BLACKWOOD, JOHN, négociant, spéculateur foncier, seigneur, officier de milice, fonctionnaire et homme politique, né probablement en Angleterre ; le 23 avril 1793, il épousa en secondes noces, à Québec, Jane Holmes, veuve du marchand Charles Grant ; décédé le 24 juin 1819 à Bath, Angleterre.

John Blackwood, dont la carrière de négociant s’étale sur plus de 40 ans, s’avère le prototype de l’homme d’affaires colonial qui s’est enrichi en étendant son activité aux domaines économique, social et politique, et qui se retire dans la métropole à la fin de sa vie, laissant derrière lui un héritage d’expérience et de richesse parmi les membres de sa famille. Il allie savamment les qualités de l’homme d’affaires, de l’homme politique qui sait se ménager le favoritisme et les alliances importantes, et du membre de l’oligarchie bourgeoise qui s’impose dans les différents méandres des appareils de contrôle et de reproduction sociale. Ses qualités trouvent dans le système impérial une scène propice à leur déploiement. Dans son cas comme dans celui de tant de marchands, on ne saurait parler de la seule initiative individuelle. L’homme et le système se conviennent et s’épaulent parfaitement.

La première mention de Blackwood dans la colonie remonte à l’invasion américaine de 1775–1776 [V. Benedict Arnold ; Richard Montgomery*] au cours de laquelle il participe à la défense de Québec. Par la suite, on le retrouve en 1783 dans le commerce, à Québec, avec Charles Grant, sous la raison sociale de Grant and Blackwood. À la mort de son associé, survenue l’année suivante, Blackwood achète une partie des installations de celui-ci pour la somme de £2 000. En 1793, il parvient à mettre la main sur les autres propriétés de Grant en épousant Jane Holmes, veuve de ce dernier ; par ce mariage, Blackwood devient gestionnaire des quais, des entrepôts et du magasin de son ex-associé, situés près de la rue Saint-Pierre, à Québec.

Indépendamment de la fortune nette de £6 237 qu’apporte Jane Holmes au mariage et qu’il continuera d’administrer même après la mort de celle-ci en 1805, Blackwood s’enrichit surtout grâce au trafic d’import-export qu’il pratique sous le couvert de différentes sociétés – dont John Blackwood and Company (1792–1816), Blackwood J. Sr and Jr, et Blackwood and Patterson (vers 1803–1805) – dans les régions de Québec, de Trois-Rivières et de Montréal où son fils John, né probablement du premier mariage, s’installera au début du xixe siècle. Importateur de marchandises, tels le rhum, le sucre, le café, le vin, les lainages, et exportateur de diverses denrées, du blé surtout, il est naturel que Blackwood soit préoccupé par l’accessibilité des marchés étrangers. C’est pourquoi il fait front commun avec les exportateurs en 1789, s’intéresse à un projet visant à établir des échanges commerciaux entre les colonies des Antilles et le Bas-Canada via les Bermudes en 1807, et souhaite la poursuite des exportations de produits non stratégiques vers les États-Unis après le déclenchement de la guerre de 1812. Ses affaires l’amènent d’ailleurs à effectuer de fréquents voyages dans la métropole britannique où il prend contact avec de grandes firmes commerciales. Ainsi, en 1809, il est agent à Québec de la maison de John Inglis, d’Edward Ellice* et de John Bellingham Inglis d’Angleterre, et même de Joseph-Geneviève Puisaye*, comte de Puisaye.

Blackwood entretient d’excellentes relations avec les maisons commerciales solides de la colonie, telles la E. Gray et la McTavish, Frobisher and Company. Il agit aussi comme curateur de plusieurs successions de marchands. Son commerce l’amène à prêter de l’argent à divers individus, surtout des marchands, tantôt sous forme d’espèces, tantôt sous forme de marchandises, pour des sommes variant entre £434 et £1 643. Il n’hésite guère à faire saisir et à faire vendre par le shérif les biens d’au moins 14 débiteurs qui n’ont pas honoré leurs obligations. En 1806, il offre au gouvernement du Bas-Canada £5 000, qu’il prétend avoir rassemblées à partir de son « seul petit commerce », contre des lettres de change. À sa mort en 1819, il possède encore £7 361 de créances dans le Bas-Canada.

