec en 1882–1883, il entreprend des études de droit au bureau de son beau-frère, Jean-Alfred Gagné, avocat établi à Chicoutimi et député à la Chambre des communes. Un ensemble de circonstances, liées à la succession paternelle, à son tempérament et à son penchant personnel pour les affaires et le journalisme, l’amènent cependant à abandonner ses études.
En août 1887, Guay commence une carrière de journaliste qu’il poursuivra pendant une vingtaine d’années. Avec son frère Alphonse et son futur beau-frère Louis de Gonzague Belley, il fonde le Progrès du Saguenay (Chicoutimi). Grâce à un cadeau que sa mère lui fait à l’occasion de son mariage avec Maria Morin, il en est le propriétaire, rédacteur et éditeur à partir de 1889. Sous sa direction, le Progrès du Saguenay devient le plus important journal et la plus grande imprimerie de la région. Comme journaliste, Guay suit surtout les campagnes électorales. Organisateur politique identifié au Parti conservateur, il a pris une part active aux élections fédérales de 1887 en sillonnant le comté pour promouvoir la candidature de son beau-frère Gagné dans les circonscriptions unies de Chicoutimi et Saguenay ; il fait de même à l’élection partielle de 1892 pour Belley.
Ardent défenseur de la construction du chemin fer de Québec et du lac Saint-Jean – qui atteindra Roberval en 1888 et Chicoutimi en 1893 [V. Horace Jansen Beemer*] –, Guay se donne pour mission, d’abord au sein de son journal puis, plus tard, dans sa vie publique, de favoriser le progrès agricole et industriel du Saguenay, les deux étant pour lui indissociables et complémentaires. Vers 1878, signe de son intérêt précoce pour l’agriculture, il a assisté à une conférence sur l’industrie laitière donnée par Édouard-André Barnard*, alors directeur du Journal d’agriculture (Montréal) et directeur de l’agriculture au sein du département de l’Agriculture et des Travaux publics. En 1887, il participe à l’Exposition provinciale de Québec et remporte le premier prix au concours des chevaux avec un poulain d’un an.
Exploitant d’une ferme que lui a donnée sa mère et membre de la Société d’agriculture de Chicoutimi, Guay est partisan de la conversion de l’agriculture à la production laitière. Au printemps de 1893, avec l’appui de l’évêque de Chicoutimi, Mgr Michel-Thomas Labrecque*, il favorise pour la classe agricole la création d’une mutuelle d’assurance contre le feu. Il entreprend aussi une tournée afin de promouvoir la fondation de cercles agricoles. Dans ses conférences, il prône l’amélioration des cultures, des animaux et des bâtiments ; il donne lui-même l’exemple en devenant l’un des premiers propriétaires de silo au Saguenay. En octobre, il se rend avec le médecin vétérinaire Joseph-Alphonse Couture – qui a entre autres établi en 1885 l’École vétérinaire de Québec – à l’Exposition universelle de Chicago, où il constate la grande renommée du fromage canadien et l’ouverture du marché anglais. En 1894, grâce à son réseau de relations et à son engagement dans le domaine, il est élu pour la première fois président de la Société d’agriculture de Chicoutimi. Il en restera un des principaux artisans jusqu’en 1924.
En 1897, Guay collabore à la Société générale des éleveurs d’animaux de race pure de la province de Québec à titre de président de la section des chevaux canadiens. La même année, il achète la ferme de son frère Victor, l’une des plus belles du Saguenay ; grâce à la pratique d’une culture extensive et à l’élevage d’un troupeau de 30 vaches laitières et de plusieurs chevaux, il décroche, deux ans plus tard, une médaille d’argent au concours du Mérite agricole.
De 1895 à 1900, Guay siège aussi comme directeur de la Société d’industrie laitière de la province de Québec. Soucieux des normes du marché, il convainc les propriétaires de fromageries d’adopter un meilleur outillage et des règles communes sur la qualité du lait, l’affinage et l’emballage des meules. En juin 1895, il accepte la présidence d’un syndicat de vente pour exporter le fromage directement en Angleterre, sans passer par le marché de Montréal. Tous les 15 jours, une vente aux enchères attire à Chicoutimi les représentants des acheteurs de Montréal, de Québec et de la région. Cette initiative favorise la naissance d’une épargne locale en permettant le paiement des producteurs au comptant, sur livraison, et au plus haut prix du marché ; elle entraîne aussi la construction d’un entrepôt frigorifique et l’engagement d’un inspecteur chargé de la classification du fromage. Ces améliorations sont à l’origine de la renommée du cheddar de la région.
En 1895, Guay étend encore son influence dans le développement du Saguenay en se présentant aux élections municipales de Chicoutimi, qu’il entend mettre à l’heure des grandes villes. Avec quatre de ses amis candidats, il remporte une victoire éclatante sur l’équipe de l’administration précédente, assujettie à la Price Brothers and Company [V. sir William Price]. Dès la première séance du nouveau conseil, Guay est nommé maire de la ville. De concert avec les conseillers, il redresse les finances locales. Il entreprend des travaux de voirie, établit un réseau d’électricité et dote la population d’un service d’aqueduc. Préoccupé par la création d’emplois et l’essor de l’économie, Guay suscite la création d’industries en partant à la recherche d’investisseurs ; il fait entre autres paraître dans les grands journaux de la province des annonces qui vantent les mérites de Chicoutimi. Devant l’insuccès de ces démarches et persuadé que la pâte à papier constitue une « industrie d’avenir », appelée à « révolutionner la province » en raison de la demande croissante de papier pour l’impression des journaux à grand tirage, Guay décide de travailler lui-même à la mise en place d’une installation de fabrication.
