COAKER, sir WILLIAM FORD, commis, homme d’affaires, fermier, fonctionnaire, rédacteur en chef, dirigeant syndical et homme politique, né le 19 octobre 1871 à St John’s, cinquième des sept enfants survivants (trois fils et quatre filles) de William Coaker et d’Elizabeth E. Ford ; le 17 décembre 1901, il épousa à Fogo, Terre-Neuve, Leah Jessie Crosbie Cook (1871–1947), et ils eurent une fille ; décédé le 26 octobre 1938 à Boston.

Les origines de William Ford Coaker étaient profondément enracinées dans la culture maritime de Terre-Neuve. Sa mère venait de la collectivité de pêcheurs et de débardeurs établie au sud du port de St John’s. Né à Twillingate, son père était un marin et chef d’équipe sur les phoquiers bien connu le long de la côte nord-est. Entre l’âge de 9 et 14 ans, Coaker fut choriste à l’église anglicane St Mary, où il devint un « homme des plus religieux », selon son expression, et développa un amour pour la musique. Enfant, il vendait des journaux et, en septembre 1883, afin d’aider sa famille, il quitta l’école pour travailler comme manutentionnaire de poissons ; il avait 11 ans. Il afficha rapidement des qualités naissantes de meneur quand il dirigea d’autres garçons sur les quais au cours d’une grève fructueuse de deux jours pour obtenir une hausse de salaire. Il hantait aussi la galerie de la Chambre d’assemblée où, comme un commentateur le ferait observer, « son père dut aller le chercher de nombreuses fois [alors qu’il] écoutait, fasciné, [le premier ministre sir William Vallance Whiteway*], le maître orateur ».

Coaker possédait une personnalité pragmatique. Il était enclin à faire confiance, mais si on l’offensait, il lançait une mise en garde (en employant souvent la première personne du pluriel, dans un style qui lui était propre) : « [N]ous sommes composé d’un matériau qui doit en offusquer certains […] Traitez-nous correctement et correctement nous vous traiterons, mais traitez-nous incorrectement et acceptez-en les conséquences. » En 1920, un journaliste canadien le décrivit ainsi : un « homme trapu, aux épaules et au torse exceptionnellement larges, aux bras longs et aux poings énormes […] Ses yeux révèlent l’homme […] Impossible d’intimider Coaker. Il n’a ni passé ni secrets à dissimuler à un regard scrutateur. » À l’âge adulte, Coaker mesurait 5 pieds 10 pouces, avait les yeux et les cheveux bruns, le teint foncé et le visage large.

En 1885, Coaker reçut une formation de commis à St John’s, puis occupa un poste d’aide-magasinier chez McDougall and Templeton, maison d’import-export. Trois ans plus tard, l’entreprise l’envoya à Herring Neck, petit village de pêcheurs sur la côte nord-est de la baie Notre Dame, pour gérer sa conserverie de homard dans la région. En 1893, il était propriétaire de la firme. Il la dirigea jusqu’en 1895, année où il y renonça, en raison de pertes personnelles à la suite de la faillite des deux banques commerciales de l’île en décembre 1894 [V. James Goodfellow*].

À compter de 1895, Coaker vécut dans une ferme qu’il commença à développer sur une île isolée et inhabitée de 25 acres près de Herring Neck. Dans une lettre à ses parents datée du 20 janvier 1894, il avait écrit : « J’aime les bois, je crois qu’ils sont faits pour moi et moi pour eux. » Selon lui, la ferme pourrait nourrir un troupeau de 500 moutons et serait exploitable dans trois ans. La mort de sa mère ce mois-là refroidit son optimisme. Il « sentit sa présence », dit-il, le soir de son décès, expérience qui peut aider à expliquer son profond intérêt ultérieur pour le spiritisme. Il était proche de sa mère, mais réservé à l’égard de son père qui, apparemment, ne comprenait pas son ambition et sa quête du savoir.

Coaker était activement engagé dans la politique locale et la vie religieuse, éducative et sociale de la région. Au moment des élections générales de 1889, à la suite desquelles sir Robert Thorburn* fut défait et Whiteway retourna au pouvoir comme premier ministre, il s’était exprimé avec véhémence pour le candidat libéral de la circonscription voisine de Twillingate. En 1895, il fit circuler une pétition dans la région de Herring Neck pour appuyer la candidature de Robert Bond*, secrétaire de la colonie, lors d’une élection partielle dans la même circonscription, puis exerça des pressions auprès de ce dernier pour obtenir un emploi rémunéré au gouvernement, car ses finances n’étaient pas très solides, comme il le fit remarquer. Coaker avait investi environ 2 000 $ dans sa ferme. Selon ses dires, sa loyauté envers Bond lui avait valu des ennemis dans la région, qui avaient « manœuvré dans le but de [lui] faire tout le tort possible », ce qui expliquait pourquoi il « avait dû se retirer des affaires », avait-il lancé avec fourberie. En février 1897, il obtint un poste de télégraphiste et de maître de poste à Herring Neck.

Coaker avait également été fait président du Herring Neck Road Board, conseil nommé par le gouvernement, et sa détermination à fournir des emplois tant nécessaires lui attira bientôt des ennuis. En avril 1897, des opposants alléguèrent qu’il avait utilisé des fonds destinés aux routes pour payer des personnes qui avaient travaillé uniquement pour son propre bénéfice. Le gouvernement institua une enquête dirigée par Daniel Woodley Prowse*, magistrat de St John’s, qui acquitta Coaker et ses collègues membres du conseil, incriminés eux aussi de fraude et malversations. Prowse confia à Bond avoir découvert que la plainte contre Coaker découlait « de sentiments personnels et politiques hostiles envers lui et n’avait aucun rapport avec le service public ». À la suite de l’élection d’un gouvernement conservateur sous la direction de sir James Spearman Winter* plus tard cette année-là, Coaker et d’autres libéraux perdirent leurs postes dans la fonction publique au profit de partisans du gouvernement.

Pendant l’hiver de 1899–1900, Coaker travailla dans une ferme appartenant à James Naismith Greenshields, à Danville, au Québec, où il se familiarisa avec des techniques d’élevage ovin. En 1900, de retour sur son île isolée, qu’il appelait Coakerville, il vivait avec le futur mari de l’une de ses sœurs (le couple se maria l’année suivante). Sous prétexte de fournir une compagne à sa sœur, dit-on, il se maria lui aussi le 17 décembre 1901, échangeant des vœux avec Leah Jessie Crosbie Cook, qu’il connaissait depuis son enfance. « Nous n’avions jamais été faits l’un pour l’autre », écrirait-il plus tard en citant leur « incompatibilité d’humeur ». Sa sœur mourut en couches le 2 septembre 1902, laissant la femme de Coaker mécontente de sa vie de solitude à Coakerville.

En 1900, après l’accession de Bond aux fonctions de premier ministre, des partisans de Coaker avaient commencé à exercer des pressions pour que ce dernier obtienne un poste public dans une plus grande collectivité. Coaker reçut plutôt une affectation mineure de gardien de pêche de la région de Herring Neck. Le 13 février 1902, en réponse à une rumeur selon laquelle Bond n’avait pas de travail pour lui, Coaker, exaspéré, déclara qu’il avait attendu assez longtemps : « Je ne plaisante pas sur l’avenir […] Je m’en voudrais de prendre parti contre vous, mais mes actions futures doivent dépendre du traitement que je reçois de vous. »

Des fonctions plus importantes se présentèrent cette année-là sous la forme d’un poste de télégraphiste à Lewisporte, où Coaker et sa famille s’installèrent dans un hôtel. Coaker souleva la colère de Bond en remettant en question la décision du gouvernement de construire un nouvel édifice pour le bureau de télégraphe ; il pensait qu’il devait plutôt occuper une partie de l’hôtel, propriété d’un de ses amis et partisan de Bond. Le 5 novembre 1902, le premier ministre nota qu’il était « tout à fait inhabituel et tout à fait inapproprié » pour un fonctionnaire d’agir comme Coaker l’avait fait et conseilla sérieusement à celui-ci de concentrer son attention sur ses responsabilités officielles, ce que Coaker ne fit pas. À la fin de 1902, il se plaignit du télégraphiste de la localité voisine de Beaverton, Ewen Stanley Hennebury (qui l’avait formé à la télégraphie en 1897), l’accusant de détourner de l’argent public. Bond commanda une enquête et nomma comme commissaire Charles Henry Emerson, député libéral et avocat. Le rapport d’Emerson disculpa Hennebury ; quant aux accusations de Coaker, « si virulentes et absurdes », Emerson ne put « découvrir rien au delà du fait que M. Coaker sembl[ait] insatisfait de son environnement actuel et [que,] sans aucun doute oublieux du fait qu’il [était] simplement un commis télégraphiste, il s’[était] arrogé la responsabilité d’exprimer ce qu’il consid[érait] comme l’opinion du public en relation avec la construction du nouveau poste de télégraphe ».