Même si sa carrière de négociant comporte plusieurs facettes, Blackwood est également un important propriétaire foncier mêlé à la spéculation. De 1793 à 1817, il réalise près d’une vingtaine de transactions immobilières, soit en son nom personnel ou, à deux reprises, comme administrateur de la Compagnie de l’Union de Québec qu’il avait fondée avec d’autres hommes d’affaires en 1805. Faisant bonne figure auprès du Conseil exécutif du Bas-Canada, il se voit accorder des faveurs qui lui permettent d’accroître son patrimoine foncier. Ainsi, le conseil l’autorise, en 1796, à allonger ses lots dans le port de Québec, à les convertir en franc et commun socage, et à améliorer les quais de façon à accueillir des vaisseaux de 300 tonnes. En 1801, il bénéficie d’une forte réduction de ses redevances en lods et ventes envers la couronne, lesquelles passent de £151 à £12 ; deux ans plus tard, il reçoit du gouvernement une concession de 400 acres dans le canton de Milton, en reconnaissance de son dévouement lors de la défense de Québec contre les troupes américaines. En 1802, il paie £47 au gouvernement en frais de lods et ventes, signe de ses nombreuses transactions.

À partir du début du xixe siècle, Blackwood multiplie ses achats et ventes de propriétés, de même que ses locations de terres, d’emplacements et de lots de grève un peu partout dans la colonie, à la ville et à la campagne. En 1805 et 1807, il achète plusieurs lots situés à l’anse au Foulon, à Québec, qu’il revend pour £3 000 quelques années plus tard. En outre, il profite des ventes effectuées par le shérif pour acquérir 12 des 48 actions du pont Dorchester en 1808 [V. David Lynd], une partie des seigneuries de Mille-Vaches et de Mingan, avec les postes de traite, la même année, puis le fief de Rivière-Magdeleine, dans la région de Gaspé, en 1810. Ce dernier achat provoque d’ailleurs un incident cocasse : comme nouveau seigneur, Blackwood ose écrire au gouverneur Craig en français dans l’intention de prêter foi et hommage. ce qui provoque l’ire de ce dernier qui ne peut admettre qu’un sujet d’origine britannique s’adresse à lui dans une autre langue que l’anglais. Néanmoins, Blackwood prête foi et hommage le 6 juillet 1810.

L’influence de Blackwood se manifeste également au sein de nombreuses sociétés (civiques, communautaires, religieuses et patriotiques) auxquelles il participe. Ainsi, de 1789 à 1793, il est membre de la Société d’agriculture du district de Québec et, de 1790 à 1815, il fait partie de la Société du feu de Québec, dont il est trésorier en 1791 et secrétaire en 1798. Il siège, de 1793 â 1798, au conseil d’administration de la Quebec Assembly, qui regroupe les anciens défenseurs de Québec contre l’invasion américaine, et milite, à compter de 1794, au sein de sociétés patriotiques comme l’Association, fondée cette année-là pour appuyer le gouvernement britannique, et dans laquelle il occupera le poste de président et de trésorier en 1813. En 1809 et 1810, on le retrouve comme secrétaire d’une société chargée de l’érection d’une église presbytérienne à Québec, pour laquelle le gouvernement avait accordé un lot. Sa contribution la plus importante s’effectue toutefois à titre de membre fondateur, en 1809, du Committee of Trade [V. John Jones], ancêtre du Bureau de commerce de Québec ; cet organisme regroupant surtout des marchands avait été créé afin de représenter auprès du gouvernement les vues des hommes d’affaires sur des sujets comme la création d’un établissement bancaire, l’administration du Bureau des douanes et la navigation sur le Saint-Laurent. La participation de Blackwood à la vie sociale se traduit également par le biais de souscriptions publiques : il contribue au fonds pour secourir les victimes de l’incendie de la rue du Sault-au-Matelot à Québec en 1793, à celui pour soutenir la métropole en guerre à partir de 1799 (£ 10 par année) et à celui pour aider les indigents du Neptune en 1802.

