Titre original :  Connecting Links: Race and Gender in the work of Edith Maude Eaton (Sui Sin Far) «  Women Suffrage and Beyond

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EATON, EDITH MAUD (elle utilisait souvent le pseudonyme de Sui Sin Far), sténographe, journaliste et auteure, née le 15 mars 1865 à Prestbury, Cheshire, Angleterre, fille d’Edward Eaton et de Grace Trefusis ; décédée célibataire le 7 avril 1914 à Montréal.

Fille aînée d’un Anglais et d’une Chinoise éduquée à l’anglaise qui s’étaient rencontrés à Shanghai, Edith Maud Eaton était la deuxième d’une famille de 14 enfants. Après avoir passé sa petite enfance en Angleterre, elle immigra avec les siens, d’abord à Hudson, dans l’État de New York, où ils ne restèrent pas longtemps, puis à Montréal, où ils s’établirent en 1872 ou en 1873. Edith Maud avait alors sept ou huit ans. De toute évidence, les Eaton avaient subi de graves revers financiers avant leur arrivée au Canada. Edith Maud, qui en Angleterre avait eu une gouvernante et fréquenté une école privée, fut contrainte de vendre de porte en porte les tableaux de son père et ses propres ouvrages de dentelle pour aider ses parents. De son propre aveu, sa famille était « très pauvre » ; un déménagement s’imposait à peu près tous les deux ans. Jusqu’en 1889, son père occupa des emplois de commis ou, à l’occasion, de teneur de livres ; ensuite, il gagna sa vie comme artiste.

Atteinte de dilatation cardiaque – séquelle d’une fièvre rhumatismale, semble-t-il –, Edith Maud était considérée comme la plus fragile de la famille. D’abord employée comme sténographe, elle travailla en premier lieu dans des bureaux à Montréal, puis à la pige pour des journaux locaux. Vers 1898, après un autre accès de fièvre rhumatismale, elle partit pour la côte ouest des États-Unis sur la recommandation de son médecin. Durant huit ou dix ans, sa vie serait faite d’allers-retours entre Los Angeles, San Francisco et Seattle, avec des voyages à Montréal. En 1909, elle retourna dans l’Est, à Boston où, de 1909 à 1913, elle publia dans le New England Magazine et l’Independent. Sa santé de plus en plus précaire l’amènerait à passer les dernières années de sa vie dans sa famille à Montréal.

Désemparée dans son enfance par les préjugés qu’elle rencontrait, Edith Maud Eaton se préoccupa toujours du sort des Chinois en Amérique du Nord. L’occasion d’en apprendre davantage sur le peuple de sa mère se présenta lorsque des journaux montréalais lui demandèrent de rédiger des échos de la communauté chinoise. Ce travail lui permit de mieux connaître la situation des Chinois et l’amena à prendre plus vigoureusement parti pour eux. « Je donne ma main droite aux Occidentaux et ma gauche aux Orientaux en espérant qu’ils ne détruiront pas l’insignifiant « chaînon » entre eux », écrivit-elle dans une courte autobiographie.

En faisant la navette entre San Francisco, Seattle et Los Angeles et en gagnant sa vie comme sténographe, Edith Maud Eaton se familiarisa avec les communautés chinoises de chaque ville et composa, sous le pseudonyme chinois de Sui Sin Far (fleur aquatique odorante, ou narcisse), des articles et des histoires sur la situation des Chinois et des Eurasiens. Elle comprit que, de l’intérieur, elle pouvait en brosser un portrait réaliste et combattre les préjugés et idées erronées qu’elle voyait dans des histoires écrites par des Occidentaux. « J’essaie de dépeindre de mon mieux ce que je sais et vois de la vie des Chinois en Amérique, écrivit-elle au corédacteur du Century Illustrated Magazine publié à New York et à Londres. J’ai lu bon nombre d’histoires chinoises d’auteurs américains ; elles sont intéressantes et astucieuses, mais elles me semblent toutes regarder le Chinois de loin – en en faisant dans la plupart des cas un sujet de plaisanterie. » Elle parlait en termes émouvants des Eurasiens comme elle, qui n’appartenaient à aucune des deux communautés, et des Chinoises qui, souvent isolées, n’avaient pas l’occasion de s’adapter à une culture étrangère ou d’en apprendre la langue. Sa critique des préjugés sociaux et politiques qui circulaient contre les immigrants chinois est efficace. Dans certains textes, elle dramatise leurs problèmes en s’en prenant directement aux idées contemporaines et à la sottise bureaucratique. Dans d’autres, elle recourt à l’ironie et à l’humour. Deux de ses nouvelles mettent en scène une immigrante chinoise, Mme Spring Fragrance, observatrice et commentatrice spirituelle et convaincante des rencontres entre les cultures orientale et occidentale. Pour la première fois en Amérique du Nord, quelqu’un écrivait des histoires en adoptant le point de vue de cette minorité ethnique opprimée.

Les textes d’Edith Maud Eaton connurent une large diffusion. