Lien

Provenance : Lien

BÉLANGER, Jean-Baptiste, capitaine de bateau et fonctionnaire, né le 1er janvier 1852 dans la paroisse Cap-Saint-Ignace, Bas-Canada, fils d’Édouard Bélanger, navigateur, et de Flore Fortin ; le 22 octobre 1878, il épousa à Cap-Saint-Ignace, Québec, Caroline Côté, et ils eurent au moins dix enfants, dont six atteignirent l’âge adulte ; décédé le 6 septembre 1924 à Québec et inhumé quatre jours plus tard à Cap-Saint-Ignace.

   Élevé dans une famille passionnée par les bateaux, le fleuve et la navigation, Jean-Baptiste Bélanger s’initie de bonne heure à ces éléments qui seront au cœur de sa vie. Son père est navigateur et constructeur de bateaux à voiles à L’Anse-à-Gilles. Deux de ses frères, Ariste et Joseph, embrasseront la carrière de navigateur. Son frère Arthur exercera ce métier, puis deviendra commerçant de bois. De 1863 à 1867, Bélanger suit le cours commercial du collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, où il est pensionnaire. Même si on ignore comment Bélanger apprend à naviguer, on peut vraisemblablement croire que son père l’initie aux rudiments du métier. Il fait ses débuts comme pilote avec le capitaine C. Bernier sur un yacht français. À la fin du mois d’avril 1879, il réussit ses examens et obtient un certificat de second.

En 1877, Bélanger est entré au service du département fédéral de la Marine et des Pêcheries. Il y occupe, jusqu’en 1879, le poste de 1er officier de compétence sur le navire à vapeur Napoléon III. Il travaille ensuite durant 17 ans comme officier commandant sur le garde-côte la Canadienne.

En 1896, Bélanger commande le Savoy, vapeur d’Henri Menier. Cet industriel français du domaine de la chocolaterie a besoin d’un bateau pour faire la liaison entre l’île d’Anticosti, dont il est le nouveau propriétaire, et la ville de Québec. Pendant 14 ans, dès que le golfe du Saint-Laurent est navigable, Bélanger assure le transport des ouvriers et des notables, et l’approvisionnement de l’île, dont Menier veut faire un paradis de ressources naturelles. Il contribue parfois au renflouement de navires échoués, comme le Merrimac à la baie Ellis (baie Gamache) le 16 juillet 1899.

Bélanger devient pilote de l’Eureka en 1910. Ce bateau-pilote du gouvernement canadien effectuait, depuis 1906, le service des malles océaniques (c’est-à-dire le transbordement du courrier) de la station de Pointe-au-Père (Rimouski). La station comprend notamment un quai (1904), un télégraphe sans fil (1907) et un grand phare (1909). De plus, Bélanger s’occupe du service de pilotage ; conformément à une exigence du gouvernement canadien, seuls les pilotes dûment qualifiés peuvent conduire les navires qui transitent par le fleuve Saint-Laurent. À bord de l’Eureka, Bélanger participe en 1910 à l’arrestation du médecin américain Hawley Harvey Crippen, inculpé du meurtre de sa femme. Il conduit l’inspecteur Walter Dew au Montrose, paquebot commandé par Henry George Kendall, sur lequel fuient Crippen et sa maîtresse. De plus, il prête une partie de ses vêtements de marin à Dew afin de ne pas éveiller les soupçons du présumé assassin. C’est également à bord de l’Eureka que, le 29 mai 1914, il arrive le premier sur les lieux du naufrage de l’Empress of Ireland.