En avril 1903, Coaker fut muté non loin de Lewisporte, à Port Blandford, dans la baie de Bonavista, pour y gérer les bureaux de poste et de télégraphe, et assumer les fonctions de sous-receveur des douanes. Insatisfait des conditions de travail et de vie des télégraphistes, il commença secrètement à sonder tant les employés du chemin de fer transinsulaire de la Reid Newfoundland Company [V. sir Robert Gillespie Reid* ; sir William Duff Reid*] que les opérateurs postaux dans la fonction publique. En juillet, il envoya une circulaire signée Promoter de sa main pour leur demander de se joindre à un syndicat projeté. Sous ce pseudonyme, en août, il informa la presse que l’organisation avait été fondée, mais que les noms de ses administrateurs ne seraient pas dévoilés, de crainte que la Reid Newfoundland Company ne congédie les télégraphistes du chemin de fer signataires.

Le 19 décembre 1903, l’éphémère Telegraphers’ Association of Newfoundland, dont Coaker était secrétaire, approuva la publication d’un journal mensuel. Ce dernier en serait le rédacteur en chef. L’orientation des activités futures de Coaker devint bientôt évidente. Dans le numéro du 2 avril 1904 du Telegrapher, il défendit les pêcheurs de l’île, en demandant quels « salaires durement gagnés ont bâti ce pays, assuré ses travaux publics, construit ses chemins de fer, ses villes, ses villages et ses hameaux, avec leurs grandes salles, leurs églises, leurs bureaux d’affaires, leurs magasins et leur flotte de bateaux ? Quels salaires durement gagnés ont maintenu le luxe et l’aisance, d’année en année, de génération en génération, et de mandat en mandat, de l’armée de sangsues peuplant cette île, personnifiées par des ministres de la Couronne, des fonctionnaires, des affidés du gouvernement, des avocats de troisième ordre et une presse corrompue qui, jour après jour, chante haut et fort les louanges de parasites ? »

Dans l’édition du journal du 1er octobre 1904, on condamna vivement le gouvernement de Bond et on accueillit avec bienveillance le récent retour en politique de Whiteway, l’un des cinq chefs du United Opposition Party, formé pour affronter le gouvernement aux élections générales à la fin du mois. Cette formation avait également à sa tête Donald Morison, juge à la Cour suprême de Terre-Neuve, qui avait quitté la magistrature en 1902 pour réintégrer son cabinet d’avocat. En 1903, il avait secrètement aidé Coaker à organiser le syndicat des télégraphistes. Coaker fit campagne pour Morison, qui se présentait contre le premier ministre dans Twillingate, et démissionna de ses postes à Port Blandford le 20 octobre, au lieu d’attendre que Bond, dont le gouvernement fut aisément réélu le 31, le destitue lui-même. Le mois suivant, il écrivit à son frère John Jonas que le premier ministre était en « grand froid » avec lui et qu’il espérait « avoir la chance de le démasquer au cours [des] prochaines années, et de le faire de façon à lui apporter la défaite ».

Coaker travailla à la ferme, aida à mettre sur pied des sections locales de l’ordre d’Orange dans toute la baie Notre Dame, conspira avec Morison pour déstabiliser Bond aux prochaines élections générales et ressassa le sort des pêcheurs, les « travailleurs de la mer » comme il les appelait, tout en planifiant la création d’un syndicat en leur nom. Il chercha également un autre journal à diriger. Comme Morison le reconnut en 1906, son tempérament était tel qu’il croyait que rien ne s’accomplissait en politique « à moins de se battre contre quelqu’un ou de se démener dans une certaine direction à la pleine mesure de ses forces ». Cette année-là, Morison se joignit aux Reid pour évincer Alfred Bishop Morine*, le seul parmi les meneurs du United Opposition Party à avoir été élu en 1904, mais, selon lui, le « plus grand obstacle à l’unité du parti ». Les rangs de l’opposition reçurent un nouvel élan en juillet 1907, quand sir Edward Patrick Morris, homme politique populiste de St John’s et adversaire du premier ministre, démissionna du cabinet de Bond. En mars 1908, Morris forma le People’s Party, auquel Morison adhéra et que Coaker soutint aux élections générales peu concluantes qui suivirent plus tard dans l’année.

Coaker en viendrait à considérer le début des années 1900 à Coakerville comme l’une des périodes les plus heureuses qu’il ait jamais connues. Les soirées d’hiver et les « dimanches orageux » lui procuraient « du temps libre pour lire et étudier et, quel que soit le travail auquel [il s’adonnait], [il] se retrouvai[t] toujours à penser à la vie des travailleurs et à leurs difficultés ». Pendant l’hiver de 1906–1907, il avait mis la touche finale à la constitution d’une organisation possible pour les pêcheurs. Plus tard, il écrivit : « Ce que la constitution du syndicat renfermait en 1908 était une pensée originale basée sur une expérience de la vie et une observation attentive. » Il en discuta avec plusieurs amis de la région. Même s’il était un orangiste actif, Coaker comptait parmi ses proches un certain nombre de catholiques, notamment William Patrick Finn, curé de la paroisse de Tilting, dans l’île voisine de Fogo, qui approuva son projet de constitution. En général, toutefois, l’Église catholique désapprouvait les syndicats, qu’elle considérait comme des sociétés secrètes hostiles à son autorité. Coaker se heurterait immédiatement à l’opposition vigoureuse à ses ambitions de l’archevêque Michael Francis Howley* de St John’s.

Coaker maintint la neutralité politique du mouvement naissant en attendant jusqu’au soir des élections générales du 2 novembre 1908 pour convoquer une assemblée publique à Herring Neck. Une deuxième réunion eut lieu le soir suivant et 19 pêcheurs adhérèrent au Fishermen’s Protective Union of Newfoundland (FPU), dont quelques-uns des plus loyaux amis de Coaker dans la région. Le FPU continuerait de prendre assise sur les contacts sociaux et politiques qu’il avait déjà noués sur la côte nord-est. La saison de pêche de 1908 fut particulièrement propice à l’action, car, même si elle s’était soldée par de bonnes prises, les prix avaient baissé de moitié par rapport à ceux de l’année précédente.

Pendant que Coaker commençait à constituer un syndicat de pêcheurs, son propre mariage s’effondrait. Sa belle-sœur Eliza Ann Strong porta plainte contre lui et, le 29 octobre 1908, on l’accusa devant un tribunal de St John’s « d’avoir, à plusieurs occasions au cours des six derniers mois, illégalement attaqué, battu et maltraité la sœur de la plaignante ». Avant l’ouverture du procès, Coaker et sa femme conclurent un accord de séparation ; Leah Jessie Crosbie ne demanda un soutien que pour leur fille, Camilla Gertrude. Coaker déclarerait que, même si son mariage avait été « un véritable enfer » – « très peu d’hommes en avaient enduré autant de la part d’une épouse » –, les six mois précédant l’accusation avaient été paisibles. « Si la cause était parvenue devant la Cour et si on nous avait rendu justice, poursuivit-il, nous aurions pu montrer que nous n’étions pas à blâmer dans l’affaire. » Sa fille lui avouerait qu’elle ne le considérait pas comme complètement responsable de la rupture conjugale.

