MASSICOTTE, EDMOND-JOSEPH (baptisé Joseph-Edmond), dessinateur et illustrateur, né le 1er décembre 1875 à Sainte-Cunégonde (Montréal), fils d’Édouard Massicotte, cordonnier, et d’Adèle Bertrand ; le 3 février 1914, il épousa à Montréal Aldine Émond, et ils eurent une fille ; décédé le 1er mars 1929 à Montréal.
Edmond-Joseph Massicotte fit des études commerciales et suivit ses premiers cours de dessin et de peinture au collège des Frères des écoles chrétiennes à Sainte-Cunégonde. Il fut ensuite l’élève d’Edmond Dyonnet au Conseil des arts et manufactures de la province de Québec, à Montréal, de 1892 à 1895 environ, et finalement de William Brymner à l’école de l’Association des arts de Montréal. Le 15 octobre 1892 parut dans le Monde illustré de Montréal sa première illustration, en marge d’un poème écrit par son frère, Édouard-Zotique*, et intitulé le Glaneur. Ainsi s’amorça, sous le signe du terroir, l’étroite collaboration des frères Massicotte. Avant de se cantonner dans le rôle de dessinateur d’habitants, Edmond-Joseph serait cependant le fer de lance d’un certain modernisme.
Le style international appelé Art nouveau, où la ligne sinueuse traduit la volupté des personnages, marquerait fortement, dans un premier temps, la production d’Edmond-Joseph. Pour sa rapide conversion, il fut sans doute redevable à Édouard-Zotique, qualifié à l’époque de « jeune barbare » en raison de son attachement au mouvement symboliste européen. Le titre historié et la figure allégorique que l’illustrateur dessina vers 1895 pour la page couverture de l’Écho des jeunes, revue lancée à Sainte-Cunégonde en 1891 et à laquelle collaborait Édouard-Zotique, apparurent comme l’emblème de la direction que les arts visuels prendraient aux côtés de la nouvelle littérature québécoise d’inspiration « décadente ». Malgré la courte durée de la révolte littéraire d’Édouard-Zotique, Edmond-Joseph s’appliquerait durant une douzaine d’années encore à apprivoiser un modernisme utile à son métier d’illustrateur.
Massicotte fut probablement le seul graphiste dans la province de Québec à épouser la tendance de l’Art nouveau au moment où elle était d’actualité européenne. À sa suite, plusieurs adeptes se révélèrent, notamment ses confrères d’études à Sainte-Cunégonde, Henri Fabien et Georges Latour, ainsi que ses collègues Raoul Barré et Albert-Samuel Brodeur, au Passe-Temps de Montréal, et Paul Caron, au Monde illustré, et même, pendant un moment, le traditionaliste Henri Julien*.
Le succès de l’Art nouveau à Montréal fut d’autant plus remarquable que l’œil et la main de Massicotte n’en servirent que sporadiquement la cause. Sa principale ambition était ailleurs. Le 3 mars 1900, il voulut bien nommer, dans le Passe-Temps, les illustrateurs suscitant son admiration : d’abord les Américains Charles Dana Gibson, dessinateur prolifique, et Charles Stanley Reinhart ; du côté français, outre Alfons Mucha (Tchèque d’origine), Gustave-Henri Marchetti et Jean-André Castaigne ; enfin son compatriote Julien.
Sauf Mucha, les illustrateurs que Massicotte admira tant n’appartenaient pas à l’Art nouveau, mais étaient plutôt des graphistes à la mode du temps : spirituels et même audacieux, leur concept du style tenait plus au motif qu’à la mise en page. Leur point commun était la virtuosité technique, et leur milieu de prédilection, la haute société. Or, la poursuite de virtuosité et d’élégance sociale guidait également le crayon de Massicotte. Les bourgeois qu’il dessina – pour la plupart des amis et des membres de sa famille – évoquent ceux de Gibson. Ces personnages élégants, qu’on trouve par centaines dans les cahiers du dessinateur, ont souvent servi à la réalisation d’annonces publicitaires. Une thématique ouvrière et campagnarde s’y développe cependant. Avant d’embrasser le réalisme traditionaliste de Julien, Massicotte fut donc tiraillé entre le dépouillement et la symétrie de Mucha et l’élégance moderne de Gibson.