C’est ainsi qu’en 1896, Guay, avec quelques associés, fonde la Compagnie de pulpe de Chicoutimi. La construction de l’usine donne lieu à un important chantier et, dès janvier 1898, on commence la production de pâte. Très tôt, l’entreprise se distingue sur les marchés anglais et américain grâce à la qualité de sa pâte mécanique et à l’esprit d’initiative de son directeur général, Julien-Édouard-Alfred Dubuc*. En 1898, elle est citée en exemple par la Semaine commerciale (Québec) pour « dissiper cette fausse prétention que les Canadiens-Français sont inaptes aux affaires ». Deux ans plus tard, elle remporte une médaille d’or à l’Exposition universelle de Paris. Amorçant l’ère de la grande industrie au Saguenay et au Lac-Saint-Jean, la Compagnie de pulpe de Chicoutimi contribue à l’urbanisation de la région : non seulement la population de Chicoutimi passe-t-elle de 2 000 à 5 000 âmes entre 1895 et 1902, mais la petite industrie, le commerce et les institutions connaissent également un essor sans précédent.
En 1902, après un voyage aux Bermudes qu’il effectue pour des raisons de santé, Guay démissionne de la mairie et se tient à l’écart des affaires publiques jusqu’en 1922. Entre-temps, il fait du journalisme – le Progrès du Saguenay publie ses chroniques sur la chasse et la pêche – et s’occupe de la succession de sa mère. Avec son beau-père, il agit comme entrepreneur forestier pour la Compagnie de pulpe de Chicoutimi, dont il reste actionnaire et codirecteur jusqu’en 1909. Important propriétaire foncier – en 1914, ses propriétés sont évaluées à plus de 42 000 $ –, il se montre aussi particulièrement actif dans l’immobilier. Il préside aux activités du château Saguenay, hôtel de 130 chambres qu’il a fait construire à Chicoutimi en 1898 en collaboration avec Dubuc et le protonotaire François-Xavier Gosselin. En 1912, un violent incendie détruit l’immeuble, ainsi que le reste du quartier. Guay transforme alors une autre de ses propriétés, sise au centre de la ville, en hôtel ; en véritable agent de voyage, il propose aux touristes qu’il y accueille des excursions de chasse et de pêche, ainsi que des croisières outre-mer pour le compte des grandes compagnies de navigation océanique. En octobre 1922, il est de nouveau élu maire de Chicoutimi ; un an plus tard, il met abruptement fin à ce second mandat à cause d’une longue maladie qui l’emporte le 18 septembre 1925, à l’âge de 59 ans et 5 mois.
Régionaliste et homme de vision, Joseph-Dominique Guay a, sa vie durant, consacré son énergie à la mise en valeur de son milieu d’appartenance. Esprit d’avant-garde, il a utilisé sa témérité, son sens de l’organisation et son capital familial et personnel pour assurer l’entrée du Saguenay dans la société industrielle. Même si la conjoncture a joué en sa faveur, sa réussite n’en montre pas moins que le progrès ne vient pas seul, sans action et détermination.
Aux ANQ-SLSJ, nous avons retrouvé les actes de baptême (CE201-S2, 15 avril 1866) et de mariage (CE202-S5, 2 sept. 1889) de Joseph-Dominique Guay, dépouillé systématiquement les minutiers des notaires T.-Z. Cloutier (CN201-S4), Jean Gagné (CN201-S5), Raymond Belleau (CN201-S9) et G.-A. Saint-Pierre (CN201-S10), et consulté la Coll. de la Soc. hist. du Saguenay (P2), S1, D161, ainsi que le Fonds Joseph-Dominique Guay (P161). [g. g.]
Arch. de la ville de Chicoutimi, Québec, Reg. des délibérations du conseil de ville, 1895–1902, 1922–1925.— Arch. du séminaire de Chicoutimi, Annales du séminaire de Chicoutimi, 1866–1925.— L’Alma mater (Chicoutimi), 1916–1925.— La Défense (Chicoutimi), 1898–1905.— Le Journal (Chicoutimi), 1899–1902.— Le Progrès du Saguenay (Chicoutimi), 1887–1925, particulièrement 24 sept. 1925.— Le Protecteur du Saguenay (Chicoutimi), 1896–1898.— La Semaine commerciale (Québec), 8 avril 1898.— Le Travailleur (Chicoutimi), 1905–1912.— Annuaire, comtés de Chicoutimi et du Lac-Saint-Jean, 1927.— Gérard Bouchard, « Élites, Entrepreneurship et Conflits de pouvoir au Saguenay (1890–1920) », Hist. sociale (Ottawa), 60 (1997) : 267–299.— Raymond Laliberté, « Joseph-Dominique Guay (1866–1925) », Saguenayensia (Chicoutimi), 10 (1968) : 89–92.
Gaston Gagnon, « GUAY, JOSEPH-DOMINIQUE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 6 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/guay_joseph_dominique_15F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/guay_joseph_dominique_15F.html |
Auteur de l'article: | Gaston Gagnon |
Titre de l'article: | GUAY, JOSEPH-DOMINIQUE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 6 déc. 2024 |