BLACK, JOHN, constructeur de navires et homme politique, né vers 1764 en Écosse, fils de William Black et de Jane McMun ; circa 1786–1819.
John Black quitta l’Écosse pour la province de Québec vers 1786. En 1787, il fut engagé, en compagnie de William King, comme charpentier de navires à la baie des Chaleurs, au salaire de £40 par année. En 1789, King et lui mirent sur pied, à Québec, une entreprise de construction navale, mais King s’en dissocia deux ans plus tard. En février 1792, Black, qui vivait alors « dans l’aisance », acheta du marchand Ralph Gray un lot dans la basse ville, rue Saint-Nicolas, où il installa un chantier et construisit une maison. Black avait fait affaire « dans une large mesure » avec la firme Fraser and Young – à laquelle était associé le marchand et homme politique John Young – et, en septembre, il devait £800 à cette société. Il est probable que la plus grande partie de cette somme lui avait été avancée comme fonds de roulement et que la Fraser and Young s’était réservé le droit d’acheter quelques-uns des navires de Black. Plus tard, la même année, Black abandonna son entreprise pour accepter un poste gouvernemental comme maître constructeur de navires sur le lac Ontario. Mais il ne tarda pas à trouver son salaire insuffisant et il retourna à Québec à la fin de 1793 pour rouvrir son chantier. L’année suivante, il employait environ 60 charpentiers et scieurs, ainsi que des manœuvres.
Black avait beaucoup de contacts avec la classe ouvrière et il avait appris à se débrouiller en français ; aussi le procureur général James Monk* l’employa-t-il comme agent provocateur à la suite d’émeutes de la milice, â Québec, en mai 1794. Se mêlant aux artisans canadiens et aux habitants de Québec et des environs, Black se présentait comme un sympathisant de la cause française et tentait d’arracher à ses interlocuteurs des déclarations révolutionnaires. En jouant ce rôle, comme Young le fit remarquer par la suite, Black « se laissa emporter par son zèle au point de manquer de prudence ». Son activité d’espion atteignit un sommet lorsqu’il affirma, le 17 juillet 1794, avoir arrêté deux des principaux émeutiers de la région de Charlesbourg ; pendant trois jours, à la fin de mai, des centaines d’hommes armés y avaient défié le gouvernement, et l’on avait pu entendre des slogans jacobins sanguinaires. Un mois plus tard, à sa grande surprise, Black était lui-même appréhendé comme « démocrate » à la langue bien pendue, sur la déposition, devant un magistrat canadien, d’un partisan des deux chefs qu’il avait arrêtés. Monk n’intervint pas, et Black se vit refuser toute caution. Plus heureux lors d’une seconde demande de caution, il obtint un nolle prosequi le 24 mars 1795. Après cet incident, les clients de Black, des marchands qui jusque-là n’avaient jamais douté de sa loyauté, se détournèrent de lui, si bien que son entreprise fit faillite. Black s’en plaignit plus tard à John Neilson*, propriétaire de la Gazette de Québec : « J’ai passé pour un perturbateur de la paix publique, un gredin, un ennemi de mon roi et de mon pays – objet de sarcasmes et honte de l’époque. »
Lors des élections générales de 1796 à la chambre d’Assemblée, Black se porta candidat dans la circonscription de Québec, largement composée de Canadiens. Il exploita avec succès l’amertume des habitants, qui souffraient alors de la dureté des temps, en se présentant comme un homme digne de confiance qui n’avait jamais « reposé sur la couche duveteuse de l’opulence et du luxe ». Selon Young et le juge en chef William Osgoode*, les électeurs virent en Black un adversaire déterminé du gouvernement. Mais, une fois élu, Black chercha à se réhabiliter aux yeux de ceux qui détenaient le pouvoir et, en général, il donna son appui au gouvernement colonial pendant la deuxième législature, de 1797 à 1800. Il eut, au début de mai 1797, une excellente occasion de regagner la confiance du gouvernement lorsqu’un agent secret au service de la France, David McLane*, croyant à la dissidence de Black, sollicita son aide en vue de recruter parmi les Canadiens une « cinquième colonne » qui s’emparerait de Québec avec l’aide d’aventuriers du Vermont. Black dénonça McLane auprès de Young, qui faisait partie du Conseil exécutif, et s’arrangea pour faire arrêter l’espion. Au procès pour trahison intenté à McLane, en juillet 1797, Black fut l’un des principaux témoins à charge.
