DESRIVIÈRES (Trottier Desrivières), FRANÇOIS (François-Amable, Francis) (baptisé Amable-François), homme d’affaires, officier de milice, juge de paix et fonctionnaire, né le 5 octobre 1764 à Montréal, fils d’Amable Trottier Desrivières et de Charlotte Guillimin ; le 19 septembre 1791, il épousa dans cette ville Marguerite-Thérèse Trottier Desrivières Beaubien, et ils eurent deux fils et deux filles ; décédé le 16 mars 1830 au même endroit.
Le père de François Desrivières était trafiquant de fourrures ; il mourut en 1771, laissant sa veuve avec deux jeunes garçons. La mère de François était une des filles de Guillaume Guillimin*, avocat prospère. Lorsque François avait 12 ans, elle épousa James McGill*, marchand écossais qui avait le vent en poupe, et François entra par la suite chez Todd and McGill, la firme de McGill. Vers 1792, il devint associé de la Todd, McGill and Company qui, à la retraite d’Isaac Todd* en 1797, prit le nom de James and Andrew McGill and Company. En 1808, Desrivières avait déjà une propriété sur le mont Royal, à l’instar des hommes d’affaires aussi éminents que McGill, Todd, Joseph Frobisher*, William McGillivray et Pierre Foretier*. Le 10 avril 1810, à la suite de la dissolution de la James and Andrew McGill and Company, Desrivières, Thomas Blackwood* (autre associé de la compagnie des McGill) et Peter Harkness fondèrent la Desrivières, Blackwood and Company afin de poursuivre les activités de l’entreprise dissoute, notamment la traite des fourrures dans le Sud-Ouest. Harkness se retira en 1818, mais la compagnie continua de fonctionner au moins jusqu’en 1828.
Tandis que ses affaires prospéraient, Desrivières cumulait plusieurs commissions gouvernementales, qui lui rapportèrent plus de prestige que de revenus. Enseigne dans la British Militia of the Town and Banlieu of Montreal dès 1790, il monta de grade en grade et, le 26 mars 1814, il accéda au rang de major du 1er bataillon de milice de la ville de Montréal. Il fut également juge de paix à partir de 1800, syndic de la Maison de la Trinité à compter de 1805, commissaire chargé de faire prêter serment aux fonctionnaires en 1807 et commissaire chargé du secours aux aliénés et aux enfants trouvés, à partir de 1813.
En décembre 1818, Desrivières et 13 autres éminents hommes d’affaires montréalais, dont McGillivray, David David et John Forsyth*, adressèrent une pétition à l’Assemblée du Bas-Canada pour réclamer un projet de loi les autorisant à creuser un canal sur le Saint-Laurent, qui contournerait le courant Sainte-Marie et les rapides de Lachine. Ce projet était audacieux ; pour la première fois, des hommes d’affaires considéraient le transport comme un domaine d’investissement important, et la participation de Desrivières montre qu’il tenait le haut du pavé parmi les gens d’affaires de Montréal. Le 26 juillet 1819, les actionnaires de la Compagnie des propriétaires du canal de Lachine se réunirent pour élire un comité de gestion de huit membres ; Desrivières, qui possédait 25 actions compta au nombre des élus. Dès lors, l’entreprise fut menée presque exclusivement par le comité, dont le président était John Richardson, mais la compagnie ne tarda pas à connaître des difficultés financières. En janvier 1821, Desrivières, Richardson et Thomas Gillespie demandèrent un nouvel appui législatif et financier à l’Assemblée, le gouvernement ayant déjà acquis des actions pour la somme de £10 000. Leur demande fut refusée et, en mai, les biens de la compagnie furent transférés à la province, qui nomma dix commissaires dont Desrivières pour surveiller le projet ; les travaux de construction commencèrent peu après. Les difficultés de la compagnie affectèrent peut-être la situation financière personnelle de Desrivières car, en août 1820, le shérif de Montréal, sur une ordonnance de la cour obtenue par Benjamin Beaubien, avait saisi sa propriété de Coteau-Saint-Louis pour non-paiement d’une dette.
Durant cette période où il avait peut-être des ennuis financiers, Desrivières dut, pour demeurer propriétaire de certains biens d’une grande valeur, s’engager dans une célèbre querelle juridique. En 1811, avec son neveu James McGill Desrivières, il avait été nommé légataire universel des immenses propriétés de James McGill. Après la mort de ce dernier en 1813, Desrivières avait hérité de £23 000 et de vastes étendues de terre dans le canton de Stanbridge. Or, à titre de légataire universel, il avait des chances de toucher une autre part de l’héritage. McGill avait laissé une propriété du nom de Burnside et une donation de £10 000 à l’Institution royale pour l’avancement des sciences, afin qu’elle fonde une université, dont un collège devait porter son nom. La première restriction était que Mme McGill et, après elle, son fils François aient l’usufruit de Burnside jusqu’à ce que l’Institution royale soit prête à construire le collège ; il fallait aussi que la donation soit gardée en fidéicommis jusqu’à ce que le collège soit construit ; enfin, il était prévu que, si le collège n’était pas bâti lors du dixième anniversaire de la mort de McGill, le domaine de Burnside et la donation reviendraient aux héritiers de McGill, c’est-à-dire à Desrivières et à son neveu. Bien qu’en 1801 une loi ait autorisé un conseil d’administration de l’Institution royale à administrer l’instruction publique dans la colonie, le conseil n’avait pas encore été formé au moment du décès de McGill et les membres ne furent nommés qu’en 1818 [V. Joseph Langley Mills]. Mais, en 1820, le conseil était en mesure de demander aux Desrivières de céder la propriété. Ils refusèrent cependant de le faire, alléguant que l’Institution royale n’avait pas les fonds nécessaires pour construire un collège et que le gouvernement n’avait rien promis dans ce sens.