L’Empress of Ireland, propriété de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, a été lancé le 27 janvier 1906. Ce paquebot de 14 000 tonnes mesure 550 pieds 8 pouces de longueur sur 65 pieds de largeur et peut atteindre une vitesse maximum d’environ 18 nœuds. Il parcourt régulièrement l’Atlantique, entre Québec et Liverpool, en Angleterre. Il le fait en six jours, dont deux sur le Saint-Laurent. Le jeudi 28 mai 1914, il quitte la ville de Québec à quatre heures vingt-sept de l’après-midi. Adélard Bernier le pilote jusque vis-à-vis de Pointe-au-Père, où Kendall, responsable de la traversée de l’Atlantique, prend le commandement. Le paquebot transporte 1 477 personnes, dont 1 057 passagers et 420 membres d’équipage. À une heure trente du matin le 29 mai, à environ un mille et demi à l’ouest de Pointe-au-Père, Bernier descend sur l’Eureka, conduit par Bélanger. Ce dernier attend le charbonnier Wabana pour embarquer son pilote avant de retourner à Pointe-au-Père, vers deux heures dix du matin.

Non loin de l’Empress of Ireland, qui a repris sa route, se trouve le Storstad, charbonnier norvégien commandé par Thomas Andersen et parti de Sydney, en Nouvelle-Écosse, en direction de Montréal. Kendall est à son poste. Andersen est dans sa chambre ; l’officier en chef Alfred Severin Gessen Toftenes le remplace. Les deux bateaux se voient jusqu’au moment où se lève un épais banc de brouillard. Quand ils s’aperçoivent de nouveau, il est trop tard. À un peu plus de six milles et demi à l’est de Pointe-au-Père, la proue du Storstad enfonce l’Empress of Ireland dans son flanc tribord, près du milieu. Les deux navires se séparent, créant dans ce dernier une brèche de 14 pieds sur 45, par où entrent 265 tonnes d’eau par seconde. Le télégraphiste de l’Empress of Ireland émet ses premiers messages de détresse à une heure cinquante-six du matin. Le paquebot se couche à tribord et coule en moins de 15 minutes.

En arrivant à Pointe-au-Père, entre deux heures vingt et deux heures vingt-cinq, Bélanger est aussitôt alerté. L’Eureka, toujours sous vapeur, quitte le quai vers deux heures trente. Bélanger atteint le lieu du naufrage le premier, au bout de 40 minutes environ. Après avoir reçu l’appel du télégraphiste, Jean-Baptiste Pouliot, commandant du Lady Evelyn, autre bateau postal canadien, remet son vapeur en marche et part de Saint-Germain-de-Rimouski (Rimouski). Il est le second arrivé, vers trois heures quarante-cinq.

L’Empress of Ireland est déjà sous l’eau quand l’Eureka parvient à destination. Dans son rapport du 9 juillet, Bélanger décrira ainsi la scène : « Je ne pouvais voir aucune lumière quand je partis mais environ quinze (15) minutes plus tard, je pus voir le S.S. « Storstad », alors que le jour perçait, avec sa proue, au sud, et pas d’« Empress » en vue, que des débris ; il me fallut environ quarante (40) minutes pour atteindre les lieux ; en y arrivant, j’aperçus quatre (4) canots, un canot pliable que j’abordai immédiatement, quelques-uns pleins, quelques-uns partiellement pleins, quelques-uns vides et renversés et [je] vis des corps sans vie qui flottaient et d’autres qui coulaient ;… Mes canots furent immédiatement mis à l’eau et [nous] procéd[âmes] au sauvetage, en sortant de l’eau femmes, hommes et enfants qui n’étaient pas morts. » Au cours de son premier trajet, l’Eureka prend 150 personnes à son bord et les amène à Saint-Germain-de-Rimouski, où arrivent les secours. Le Lady Evelyn revient de son premier aller-retour avec plus de 330 personnes qui, pour la plupart, ont été sauvées par le Storstad. Les deux autres traversées des deux bateaux ne leur permettent que de ramener des cadavres. Durant ses recherches, Pouliot découvre le journal de bord de l’Empress of Ireland. Joseph-Oscar Bélanger, fils de Jean-Baptiste, fournit son aide à bord de l’Eureka pour trouver des corps. Dans son édition du 27 mai 1939, le Soleil rapportera ces propos du capitaine Bélanger : « Je peux dire que j’ai vu bien des choses dans ma carrière de marin, mais je n’oublierai jamais le spectacle qui s’offrit à mes yeux dans cette nuit fatale du 29 mai. »

