DUCHARME, DOMINIQUE (baptisé François), trafiquant de fourrures, officier de milice, fonctionnaire et juge de paix, né le 15 mai 1765 à Lachine, Québec, deuxième fils de Jean-Marie Ducharme* et de Marie-Angélique Roy, dit Portelance ; décédé le 3 août 1853 à Lac-des-Deux-Montagnes (Oka, Québec).

Dominique Ducharme était issu d’une famille distinguée établie en Nouvelle-France depuis le milieu du xviie siècle. Demeurant à Lachine, centre de recrutement pour la traite des fourrures dans l’Ouest, les Ducharme en vinrent tout naturellement à s’engager dans cette activité. Le père de Dominique vivait dans l’aisance grâce à la traite des fourrures, ce qui permit à ce dernier de fréquenter le collège Saint-Raphaël à Montréal de 1780 à 1786. Cependant, le fils avait hérité du caractère indépendant de son père et, ses études terminées, il s’engagea lui aussi dans la traite des fourrures. En 1793, il avait au moins un commis, William McKay*, à son service à la rivière Menominee qui se jette dans la baie des Puants (baie Green, Wisconsin), et peut-être aussi un deuxième dans la personne de son frère aîné, Joseph. L’année suivante, il était à La Baye (Green Bay) où il fit venir de Montréal son frère cadet Paul qu’il engagea lui aussi en qualité de commis. En 1793, Ducharme avait donné deux barriques de rhum à deux Indiens en échange de terres situées sur les deux rives de la rivière Renard (rivière Fox) aux rapides Kaukauna. Il s’assurait ainsi la mainmise sur le portage qu’il fallait emprunter pour contourner ces rapides ainsi que sur le cours inférieur de la Renard. Il construisit une maison sur une des terres qu’il venait d’acquérir et s’y installa. En 1794, avec un autre trafiquant, Jacob Franks, il obtint des Folles-Avoines « contre valeur reçue » un bail de 999 ans pour 1 200 acres de terre s’étendant des deux côtés de la rivière Renard à La Baye. À cette époque, Ducharme possédait déjà un lot sur un côté de la rivière, voisin de l’un de ceux qu’il avait obtenus en location. Il se peut que durant les 15 années suivantes il ait continué à faire le commerce des fourrures dans l’Ouest, acquérant en même temps une connaissance pratique de plusieurs dialectes indiens.

Ducharme revint finalement dans la région de Montréal, se fixant à Lac-des-Deux-Montagnes. Le 26 juin 1810, il épousa Agathe de Lorimier, fille de Claude-Nicolas-Guillaume de Lorimier*, agent résidant du département des Affaires indiennes à Caughnawaga (Kahnawake). Le 21 juillet 1812, après le début de la guerre contre les États-Unis, Ducharme reçut une commission de lieutenant dans le bataillon de milice de Pointe-Claire. Un cousin, nommé lui aussi Dominique, devint enseigne dans la même unité le jour suivant et c’est peut-être son oncle Dominique qui avait été nommé en 1811 capitaine à Lachine dans le 2e bataillon de milice de la ville de Montréal. En mai 1813, Ducharme reçut l’ordre de se rendre à la frontière du Niagara, dans le Haut-Canada, à la tête d’un détachement d’Indiens des Six-Nations de Lac-des-Deux-Montagnes et de Saint-Régis. Le 24 juin, après que Laura Secord [Ingersoll*] eut prévenu le lieutenant James FitzGibbon* que les Américains se préparaient à attaquer son avant-poste à Beaver Dams (Thorold, Ontario), les éclaireurs de Ducharme repérèrent une troupe américaine de quelque 500 hommes. Ducharme, alors capitaine, signala leur position à FitzGibbon et, avec 300 de ses Indiens auxquels se joignirent plus tard quelque 100 Agniers commandés par le capitaine William Johnson Kerr*, il attaqua les Américains à partir d’un bois situé à l’arrière de leur position. Après avoir combattu pendant trois heures un ennemi invisible, et terrifiés par les cris de guerre provenant du bois, les Américains se rendirent à FitzGibbon lorsque ce dernier arriva sur les lieux avec un renfort de 46 hommes seulement. Selon le récit fait plus tard par Ducharme et confirmé en grande partie par FitzGibbon, le crédit de cette victoire revenait à ses guerriers et non pas aux Agniers de Kerr ou aux hommes de FitzGibbon.

Retournant promptement au Bas-Canada, Ducharme fut placé sous le commandement du lieutenant-colonel Charles-Michel d’Irumberry* de Salaberry, et, pour sa conduite lors de la bataille de Châteauguay le 26 octobre, on lui décerna plus tard une médaille avec agrafe. Ses rapports avec le sévère Salaberry ne furent pas toujours cordiaux. Un jour, selon le journaliste Pantaléon Hudon, les Indiens de Ducharme pourchassèrent et capturèrent six déserteurs appartenant à l’unité de Salaberry. Ces fugitifs passèrent en conseil de guerre et furent fusillés sur l’ordre du colonel. Ducharme, qui jugeait cette peine trop sévère pour des soldats amateurs, pères de famille et fermiers de la région, ne pardonna jamais à Salaberry cette rigueur excessive et lui dit qu’il aurait aidé ces malheureux à s’échapper s’il avait connu le sort qui leur était réservé.

