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Brainin, Reuben (parfois orthographié Reuven, Reuben Ben-Mordecai ou Ruvn Braynin), journaliste, auteur, traducteur, rédacteur en chef, et penseur et militant sioniste, né en mars 1862, probablement le 15 (nouveau style), à Lyady (Biélorussie), fils de Mordecai Brainin et de Kheshe Rakhlin ; en 1888, il épousa à Moscou Masha Amsterdam, et ils eurent deux filles et quatre fils, dont deux moururent en bas âge ; décédé le 30 novembre 1939 à New York.
Élevé en Russie tsariste dans la zone de résidence (région occidentale où on autorisait les Juifs à demeurer), Reuben était un enfant prodige qui baignait dans les études bibliques et talmudiques traditionnelles. Son esprit curieux l’amena à s’intéresser à la philosophie juive médiévale, aux mathématiques, à l’astronomie et à la littérature laïque hébraïque du mouvement de pensée juif Haskalah, inspiré par les Lumières. Il le fit en secret, car ces matières étaient considérées comme des déviations hérétiques du programme religieux juif traditionnel.
En 1878, à l’âge de 16 ans, Brainin apprit le russe par lui-même et commença à lire de la littérature laïque dans cette langue, ce que son entourage interpréta comme un acte de rébellion. Poussé par l’amour de la nature et du travail productif, il plia bagage plus tard la même année pour étudier à l’école d’agriculture de Horki (Biélorussie), mais on ne l’y admit pas en raison de l’antisémitisme. En 1879, il s’installa à Smolensk, en Russie, à l’extérieur de la zone de résidence, et entra pour la première fois en contact étroit avec la société russe non juive. Il y apprit à fond l’allemand et le français.
À titre d’écrivain hébreu, Brainin fit ses débuts en 1880 dans le Ha-Meliẓ (le Militant) de Saint-Pétersbourg, principale tribune hébraïque du mouvement Haskalah en Russie. En réaction aux pogroms de 1881, il s’engagea dans le mouvement sioniste naissant des Amants de Sion. Il s’établit à Moscou en 1887 et se joignit à l’influente association étudiante des Fils de Sion. Porte-parole enthousiaste du renouveau de l’hébreu comme langue nationale du peuple juif, il insistait sur l’importance de l’utiliser comme langue vernaculaire. Pour promouvoir cet objectif et populariser l’idéal sioniste, il fonda la Safah Berurah (Société du langage clair) en 1888. La même année, il épousa Masha Amsterdam, fille d’un rabbin de Vitebsk (Biélorussie). À la fin de 1888, Brainin s’établit à Saint-Pétersbourg pour quatre mois, afin de devenir le directeur littéraire du Ha-Meliẓ.
En 1891, avec sa famille, Brainin quitta la Russie pour Vienne, où il étudia à l’université et au collège de théologie juif. Il collabora avec l’écrivain Nathan Birnbaum dans l’activité sioniste. En 1894, il commença à y publier son propre périodique en hébreu ; influent, mais éphémère, le Mi-Mizraḥ u-mi-Ma’arav (De l’est et de l’ouest) se consacrait à la modernisation et à l’européanisation de la littérature hébraïque, dont Brainin voulait élargir les frontières. Il désirait qu’elle comprenne tout ce qui est humain – et non seulement les questions relatives au judaïsme et à l’histoire juive – et situer la culture juive dans le contexte de la civilisation occidentale.
En 1896, Brainin s’installa avec sa famille à Berlin, où il continua ses études universitaires. Il participa au premier Congrès sioniste qui se tint l’année suivante à Bâle, en Suisse, et devint un proche du sioniste Theodor Herzl, dont il ferait la biographie. Brainin publia environ 100 notices biographiques d’écrivains hébreux, yiddish et européens. Il écrivait aussi de la fiction et traduisit plusieurs livres en hébreu, notamment Der Prophet Jeremias (le Prophète Jeremiah) de Moritz Lazarus en 1897, la pièce Das neue Ghetto (le Nouveau Ghetto) de Herzl en 1898, ainsi que Paradoxe (Paradoxes) de Max Nordau en 1900.