La production de Massicotte fut considérable : dès le début du xxe siècle, un millier de ses motifs et compositions ornaient déjà des publications sorties des presses de Montréal. Massicotte s’adonna au journalisme visuel et à l’illustration littéraire et publicitaire ; il fit aussi du dessin d’humour, notamment au Canard, journal humoristique de Montréal, de 1896 à 1898. Le bilan des dix années qu’il passa au Monde illustré, soit de 1892 à 1902, s’élève à 237 dessins publiés, dont quelques caricatures. Les spectaculaires pages de titre que Massicotte créa pour le Monde illustré entre l’automne de 1900 et Pâques 1901 – dont au moins trois sont directement inspirées de Mucha – semblaient proclamer l’adhésion de cette revue, alors sous la direction d’Édouard-Zotique, à la modernité du siècle naissant. Cette série marqua l’apogée du style Art nouveau chez le dessinateur, mais elle fut aussi le catalyseur du mouvement – que Massicotte aurait quant à lui tôt fait de délaisser – dans la presse illustrée québécoise. À en juger par son usage moins audacieux de l’Art nouveau, la volupté de ses figures froissa probablement la sensibilité collective. Pour le Passe-Temps, auquel Massicotte collabora occasionnellement de 1895 à 1910, il réalisa des portraits, des illustrations et des impressions de spectacles croquées séance tenante, appelées « théâtre illustré » ; il abandonna ce dernier genre en 1902, au moment même où il lança, dans le Passe-Temps, une série de « types canadiens ».
Dès 1902, l’aventure de l’Art nouveau pur et dur était terminée pour Massicotte. Une volonté de synthèse ainsi qu’un désir de concilier le neuf et l’ancien s’imposèrent par la suite, et restèrent jusqu’en 1908. Certains dessins destinés à l’Album universel de Montréal (titre que prit le Monde illustré en 1902), où il travailla jusqu’en 1910, manifestent un souci de réunir le style moderniste et le motif traditionnel, notamment les Sucres, page couverture du numéro du 18 avril 1903, dont la composition s’empreint d’une emphase graphique et d’un aplatissement de la perspective à l’instar du poster style américain.
En 1909, Massicotte remplaça Julien, mort l’année précédente, à l’Almanach du peuple de Montréal, où il dessinerait jusqu’en 1929 plus de 150 illustrations. Cet événement marque un virage capital dans la carrière de l’illustrateur, qui devint alors le principal interprète de la vie traditionnelle québécoise. Encore une fois, il appert qu’Édouard-Zotique y fut pour beaucoup, car la recherche d’authenticité culturelle dans les œuvres du dessinateur s’appuya sur les enquêtes du frère, historien et folkloriste.
La renommée de Massicotte est essentiellement fondée sur les 12 planches qu’il publia à Montréal en 1923 sous le titre de Nos Canadiens d’autrefois. Pour la plupart déjà parues dans l’Almanach du peuple, elles furent enrichies de commentaires de plumes prestigieuses, dont celles d’Albert Ferland*, de Lionel Groulx* et de Marius Barbeau*. Cinq autres, destinées à un deuxième volume que la mort empêcha Massicotte de réaliser, vinrent les augmenter. Le seul titre de l’une ou l’autre d’entre elles suffit pour évoquer une image familière : la Bénédiction du jour de l’An, le Retour de la messe de minuit, entre autres. Pour atteindre l’élégante simplicité de ces planches, Massicotte chassa la fantaisie moderniste de son vocabulaire plastique. Mais il doit au modernisme leur facture incisive qui marie si bien le trait au motif.
Edmond-Joseph Massicotte mourut à l’âge de 53 ans, à la suite d’une attaque de paralysie. Comme le goût pour l’imagerie du terroir s’estompait déjà, il n’entrevoyait sans doute pas la pérennité de sa contribution. N’ayant pas laissé de peintures dignes de mention, Massicotte cherche encore sa place dans l’histoire de l’art.