Au total, 1 012 personnes périssent dans ce désastre, soit 840 voyageurs et 172 membres d’équipage. La rapidité du naufrage et le fait que les passagers, partis la veille, ne connaissaient pas le navire comptent parmi les facteurs qui peuvent expliquer le nombre élevé de victimes. Plusieurs rescapés mourront de leurs blessures. La contribution de Bélanger au sauvetage est vite reconnue : le 2 juin, l’Événement publie à son sujet un article intitulé « Un héros », qui mentionne que Bélanger a donné toute sa garde-robe, qu’il n’a pas dormi durant plusieurs heures et que son dévouement a été héroïque.

Bélanger a participé à deux enquêtes. La première, sans suite, celle du coroner Josué Pinault, a lieu dès le lendemain de la tragédie, le 30 mai, dans une salle de l’école de Saint-Germain-de-Rimouski. Mais, rapidement, une commission d’enquête s’impose. Présidée par lord Mersey, qui a dirigé les travaux de la commission d’enquête britannique sur le naufrage du Titanic [V. Arthur Godfrey Peuchen] en avril 1912, elle se tient du 16 au 27 juin au palais de justice de la ville de Québec. Comme commissaires, le gouvernement fédéral nomme l’ancien juge en chef de la Cour supérieure de la province de Québec, sir Adolphe-Basile Routhier*, et le juge en chef du Nouveau-Brunswick, Ezekiel McLeod. Bélanger fait partie des 61 personnes interrogées.

Dans son rapport déposé le 11 juillet, la commission conclut ainsi : « M. Toftenes a manqué et a fait preuve de négligence en gardant en main le commandement du vaisseau et en tardant à faire venir le capitaine en voyant surgir le brouillard. » Elle fait également des recommandations pour améliorer les conditions de la navigation (cloisons étanches, chaloupes de sauvetage, service de pilotage). Des enquêtes ultérieures formuleront des conclusions contradictoires.

De 1915 à 1918, Bélanger pilote le Lady Evelyn. En 1915, il renfloue le vapeur Romeny, échoué sur des rochers à l’est de l’île Verte. C’est à la Commission du havre de Québec qu’il poursuit sa carrière jusqu’à sa mort, le 6 septembre 1924, dans sa résidence de Québec.

Connu comme le capitaine du Savoy pendant 14 années et comme le premier capitaine arrivé, à bord de l’Eureka, sur les lieux du naufrage de l’Empress of Ireland, Jean-Baptiste Bélanger demeure un navigateur hors du commun. Selon sa notice nécrologique publiée le 8 septembre 1924 dans l’Événement : « Le lendemain [du sauvetage], les autorités du Pacifique Canadien lui exprimaient en termes très éloquents leur appréciation […] La déclaration de la guerre l’empêcha d’être décoré. » Au moment de la tragédie, celle-ci a été le point de mire de la presse internationale, mais, effectivement, le déclenchement de la Première Guerre mondiale, quelques mois plus tard, a rapidement occupé la une de l’actualité.

Renée Houde

Les renseignements sur le naufrage de l’Empress of Ireland proviennent principalement de : Canada, Commission d’enquête et des témoignages rendus concernant le naufrage du navire anglais « Empress of Ireland » de Liverpool (0. No 123972) à la suite d’une collision avec le navire norvégien « Storstad », Québec, juin 1914, Rapport (Ottawa, 1914).