En 1798, Black s’associa à Young et à Henry Caldwell pour radouber le navire Lively et le vendre en Angleterre, les profits ou les pertes devant être partagés également. Young et Caldwell fournirent les capitaux, Black les connaissances techniques. En juin, Black partit pour Londres à bord du Lively. Le 3 juillet, le navire fut capturé par un corsaire français au moment où il approchait de la Manche ; les Britanniques le reprirent peu après, mais Black avait déjà été fait prisonnier et transporté à Bayonne, en France. Il s’évada moins de deux semaines plus tard. Se faisant passer pour un Danois, il traversa les Pyrénées et, par la route de Madrid et de Lisbonne, parvint â Londres, où il informa le gouvernement des projets de la France contre l’Irlande et les colonies britanniques. Il rentra à Québec en juin 1799.
En recourant aux bons offices du lieutenant-gouverneur Robert Prescott, du secrétaire civil et greffier du Conseil exécutif, Herman Witsius Ryland*, ainsi que du protecteur et ami de Young, le prince Edward Augustus, Black avait entrepris de solliciter quelque compensation concrète pour sa loyauté et pour les souffrances qu’il avait endurées depuis 1794. Il demandait un poste n’importe où dans l’Empire britannique, en suggérant plus précisément les fonctions de constructeur des navires du roi et de capitaine de port à Québec ; il sollicitait également la concession de deux îles près de William Henry (Sorel). Ni l’une ni l’autre demande ne fut approuvée, mais il obtint, le 30 décembre 1799, avec 43 associés dont il était le chef, les cinq septièmes du canton de Dorset, ce qui représentait 71 030 acres sur la rive ouest de la Chaudière. Black avait, antérieurement, pris des dispositions pour acquérir de ses associés, contre une somme nominale, l’ensemble de la concession, à l’exception de 8 000 acres. En juillet 1800, il céda à Young tous ses droits sur le canton de Dorset en remboursement d’une dette qui s’élevait alors à £3 144.
De nouveau, Black se porta candidat à l’Assemblée en 1800, mais il retira bientôt sa candidature en faveur du procureur général Jonathan Sewell*. Le 14 mai 1801, Black, qui avait alors 37 ans, épousa Jane Rawson, âgée de 18 ans, fille d’un marchand de Québec, Sentlow Rawson ; ils devaient avoir au moins deux enfants. En juillet, Black s’endetta de £1 000 pour acheter du notaire Pierre-Louis Deschenaux trois lots avec bâtiments à La Canoterie, dans la basse ville. Apparemment, il était déjà endetté envers son beau-père, lequel fit vendre aux enchères en mars 1802 tous les biens que Black possédait rue Saint-Nicolas. En octobre, Black acheta trois autres lots, contigus à ceux qu’il détenait déjà à La Canoterie, et leur mise en valeur, au cours des trois années suivantes, augmenta fortement ses dettes. En février 1806, la plus grande partie de ses avoirs fonciers fut vendue aux enchères, à la requête du marchand Martin Chinic*, et fut acquise par Pierre Brehaut ; en avril, Black céda ce qui en restait à Rawson. Se réclamant dans les journaux d’une « expérience professionnelle de vingt-six ans », il tenta, apparemment sans succès, de continuer la construction de navires à partir d’une maison située sur un lot, au 19 de la rue Champlain, qu’il louait de John Mure* pour £40.
