Marks, Joseph Taylor, ferblantier, organisateur syndical et rédacteur en chef de journal, né probablement le 15 octobre 1858 à Windsor, Haut-Canada, fils de George Marks et de Mary Henrietta Ducker ; le 9 mars 1887, il épousa à London, Ontario, Emily Ada Ellis, et ils n’eurent pas d’enfants ; décédé le 14 novembre 1932 à Toronto.

Joseph Taylor Marks consacra sa vie à la cause ouvrière. Ferblantier dans les ateliers de la compagnie du chemin de fer du Grand Tronc à London, il était membre du syndicat des tôliers ; en 1884, il participa à la création du London Trades and Labor Council et, plus tard dans la décennie, du Workingman’s Legislative Club. Il se joignit aux Chevaliers du travail [V. Alexander Whyte Wright*], organisation en pleine ascension, et devint secrétaire archiviste de l’assemblée locale no 7110 en 1888, puis maître-ouvrier de l’association de district no 138 l’année suivante. Marks exerça des fonctions de leader dans cette organisation au moment même où elle commençait à décliner. Il fit en vain d’énergiques tentatives de reconstruction : les Chevaliers du travail disparurent du sud-ouest de l’Ontario en 1890. Ne se laissant pas décourager, Marks jeta les bases de l’Industrial Brotherhood à Woodstock en mai 1891. Créée sur le modèle du People’s Party of the United States of America, mouvement populiste naissant aux États-Unis, l’Industrial Brotherhood cherchait à promouvoir des réformes sociales et à faire passer aux ouvriers le pouvoir des « monopolistes, des courtiers de change et des fainéants en titre ». L’organisation fut engloutie par l’American Federation of Labor en 1902, mais le produit le plus important de l’Industrial Brotherhood, soit un journal indépendant, survivrait.

L’Industrial Banner avait été fondé en 1892 par Marks, Henry Brinsmead Ashplant*, Frank Henry Plant et Rudolph Russell. Ni journaliste ni imprimeur de son métier, Marks aida cependant à faire de l’Industrial Banner l’un des journaux ouvriers les plus couronnés de succès et les plus largement diffusés au Canada ; il s’installerait avec la publication à Toronto en 1912 pour essayer d’attirer un lectorat plus vaste. Il agissait à la fois à titre de directeur et de rédacteur principal ; il écrivait des textes sur des questions qui touchaient les syndicats et les ouvriers au Canada et à l’étranger, et choisissait des articles de presse et des éditoriaux venant d’autres journaux pro-ouvriers nord-américains. Sa femme, Emily Ada, aidait à alimenter la presse à imprimer, ce qui permettait à Marks de se reposer avant son quart de travail au chantier du Grand Tronc. Il espérait que les ouvriers utiliseraient le mensuel pour s’informer afin de pouvoir « vaincre le poids mort de l’esprit de parti » et se défendre contre le pouvoir des intérêts établis. L’Industrial Banner présentait un mélange varié d’idées radicales de la fin du xixe siècle et du début du xxe siècle, dont le libéralisme, les idées de l’auteur américain Edward Bellamy, l’impôt unique proposé par Henry George [V. John Wilson Bengough*], le populisme agrarien, ainsi que le socialisme chrétien et éthique. Dans son travail pour l’Industrial Banner et dans la plupart de ses autres activités, Marks se considérait comme un organisateur, qui unissait différentes factions de la gauche en vue d’atteindre un but commun.