Arch. privées, Renée Houde (Montréal), Rapport sur le naufrage, états de service, photographies et articles de journaux.— BAC, Déclarations de recensement du Canada de 1911, Québec, dist. Québec Centre (187), sous-dist. quartier du Palais (6) : 7 ; R184-185-9 ; R233-35-2, Québec, dist. Montmagny (44), sous-dist. Cap-Saint-Ignace (G) : 65 ; R233-36-4, Québec, dist. Montmagny (170), sous-dist. Cap-Saint-Ignace (A) : 66–67 ; R233-37-6, Québec, dist. Québec Ouest (184), sous-dist. quartier Saint-Pierre (D) : 1.— Bibliothèque et Arch. nationales du Québec, Centre d’arch. de Québec, CE302-S1, 12 janv. 1847, 1er janv. 1852, 22 oct. 1878.— Instit. généal. Drouin (Québec), Fonds Drouin numérisé, Cap-Saint-Ignace, Québec, 10 sept. 1924.— L’Action catholique (Québec), 16 juin 1914, 8 sept. 1924.— L’Événement, 1–2 juin 1914, 29 juin 1915, 8 sept. 1924.— Le Soleil, 27 mai 1939.— Catalogue des anciens élèves du collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, 1827–1927, [François Têtu, compil.] (Québec, 1927), 283.— James Croall, Quatorze minutes : le naufrage de l’Empress of Ireland, Serge Proulx, trad. (Chicoutimi [Saguenay, Québec], 2000).— J.-C. Fortin, « la Grande Navigation et les installations de Pointe-au-Père », Rev. d’hist. du Bas-Saint-Laurent (Rimouski, Québec), 8 (1982) : 52–92.— Alain Franck, Naviguer sur le fleuve au temps passé, 1860–1960 (Sainte-Foy [Québec], 2000).— Derek Grout, Empress of Ireland : the story of an Edwardian liner (Stroud, Angleterre, et Charleston, S.C., 2001) ; RMS Empress of Ireland : pride of the Canadian Pacific’s Atlantic fleet (Toronto, 2014).— Charles Guay, Lettres sur l’île d’Anticosti à l’honorable Marc-Aurèle Plamondon, juge de la Cour supérieure, en retraite, à Artabaskaville (Montréal, 1902).— Renée Houde, « le Rôle du capitaine Jean-Baptiste Bélanger dans la tragédie de l’Empress of Ireland », Cap-aux-Diamants (Québec), no 116 (hiver 2014) : 34–35.— Logan Marshall, The tragic story of the Empress of Ireland [...] (Londres, 1972).— Georges Martin-Zédé, l’Île ignorée : journal de l’île d’Anticosti, 1895–1926 (2 vol., s.l., [1938]).— Musée de la mer de Pointe-au-Père, la Tragédie oubliée... Le naufrage de l’Empress of Ireland : la plus grande tragédie maritime de l’histoire du Canada (Pointe-au-Père [Rimouski], 1995).— France Normand, Naviguer le Saint-Laurent à la fin du xixe siècle : une étude de la batellerie du port de Québec (Sainte-Foy, 1997).— Anne Renaud, Into the mist : the story of the Empress of Ireland (Toronto, 2010).— Karino Roy, le Drame de l’Empress of Ireland : Pointe-au-Père, 29 mai 1914 (Vanier [Québec], 1993).— Site historique maritime de la Pointe-au-Père, « Pointe-au-Père, site historique maritime » : shmp.qc.ca (consulté le 24 oct. 2014) ; les Trésors de l’Empress of Ireland (Rimouski, 2007).— John Willis, Empress of Ireland : le Titanic canadien (catalogue d’exposition, Musée canadien de l’histoire, Gatineau, Québec, [2014]).— David Zeni, Forgotten empress : the Empress of Ireland story (Fredericton, 1998).

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Renée Houde, « BÉLANGER, JEAN-BAPTISTE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/belanger_jean_baptiste_15F.html.

Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique


Permalien: https://www.biographi.ca/fr/bio/belanger_jean_baptiste_15F.html
Auteur de l'article:    Renée Houde
Titre de l'article:    BÉLANGER, JEAN-BAPTISTE
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2018
Année de la révision:    2018
Date de consultation:    2 oct. 2024