CUTHBERT, WILLIAM, cultivateur, homme d’affaires, juge de paix, fonctionnaire, officier de milice et homme politique, né en 1795 à Alloway, Écosse ; en mars 1832, il épousa à New-Richmond, Bas-Canada, Christiana Montgomery, et ils eurent une fille ; décédé le 3 août 1854 à Rock Ferry, Angleterre.

William Cuthbert arriva au Bas-Canada dans la deuxième décennie du xixe siècle. On ignore tout des conditions de son établissement à New-Richmond, dans la région de Baie-des-Chaleurs. Selon une source locale, le jeune homme aurait été pauvre. Avant le recensement de 1825, le nom de Cuthbert n’apparaît dans aucun document. On le retrouve ensuite en 1828, au moment où Cuthbert fit transporter plus de 300 barils de morue du havre de Gaspé à Québec. Au recensement de 1831, Cuthbert, qui était inscrit comme fermier, se révèle l’homme le plus important de New-Richmond. Il cultivait alors 50 acres de terre et avait récolté, l’année précédente, 40 minots de blé, 400 minots d’avoine, 20 minots d’orge et 450 minots de pommes de terre. De plus, il gardait une trentaine de bêtes.

À partir de ce moment, Cuthbert fut omniprésent dans la vie économique de la région. Associé à son frère Robert, de Greenock, en Écosse, il forma la William Cuthbert and Company, firme spécialisée d’abord dans le commerce d’importation. À son magasin de New-Richmond, elle fournissait la population aussi bien en vêtements et en vivres qu’en matériel divers. Bientôt, pour alimenter ses échanges avec la Grande-Bretagne, la compagnie se lança dans le commerce du bois de charpente. Elle se fit concéder des terres dans les cantons de New-Richmond et de Maria, en particulier le long de la rivière Cascapédia où elle amena des colons écossais et irlandais qui travaillèrent à la coupe pour le compte de sous-traitants.

En 1833, Cuthbert construisit à l’embouchure de la Petite Cascapédia un « superbe » moulin à scier. Il y transformait du pin, du sapin et du bouleau en planches, en bardeaux et en lattes. Il possédait aussi d’autres installations dans la région, dont un moulin à farine et un moulin à scier, à l’est du havre de Bonaventure, qu’il affermait à bail. En mars 1832, par son mariage avec Christiana Montgomery, fille de Donald Montgomery, député à la chambre d’Assemblée de l’Île-du-Prince-Édouard, il s’était ménagé des alliés commerciaux sur la rive sud de la baie des Chaleurs, puisque deux de ses beaux-frères, Hugh et John*, étaient eux aussi engagés, à Dalhousie, au Nouveau-Brunswick, dans l’exploitation forestière et la construction navale. Comme les autres entrepreneurs de la région, Cuthbert ne se faisait guère de souci en dépassant les limites de coupe que lui permettaient ses licences. Cela ne semble pas lui avoir causé de problème, d’autant plus qu’il était l’ami intime de l’agent des terres Étienne Martel, de New-Carlisle. Cuthbert aurait construit 14 navires à New-Richmond. On ignore si ‘ c’était pour son propre usage ou pour les vendre. À quelques reprises, il acheta aussi des bateaux d’autres constructeurs de l’endroit. Les ouvriers spécialisés de la William Cuthbert and Company venaient d’Écosse, où Robert Cuthbert s’occupait de les recruter.

William Cuthbert fut l’un des plus grands propriétaires fonciers de la région de Baie-des-Chaleurs. Outre les terres qu’il se fit concéder par le gouvernement et celles qu’il acheta de particuliers ou à l’occasion de ventes publiques, il en acquit un grand nombre pour non-paiement de dettes. En effet, il pratiquait un système de crédit commun à d’autres entrepreneurs forestiers et aux compagnies de pêche de la Gaspésie. Ses employés étaient payés en biens et, comme la valeur de ceux-ci dépassait invariablement celle de leurs gages, ils s’endettaient et hypothéquaient leurs terres qui souvent, après un certain temps, passaient à Cuthbert. En 1854, celui-ci possédait 46 propriétés foncières, avec ou sans habitation, concentrées dans les cantons de New-Richmond et de Maria. Le capitalisme foncier semble donc avoir été un élément important de son enrichissement. Mais d’autres personnes aussi lui devaient de l’argent et, cette année-là, si on ajoute aux dettes hypothécaires les comptes et les dettes douteuses et mauvaises, on obtient la somme de £22 211, répartie entre 597 débiteurs.

Cuthbert achetait aussi des récoltes des habitants qui demeuraient dans les environs et il semble avoir pris part au commerce du poisson. La Grande-Bretagne était à la fois son lieu d’approvisionnement et son principal marché, et même après que l’association qu’il avait formée avec son frère Robert eut cessé, le 29 octobre 1849, Greenock continua d’être son port privilégié d’entrée dans l’île britannique. En Amérique du Nord, il faisait affaire à Québec, à Halifax et à St John’s.

Homme influent dans son milieu, Cuthbert fut nommé juge de paix du district de Gaspé le 3 mai 1828, et sa commission fut renouvelée le 31 décembre 1831. Le 9 mai 1829, on le nomma commissaire chargé de l’amélioration du chemin entre New-Richmond et Bonaventure. À cette époque, il prit part au conflit qui opposa les protestants de New-Richmond au missionnaire catholique, Louis-Stanislas Malo, au sujet de la construction d’écoles. Le 8 janvier 1833, il devint capitaine de milice et fut ensuite promu au grade de lieutenant-colonel de la milice du comté de Bonaventure.