Coaker passa l’hiver de 1908–1909 à créer des sections du FPU dans les collectivités avoisinant Herring Neck. En petit bateau, en boghei et à pied, il allait de village en village, souvent dans des conditions météorologiques difficiles ; il trouvait des auditoires réceptifs et, après chaque assemblée publique, une autre réunion était tenue pour constituer un conseil syndical local. Au premier congrès annuel du FPU, que présida Coaker en octobre-novembre 1909 à Change Islands, les huit autres délégués qui y assistaient le choisirent comme président (il garderait ce poste jusqu’en 1926). Cette année-là, les principaux commerçants de St John’s avaient formé le Bureau de commerce de Terre-Neuve pour défendre leurs propres intérêts. (Coaker déclara : « Nous devons […] le surveiller étroitement. Nous devons nous assurer qu’il n’utilise pas ses pouvoirs pour s’approprier l’argent des pêcheurs. »)

Par la suite, le FPU afficha une croissance phénoménale : au début de 1916, le syndicat comptait déjà 250 conseils locaux et 22 000 membres dans un mouvement non confessionnel à prédominance protestante, basé principalement sur la côte nord-est et à la baie Conception. Les hommes de ces régions avaient l’habitude de se regrouper ; la plupart participaient à la chasse au phoque du printemps, pêchaient sur la côte du Labrador en été et coupaient du bois en hiver. Avant 1914, le FPU avait connu un succès limité dans l’agglomération de St John’s et dans les régions du sud de Terre-Neuve ; l’expérience de travail différait cependant dans ces endroits, et la hiérarchie catholique, toujours hostile au syndicat malgré les tentatives de Coaker d’apaiser les esprits, exerçait une forte influence.

En février 1910, Coaker avait lancé le Fishermen’s Advocate, hebdomadaire destiné à diffuser le message du FPU aux membres. Il en devint le rédacteur en chef. Cette année-là, il transféra le journal et le siège social du syndicat de Coakerville à St John’s. Au départ, le FPU faisait simplement des représentations auprès du gouvernement pour obtenir des changements législatifs favorables aux pêcheurs, mais, rapidement, il s’engagea plus activement en politique. Au congrès de fondation, Coaker avait envisagé la possibilité de créer un parti pour promouvoir le programme du FPU à la Chambre d’assemblée et, en 1910, le syndicat l’autorisa à aller de l’avant. L’année suivante, l’organisation accepta de rédiger un manifeste et, en 1912, elle présenta le programme de Bonavista. La réglementation gouvernementale de la pêche par l’établissement d’une commission publique, pour superviser l’inspection et le classement de la morue et pour fixer le prix du poisson dans certaines circonstances, constituait son point principal. Le programme prévoyait aussi la réforme des structures et de la gouvernance politiques, ainsi qu’une amélioration du système d’éducation et d’assistance sociale. C’était, au dire du politologue Sidney John Roderick Noel, « sans nul doute le programme politique le plus radical jamais offert à un électorat terre-neuvien ».

Pour les pêcheurs, Coaker visait principalement à obtenir de meilleurs prix pour les prises et une plus grande indépendance. À chacun son dû, telle était la devise du FPU. Coaker souhaitait par-dessus tout éliminer le système abusif du troc, par lequel les pêcheurs se procuraient, à crédit sur leurs ventes futures, leurs fournitures auprès des commerçants. Le syndicat commença alors à ouvrir des magasins au comptant dans les petits ports isolés. En 1911, pour satisfaire aux besoins de ces magasins en marchandises et en équipement de pêche moins chers, le FPU constitua juridiquement la Fishermen’s Union Trading Company, communément appelée la Union Trading Company (UTC) pour acheter en gros ; Coaker en était le président et directeur général. La société amorça ses activités en mai 1912, dans des locaux loués à St John’s. Des fonds furent recueillis en vendant des actions aux membres du syndicat à 10 $ l’unité, en mettant sur le marché des obligations et en encourageant les membres du syndicat à déposer leur argent à la UTC à des fins d’investissement. L’opération enregistrerait un succès éclatant : en novembre 1923, la UTC possédait 48 magasins et un roulement de quelque 5 millions de dollars.

Morris n’ayant pas répondu à nombre des exigences du FPU, Coaker avait cherché, à la fin de 1911, à former une alliance avec Bond en prévision des élections générales de 1913. Bond manifesta peu d’enthousiasme, car il rejetait l’idée que le FPU ait son propre parti, même s’il déclarait croire au « principe du syndicat ». Quand la détermination du syndicat à entrer sur la scène politique devint claire, Bond se laissa fléchir et proposa à contrecœur les modalités d’un pacte entre le Parti libéral et le Union Party, offre que Coaker accepta le 28 août 1913. Au scrutin du 30 octobre, 21 membres gagnèrent un siège et Morris fut réélu. Les libéraux ne remportèrent que sept sièges, et le syndicat, huit ; en outre, de nombreux libéraux, tel Albert Edgar Hickman*, devaient leur victoire au soutien du syndicat. Sentant sa position intolérable, Bond démissionna le 2 janvier 1914 dans une manifestation publique d’animosité envers Coaker ; l’avocat James Mary Kent le remplaça comme chef libéral. Élu dans Bonavista, Coaker démissionna plus tard cette année-là en faveur d’Alfred Bishop Morine, puis fut élu sans opposition dans Twillingate, ancienne circonscription de Bond. Le 19 janvier, il annonça la présence du FPU à la Chambre en déclarant : « Ce n’est pas par accident que nous sommes venus ici. Une révolution, bien que pacifique, a été accomplie à Terre-Neuve. Le pêcheur, l’homme ordinaire, le travailleur de Terre-Neuve a décidé qu’il se ferait représenter sur le parquet de cette Chambre de façon plus importante que jamais auparavant ; et le jour viendra, monsieur le président, où les pêcheurs de Terre-Neuve détiendront le pouvoir dans cette Chambre. »

En mars 1914, Coaker visita les lieux de la chasse au phoque pour examiner les conditions de travail des hommes. Il se trouvait en bateau au bord des glaces quand, dans une tempête de neige, au moins 77 membres d’équipage du Newfoundland périrent et une autre personne mourut après son sauvetage [V. George Tuff]. Westbury Bethel Bullen Kean était le capitaine du navire ; le père de Kean, Abram*, maître phoquier bien connu, hostile à Coaker depuis la formation du FPU, fut aussi impliqué dans la catastrophe. De retour à St John’s, Coaker condamna immédiatement les Kean dans le Fishermen’s Advocate et demanda que des accusations criminelles soient portées contre eux. Abram Kean intenta alors une poursuite en diffamation contre Coaker. Au début de 1915, une commission dirigée par sir William Henry Horwood* enquêta sur cette catastrophe de la chasse au phoque et une autre ; deux des trois juges de la Cour suprême attribuèrent la responsabilité de l’accident à Kean père. Cependant, ce dernier ne subit aucune poursuite, à l’indignation de Coaker.

Après que la Grande-Bretagne eut déclaré la guerre à l’Allemagne le 4 août 1914, le gouvernement Morris avait entrepris de constituer un régiment d’infanterie de 500 hommes et de faire passer les effectifs de la Royal Naval Reserve de 500 à 1 000 hommes. Ardent partisan de la participation de Terre-Neuve au conflit, Coaker était néanmoins réticent à approuver la mobilisation d’une force terrestre. Son opposition découlait en partie de sa crainte que, si un désastre venait s’abattre sur une unité nationale (comme il arriverait), les pertes dans un si petit pays entraîneraient des conséquences pendant de nombreuses années ; il préférait que les recrues locales soient disséminées parmi les régiments de l’armée britannique. Il pensait en outre qu’une force terrestre coûtait trop cher et que Terre-Neuve devait plutôt encourager ses hommes à s’enrôler dans la marine (service dont la Grande-Bretagne paierait une grande partie), proposant de s’engager lui-même s’il n’y avait pas suffisamment de volontaires au sein des membres du syndicat. Il désapprouvait également la décision de Morris de confier l’effort de guerre à la Patriotic Association of Newfoundland, comité non partisan de civils bien en vue, présidé par le gouverneur, homme en qui il n’avait pas confiance.