Le journal et son directeur embrassaient le travaillisme. Cette idéologie, qui domina la politique ouvrière du centre et de l’est du Canada jusque dans les années 1920, était une forme de populisme et imaginait un monde où les pouvoirs social, économique et politique seraient largement accessibles, où les citoyens jouiraient de l’égalité sur le plan social et juridique, et où l’association volontaire et l’entraide (par l’intermédiaire d’institutions coopératives, par exemple) seraient valorisées. Les urnes constituaient le moyen pour atteindre les objectifs de ce courant de pensée qui ne comportait pas de programme idéologique clair, mais selon lequel les préoccupations prolétariennes ne pourraient progresser que par l’élection d’ouvriers – en tant que travailleurs, et non à titre de membres d’un parti existant – à des charges publiques. Le travaillisme pouvait ainsi agir comme un important pont entre les deux extrémités du mouvement ouvrier, qui allait des socialistes, à gauche, jusqu’aux partisans plus conservateurs du syndicalisme de métier, à droite. Le soutien qu’accordait Marks à la représentation directe de la classe ouvrière l’amena, durant les années 1890, à faire campagne pour les Patrons of Industry [V. George Weston Wrigley*]. Il se présenta également à titre de candidat indépendant du mouvement ouvrier aux élections provinciales de 1894 ; il se retira toutefois de la course en raison d’un manque d’appui. Au fil des ans, le Parti libéral courtisa Marks régulièrement pour qu’il le représente à des élections fédérales ou provinciales, ce qu’il refusa toujours. Il aiderait plutôt à créer, en 1907, la section ontarienne du Parti travailliste du Canada, qui serait connu sous le nom d’Independent Labor Party of Ontario, l’un des premiers partis ouvriers du Canada.

Marks fut aussi derrière la création d’une autre institution de longue date du mouvement ouvrier ontarien. Avec le socialiste James Simpson et Laura Hughes*, nièce de l’homme politique conservateur Samuel Hughes*, il fonda la Labor Educational Association of Ontario en juin 1903 (à l’origine, cette organisation concentrait ses activités dans l’ouest de l’Ontario, mais elle devint rapidement un organisme provincial). Forum pour l’échange d’idées entre différentes organisations syndicales de la province, cette association publiait du matériel éducatif et organisait des tournées de conférences. Le groupe fit pression sur le gouvernement provincial au sujet de questions ayant trait au travail, en menant avec succès, par exemple, la campagne qui conduisit à la création en Ontario de la loi sur l’indemnisation des accidents du travail, sanctionnée sous le gouvernement du premier ministre sir James Pliny Whitney* en 1914.

Comme beaucoup de gens dans les milieux de gauche, Marks, de prime abord, s’opposa à la Première Guerre mondiale, croyant qu’elle était le résultat de l’impérialisme capitaliste. Néanmoins, l’espoir que la fin du conflit marquerait l’avènement de la prétendue nouvelle démocratie au pays et à l’étranger amena Marks et de nombreux autres partisans du mouvement ouvrier à soutenir la cause des alliés. Marks utilisa l’Industrial Banner pour préconiser la conscription des hommes et de la richesse. Il fit également la promotion du regroupement des ouvriers d’usine, en particulier des femmes, pour former des syndicats, et de la nationalisation des industries et des services publics ; de plus, il recommanda avec insistance au gouvernement de sir Robert Laird Borden de mettre en place des clauses sur l’équité salariale dans ses contrats de munitions. Estimant que le moment était opportun pour créer un nouveau parti ouvrier, Marks et d’autres militants augmentèrent leurs efforts afin de rassembler des travailleurs aux opinions politiques très diverses : « des sociaux-démocrates, des hommes du mouvement ouvrier indépendant, des réformateurs sociaux et économiques, des gens qui cro[yaient] en la législation directe, la représentation proportionnelle, le droit de vote des femmes, ainsi qu’en la nationalisation des chemins de fer et de toutes les sources de richesse du pays ». Le Greater Toronto Labour Party vit le jour et Marks en fut nommé secrétaire au congrès de fondation, en avril 1917 ; une organisation provinciale qui avait les mêmes objectifs, l’Independent Labor Party of Ontario, fut créée le 1er juillet, réactivant ainsi le groupe créé en 1907. Marks mena une vaste campagne, tout en continuant de diriger l’Industrial Banner et d’écrire pour le journal dans des trains et des chambres d’hôtel ; le parti n’obtint cependant pas de bons résultats aux élections fédérales de 1917. Les efforts de Marks furent enfin récompensés le 20 octobre 1919, quand 11 candidats de l’Independent Labor Party of Ontario furent élus à l’Assemblée provinciale. Il aida à négocier une coalition avec les Fermiers unis de l’Ontario et, pour la première fois dans l’histoire de la province, un tiers parti, sous la direction d’Ernest Charles Drury*, prit le pouvoir.