Blackwood fait partie du cercle étroit des détenteurs de postes de prestige, liés au contrôle social, et des bénéficiaires du favoritisme de l’État. Ainsi, il est promu lieutenant de milice en 1787, puis capitaine en 1800. À plusieurs reprises entre 1794 et 1815, il occupe le poste de juge de paix du district de Québec ; il est notamment magistrat en janvier 1800, lors des sessions spéciales de la paix sur les fièvres malignes sévissant à Québec. En 1797, il fait partie du jury de la Cour du banc du roi de Québec qui prononce un verdict de culpabilité à l’endroit de David McLane*, accusé de complot révolutionnaire, puis en 1812, il préside aux séances du jury d’accusation de Québec. Par surcroît, Blackwood est souvent invité à remplir la fonction de commissaire, soit pour préparer les règlements concernant le pilotage sur le Saint-Laurent (1802–1803), soit pour l’érection d’un nouveau marché et d’une nouvelle prison à Québec (1807–1808), soit pour faire prêter le serment d’allégeance (1812) ou pour l’administration des biens des jésuites (1814).

Tous ces postes nécessitent non seulement des relations sociales, mais une participation à la vie politique de la part de Blackwood. Comme d’autres notables, il signe des pétitions de circonstance à des gouverneurs et protecteurs tels lord Dorchester [Guy Carleton], Prescott et Prevost, ou à des personnalités éminentes comme le prince Edward Augustus. Déjà, en 1788, il s’était joint à d’autres marchands pour dénoncer l’opposition des seigneurs canadiens à la création d’une assemblée élective dans la colonie ; avec ses collègues, il réclame une telle institution en 1789 et 1790, en plus de se prononcer pour une université non confessionnelle. En 1805, à la suite d’une élection complémentaire provoquée par le décès de William Grant (1744–1805), il se fait élire député de la Haute-Ville de Québec à la chambre d’Assemblée du Bas-Canada. On ignore si cette décision de rejoindre l’arène politique fut déclenchée par le débat autour du projet de loi sur les prisons [V. Jonathan Sewell*]. On sait cependant que Blackwood avait signé avec des marchands britanniques une pétition demandant au Conseil législatif de bloquer ce projet de loi. Reconduit dans ses fonctions de député en 1808 et 1809, Blackwood se présente également aux élections de 1810, mais semble s’être retiré avant la fin du scrutin.

Sauf pour la session de 1806 où il est fréquemment absent, Blackwood participe, souvent à titre de président, à des comités de la chambre d’Assemblée qui traitent de sujets aussi variés que la préparation d’adresses en réponse aux discours d’ouverture de session, les règlements en vue de réprimer la désertion chez les apprentis (1807 et 1809), les règlements portuaires (1807), la sécurité de l’État (1807, 1808, 1809 et 1810), les statuts de la Société bienveillante de Québec (1807), l’érection d’une prison à Québec (1807 et 1809), les précédents parlementaires (1807), la justice (1807), les comptes publics (1807 et 1808), la tenue d’un recensement et la construction de routes dans les Cantons de l’Est (1807, 1808, 1809 et 1810), le commerce avec les Antilles (1808), la création d’une banque (1808), les échanges entre les États-Unis et le Canada (1809), les poids et les mesures (1809 et 1810), la spéculation sur les marchés de Québec (1810).

Sur les questions controversées, comme le salaire des députés, en 1807, les Cantons de l’Est, la même année, le droit des membres de religion judaïque à siéger à la chambre d’Assemblée, en 1808 et 1809, et l’expulsion du juge Pierre-Amable De Bonne, en 1809 et 1810, Blackwood se range du côté du parti des bureaucrates constitué par le bloc des députés britanniques et quelques alliés canadiens. Toutefois, il lui arrive de déroger à cette ligne sur certains points, par exemple le principe de l’inéligibilité des juges à siéger à la chambre d’Assemblée, en 1808, l’élection comme président de l’Assemblée, en 1809, de Jean-Antoine Panet, avec lequel il a des relations d’affaires, et la contestation de l’élection de Jean-Thomas Taschereau* et de Pierre Langlois en 1810. Mais le gouverneur Craig le considère comme un homme « respectable » et approuve publiquement sa conduite à la session de 1809. Le parti canadien, quant à lui, le classe parmi les « Anti-Canadiens » et les adversaires du paiement de la liste civile par la chambre d’Assemblée. En 1810, Blackwood (ou son fils John) trempe dans un complot, avec des juges de paix de Montréal, en vue de faire accuser publiquement les chefs du parti canadien à Montréal de déloyauté, et de procéder ensuite à leur arrestation [ V. sir James Henry Craig] ; mais James Brown*, propriétaire de la Gazette de Montréal, se refuse à jouer le jeu, et l’affaire tombe à l’eau.