Au cours des deux premières années de la guerre, Coaker concentra toutefois son attention non pas sur les hostilités, mais sur la recherche de meilleures conditions de travail pour les chasseurs de phoques et les bûcherons, l’organisation de sections du syndicat, les poursuites entre Abram Kean et lui, et la campagne pour la prohibition – il prétendait n’avoir jamais pris d’alcool de toute sa vie –, mesure qui serait approuvée à la suite d’un référendum, en 1915. Coaker dirigeait également les intérêts commerciaux du FPU. La Union Export Company Limited (UEC), fondée en avril 1915, en faisait désormais partie ; par le truchement de cette société, il espérait changer la façon dont le poisson serait mis en marché à partir de Terre-Neuve. Soutenue par un investissement financier à la fois du secteur privé et des membres du syndicat, elle recueillerait et exporterait le poisson acheté par la UTC. En 1914, Coaker avait déclaré : « Quand une telle entreprise sera en exploitation, mon travail en faveur des pêcheurs sera complet, et chaque pêcheur sera son propre importateur, détaillant, acheteur et exportateur de poisson. »

En 1916, Coaker se montrait déjà plus intéressé par l’effort de guerre ; son soutien actif faisait de lui l’un des hommes politiques les plus populaires de Terre-Neuve, si bien que le FPU pouvait s’attendre à gagner du terrain aux élections générales suivantes, prévues par la loi en 1917, et à exercer un pouvoir politique accru. Après que Kent eut accepté un poste à la Cour suprême au début de 1916, William Frederick Lloyd prit la tête du Parti libéral. Le 24 mars 1916, Coaker fusionna son Union Party avec les libéraux pour former le Liberal-Union Party, avec Lloyd à la direction, même si le FPU y exerçait l’influence dominante. Vers la fin de cette année-là, Coaker croyait que le nouveau parti avait de bonnes chances de remporter les prochaines élections générales. Morris, cependant, obtint la permission des autorités impériales de reporter le scrutin à 1918 et, en juillet 1917, devant l’aggravation des problèmes économiques, créa le gouvernement de coalition national. Nommé ministre sans portefeuille, Coaker devint l’un des membres les plus importants du cabinet ; les syndicalistes John Glover Stone et William Wesley Halfyard* acceptèrent respectivement le département de la Marine et des Pêcheries et celui de l’Agriculture et des Mines. La mer était la voie vitale de Terre-Neuve et la guerre menaçait dangereusement les échanges commerciaux. Le trop faible tonnage représentait une difficulté particulière. La coalition s’attaqua avec succès à ce problème [V. sir John Chalker Crosbie], ainsi qu’aux besoins pressants d’effectifs du Royal Newfoundland Regiment, dont les rangs avaient été décimés au combat, surtout à Beaumont-Hamel (Beaumont), en France, le 1er juillet 1916 [V. Owen William Steele*]. En 1918, comme les petits ports isolés avaient répondu au recrutement avec indifférence, le gouvernement, dirigé par Lloyd après la démission de Morris à la fin de 1917, résolut d’imposer la conscription, décision que Coaker appuya, mais qui fut hautement, bien que momentanément, impopulaire parmi les membres ordinaires du FPU. Coaker aurait pu devenir premier ministre au lieu de Lloyd ; il choisit plutôt de ne pas ajouter aux tâches qu’il assumait déjà comme ministre, président du FPU et directeur général de la société commerciale du syndicat.

En 1914 et 1915, Coaker s’était enquis de la possibilité d’acheter une propriété à St John’s pour loger à la fois les bureaux centraux du FPU et ceux de la UTC, mais il ne trouva personne pour l’accommoder. Le besoin d’espace, le désir de réduire les frais généraux et son opinion selon laquelle les affaires du syndicat étaient menées plus adéquatement loin de la capitale (où, selon lui, les tribunaux entretenaient des préjugés à son endroit) l’amenèrent à chercher un autre lieu. En 1916, la UTC amorça la construction d’un nouveau siège social et d’immeubles commerciaux connexes au port bien protégé de Catalina, situé au nord-est, au sein du bastion du FPU. Le site se nommerait Port Union. Les activités du syndicat comprenaient désormais, outre la UTC et la UEC, la Union Publishing Company Limited, la Union Shipbuilding Company et la Union Electric Light and Power Company Limited.

Les marchands avaient manifesté peu d’intérêt pour acheter des actions de la UEC. Coaker avait espéré que Hickman, ami personnel qui avait brassé des affaires considérables avec le FPU, investirait dans l’entreprise et la dirigerait ; il fonda plutôt sa propre société d’exportation en 1917. L’année suivante, Coaker se tourna vers son collègue de cabinet, Crosbie, et le courtier anglais de ce dernier pour vendre du poisson directement à l’étranger au lieu de négocier exclusivement avec les exportateurs de la ville. La valeur marchande de la morue avait presque triplé comparativement à 1914, car la guerre avait interrompu la concurrence venant d’Islande et de Norvège. La conjoncture était donc propice aux exportateurs. Au mois d’août, craignant que cette situation ne change sous peu, Coaker tenta en vain d’obtenir du gouvernement qu’il garantisse le prix payé aux pêcheurs, mais tant Crosbie que le ministre des Finances et des Douanes, sir Michael Patrick Cashin*, s’y opposèrent vivement, alléguant – avec raison, finalement – qu’on pouvait obtenir des tarifs plus élevés que le plafond proposé par Coaker.

Les coûts de construction de Port Union, conjugués à l’achat par la UTC de 150 000 $ de farine (dont le prix était également élevé), entraînèrent des difficultés avec la banque de l’entreprise, la Banque de la Nouvelle-Écosse. Au printemps de 1918, certains commerçants de St John’s avaient essayé d’exploiter le problème temporaire de trésorerie de la UTC en exigeant un paiement rapide de leurs créances. Les opposants tentèrent aussi, sans succès, d’encourager les membres du syndicat à retirer de l’entreprise leurs dépôts d’investissements. Coaker nomma comme conseiller financier dans la capitale pour cette année-là Ellison Collishaw, homme d’affaires né en Nouvelle-Écosse, qui resterait longtemps un ami proche et un partisan. Collishaw persuada plusieurs marchands, dont Cashin, d’avaliser un billet temporaire de 80 000 $ pour satisfaire aux exigences immédiates de la banque. Fin 1918, la société commerciale avait remboursé le billet grâce à la vente de navires récemment construits, à l’émission de nouvelles actions aux membres du syndicat (qui retirèrent leurs dividendes sous la forme d’actions plutôt qu’en argent comptant) et à la croissance de ses activités.

Une menace plus grave pour la UTC – et l’industrie de la pêche en général – s’annonça en Italie avec la formation, en septembre 1918, d’un cartel d’importateurs encouragé par le gouvernement, le Consorzio. L’organisme fut mis sur pied pour réglementer l’achat de poisson, car la hausse récente des prix contrariait les Italiens. Ayant dominé à eux seuls les marchés italiens en raison des conditions de la guerre, les exportateurs terre-neuviens avaient réalisé des profits excessifs malgré la qualité souvent médiocre de leur poisson. À la demande et aux frais de la UTC, Coaker entreprit son premier voyage en Europe en janvier 1919. Il revint deux mois plus tard, après s’être rendu compte que le prix du poisson était fixé par les marchés et non par les commerçants de Terre-Neuve (comme il l’avait cru auparavant). La méthode de vente du poisson en consignation, par laquelle les exportateurs plaçaient leur produit invendu auprès d’agents européens pour obtenir une avance sur les ventes, le consterna aussi, car, selon lui, l’arrangement favorisait les acheteurs au détriment des expéditeurs. Il rencontra des autorités du Consorzio à Gênes et négocia un plan pour mettre en place des ventes à forfait ; une firme italienne agirait comme agent importateur pour tout le poisson de Terre-Neuve si le mandat du cartel n’était pas renouvelé en 1919. Cependant, le succès du Consorzio pour faire baisser les prix amena le gouvernement italien à prolonger son existence jusqu’en 1920. Après son retour à Terre-Neuve en mars, Coaker se trouva bientôt exclu du gouvernement : le 20 mai, Cashin prépara une motion de censure envers le gouvernement de Lloyd, qui mena à sa défaite. Cashin forma un nouveau gouvernement deux jours plus tard et relégua les unionistes de Coaker dans l’opposition, à l’exception du « Traître John » Stone.

La relation continue de Coaker avec des courtiers de Londres en 1919 avait donné des résultats variables ; après quelques pertes, il commença à sentir que les affaires de la UTC n’avaient pas été gérées adéquatement. À la mi-septembre, il s’intéressa à un plan conçu par George Hawes, agent anglais basé en Espagne, pour coordonner la mise en marché de toutes les exportations de poisson de Terre-Neuve en Europe. En septembre et octobre, Coaker réussit, par l’entremise de Hawes, à vendre le poisson de la UTC en Espagne et en Italie. Le 2 octobre, Hawes rédigea un contrat à l’intention des exportateurs intéressés, en vertu duquel il fournirait à ses clients de l’information à jour sur les conditions du marché, réglerait tout litige soulevé par les ventes et recevrait une commission de 3 % sur le prix du poisson vendu à forfait ou par consignation. Plus tard ce mois-là, il persuada le Consorzio de renoncer à son exigence de réserver 25 % de la valeur des exportations en guise d’assurance contre les pertes résultant de l’expédition de poisson de mauvaise qualité à un prix d’achat convenu à l’avance ; le Consorzio accepta plutôt de régler comptant le paiement total à Londres sans aucune garantie quant à la qualité, conditions plus acceptables pour l’industrie de Terre-Neuve. Les efforts de Hawes tournèrent court quand l’exportateur William Azariah Munn, aux prises avec une poursuite judiciaire, vendit une cargaison de poisson pour l’Earle Sons and Company de Fogo à un prix moindre, mais aux mêmes conditions que Hawes avait négociées.

Hawes était intrigué par le potentiel des opérations de Port Union et par la façon dont elles pourraient s’insérer dans son plan de mise en marché de tout le poisson de Terre-Neuve en Europe. Avec Robert Brown Job, de la Job Brothers and Company Limited à St John’s, il rendit visite à Coaker à cet endroit le 2 novembre, soit la veille des élections générales qui menèrent Richard Anderson Squires et le Parti libéral réformiste au pouvoir avec l’aide de Coaker. Ce dernier devint ministre de la Marine et des Pêcheries dans le nouveau gouvernement qui entra en fonction le 17 novembre. Trois jours plus tard, Coaker promulgua une série de règlements visant à stabiliser les prix du poisson en Europe, en particulier sur le marché italien. Ces mesures obligeaient tous les exportateurs à détenir un permis et interdisaient la vente de poisson outre-mer, sauf avec l’approbation du ministre et à un prix fixé par celui-ci. Coaker nomma un comité consultatif composé de lui-même, du ministre de la Marine marchande et de deux exportateurs, notamment Job, pour mettre en vigueur les règlements. Dans une circulaire datée du 27 novembre, il désigna Hawes – personne n’était « mieux qualifié pour conseiller quant aux conditions des marchés méditerranéens », déclara-t-il – agent exclusif pour les exportations en Italie, parce qu’il « [était convaincu] que M. Hawes avait la confiance d’au moins la plus grande partie des exportateurs de Terre-Neuve ». À l’avenir, toutes les ventes, à forfait ou par consignation, devraient passer par lui et, en décembre, à titre de président de la UTC, Coaker signerait son propre exemplaire de l’entente du 2 octobre. Le 28 novembre, Job écrit dans son journal intime : « [T]ant Hawes que moi-même avons été très impressionnés par la facilité avec laquelle Coaker a saisi les problèmes à régler et il se montre tout disposé à être conseillé. L’objection naturelle dans l’esprit des exportateurs est de voir un commerçant tel que Coaker être quasiment dictateur de la situation. »

Les règlements de Coaker donnèrent effectivement à Hawes les moyens de réaliser son plan. Le 15 janvier 1920, Hawes conclut un accord pour vendre 150 000 quintaux de poisson au Consorzio. Le prix, moindre que celui que le cartel avait offert l’année précédente, demeurait satisfaisant, et la transaction comportait des conditions de vente améliorées. Entre-temps, six grands exportateurs avaient choisi de faire de Hawes leur unique courtier non seulement pour l’Italie, mais aussi pour la Grèce, l’Espagne et le Portugal, principaux marchés européens de Terre-Neuve. Un certain nombre d’exportateurs importants, dont Crosbie, restèrent hors du groupe de Hawes et employèrent leurs propres courtiers à Londres pour leurs ventes à l’extérieur de l’Italie. D’autres gros commerçants de poisson, tel Hickman, qui dépendaient des banques canadiennes pour financer leurs transactions (comme Coaker), préférèrent établir leurs propres ententes avec le Consorzio plutôt que de consigner leurs marchandises à Hawes et de payer de l’intérêt sur leur crédit bancaire en attendant que ce dernier les rembourse. Les règlements sur le poisson se heurtèrent aussi à une opposition ferme de petits exportateurs qui, refusant de se joindre au groupe de Hawes, expédiaient du poisson en Italie par le truchement de sociétés à New York, où l’on exploitait un service de transport par bateau à vapeur, moins cher. L’un d’eux contesta l’adoption des règlements de Coaker devant la Cour suprême, qui les déclara inconstitutionnels. Le gouvernement les promulgua de nouveau sous le War Measures Act de 1914 jusqu’à l’adoption d’une loi. La résistance aux règlements s’accrut. L’arrangement que Hawes avait négocié avec le Consorzio en janvier fut miné quand l’Earle Sons and Company vendit encore du poisson au cartel à un prix plus bas que le prix fixé, en invoquant que l’entreprise ignorait l’entente.

Au début de février 1920, les règlements de Coaker firent l’objet de longs débats à un congrès organisé par le Bureau de commerce de Terre-Neuve. Certains marchands exprimèrent leur insatisfaction de voir que Hawes avait été désigné comme seul agent pour l’Italie. Dans l’ensemble, le bureau appuyait les actions du ministre, mais il demanda au gouvernement de consulter l’industrie sur tout changement aux règlements. Coaker n’assistait pas au congrès, car il avait quitté Terre-Neuve le 15 janvier pour visiter des marchés en Italie, en Espagne et au Portugal. Pendant ce voyage, dont il revint la dernière semaine de mars, il inspecta les installations frigorifiques de Hawes et repartit fort impressionné par la « magnifique organisation » de l’agent, « sans pareille en Europe ». Hawes eut plusieurs entretiens avec Coaker, et celui-ci commença à l’inquiéter. En Espagne, où Hawes connaissait bien les conditions et où il vendait en grande partie sur consignation, il supplia le ministre de laisser le libre marché déterminer le prix du poisson, car l’offre excédait la demande à l’époque, mais Coaker refusa. Le rival de Hawes dans ce pays vendait à un prix moindre que celui que Terre-Neuve exigeait, de sorte que les exportateurs de l’île, y compris la UTC, essuyaient des pertes considérables sur leurs ventes. Dans une lettre à Job datée du 26 mars 1920, Hawes déclara espérer « éviter une rupture ouverte » et se dit consterné par l’opinion de Job selon laquelle « l’ambition de Coaker de tout régenter » avait « eu raison de son sens commun » ; il déplorait également le fait que Coaker aurait le « pouvoir de se promener dans les marchés européens, adoptant et révoquant des règlements au jour le jour, tous relevant de l’opéra comique ». Au mois d’août, quand Hawes contacta le Consorzio pour vendre du poisson au nom de ses exportateurs de St John’s, il mentionna qu’il préférait « ne pas collaborer avec le gouvernement [de Terre-Neuve] pendant la prochaine saison », car « il [était] impossible de dire ce que M. Coaker fer[ait] d’un moment à l’autre ». Depuis la fin de 1919, Hawes et plusieurs commerçants importants de Terre-Neuve dont il était l’agent, telles les entreprises Job Brothers and Company Limited, Bowring Brothers et Harvey and Company, avaient cherché à manipuler Coaker pour obtenir une réforme globale des pêches sous la gestion de Hawes, mais le ministre s’était avéré trop difficile à diriger.

Une loi adoptée en mai 1920 tint compte des préoccupations exprimées au congrès du bureau de commerce. Le Cod Exportation Act prévoyait la nomination d’un comité consultatif semblable à celui instauré en 1919 pour mettre en œuvre les règlements de Coaker ; cette fois, cependant, le comité demanderait l’approbation du gouvernement sur les conditions d’exportation du poisson qu’il avait établies (y compris les ventes à forfait), l’octroi ou la révocation des permis d’exportation et la quantité de poisson à mettre en marché. La loi stipulait également que le ministre de la Marine et des Pêcheries devait convoquer chaque année, dans la première semaine de septembre, une réunion de tous les exportateurs pour discuter avec le comité consultatif de toutes les questions relatives à l’industrie pour l’année à venir. Le Fish Standardization Act fut aussi adopté pour réglementer les méthodes de préparation et d’expédition du poisson.

