CRESPEL, EMMANUEL (baptisé Jacques-Philippe), prêtre, récollet, commissaire provincial des récollets et auteur, né à Douai, France, le 13 mars 1703, fils de Sébastien Crespel et de Louise-Thérèse Devienne, décédé à Québec, le 29 avril 1775.
À l’âge de 16 ans, Emmanuel Crespel entre chez les récollets à Avesnes, France, où il fait profession le 20 août 1720. Quatre ans plus tard, il part pour Québec où il arrive, le 8 octobre, à bord du Chameau. Tout en s’initiant à la vie de la colonie, il poursuit sa formation ecclésiastique et reçoit la prêtrise, le 16 mars 1726, des mains de Mgr de Saint-Vallier [La Croix*]. Dès lors sa vie sacerdotale se partage en deux périodes : l’une consacrée à l’aumônerie dans l’armée, l’autre à la direction de ses frères en religion.
Ainsi, à partir du 6 octobre 1726 jusqu’au 2 juin 1728, Crespel exerce les fonctions de desservant du fort Richelieu (Sorel, Québec) où il laisse une réputation de dévouement et de sainteté. Le 5 juin 1728. à titre d’aumônier, il accompagne une troupe commandée par Constant Le Marchand* de Lignery, qui va combattre les Renards de la région des Grands Lacs. Devant un ennemi qui se dérobe, les soldats se contentent de brûler les villages et de ruiner les récoltes. À la suite de cette action, que le père Crespel juge « absolument inutile », la troupe revient à Montréal à la fin de septembre. L’été suivant, Crespel retourne dans la région des Grands Lacs pour exercer ses fonctions d’aumônier au fort Niagara (près de Youngstown, New York), du 27 juillet 1729 jusqu’en 1732, puis au fort Frontenac (Kingston, Ontario), où il demeure jusqu’en 1735, et enfin au fort Saint-Frédéric (près de Crown Point, New York), du 17 novembre 1735 au 21 septembre 1736.
Ses supérieurs l’ayant rappelé en France, Crespel s’embarque sur la Renommée, un bâtiment neuf commandé par Joseph Damours de Freneuse, qui a 46 ans d’expérience de la navigation. Parti de Québec le 3 novembre 1736 avec 54 passagers, le navire s’échoue 11 jours plus tard sur la pointe sud de l’île d’Anticosti. Constatant qu’il n’y a aucune possibilité de secours avant le printemps suivant, le groupe décide de se séparer : 24 hommes demeurent sur les lieux du naufrage, les autres tentent de se rendre aux îles de Mingan où des Français passent l’hiver. Le 27 novembre, 13 hommes montent dans le canot alors que les 17 autres, dont le père Crespel et le capitaine Damours, s’entassent dans la chaloupe. Bientôt, ces derniers perdent de vue le canot qui se brise et dont quelques débris seront retrouvés le printemps suivant. Le père Crespel et ses compagnons réussissent à contourner la pointe ouest de l’île d’Anticosti. Cependant, le temps devient de plus en plus froid et le 7 décembre, la glace les empêchant d’aller plus loin, ils doivent s’abriter dans une baie de la rive nord de l’île. Les intempéries, la famine, les fièvres et autres maladies ont raison de presque tous les compagnons du récollet. À la fin d’avril, n’étant plus que trois, ils trouvent du secours auprès des Indiens. Le 1er mai, Crespel réussit à rejoindre le poste de Mingan, alors commandé par Jean-Louis Volant d’Haudebourg. Accompagné de ce dernier, il se rend sur les lieux du naufrage, où quatre hommes vivent encore ; l’un d’eux meurt peu de temps après. Crespel nous a laissé la relation de ce naufrage sous forme de lettres adressées à son frère. Cette narration ne peut être qualifiée de chef-d’œuvre, mais il s’en dégage un accent de sincérité qui émeut. Son caractère de simple récit d’aventures explique son étonnant succès, depuis sa première publication en 1742, et ses multiples rééditions et traductions en allemand et en anglais.
Le père Crespel revient à Québec le 13 juin 1737. On peut imaginer l’étonnement qui l’accueillit alors qu’on le pensait en France. Après quelques semaines passées à refaire ses forces, il est nommé curé à Soulanges (Québec), fonction qu’il assumera pendant un an. De nouveau rappelé en France, il s’embarque le 21 octobre 1738 sur le vaisseau du roi le Rubis qui atteint Port-Louis en Bretagne le 2 décembre ; il parvient à Paris à la fin de l’année. Au début de 1740, il est nommé vicaire du couvent d’Avesnes. Cependant, la quiétude lui pèse ; revenu à Paris, il reprend ses fonctions d’aumônier militaire et sert, pendant huit ans, dans l’armée du maréchal de Maillebois qui participe à la campagne contre l’Autriche. Incidemment, c’est à sa résidence de Paderborn (République fédérale allemande) qu’il rédige le récit de son voyage.
