CONNOLLY, SUZANNE, Indienne crise, désignée dans les documents par les surnoms de Suzanne « Pas-de-Nom » ou « la Sauvagesse », épouse de William Connolly*, trafiquant de fourrures, née vers 1788, probablement au nord-ouest du lac Winnipeg, décédée au couvent des sœurs grises, à Saint-Boniface (Manitoba), le 14 août 1862.
William Connolly, né à Lachine, province de Québec, en 1787, entra au service de la North West Company aux environs de 1801. Deux ans plus tard, à Rat River House, un poste proche de Nelson House, il épousa, « selon la coutume du pays », une jeune Indienne crise de 15 ans, appelée Suzanne. Cette sorte de mariage, chose courante dans le milieu de la traite des fourrures avant l’arrivée du clergé dans l’Ouest, se faisait avec le consentement des deux parties, le père de l’Indienne recevant probablement un cadeau en échange de sa fille. William Connolly et Suzanne vécurent 28 ans dans divers postes de traite où il fut affecté, et ils eurent six enfants. En 1831, Connolly, alors agent principal, abandonna la traite des fourrures et alla s’établir avec sa femme et ses enfants à Saint-Eustache, Bas-Canada. Quatre ou cinq mois plus tard, Suzanne et ses enfants déménagèrent à Montréal où ils habitèrent pendant quelque temps chez une sœur de William. Le 16 mai 1832, celui-ci épousa, dans une église catholique, sa petite-cousine, Julia Woolrich, fille d’un prospère marchand. Connolly avait pour cela obtenu de l’évêque une dispense qui s’appuyait sur la non-validité de son mariage avec l’Indienne.
Un trafiquant de fourrures qui revenait vers la civilisation devait choisir entre laisser son épouse indienne dans son pays d’origine soit en l’abandonnant soit en la plaçant sous la protection d’un autre traiteur, ou l’emmener avec lui, ce qui n’était pas toujours la meilleure solution pour elle. (Un traiteur comme Alexander Mackenzie* choisit la première solution alors que Daniel Williams Harmon* opta pour la seconde.) Le prêtre qui avait baptisé les deux derniers enfants de Connolly attesta par la suite que celui-ci avait l’intention de rester fidèle à Suzanne lorsqu’il arriva au Bas-Canada. Dans une lettre, datée du 2 décembre 1832, le gouverneur George Simpson* écrit : « Vous avez dû entendre parler du mariage de Connolly ; c’était un de ces hommes pour qui il est absolument contre nature d’abandonner la mère de ses enfants pour contracter une autre union ; tout cela est bien beau, très sentimental et très généreux à 3 000 milles du monde civilisé mais même notre ami Connolly ne s’en souvient plus, lorsqu’une bonne occasion se présente. »
On peut penser que le second mariage de Connolly ne fut pas très heureux. Dans une lettre à son beau-frère Simpson, James Keith*, agent principal de la Hudson’s Bay Company, responsable du département de Montréal, écrit en 1841, en parlant de Connolly : « Sa femme le mène par le bout du nez et il n’ose inviter personne sans permission spéciale. » La même année, Connolly écrit à Simpson pour le remercier d’avoir organisé, ce printemps-là, le retour à la Rivière-Rouge de Suzanne et de ses plus jeunes enfants : « Ils seront bien plus heureux là-bas qu’ici, et leur départ m’a libéré d’un grand poids. » Dans un testament rédigé en 1848, Connolly laissa son importante fortune à Julia et à ses deux enfants. Il mourut l’année suivante.
Suzanne, qui s’était installée au couvent des sœurs grises à la Rivière-Rouge, en 1841, reçut de l’aide de Connolly et, plus tard, de Julia. Elle mourut le 14 août 1862. Deux ans plus tard, le 13 mai, son fils aîné, John Connolly, intenta une action en justice devant la Cour supérieure contre Julia Woolrich à qui il réclamait le sixième de la moitié de la fortune de son père. La question était de savoir si le mariage de Connolly et de Suzanne « selon la coutume du pays » était légal et s’il y avait communauté de biens entre eux. La cour entendit les témoignages des quelques rares trafiquants de fourrures encore vivants sur les coutumes matrimoniales dans la région de la traite des fourrures, au cours des premières décennies du siècle, et rendit un verdict favorable au plaignant. Julia Woolrich et plus tard ses héritiers (elle mourut le 27 juillet 1865) contestèrent cette décision en Cour d’appel et en Cour de révision. Cette dernière rendit, le 7 septembre 1869, un arrêt confirmant celui des tribunaux inférieurs, avec l’opposition d’un des cinq juges seulement. Les héritiers de Julia Woolrich en appelèrent au Conseil privé de Londres, mais avant que cette cour ait eu le temps de s’occuper de leur cas, les deux parties avaient réussi à en arriver à un accord à l’amiable.
L’importance de ces procès réside dans le fait que le jugement rendu établissait qu’un mariage entre un Blanc et une Indienne, consenti par les deux parties, était valide, au moins lorsqu’il était suivi d’une longue cohabitation, et que les enfants d’un tel mariage avaient droit de recevoir leur part d’héritage à la mort du père. Trente ans plus tôt, une telle décision aurait semé la consternation parmi les anciens trafiquants de fourrures revenus à la civilisation, mais, en 1869, ceux-ci étaient presque tous morts. Suzanne Connolly présente la particularité d’être la seule femme canadienne dont la légalité du mariage fit l’objet d’un jugement devant le Conseil privé. Avant sa mort, elle avait eu la satisfaction de voir sa fille Amelia devenir lady Douglas, femme de sir James Douglas*, gouverneur de l’Île-de-Vancouver et de la colonie royale de la Colombie-Britannique.
HBC Arch., B.135/c/2, 2 déc. 1832 ; D.5/6, f.131d., 16 avril 1841 ; D.5/7, f.274d., 10 août 1841.— Cour d’appel ; présents – Les Hons. Duval, Caron, Badgley, Loranger, MacKay ; jugement rendu le 7 septembre 1869 ; Johnstone et al : – (reprenant l’instance de Julia Woolrich), appelants, et John Connolly, intimé, La Revue légale (Montréal), I (1869) : 253–400.— HBRS, II (Rich et Fleming), 209.— Superior Court, 1867 : Montreal, 9th July, 1867 ; Coram Monk, J. ; no 902, Connolly vs. Woolrich and Johnson et al. defendants par reprise d’instance ; Indian marriage – question as to validity, The Lower Canada Jurist/Collection de decisions du Bas-Canada (Montréal), XI (1867) : 197–265.— Sylvia Van Kirk, The role of women in the fur trade society of the Canadian west, 1700–1850 (thèse de ph.d., University of London, Londres, 1975).
Bruce Peel, « CONNOLLY, SUZANNE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/connolly_suzanne_9F.html.
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Auteur de l'article: | Bruce Peel |
Titre de l'article: | CONNOLLY, SUZANNE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1977 |
Année de la révision: | 1977 |
Date de consultation: | 1 nov. 2024 |