Les illustrations à caractère publicitaire d'Edmond-Joseph Massicotte attendent toujours que l'inventaire en soit fait. On sait, par exemple, que ce dernier réalisa de 1906 à 1908 de nombreuses annonces pour la Compagnie d'auvents des marchands Limitée. Outre l'ouvrage de son frère Édouard-Zotique intitulé la Cité de Sainte-Cunégonde de Montréal : notes et souvenirs (Montréal, 1893), Edmond-Joseph Massicotte illustra plusieurs autres livres, à commencer par celui de Wenceslas-Eugène Dick, Un drame au Labrador (Montréal, [1897 ?]), où son style rappelle le réalisme européen tardif. Deux ans plus tard parut Monographies de plantes canadiennes, suivies de Croquis champêtres et d'un calendrier de la flore de la province de Québec (Montréal, 1899) d'Édouard-Zotique ; pour cette réalisation, le dessinateur visa une précision quasi scientifique. Dans la même veine, il illustra Cent fleurs de mon herbier : études sur le monde végétal à la portée de tous, suivies d'un calendrier de la flore de la province de Québec (Montréal, 1906), également de son frère, où il reprit des illustrations, Nos fleurs canadiennes, parues d'abord dans le Monde illustré (Montréal) du 30 juill. 1893 au 22 juin 1901. Il fit quatre dessins pour les Contes vrais (2e éd., Montréal, 1907) de Pamphile Le May*, dessina à la plume 16 portraits pour l'ouvrage de son frère, Conteurs canadiens-français du xixe siècle (Montréal, 1902), livra pour publication les illustrations d'un roman de Laure Conan [Félicité Angers], À l'œuvre et à l'épreuve (3e éd., Montréal, 1914), dessina 22 illustrations pour le livre d'Auguste Tressol, dit frère Théodule, Mes premières leçons de rédaction (Montréal, 1914), orna de ses dessins Récits laurentiens (Montréal, 1919) et Croquis laurentiens (Montréal, 1920) du frère Marie-Victorin [Conrad Kirouac*], de même que l'ouvrage de Constant Doyon, Au régime de l'eau (Québec, 1919).
Massicotte collabora de plus à l’Almanach Rolland agricole, commercial et des familles de la compagnie J.-B. Rolland & fils (Montréal) de 1915 à 1928, à l’Almanach de l’Action sociale catholique (Québec) de 1918 à 1924 et à l’Annuaire Granger pour la jeunesse (Montréal) de 1926 à 1929.
La parution du livre de Bernard Genest, Massicotte et son temps (Montréal, 1979) atteste le renouveau de l’intérêt pour le volet traditionnel de l’œuvre de Massicotte, tandis que la conscience de sa contribution au modernisme ressort dans Pierre Landry, « l’Apport de l’Art nouveau aux arts graphiques, au Québec, de 1898 à 1910 » (mémoire de m.a., univ. Laval, 1983).
Des œuvres de Massicotte se trouvent à BAC, Div. de l’art documentaire et de la photographie, 03391 et 120-080260-8 (l’inventaire comporte 300 numéros), au Musée Louis-Hémon (Péribonka, Québec), qui conserve une cinquantaine de dessins (principalement d’édifices, de personnages historiques et de figures), au Musée de la ville de Lachine, Québec, qui possède cinq dessins, au Musée national des beaux-arts du Québec, qui conserve, dans le dossier E.-J. Massicotte, ses 17 carnets (pour la plupart datés entre 1897 et 1918), soit 1 655 dessins, ainsi que 27 estampes. Plusieurs autres établissements ont des collections de gravures et d’illustrations de Massicotte, dont le Musée Pierre-Boucher (Trois-Rivières, Québec), le Musée d’art de Joliette, Québec (un dessin et plusieurs estampes) et le Musée McCord d’histoire canadienne de Montréal (un dessin et plusieurs estampes).
ANQ-M, CE601-S19, 2 déc. 1875.— BCM-G, RBMS, Saint-Pierre-Apôtre (Montréal), 3 févr. 1914.— Le Devoir, 2, 4 mars 1929.
David Karel, « MASSICOTTE, EDMOND-JOSEPH (baptisé Joseph-Edmond) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 13 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/massicotte_edmond_joseph_15F.html.
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Auteur de l'article: | David Karel |
Titre de l'article: | MASSICOTTE, EDMOND-JOSEPH (baptisé Joseph-Edmond) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 13 déc. 2024 |