L’unité au sein du mouvement ouvrier commença à se désintégrer durant la vague de grèves qui ébranla l’immédiat après-guerre, et le conflit eut parfois lieu dans les pages de l’Industrial Banner. L’autorité éditoriale de Marks fut contestée, en particulier par James Simpson, qui était entré au journal en 1912 et qui organisa un coup monté réussi en février 1919. Avant la fin de l’année, Marks avait rompu ses liens avec le journal ; il invoqua la mauvaise gestion de Simpson, mais les différences idéologiques entre les deux hommes, particulièrement en ce qui avait trait à l’appui à la Révolution bolchevique en Russie, furent aussi des facteurs importants. Le 24 février 1922, moins de deux ans après le départ de Marks, l’Industrial Banner, autrefois fier étendard des ouvriers de l’Ontario, publia sa dernière édition. De même, l’Independent Labor Party of Ontario était déchiré par des conflits internes entre les modérés et les radicaux. Quand Marks demanda à ces derniers de renoncer à leurs plateformes extrémistes ou de quitter le parti, il fut accusé d’être un réactionnaire. Il démissionna après le congrès de 1921. Au moment des élections provinciales de 1923, l’Independent Labor Party of Ontario était en ruines (seulement trois de ses candidats furent élus), puis le parti disparut de la scène politique en 1927, lorsque son dernier député, Karl Kenneth Homuth, se rallia aux conservateurs de George Howard Ferguson*.

Après avoir passé une grande partie de la fin des années 1920 à essayer de fonder un journal ouvrier indépendant pour remplacer l’Industrial Banner et de faire renaître l’Independent Labor Party of Ontario, Joseph Taylor Marks, le « grand-papa du mouvement ouvrier ontarien », comme il fut décrit dans le Labor Leader, mourut d’une insuffisance cardiaque chez lui, à Toronto, le 14 novembre 1932. Il avait œuvré pour la cause des travailleurs sans fanfare, sans gloire et sans espérer en tirer des avantages personnels. À l’instar des réformateurs Thomas Phillips Thompson, James Simpson et Allan Studholme*, il marqua profondément l’histoire organisationnelle et culturelle du syndicalisme et de la politique ouvrière au Canada. Sa mort représenta à bien des égards la fin d’une culture ouvrière axée sur les notions de volontarisme et d’entraide.

Kevin Brushett

BAC, MG 28, I 54 ; R174-45-6, vol. 568, file 170 G1 ; vol. 612, file 379–37 ; R2803-0-5, Toronto Dist. Labor Council minute-books, 1912–1926 ; R4023-0-9.— TRL, Special Coll., S 18 (John Warburton Buckley scrapbooks) ; S 72 (James Simpson papers).— Univ. of Toronto Libraries, Thomas Fisher Rare Book Library, ms coll. 00035 (Woodsworth memorial coll.) ; ms coll. 00179 (Robert S. Kenny papers).— Industrial Banner (London, Ontario, et Toronto), 1895–1922.— Labor Leader (Toronto), 25 nov. 1932.— People’s Cause (Toronto), 1925–1928.— K. T. Brushett, « Labour’s forward movement : Joseph Marks, the Industrial Banner and the Ontario working-class, 1890–1930 » (mémoire de m.a., Queen’s Univ., Kingston, Ontario, 1994).— Congrès des métiers et du travail du Canada, Rapport des délibérations de la convention annuelle (Montréal), 1896–1930.— Craig Heron, « Labourism and the Canadian working class », le Travail (St John’s), 13 (1984) : 45–75.— G. H. Homel, « “Fading beams of the nineteenth century” : radicalism and early socialism in Canada’s 1890s », le Travailleur (Halifax), 5 (1980) : 7–32.— G. S. Kealey et B. D. Palmer, Dreaming of what might be : the Knights of Labor in Ontario, 1880–1900 (Toronto, 1987).— J. Myers, « The Independent Labor Party of Ontario – labour in politics, 1907–1923 » (mémoire de m.a., Univ. of Toronto, 1962) (exemplaire à BAC, R4023-0-9).— James Naylor, The new democracy : challenging the social order in industrial Ontario, 1914–25 (Toronto, 1991).— Ron Verzuh, Radical rag : the pioneer labour press in Canada (Ottawa, 1988).— The workers’ revolt in Canada, 1917–1925, Craig Heron, édit. (Toronto, 1998).

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Kevin Brushett, « MARKS, JOSEPH TAYLOR », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 7 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/marks_joseph_taylor_16F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
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