L’association de Brainin avec le premier et le plus influent quotidien en yiddish du Canada, Keneder Adler (l’Aigle canadien), publié à Montréal, débuta avant même son arrivée en Amérique du Nord, puisqu’il commença à y faire paraître des articles en novembre 1908. Après un premier séjour aux États-Unis en 1909, il se rendit à Montréal en janvier 1910 sur invitation de la Federation of Zionist Societies of Canada (FZSC) [V. Clarence Isaac De Sola*]. Il y prononça des conférences, et y rencontra les chefs de la communauté et les membres du cercle littéraire yiddish. Des visites à Toronto, Ottawa, Niagara Falls et Kingston suivirent. Brainin et sa famille voyagèrent beaucoup aux États-Unis, puis retournèrent pour une courte période en Europe au commencement de l’été de 1910. Brainin vint pour la deuxième fois à Montréal, sous les auspices de la FZSC, de la fin de 1910 au début de 1911. Sa famille et lui vécurent par la suite environ un an à New York, où il publia son éphémère Ha-Dror (Liberté), hebdomadaire de grande qualité en hébreu. Quand le périodique cessa de paraître, Brainin connut des difficultés financières ; il envisagea dès lors avec pessimisme les possibilités d’avancement de l’usage de l’hébreu dans les communautés juives d’Amérique du Nord.
Brainin reçut à ce moment-là une offre de Hirsch (Harry) Wolofsky*, fondateur et éditeur du Keneder Adler : devenir rédacteur en chef de ce journal qui, en 1910, tirait à 10 000 exemplaires, coûtait un cent, et appuyait généralement les partis libéraux provincial et fédéral. Brainin n’avait jamais montré beaucoup d’enthousiasme pour l’importance et l’avenir du yiddish et de sa littérature. Des raisons financières motivèrent probablement sa réponse positive, tout comme, rapporterait-il, la promesse de Wolofsky de l’aider à publier un autre périodique hébraïque. Brainin et sa famille s’établirent à Montréal, où la population juive comptait quelque 28 000 personnes en 1912. Il occupa le poste de rédacteur en chef du journal du 3 mars 1912 au 15 décembre 1915, pour un salaire hebdomadaire d’environ 50 $. Le plus illustre écrivain à avoir jusque-là exercé ces fonctions, il devint un militant charismatique de la communauté juive montréalaise sur plusieurs fronts : littéraire, culturel, social et politique. Il travailla en étroite collaboration avec son jeune collègue, l’éminent érudit, éducateur et hébraïste pro-ouvrier sioniste Judah (Yehudah) Kaufman (Kaufmann), plus tard connu sous le nom d’Even Shmuel (Shemuel), qui l’introduisit au parti travailliste sioniste canadien Poalei Zion, ainsi qu’à d’autres associations populaires d’immigrants juifs d’Europe de l’Est à Montréal. On élut Brainin vice-président de la FZSC. En 1914, il devint l’un des fondateurs de la plus importante institution culturelle juive à Montréal, la Jewish Public Library and People’s University. Il fut également responsable de la création du Hebrew Teachers’ Circle et du Hebrew Centre, dont la mission consistait à propager l’hébreu comme langue vivante. Il jeta aussi les bases de la Jewish Immigrant Aid Society of Canada, que l’on établirait en 1920 après son départ de la ville. La résidence des Brainin – d’abord avenue Park, puis avenue Davaar à Outremont (Montréal) – respirait l’esprit de l’intellectualisme européen, et devint un salon littéraire qui attira des invités locaux et internationaux (les célèbres auteurs juifs Sholem Aleichem et son gendre Isaac Dov Berkowitz, par exemple). Les visiteurs trouvaient Masha très franche, moderne et raffinée.
Brainin dut faire face aux tumultueux conflits ouvriers qui déchirèrent la communauté juive durant la période où il résida à Montréal, notamment à la grève générale dans l’industrie du vêtement à l’été de 1912 [V. Solomon Levinson]. Près du tiers des ouvriers et la grande majorité des manufacturiers étaient juifs. On critiqua Brainin de ne pas avoir profité de son rôle de rédacteur en chef du Keneder Adler pour exprimer un appui inconditionnel aux grévistes. Il expliqua que, comme sioniste, il croyait à l’unité du peuple juif pour le succès de sa renaissance nationale. Malgré sa sympathie à l’égard de la cause des travailleurs, il voyait du bon et du mauvais dans les deux camps, et, dans l’intérêt du bien commun, espérait un règlement pacifique et une réconciliation. À de nombreuses reprises, il tenta de jouer le rôle d’arbitre entre le syndicat et les manufacturiers.