Le 13 septembre, Coaker édicta de nouveaux règlements ; désormais, les exportateurs pouvaient utiliser le courtier ou l’agent qu’ils souhaitaient pour vendre leurs produits sur tous les marchés. En Italie, où un délégué commercial fut nommé pour traiter toute revendication qui pouvait survenir à la suite de transactions sur le commerce du poisson, ils pouvaient vendre par l’entremise du département de la Marine et des Pêcheries, la société de Hawes ou un courtier de leur choix. Toutes les ventes devaient se faire à forfait. Le Consorzio resta inébranlable dans sa détermination à n’acheter du poisson qu’à ses propres conditions et, à la fin de septembre, il informa le gouvernement de Terre-Neuve qu’il désirait mettre fin à tout commerce avec l’île. Coaker changea alors d’orientation et demanda à Hawes, qui avait noué des liens amicaux avec le président du Consorzio, d’essayer de reprendre ses fonctions d’agent exclusif en Italie pour le poisson de Terre-Neuve.

Au début de décembre, les efforts de Hawes furent interrompus par la maladie et les exportateurs terre-neuviens déléguèrent en Italie Munn, qui se trouvait déjà en Europe, pour négocier à sa place. Pendant ces pourparlers, Hickman vendit une cargaison de poisson au Consorzio, au mépris des règlements. Le 28 décembre 1920, les exportateurs se réunirent et, à la quasi-unanimité, demandèrent au gouvernement d’abolir les restrictions sur la vente de poisson à l’Italie, mesure que le cabinet approuva le 30 décembre. Coaker n’assista pas à la réunion du cabinet, car, deux jours auparavant, il avait entrepris un voyage qui deviendrait un séjour de trois mois en Angleterre et au Portugal. Il essaya en vain de persuader ses collègues de Terre-Neuve de revenir sur leur décision. Il craignait que les règlements cessent de s’appliquer au Portugal, où il négociait une entente avec des importateurs. Ses efforts échouèrent et, à la fin de mars, le gouvernement annula aussi les règlements touchant ce pays. À la session parlementaire de 1921, le gouvernement révoqua le Cod Exportation Act, et Coaker avoua, pendant le débat du 3 mai, que Crosbie connaissait Hawes « pour ce qu’il était, mais pas [lui] ». À ce moment-là, il avait compris que Hawes collaborait avec les exportateurs locaux pour tenter de dominer complètement l’industrie de la pêche de Terre-Neuve en Europe. Les immenses usines de réfrigération de ce dernier lui permettaient de manipuler les prix à son avantage et ses transactions en consignation avaient eu des répercussions sérieuses sur les ventes à forfait. Les installations de Hawes avaient été discrètement appuyées financièrement par diverses entreprises d’exportation de Terre-Neuve qui privilégiaient son plan.

Les affaires syndicales et gouvernementales avaient miné la santé de Coaker. Il voulut démissionner de son poste de ministre après l’échec de ses règlements et passa une grande partie de la deuxième moitié de 1922 à Port Union pour se rétablir d’un épuisement physique. Il demeura toutefois en fonction pour promouvoir une nouvelle initiative qui avait soulevé son intérêt. Le déclin de l’économie, un exode substantiel et le coût énorme des programmes d’assistance aux personnes sans emploi l’avaient rendu particulièrement réceptif à une proposition mise de l’avant par Henry Duff Reid, de la Reid Newfoundland Company, d’ouvrir une nouvelle usine de pâtes et papiers sur la rivière Humber, qui promettait des emplois pour suppléer à la pêche dont dépendait la région. Pendant toute l’année 1921, Coaker se fit le champion du plan de la Humber au cabinet et, en janvier 1922, passant outre aux objections de Squires, approuva une garantie gouvernementale pour le projet. Le mois suivant, cependant, le cabinet décida de ne pas accorder d’aide financière. Plus tard cette année-là, Reid rendit l’implantation de l’usine conditionnelle à ce que le gouvernement décharge entièrement son entreprise de la propriété du chemin de fer transinsulaire, placé en 1920, à cause de difficultés, sous la tutelle temporaire d’une commission présidée par Coaker et composée de représentants du gouvernement et de la Reid Newfoundland Company. Après que Whitehall eut accepté de soutenir le financement du projet de la Humber, Squires finit par l’approuver. À l’été de 1923, l’Assemblée législative approuverait une entente en vertu de laquelle Terre-Neuve assumerait la propriété du chemin de fer et adopterait une loi d’habilitation pour la réalisation du projet sur la Humber avec l’appui des commanditaires anglais.

Une fois le projet sur la Humber réglé au cabinet, Coaker démissionna de son poste ministériel au début de 1923. Il se présenta néanmoins dans Bonavista aux élections générales de mai, à la suite desquelles lui et ses collègues membres du FPU battirent un groupe d’opposants au gouvernement dirigé par Walter Stanley Monroe*. Pendant la campagne, il prit parti pour la nationalisation des exportations de poisson afin de se débarrasser de la « menace » que représentait Hawes, mais Squires, redevenu premier ministre, n’était guère enthousiaste à la proposition d’une réglementation gouvernementale par la création d’une commission financée par des deniers publics. Après l’élection, Coaker reçut une bonne nouvelle avec l’annonce de l’acceptation de la recommandation de Squires de le faire chevalier. À la réunion du FPU plus tard cette année-là, Coaker appela à la tribune les deux membres les plus anciens et les adouba symboliquement pour reconnaître les contributions de l’ensemble du syndicat à la société.

Moins d’un mois après la réouverture de la Chambre en juin, une révolte de cabinet à la suite de présomptions de corruption de la part du premier ministre força la démission de Squires, qui fut remplacé par William Robertson Warren. On avait offert la plus haute fonction à Coaker, mais il l’avait refusée ; il se joignit toutefois au cabinet en qualité de ministre sans portefeuille. Warren n’eut pas le temps de se pencher sur les réformes de l’industrie de la pêche, car le pays devint rapidement préoccupé par la commission qu’il avait formée pour examiner les chefs d’accusation réunis contre Squires. En février 1924, Coaker se présenta devant la commission pour expliquer son rôle dans les contrats du gouvernement accordés pour réduire le chômage. Le rapport de la commission, publié en mars, le disculpa de toute faute, mais maintint en grande partie les accusations contre Squires. Défait à la suite d’une motion de censure en avril, Warren reçut la permission de dissoudre la Chambre et de tenir des élections en juin. Au début de mai, dans ce qu’un auteur a appelé un « spectacle absurde de jonglerie politique », il constitua un deuxième cabinet, abandonnant ses collègues unionistes, puis démissionna cinq jours plus tard. Le 10 mai, après que Coaker eut refusé de former un gouvernement, Hickman en bricola un, composé principalement de ceux qui soutenaient Squires et Warren. Coaker, qui avait annoncé son intention de se retirer de la vie politique sept jours auparavant, approuva ce gouvernement libéral progressiste. Plus tôt, cette année-là, il avait déclaré qu’au prochain congrès du FPU, prévu à la fin de 1924, il demanderait aux délégués de choisir un nouveau président, une personne en dehors de la politique qui pourrait se concentrer sur les questions syndicales. Le syndicat, suggéra-t-il, ne présenterait plus de candidats aux élections et appuierait simplement ceux qui étaient sympathiques à sa cause.

Le 2 juin, le Parti libéral-conservateur, sous la direction de Monroe, triompha avec une majorité de 14 sièges. De nouveau candidat dans la circonscription de Bonavista, Monroe avait écorché les politiques passées de Coaker et l’avait fermement condamné ainsi que le FPU pendant la campagne électorale. Coaker ne brigua pas les suffrages et les trois sièges de la circonscription tombèrent dans l’opposition. Même si les huit autres candidats du Union Party remportèrent la victoire, les élections révélèrent le déclin à la fois du prestige de Coaker et du soutien au parti. Lorsque le premier ministre Monroe dut demander un nouveau mandat pour se charger d’un portefeuille, on persuada Coaker de l’affronter ; les actions de Monroe après seulement quelques mois au pouvoir furent perçues par le FPU comme destinées à détruire la UTC. Coaker essuya sa première défaite électorale personnelle le 27 octobre : Monroe, qui avait généreusement utilisé le favoritisme et l’alcool pour assurer son succès, le battit facilement. « Nous n’avons rien à perdre par une défaite dans ces circonstances », confia Coaker à ses partisans. Il se réjouissait d’être « soulagé des préoccupations constantes, du tumulte et du travail parlementaire ardu qui auraient été [son] lot [s’il] avait été réélu ».