De Londres, sir William Grant* (1752–1832), ex-procureur général de la province de Québec, recommande en 1812 la nomination de Blackwood au Conseil législatif ; le gouvernement britannique, sur l’avis favorable du gouverneur Prevost, le fait accéder à ce poste le 9 avril 1813. Cette nomination ne manque pas d’ironie compte tenu du fait que Blackwood n’approuve pas « l’expérience singulière » que poursuit le gouverneur en nommant à des postes importants les personnes limogées par Craig, son prédécesseur.

En 1815, John Blackwood décide de liquider ses affaires et de retourner en Angleterre. Il cède donc aux quatre enfants nés du premier mariage de sa femme une partie de leur héritage, sur lequel il avait encore des droits en usufruit, et il nomme un fondé de pouvoir. Par la suite, ses meubles, sa bibliothèque et sa maison sont vendus à l’encan. Il ne reviendra dans le Bas-Canada qu’en 1816, trois ans avant sa mort, pour y effectuer un voyage. Blackwood finira ses jours dans la métropole avec une fortune et un prestige acquis au fil de décennies de labeur intelligent et d’alliances choisies dans la colonie.

Jean-Pierre Wallot

John Blackwood est l’auteur de Election circular paru à Québec en 1792. Malheureusement, cette brochure demeure introuvable.

ANQ-Q, CN1-16, 7 avril, 12 mai, 14 nov. 1809 ; CN1-26, 26 janv. 1806, 26 mars 1808 ; CN1-83, 22 avril 1793 ; CN1-92, 22 mars 1793 ; CN1-197, 15 nov. 1819 ; CN1-205, 20 nov. 1782, 17 sept. 1783, 7 mai 1784 ; CN1-230, 21 oct., 29 nov. 1806, 8 avril 1807, 14 juill. 1810, 29 janv. 1813, 8 mars 1814, 12, 17 avril 1815, 24 mars, 15 avril 1817 ; CN1-262, 13 août 1805 ; CN1-285, 14 nov. 1800, 16 févr., 26 juin. 1804, 2 juin 1806 ; P–240, 3 : ff.5–7 ; P1000–18–334.— APC, MG 11, [CO 42] Q, 79–1 : 228 ; 84 : 158s. ; 97 : 101–103 ; 112 : 51–55 ; 117–1 : 147 ; 118 : 87 ; 119 : 151 ; 120 : 182s. ; MG 23, GII, 6 ; MG 24, B1, 81 ; MG 30, Dl, 4 : 745–747 ; RG 1, L3L : 58–64, 344, 420, 649–651, 1265, 1495, 1988, 2069, 2645, 4108, 4477–4480, 4701–4706, 4923–4926, 21791–21833, 25830–25846, 26590, 26629–26631, 26650s., 26664, 26671s., 26697–26728, 62500s., 88985–89016, 97803–97833 ; RG 4, A1 : 22197, 22737s. ; RG 7, G14, 33 ; G15C, 15 : 251 ; RG 8, I (C sér.). 111 : 321–325 ; 372 : 176A ; RG 68, General index, 1651–1841 ff.59, 271, 278, 280, 329, 335. 338, 343, 345.— B.-C., chambre d’Assemblée, Journaux, 1803–1810.— Doc. relatifs à l’hist. constitutionnelle, 1791–1818 (Doughty et McArthur ; 1915), 375.— Le Canadien, 1806–1810.— Le Courrier de Québec, 1806–1808.— La Gazette de Montréal, 1805–1810.— La Gazette de Québec, 1782–1819.— Quebec Mercury, 1805–1810.— Turcotte, Le Conseil législatif, 76.— Paquet et Wallot, Patronage et pouvoir dans le B.-C., 129.— J.-P. Wallot, « Le Bas-Canada sous l’administration de sir James Craig (1807–1811) » (thèse de ph.d., univ. de Montréal, 1965) ; Un Québec qui bougeait, 55, 58, 154.

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Jean-Pierre Wallot, « BLACKWOOD, JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 8 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/blackwood_john_5F.html.

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Auteur de l'article:    Jean-Pierre Wallot
Titre de l'article:    BLACKWOOD, JOHN
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1983
Année de la révision:    1983
Date de consultation:    8 oct. 2024