L’aide aux Juifs de l’Europe de l’Est, la lutte pour leurs droits civils et nationaux, et les aspirations sionistes en Palestine devinrent des sujets cruciaux pour la communauté juive du Canada après le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Brainin défia les meneurs fortunés et intégrationnistes des communautés juives à Montréal et ailleurs au Canada sur ces questions. Convaincu de la nécessité d’un organe à large participation, démocratiquement élu, qui représenterait les intérêts nationaux et sionistes de la communauté juive canadienne et préconiserait une distribution juste des fonds d’aide aux personnes souffrantes en Europe de l’Est, Brainin fonda la Canadian Jewish Alliance en 1915. Cette association ouvrirait la voie à la création du Congrès juif canadien quatre ans plus tard.
Brainin et Wolofsky entretenaient à ce moment-là des relations tendues. Ils divergeaient d’opinion sur la stratégie de création d’une association pour représenter la communauté juive canadienne ; de plus, un conflit de personnalités commençait à les opposer. La plupart des journalistes qui composaient l’effectif du Keneder Adler se mirent en grève en février 1915 ; le rédacteur en chef était du nombre. Furieux, Wolofsky lança une virulente campagne contre Brainin, dont la carrière au journal prendrait fin en décembre. À l’automne, Brainin fonda à Montréal son propre quotidien en yiddish, Der Veg (la Voie), dévoué à la Canadian Jewish Alliance, à la lutte pour la création du Congrès juif canadien et à l’élévation des normes de la vie culturelle juive. Malgré sa qualité d’exception, il ne dura que du 15 octobre 1915 au 21 juin 1916, soit moins de neuf mois. Exaspéré par les contraintes du travail communautaire et par la querelle avec Wolofsky, Brainin retourna à New York ; il y dirigea la version renouvelée du journal hébraïque Ha-Toren (le Mât) d’avril 1918 à 1925, année où des problèmes financiers forcèrent l’arrêt de la publication. En 1923, il avait commencé à écrire pour le quotidien libéral sioniste en yiddish Der Tog (le Jour) de New York. Ses rapports étroits avec la population juive de Montréal et des États-Unis l’amenèrent à voir l’importance du yiddish dans la lutte contre l’assimilation, et la vraie valeur esthétique et nationale de sa littérature.
Même si Brainin passerait le reste de son existence à New York, il ne romprait jamais les liens avec Montréal, où on le convia à titre d’invité d’honneur à la réunion de fondation du Congrès juif canadien (du 16 au 19 mars 1919). Des membres de sa fratrie, des enfants, des petits-enfants et des amis proches vivaient dans cette ville qu’il visita à plusieurs reprises ; il séjourna souvent dans les Laurentides pendant l’été.
Brainin fut un écrivain hébraïque et un chef sioniste très admiré durant une cinquantaine d’années. En 1925–1926, il se rendit en Palestine, où il constata de nombreuses difficultés. Son voyage en Union soviétique, en 1926, l’incita à promouvoir avec enthousiasme la colonisation agricole juive dans ce pays, et particulièrement celle de la région autonome juive nommée Birobidjan ; selon lui, avec le yiddish comme langue officielle, cette région possédait le potentiel pour devenir une république socialiste soviétique juive. Brainin croyait cet engagement compatible avec son sionisme hébraïque, centré sur la Palestine. Il ne condamna pas publiquement la persécution des sionistes, de la langue hébraïque et de sa littérature, et de la religion juive par les Soviétiques. Cette position lui valut une censure implacable de la part du camp sioniste-hébraïste, avec lequel il avait entretenu une association si intime pendant la plus grande partie de son existence. Il vécut ses dernières années en se sentant injustement attaqué, rejeté et isolé.
La santé de Reuben Brainin commença à se détériorer au début des années 1930. En 1937, il était paralysé et incapable de parler. Il avait toujours l’esprit clair, cependant, et, avec de l’aide, il pouvait écrire un peu et continuer de préparer le troisième volume d’un recueil de ses œuvres (publié en 1940, l’année après sa mort). On respecta ses volontés en l’inhumant au cimetière Shaar Hashomayim, sur le mont Royal, près de sa fille Miriam Ortenberg et de sa femme Masha (respectivement mortes en 1918 et 1934). En 1941, ses fils réalisèrent son souhait de donner sa bibliothèque et ses archives personnelles à la Bibliothèque publique juive de Montréal. Dans cette ville, Brainin avait vécu des jours pleins de contradictions. Publiquement, il consacra toute son énergie, sa passion et son idéalisme à l’édification de la vie communautaire juive dans tous ses aspects. Dans son journal intime, cependant, il confia ses profonds tourments : il avait le sentiment d’avoir trahi sa propre essence en abandonnant l’hébreu au profit du yiddish, et en collaborant avec des gens qu’il considérait comme ses inférieurs intellectuels et moraux.