En 1820–1821, l’Institution royale engagea deux poursuites contre les Desrivières, l’une pour obtenir la possession de Burnside et l’autre pour disposer de la donation. En 1821, elle reçut une charte royale pour le McGill College et prétendit devant le tribunal que, de ce fait, le collège était « érigé » légalement parlant, conformément aux exigences du testament de McGill. Le tribunal devait trancher entre, d’une part, une interprétation stricte du texte du legs et, d’autre part, une explication plus large qui répondrait apparemment mieux à l’intérêt public. Pour démontrer la force de leur interprétation strictement juridique du legs, les Desrivières prirent comme avocat principal James Stuart*, qui avait rédigé le testament de McGill. De toute façon, Desrivières, en tant que Canadien et catholique convaincu – il était marguillier de la fabrique de Notre-Dame et, en 1818, il avait été chargé par Mgr Joseph-Octave Plessis de recueillir des dons pour une mission à la colonie de la Rivière-Rouge –, n’était pas attaché à la construction d’une université anglaise comme son beau-père qui y voyait un intérêt public. Mgr Plessis boycottait alors l’Institution royale, jugeant qu’elle n’était pas à même d’assurer l’instruction des catholiques. Depuis au moins 1814, le monopole exercé sur l’instruction publique par cet organisme avait été également contesté par le parti canadien, qui lui reprochait de favoriser la population britannique, et ce ne fut probablement pas par hasard que, pendant quelque temps, les Desrivières prirent aussi comme avocat Louis-Joseph Papineau*, un des chefs du parti canadien.
Le procès fut mené à une époque où l’union éventuelle du Bas et du Haut-Canada semait une vive agitation ; ce projet était rejeté tant par le parti canadien que par Plessis, mais fortement appuyé par le groupe des commerçants britanniques de Montréal [V. John Richardson]. Stephen Sewell, l’avocat principal de l’Institution royale dans l’affaire de la succession de McGill, était un fervent partisan de l’Union et un membre en vue du parti des bureaucrates. Même si Desrivières était beaucoup trop étroitement lié aux marchands britanniques pour donner un appui global au parti canadien, il était assez indépendant à leur égard pour s’opposer activement au projet qu’ils caressaient. En 1822, au cours d’une réunion publique tenue à Montréal, il fut donc élu parmi les 18 membres d’un comité chargé de trouver un moyen de le faire échouer. Compte tenu de son appui à certaines causes chères aux Canadiens et à l’Église catholique, Desrivières ne se fit pas reprocher publiquement d’ignorer l’intérêt public même si son attitude au cours du procès obéissait surtout à des considérations personnelles, qui comprenaient peut-être des difficultés financières. En fait, Desrivières continua d’avoir un excellent rapport avec la communauté britannique montréalaise : en 1821, il fut promu lieutenant-colonel du 1er bataillon de milice de la ville de Montréal, unité dominée par l’élite britannique ; la même année, les hommes d’affaires montréalais l’élirent membre d’un comité de 11 personnes chargé de demander que la farine et les céréales de l’Amérique du Nord britannique puissent être vendues sans restriction en Grande-Bretagne ; enfin, de 1824 à 1830, il fit partie du conseil d’administration du Montréal Général Hospital.
Les Desrivières perdirent leurs deux procès à Montréal et furent ensuite défaits en appel dans la colonie. Par la suite, ils interjetèrent appel au Conseil privé en Angleterre. La cause relative au domaine de Burnside fut finalement réglée à l’avantage de l’Institution royale en 1828, tandis que la décision concernant la donation, qui donna également raison à l’Institution royale, ne fut rendue qu’en 1835. François Desrivières ne sut rien de ce dernier revers : il était mort cinq ans plus tôt.
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Stanley Brice Frost, « DESRIVIÈRES (Trottier Desrivières), FRANÇOIS (François-Amable, Francis) (baptisé Amable-François) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 6 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/desrivieres_francois_6F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/desrivieres_francois_6F.html |
Auteur de l'article: | Stanley Brice Frost |
Titre de l'article: | DESRIVIÈRES (Trottier Desrivières), FRANÇOIS (François-Amable, Francis) (baptisé Amable-François) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1987 |
Année de la révision: | 1987 |
Date de consultation: | 6 nov. 2024 |