Revenu au Canada dès 1750, semble-t-il, il devient commissaire provincial des récollets, charge qu’il exerce jusqu’à sa mort, sauf de 1753 à 1756, période pendant laquelle il occupe la fonction de supérieur du couvent de Québec. Il dirige ainsi son ordre à un moment difficile où les autorités anglaises empêchent tout recrutement. En 1762, Haldimand est indigné de ce que le père Crespel change les supérieurs de Montréal et de Trois-Rivières sans lui en avoir demandé la permission. Cependant, tout en demeurant inflexible à ce sujet, Crespel finit par s’attirer le respect des nouveaux dirigeants. Il meurt le 29 avril 1775 et est inhumé le 1er mai dans l’église des récollets. Après l’incendie de celle-ci, ses restes furent transportés dans la cathédrale Notre-Dame de Québec.
En définitive, c’est son livre qui a rendu le père Crespel célèbre. En plus du récit de son naufrage, il consacre sa première lettre au récit de l’expédition contre la tribu des Renards et évoque, dans une deuxième lettre, son passage à Niagara, Détroit et Saint-Frédéric, tout en décrivant le pays qu’il traverse et les mœurs des Indiens. Le narrateur possède un réel don de conteur qui a su lui attirer la faveur du public.
Le père Emmanuel Crespel est l’auteur de Voiages du R. P. Emmanuel Crespel, dans le Canada et son naufrage en revenant en France, Louis Crespel, édit. (Francfort-sur-le-Main, [République fédérale allemande], 1742). Cet ouvrage a connu un réel succès : il fut réédité une première fois à Amsterdam en 1757 sous le titre : Voyage au Nouveau-Monde et histoire intéressante du naufrage du R. P. Crespel, avec des notes historiques et géographiques ; il connut par la suite des réimpressions, dont celles de 1808 et 1884, à Québec, et celle de 1968, à Montréal. Il fut traduit en allemand sous le titre de Des Ehrwürdigen Pater Emanuel Crespels merkwürdige Reisen nach Canada [...] aus dem Französischen übersezt (Francfort-sur-le-Main et Leipzig, [République démocratique allemande], 1751) et en anglais : Travels in North America, by M. Crespel [...] (Londres, 1797). Ce récit a, par ailleurs, été publié en feuilleton dans différentes revues, dont le Magazin du Bas-Canada (Montréal), sous le titre « Relation du naufrage du navire la Renommée [...] », I (janv.–juin 1832), 122–128, 162–170, 204–213 ; dans les Mélanges religieux (Montréal), 14, 16, 21, 28 mars, 1er, 4, 8 avril 1851, « Voyages au Canada et naufrage du R. P. Emmanuel Crespel, récollet, sur l’Isle d’Anticosti, en 1736 ». On trouve également cette relation, dans sa version anglaise « Voyages of Rev. Father Emmanuel Crespel, in Canada, and his shipwreck, while returning to France », dans l’ouvrage édité par J. [D.] G. Shea, Perils of the ocean and wilderness [...] (Boston, [1856]). Une analyse de l’ouvrage, signée Actidès, a paru dans l’Abeille (Québec), 27 mars 1850, 1s. ; 4 avril 1850, 1s.
Le Musée du Québec conserve un portrait du père Crespel qui aurait été exécuté vers 1758 par un autre récollet, le frère François.
AAQ, 12 A, C, 32, 34 ; 66 CD, I : 25, 29.— ACAM, 901.001, 761–1.— APC, MG 18, E15.— Archives municipales, Douai (dép. du Nord, France), État civil, Saint-Pierre, 13 mars 1703.— ASQ, Fonds Viger-Verreau, Sér.O, 081, p.10 ; Lettres, M, 142, 143 ; S, 4, 4Bis ; mss, 146, 191b ; Polygraphie, XXV : 4e ; XXXI : 40.— APC Rapport, 1886, 520.— La Gazette de Québec, 4, 25 mai 1775.— Allaire, Dictionnaire, I : 138s.— Biographie universelle (Michaud et Desplaces), IX : 481.— DOLQ, I : 183, 214, 788s.-Jouve, Les franciscains et le Canada : aux Trois-Rivières, 190, 203.— J. H. Kennedy, Jesuit and savage in New France (New Haven, Conn., et Londres, 1950), 178.— M. Trudel, Le Régime militaire, 138s.— Archange Godbout, Les aumôniers de la vallée du Richelieu, SCHÉC Rapport, 13 (1945–1946) : 69–71.— O.-M. Jouve, Les anciens récollets, le R. P. Emmanuel Crespel, Revue du Tiers-Ordre et de la Terre-Sainte (Montréal), 1905, 1906, 1907.— Hugolin Lemay, Le P. Emmanuel Crespel, commissaire des récollets au Canada, BRH, XLIV (1938) : 169–171.— P.-G. Roy, Le capitaine de Freneuse et le naufrage de la Renommée, BRH, XXII (1916) : 60s.
Jean-Guy Pelletier, « CRESPEL, EMMANUEL (baptisé Jacques-Philippe) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 5 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/crespel_emmanuel_4F.html.
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Auteur de l'article: | Jean-Guy Pelletier |
Titre de l'article: | CRESPEL, EMMANUEL (baptisé Jacques-Philippe) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1980 |
Année de la révision: | 1980 |
Date de consultation: | 5 déc. 2024 |