Les journaux intimes inédits de Reuben Brainin se trouvent aux Central Arch. for the Hist. of the Jewish People (Jérusalem). Une collection de ses œuvres a paru sous le titre Kol kitve Re’uven ben Mordekhai Brainin [Œuvres complètes de Reuben Ben-Mordecai Brainin] (3 vol., New York, 1922–1940). Cette publication ne contient cependant pas tous ses écrits, mais uniquement les trois premiers volumes que Brainin a réussi à éditer et financer avant sa mort. La plupart de ses textes en hébreu se trouvent dispersés dans diverses publications et dans des manuscrits inédits. Les mémoires de Brainin ont paru en yiddish sous le titre Fun mayn lebns-bukh [Du livre de ma vie] (New York, 1946). Brainin a seulement publié la première des trois parties prévues pour la biographie de Theodor Herzl, Ḥaye Hertsel : bi-sheloshah ḥalaḳim [la Vie de Herzl : en trois parties] (New York, 1919). Il a traduit plusieurs livres en hébreu, dont : Moritz Lazarus, Der Prophet Jeremias [le Prophète Jeremiah] (Breslau [Wrocław, Pologne], 1894), sous le titre Yirmiyah ha-navi (Varsovie, 1897) ; Herzl, Das neue Ghetto [le Nouveau Ghetto] (Vienne, 1897), sous le titre Ha-Geto he-ḥadash : ḥizayon be-Arba’ ma’arakhot (Varsovie, 1898) ; et Max Nordau, Paradoxe [Paradoxes] (Leipzig, Allemagne, 1891), sous le titre Paradoksim : peraḳim be-torat ha-nefesh (Piotrków Trybunalski [Pologne], 1900).
Bibliothèque publique juive, Service des arch. (Montréal), Fonds 1010 (Reuben Brainin fonds).— FD, Shaar Hashomayim Cemetery (Montréal), 3 déc. 1939.— S. [I.] Belkin, le Mouvement ouvrier juif au Canada : 1904–1920, Pierre Anctil, trad. (Sillery, [Québec], 1999).— « The Canadian story of Reuben Brainin, part 1 », David Rome, compil., Canadian Jewish Arch. (Montréal), nouv. sér., no 47 (1993).— « The Canadian story of Reuben Brainin, part 2 », David Rome, compil., Naomi Caruso et Janice Rosen, édit., Canadian Jewish Arch., nouv. sér., no 48 (1996).— Naomi Caruso, « Reuven Brainin : the fall of an icon », Janice Rosen et Shirley Brodt, édit., Canadian Jewish Arch., nouv. sér., no 49 (2007).— J. Hamelin et al., la Presse québécoise, vol. 4–5.— Getzel Kressel, Leksikon ha-sifrut ha-ivrit [Encyclopédie de la littérature hébraïque moderne] (2 vol., Merhavia, Israël, 1965–1967), 1 : 350–353.— Leksikon fun der nayer Yidisher literatur [Dictionnaire biographique de la littérature yiddish moderne], Shmuel Niger et Yankev Shatski, édit. (8 vol., New York, 1956–1981), 1 : 466–469.— Rebecca Margolis, Jewish roots, Canadian soil : Yiddish culture in Montreal, 1905–1945 (Montréal et Kingston, Ontario, 2011).— Samuel Paz, « Re’uven Breinin be-Montriyal (1912–1916) » [Reuben Brainin à Montréal (1912–1916)] (mémoire de m.a., McGill Univ., Montréal, 1983).
Eugene Orenstein, « BRAININ, REUBEN (Reuven, Reuben Ben-Mordecai, Ruvn Braynin) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/brainin_reuben_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/brainin_reuben_16F.html |
Auteur de l'article: | Eugene Orenstein |
Titre de l'article: | BRAININ, REUBEN (Reuven, Reuben Ben-Mordecai, Ruvn Braynin) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2023 |
Année de la révision: | 2023 |
Date de consultation: | 1 déc. 2024 |