Coaker démissionna de la présidence du FPU le 6 février 1926, séparant ainsi les activités politiques et commerciales du syndicat. Il veilla ensuite à établir une organisation de marketing efficace au sein de la UTC. Pour faire concurrence au groupe de Hawes qui, en 1923, avait expédié en Europe près de 47 % de tout le poisson de Terre-Neuve, Coaker mit en œuvre sa propre méthode de gestion des affaires. Il plaça des agents (notamment un cadre chevronné de Hawes qu’il avait engagé) dans des centres clés en Italie, en Espagne et en Grèce, tout en nouant des relations solides avec des importateurs dans les Antilles et au Brésil. En 1925, pour concurrencer Hawes en Grèce, il y construisit une usine frigorifique pour entreposer le poisson invendu et offrit aussi du poisson sur une base de ventes à forfait. L’industrie de la pêche continua toutefois de souffrir de l’absence d’une méthode uniforme de classement (aucun équipement administratif approprié n’avait été mis en place en vertu du Fish Standardization Act) et d’un système de mise en commun du poisson destiné aux marchés.

En décembre 1920, la UTC avait approuvé la refonte de son capital pour le faire passer de 250 000 $ à 500 000 $. Les pêcheurs n’ayant pu ou voulu investir l’argent nécessaire, l’entreprise avait hypothéqué ses actifs de Port Union en 1921 pour aider à régler tout futur problème de liquidités. Cette année-là, elle émit des obligations non garanties de dix ans assurées par des actes fiduciaires sur ces propriétés et nomma Collishaw comme fiduciaire. En 1922, elle suspendit l’émission de dividendes annuels ; les revenus furent consacrés en premier lieu au paiement des intérêts sur les obligations hypothécaires. En 1926 et 1927, les créanciers exercèrent des pressions pour que l’entreprise règle immédiatement les comptes en raison de la faible demande de poisson. La Banque de la Nouvelle-Écosse accorda à l’entreprise une marge de crédit garantie par ses actifs hypothéqués. Une embellie apparut quand Collishaw utilisa ses propres investissements pour soutenir tout emprunt à court terme de moins de 100 000 $ dont l’entreprise pourrait avoir besoin de souscrire auprès de la banque. En 1931, l’entreprise et Collishaw hypothéquèrent de nouveau les actifs du syndicat et émirent des obligations non garanties de 20 ans à un taux d’intérêt plus faible. La UTC recevrait finalement une quittance hypothécaire en 1951.

L’état de la démocratie parlementaire à Terre-Neuve avait fini par désespérer Coaker. Au congrès annuel du FPU de 1925, il avait demandé de remplacer le gouvernement par une commission gouvernementale composée de neuf représentants élus, libres « des animosités et de l’amertume des luttes partisanes », qui demeureraient en fonction pendant une période de dix ans. Son désenchantement traduisait une opinion générale selon laquelle les hommes politiques du pays étaient corrompus, et reflétait sa nostalgie du pouvoir assumé par le gouvernement de coalition national, au sein duquel beaucoup d’hommes politiques parmi les plus compétents avaient mis de côté leurs différences partisanes. Sa déception à la suite de l’échec de ses réformes de l’industrie de la pêche et son désir de rectifier la situation l’amenèrent à retourner en politique active et à conclure une alliance avec Squires, alors politiquement réhabilité, aux élections générales de 1928. Après avoir remporté la victoire dans Bonavista East, il devint ministre sans portefeuille dans le cabinet de Squires, mais les trois premiers mois de chaque année, il passait une grande partie de son temps soit à Port Union, soit dans la maison qu’il venait d’acheter à Kingston, en Jamaïque, où le climat plus doux convenait au traitement de la bronchite et de l’arthrite qui l’affligeaient depuis des années. En 1930, il présida une commission qui recommanda des réformes de la pêche semblables à celles instaurées en 1920 ; aucune disposition ne portait sur le contrôle des prix, toutefois, et on accorda les pleins pouvoirs aux exportateurs plutôt qu’au gouvernement. Le rapport de la commission ne fut pas unanime, et les deux projets de loi qu’il préconisait firent l’objet d’une vive opposition et n’atteignirent jamais la Chambre d’assemblée. La loi qui suivit en 1932 donna à un conseil des exportateurs l’autorité d’apporter des changements nécessaires sur une base strictement volontaire. Coaker ne se porta pas candidat cette année-là et se retira de la vie politique pour de bon.

Le United Newfoundland Party de Frederick Charles Munro Alderdice remporta les élections générales de 1932 ; parmi les idées qu’il avait soumises à l’électorat figurait une étude sur l’opportunité de créer une commission de gouvernement. Lorsque, en 1933, les autorités britanniques lancèrent une enquête sur les perspectives financières de Terre-Neuve, alors que le pays frôlait la faillite, Coaker prit ses distances du processus et ne témoigna pas aux audiences, mais il appuya fortement la recommandation selon laquelle Terre-Neuve avait besoin de se libérer momentanément du gouvernement démocratique de type partisan. En 1934, Whitehall nomma une commission de six hommes, trois Britanniques et trois Terre-Neuviens, présidée par le gouverneur, pour diriger le pays. Ce n’était cependant pas le corps électif que Coaker avait préconisé et il en critiqua la composition dans le Fishermen’s Advocate. Étant donné que, en 1932, les exportateurs n’avaient pas encore mis en application la loi adoptée sur la réforme de la pêche, on laissa à la commission de gouvernement le soin de le faire après 1934, et Hawes joua un rôle important dans les coulisses pour influencer les politiques.

Le 23 mars 1935, Coaker subit sa première crise d’apoplexie. En 1936, il avait déjà l’épaule droite, le bras droit et la main gauche paralysés. Il vit Terre-Neuve pour la dernière fois en 1937. L’année suivante, il revenait à l’île quand une deuxième attaque le força à rester chez sa sœur en Nouvelle-Écosse ; retournant en Jamaïque vers la fin d’octobre pour y passer l’hiver, il fut victime d’une autre crise à bord du bateau. Son état présenta une « légère amélioration », à la suite de laquelle il confia à un ami : « Il se peut que je ne meure pas tout de suite. » Le rétablissement ne dura pas ; le 26 octobre, il succomba dans un hôpital de Boston.

À la mort de Coaker, les autorités fiscales de Terre-Neuve estimèrent la valeur de ses avoirs à 235 507,41 $, mais son testament, homologué en novembre 1939, indiquait plutôt 178 359,25 $. La première évaluation faisait état d’environ 81 180 $ déposés dans une succursale de Halifax de la Banque royale du Canada et de plus de 121 000 $ en obligations de première hypothèque dans la UTC et la UEC. Un certain nombre de ces obligations lui avaient été léguées par Collishaw, décédé en juin 1931. Une partie des biens de Coaker provenait de deux décisions d’affaires judicieuses prises au milieu des années 1920. En 1925, il avait touché une commission de 50 000 $ pour avoir aidé le gouvernement brésilien à obtenir un prêt de 8 millions de dollars en Angleterre. Il avait également tiré profit de la vente d’actions d’une mine de bauxite en Guyane britannique, réalisant un profit de 37 000 $ sur des actions qu’il avait payées environ 1 500 $ en 1921.

Le gouvernement de Terre-Neuve contesta l’homologation, affirmant que les déclarations de revenus de Coaker pour les années 1929 à 1938 avaient indiqué faussement un revenu annuel d’environ 3 000 $. Pour ces années-là, on alléguait que son revenu brut se chiffrait plutôt à 19 000 $, quand on tenait compte du revenu des obligations non garanties obtenu sur les obligations de première hypothèque. La succession aboutit à un compromis en décembre 1939 : le gouvernement accepta la somme de 72 000 $ en règlement complet de toutes les réclamations et demandes en vertu des droits sur les biens des personnes décédées, de l’impôt sur le revenu, des intérêts et des pénalités. Le gouvernement de la Nouvelle-Écosse, où Coaker possédait des actifs à la Nova Scotia Trust Company ainsi qu’à la Banque royale du Canada, demanda un chèque certifié de 24 156,10 $ pour couvrir les frais de succession.