Dans un effort pour redresser sa situation financière, Black partit pour l’Angleterre à l’été de 1806, afin d’y renouveler ses demandes de faveurs politiques. Il apportait avec lui une adresse signée, à son dire, par plus de 1 500 habitants de Québec, dont plusieurs marchands et fonctionnaires en vue, qui faisait favorablement état des nombreux services qu’il avait rendus à la communauté ; cependant, le notaire Thomas Lee ne certifia que 613 signatures. Pour obtenir la faveur des autorités, il soumit au prince Edward Augustus un mémoire sur la situation politique du Bas-Canada, dans lequel il reprenait les conceptions du parti des bureaucrates pendant la période de 1791 à 1810. Selon Black, on ne devait pas compter sur la majorité canadienne, à l’Assemblée, pour assurer le progrès du commerce de la province, ni pour adopter les lois essentielles à la sécurité ; de même, l’absence d’un cens d’éligibilité pour les membres de l’Assemblée augmentait la vulnérabilité politique de la minorité britannique. Toutes les élections générales, d’après Black, portaient sur la scène publique des candidats canadiens de basse condition, ayant peu d’instruction, de loyauté ou de talent, sauf pour la démagogie, et, d’un bout à l’autre du pays, on faisait entendre ces slogans : « ne votez pas pour un Anglais, ne votez pas pour un seigneur, un marchand, un juge ou un avocat ». La solution que proposait Black était une union des deux Canadas ou, à défaut, la création dans les Cantons de l’Est de huit circonscriptions ayant chacune deux représentants à l’Assemblée. Il prônait aussi qu’un revenu annuel d’au moins £150, provenant de biens fonciers ou d’un salaire fixe, fût exigé pour accéder à l’Assemblée. Ces deux idées – l’union des deux Canadas et le cens d’éligibilité – allaient rester la principale revendication des marchands et des fonctionnaires britanniques jusqu’à ce que l’une et l’autre eussent été finalement réalisées dans l’Acte d’Union de 1840.
Black fut déçu dans ses espoirs d’obtenir un jour ou l’autre un poste quelconque. (À ses précédentes demandes, il ajouta le bail des forges du Saint-Maurice et le poste de représentant de la seigneurie de Sorel, propriété du gouvernement.) Il s’établit en Angleterre et devint l’un des associés de la firme Shepperd and Black, qui faisait affaire avec le Canada. En 1809, toutefois, ce fut la faillite. Il retourna à Québec cet été-là, à bord de la Bonne Citoyenne, et fut blessé à une jambe pendant un combat naval au cours duquel le navire britannique s’empara d’une frégate française. À Québec, Black harcela le gouverneur Craig de ses sollicitations. Jugeant qu’il avait affaire à un homme sans capitaux ni crédit, Craig mit le secrétaire d’État à la Guerre et aux Colonies, lord Castlereagh, en garde contre le fait de concéder à Black le bail des forges du Saint-Maurice. Craig informa en outre son supérieur que Black avait reçu une compensation suffisante et qu’on ne devait pas lui accorder un salaire de l’État. Déçu, Black retourna en Angleterre plus tard au cours de 1809. Pendant les sept années suivantes, il traversa plusieurs fois l’Atlantique dans ses efforts opiniâtres pour obtenir récompense de ses services antérieurs, réclamant désormais une concession de terre dans le Haut-Canada. Il gagnait probablement tout juste sa vie grâce à des emplois temporaires, comme celui de mandataire du marchand québécois Henry Black, en 1815. Il semble être retourné définitivement en Grande-Bretagne en 1817 et être mort en Écosse après 1819.
Homme sans grands talents, John Black accepta facilement, à ce qu’il semble, son sort de client et d’adulateur de la clique dirigeante, dont son bien-être économique dépendait de toute évidence. Malgré les services qu’il rendit à ses maîtres, comme espion et homme politique. Black subit des rebuffades périodiques. Et lorsqu’il parut ne plus être utile, on le laissa tomber.
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F. Murray Greenwood, « BLACK, JOHN (circa 1786-1819) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 8 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/black_john_1786_1819_5F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/black_john_1786_1819_5F.html |
Auteur de l'article: | F. Murray Greenwood |
Titre de l'article: | BLACK, JOHN (circa 1786-1819) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 8 oct. 2024 |