La guerre terminée, Ducharme revint à Lac-des-Deux-Montagnes où il fut nommé vers 1816 interprète du département des Affaires indiennes, assumant toutes les fonctions d’un agent résidant. En novembre 1819, il reçut une commission de juge de paix, renouvelée jusqu’en 1828 au moins. En novembre 1821, il fut nommé commissaire chargé de la décision sommaire des petites causes à Lac-des-Deux-Montagnes. Comme les tensions politiques augmentaient sans cesse au Bas-Canada dans les années 1820 et qu’elles se faisaient sentir de façon dramatique dans les années 1830 [V. Louis-Joseph Papineau*], Ducharme craignait de plus en plus la possibilité d’une révolte armée qui serait selon lui une pure folie. En 1837, il fut envoyé à Saint-Benoît (Mirabel) inspecter la milice, une tâche délicate dans les circonstances. L’inspection terminée, il prit le déjeuner avec les hommes, mais le ton amical de la conversation tourna au vinaigre lorsqu’on se mit à parler politique. Quand un des hommes le traita de « chouayen » (terme de dérision appliqué par les patriotes aux partisans du gouvernement) parce qu’il n’avait pas renoncé à ses commissions, Ducharme, qui avait un tempérament fougueux même à 72 ans, le provoqua en duel, mais son défi ne fut pas relevé. Vers la fin de novembre, un détachement de patriotes conduit par Amury Girod* et Jean-Olivier Chénier* arriva à Lac-des-Deux-Montagnes afin de réquisitionner des mousquets et des canons. N’ayant trouvé que quelques armes légères et un peu de poudre dans un entrepôt de la Hudson’s Bay Company, et s’étant vu refuser des armes par les Indiens, les insurgés en réclamèrent à Ducharme qui refusa avec colère et les pressa de retourner dans leur foyer. Cependant, deux semaines plus tard, apprenant la défaite des rebelles, les sentiments humains de Ducharme prirent le dessus et il se rendit à Saint-Eustache où il favorisa manifestement la fuite de certains insurgés. Il était évidemment satisfait du statu quo politique, mais n’était pas prêt à voir des hommes qu’il connaissait arrêtés pour trahison, même s’ils avaient tenté de renverser par la violence l’autorité établie.

Dominique Ducharme vécut ses dernières années dans une tranquille obscurité à Lac-des-Deux-Montagnes où il continua à remplir ses fonctions d’interprète, rendant compte de ses activités au secrétaire du département des Affaires indiennes, Duncan Campbell Napier*. La carrière de Ducharme couvre une période de près de 70 ans. De petite taille, sec et doué d’une grande force physique, Ducharme fut le représentant typique de toute une génération d’employés du département des Affaires indiennes du début du xixe siècle. Participant à la traite des fourrures avec les Indiens, ces fonctionnaires parlaient ordinairement plusieurs dialectes et en vinrent à comprendre les coutumes des autochtones. Ils firent le lien entre les politiques commerciales et militaires de la Grande-Bretagne du xviiie siècle et du début du xixe, et les priorités de temps de paix de la période postérieure à 1815.

Douglas Leighton

L’histoire de la bataille de Beaver Dams telle que l’a racontée Dominique Ducharme a été publiée en partie ou en entier dans quelques articles dont Pantaléon Hudon, « le Capitaine Dominique Ducharme », Rev. canadienne, 15 (1878) : 420–430, 531–544, et « La Bataille de Beaver-Dam », BRH, 11 (1905) : 341–344.

APC, MG 24, B2 ; RG 4, B37, 1 ; RG 8, I (C sér.), 230 ; 257 ; 688b ; 825 ; 1168 ; 1171 ; 1202 ; 1695 ; RG 10, A3, 495 ; RG 68, General index, 1651–1841 : 255, 262, 281, 349, 354, 357, 362, 639.— La Gazette de Québec, 30 juill 1812.— F.-J. Audet, les Députés de Montréal (ville et comtés), 1792–1867 [...] (Montréal, 1943), 344, 346–350.— Officers of British forces in Canada (Irving), 170–171, 214, 217–218.— Wallace, Macmillan dict.-Pierre Berton, Flames across the border, 1813–1814 (Toronto, 1981).— Maurault, le Collège de Montréal (Dansereau ; 1967), 189.— Benjamin Sulte, Histoire de la milice canadienne-française, 1760–1897 (Montréal, 1897).— Joseph Tassé, « Un épisode de la guerre de 1812 », Rev. canadienne, 7 (1870) : 753–755.

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Douglas Leighton, « DUCHARME, DOMINIQUE (baptisé François) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 4 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/ducharme_dominique_8F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1985
Année de la révision:    1985
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