À partir de 1908, animé d’une vive passion et d’une grande ambition, Coaker avait cherché à améliorer le bien-être politique et économique des pêcheurs par le truchement du FPU, principalement avec des moyens législatifs. D’autres groupes de la population locale embrassèrent nombre des mesures que Coaker préconisait, mais ce fut en rassemblant ces recommandations en un message cohérent dans le programme de Bonavista de 1912 qu’il acquit une large notoriété et obtint le potentiel nécessaire pour réformer la société terre-neuvienne. Les catastrophes de 1914 liées à la chasse au phoque soulevèrent sa profonde indignation quant à la façon dont les milieux d’affaires traitaient les pêcheurs et les chasseurs de phoques, et renforcèrent sa détermination à ne pas faire de compromis avec le gouvernement Morris sur sa gestion de la participation de Terre-Neuve à la Première Guerre mondiale. Les problèmes politiques et économiques qui découlèrent du conflit l’obligèrent, en 1917, à faire partie d’un gouvernement de coalition, à une époque où sa popularité était telle que le Liberal-Union Party, au sein duquel le FPU dominait, aurait remporté les élections générales prévues cette année-là par la loi. Membre influent du gouvernement national de 1917 à 1919, il contribua à doter Terre-Neuve d’une gouvernance saine et non partisane. La possibilité s’offrit à lui de devenir premier ministre en 1918 (occasion qui se répéterait en 1920), mais il choisit plutôt de continuer de présider le FPU et sa division commerciale, la UTC. En sa qualité de ministre influent du cabinet, Coaker se permit à l’occasion d’appuyer des décisions que rejetèrent les membres du FPU, telle la conscription en 1918 ; avec le temps, ses principes politiques seraient jugés comme ayant été compromis pour le plus grand bien du gouvernement. Son association avec les deux gouvernements de Squires ternit également sa réputation.

Après l’échec de ses règlements sur la pêche, en 1921, en grande partie attribuable à son insistance pour obtenir des prix fixes sur les marchés étrangers, l’optimisme généré par le programme de Bonavista et l’engagement direct du FPU en politique élective firent place à la désillusion. Après 1924, Coaker abandonna la vie politique pour se concentrer entièrement aux activités de la UTC, qui, selon lui, représentait le meilleur espoir d’aider les pêcheurs à obtenir le prix le plus élevé possible pour leur poisson. Il retourna à la Chambre d’assemblée en 1928 dans le seul but d’obtenir une réforme législative de l’industrie de la pêche, sans exiger cette fois que le gouvernement essaie de réglementer les prix. Déçu depuis longtemps de la division des milieux d’affaires sur le sujet, Coaker avait depuis 1925 la conviction que seuls un répit de la politique active et partisane et la création d’une commission de gouvernement permettraient la mise en vigueur des changements nécessaires. Démocrate dans l’âme, il fut consterné quand la Grande-Bretagne nomma une commission en 1934, mais la maladie l’empêcha de s’opposer avec force au nouvel arrangement constitutionnel. Il mourut quatre ans plus tard. Dans son éloge funèbre, John Henry Scammell (connu sous le nom de Jack), son successeur à la présidence du FPU, fit observer que Coaker avait « aimé ses amis loyaux », « servi fidèlement le pays » et toujours affirmé : « [Q]uoi que tu fasses, dis la vérité. » Coaker fut inhumé à Port Union dans un cimetière commémoratif préparé pour lui plus tôt au cours de la décennie, à la suggestion de Scammell.

La carrière de Coaker souleva une forte réaction de la part tant des partisans que des opposants. Le journaliste Albert Benjamin Perlin* dit de lui : « Jamais je n’ai connu d’homme capable de susciter de plus grandes émotions d’un côté comme de l’autre, d’être aussi aimé et haï en même temps, et aucun homme ne pouvait être ainsi sans avoir des éléments de grandeur en lui. » Dans une lettre datée du 8 mai 1938 à son ami et exécuteur testamentaire, Aaron Bailey, mari de l’une de ses nièces, Coaker avait confié que « la vie [était] seulement pour un court moment […] Tout ce que je demande quand je partirai [c’est] qu’ils essaient de m’enterrer sur la colline [qui surplombe Port Union] et qu’ils laissent tous ceux qui le veulent me maudire ou me condamner. Cela ne me fera pas de mal. » Depuis la mort de Coaker, son héritage a été grandement débattu. Le fils d’un de ses proches associés donna probablement le meilleur résumé de sa contribution en le décrivant comme un « saint et un démon » à la fois, reflet des sentiments intenses que son nom éveille encore aujourd’hui. La promesse politique du FPU resta inaccomplie du vivant de Coaker, mais le syndicat et lui laissèrent un legs impressionnant : la UTC, entreprise commerciale qui, jusque dans les années 1970, constitua une force formidable dans les activités commerciales de Terre-Neuve et son industrie du poisson salé, et la ville de Port Union, seule collectivité au Canada bâtie par un syndicat. Même si les règlements de Coaker sur le poisson échouèrent en 1921, de nombreuses réformes qu’il chercha à instaurer seraient adoptées au cours des 50 années suivantes.

Le testament de sir William Ford Coaker précisait que le Bungalow, sa résidence de Port Union, que le FPU avait construite pour lui, soit réservé à l’usage d’Aaron Bailey et de sa femme pendant leur vie, puis transformé en « un musée public à [sa] mémoire ». Quant au soutien financier de sa fille, « la Fishermen’s Union Trading Co. Ltd. s’en chargera ». En 1995, après la mort d’Aaron et d’Ella Hester Bailey, le Coaker Bungalow Museum ouvrit ses portes, comme l’avait souhaité son ancien occupant.

Melvin Baker

Nous souhaitons remercier Jackie Ebsary et Ray Leaman pour les renseignements généalogiques qu’ils nous ont transmis respectivement le 24 février 2000 et le 24 juillet 2000.

Sir William Ford Coaker est l’auteur de Past, present and future : being a series of articles contributed to the Fishermen’s Advocate, 1932 ; together with notes of a trip to Greece 1932 ([Port Union, T.-N., 1932]). Il est aussi le compilateur de Twenty years of the Fishermen’s Protective Union of Newfoundland from 1909–1929 […] (St John’s, 1930 ; réimpr., 1984). Il a écrit un compte rendu de son voyage vers la banquise en 1914, que nous avons édité et publié sous le titre « President Coaker’s log of his trip to the ice floe last spring in S.S. Nascopie », Newfoundland and Labrador Studies (St John’s), 25 (2010) : 217–252. Une liste d’autres textes de Coaker figure dans notre ouvrage intitulé « Select bibliography of Sir William Ford Coaker, the Fishermen’s Protective Union (FPU), and the Port Union-Catalina area », qu’on peut consulter à l’adresse suivante : www.ucs.mun.ca/~melbaker/fpubib.htm (consulté le 5 mai 2016).

Halifax County Court of Probate (Halifax), Estate papers, no 12604.— Memorial Univ. of Nfld (St John’s), DELTS Video Coll., avant 1994, « Josiah Kearley : founding of the FPU (Fishermen’s Protective Union) » : collections.mun.ca/cdm/singleitem/collection/extension/id/19/rec/2 (consulté le 5 mai 2016) ; Maritime Hist. Arch., Hawes and Company Limited fonds, box 4, files 1.03.003, 1.03.007, 1.03.012, 1.03.20 ; box 50, file 4.08.024 ; box 268, file 1.02.010 ; John Rorke & Sons Limited fonds, file 0.1.02.22 ; Queen Elizabeth II Library, Arch. and Special Coll., Coll-009, Coll-237, Coll-250 et MF-159.— NA, CO 194/299.— Port Union Hist. Museum, Sir W. F. 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Melvin Baker, « COAKER, sir WILLIAM FORD », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 11 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/coaker_william_ford_16F.html.

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Auteur de l'article:    Melvin Baker
Titre de l'article:    COAKER, sir WILLIAM FORD
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2018
Année de la révision:    2018
Date de consultation:    11 oct. 2024