En 1848, un groupe d’hommes importants de la circonscription de Bonaventure sollicita Cuthbert pour qu’il soit candidat de cette circonscription à l’Assemblée législative de la province du Canada. Ils en voulaient à John Robinson Hamilton, avocat de New-Carlisle, qui faisait campagne depuis sa défaite aux mains de John Le Boutillier* en 1844. Un troisième candidat, le marchand John Meagher, ami personnel de Cuthbert, fut poussé dans l’arène par le missionnaire de Carleton, Félix Desruisseaux, qui désirait un catholique comme député. Grâce à la division des suffrages et à l’appui massif des électeurs de New-Richmond, de Maria et de Restigouche, Cuthbert fut élu, le 17 janvier, avec une majorité de 225 voix aux dépens de Hamilton. L’élection fut contestée, Cuthbert n’ayant pas, semble-t-il, les qualités requises par la loi et aucun directeur de scrutin n’ayant présidé à l’élection dans le canton de Mann. Mais les manœuvres du député Robert Christie, de Gaspé, tuèrent dans l’œuf l’action des contestataires. À l’Assemblée, Cuthbert ne se présenta qu’à la session de 1848, au cours de laquelle, d’ailleurs, il ne prit pas la parole une seule fois. Jusqu’en 1851, c’est Christie qui présenta les pétitions de la population de la circonscription de Bonaventure. Cuthbert était retenu chez lui par des problèmes de santé et, en juin 1850, il remit sa démission. Le président de la chambre, Augustin-Norbert Morin*, refusa toutefois de prendre une décision immédiate, et Cuthbert resta officiellement en fonction jusqu’à la fin de son mandat, soit jusqu’au 6 novembre 1851.

Le 13 juillet 1854, William Cuthbert débarqua à Liverpool, en provenance de Greenock, souffrant d’un érysipèle au cou. Conduit chez un neveu, médecin à Rock Ferry, il rédigea son testament le 3 août. Ce jour-là, il rendit l’âme, et fut inhumé six jours plus tard au cimetière de Greenock. Ainsi disparaissait l’un des personnages les plus importants de la péninsule gaspésienne et du nord du Nouveau-Brunswick. L’inventaire de ses biens, effectué du 22 septembre au 10 octobre 1854, en rend compte. Son domaine, composé d’une vaste demeure, de deux étables, d’une laiterie, d’une maison et d’une forge, reflétait sa richesse. Dans ses garde-robes, on trouvait les plus beaux vêtements et, dans son caveau, les meilleurs alcools. En tout, il laissait à sa femme et à sa fille unique, Ann, une fortune évaluée à plus de £38 500, dont au delà de £13 000 en argent comptant. Comme son épouse n’était que la légatrice usufruitière de ses biens, les affaires de Cuthbert passèrent à la Hugh and John Montgomery and Company.

Yves Frenette

AC, Bonaventure (New-Carlisle), Cour supérieure, Vieux dossiers, 7 avril 1851 ; Minutiers, J.-G. Lebel, 5 déc. 1833, 22 janv., 12 mars, 29 avril 1834, 30 mars, 19 mai, 3 juill. 1835, 3 avril, 23 oct. 1837, 17 nov. 1838, 15 juill. 1839, 29 janv., 13 juin 1840, 3 févr. 1841, 15, 23 avril, 1er sept. 1842, 22 sept.–10 oct. 1854 ; Martin Sheppard, 3 mars 1828, 1er févr. 1831.— APC, MG 30, D1, 9 : 572–647 ; RG 4, B 15, 2 ; B28, 134 ; RG 9, I, A5, 14 ; C1, 2 ; RG 16, A1, 97 ; RG 31, A1, 1825, 1831, New-Richmond ; RG 42, sér. I.— Arch. de l’évêché de Gaspé (Gaspé, Québec), Boîte Carleton, corr., 1794–1870, 24 août 1831, 3 juill., 3 août 1832.— B.-C., chambre d’Assemblée, Journaux, 1835 1836, app. BB.— Canada, prov. du, Assemblée législative, App. des journaux, 1842, app. T.— Debates of the Legislative Assembly of United Canada (Abbott Gibbs et al.), 7–10.— Rapport sur les missions du diocèse de Québec [...] (Québec), nº 17 (avril 1866).— Mélanges religieux, 21 janv. 1848, 10 mai 1850.— Quebec Gazette, 26 janv. 1848.— F.-J. Audet, « les Législateurs du B.-C. ».— Jules Bélanger et al., Histoire de la Gaspésie (Montréal, 1981).— J.-B.-A. Ferland, la Gaspésie (Québec, 1877 ; réimpr., 1879).— J. M. LeMoine, The chronicles of the St Lawrence (Montréal, 1878).— P.-L. Martin et al., la Gaspésie de Miguasha à Percé : itinéraire culturel (Québec, 1978).— F.-J. Audet, « William Cuthbert (1795–1854) », BRH, 41 (1935) : 112–113.— Raymond Gingras, « le District de Gaspé en 1833 : qui en était responsable ? », Rev. d’hist. de la Gaspésie (Gaspé), 9 (1971) : 231–232.

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Yves Frenette, « CUTHBERT, WILLIAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 7 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/cuthbert_william_8F.html.

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Auteur de l'article:    Yves Frenette
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1985
Année de la révision:    1985
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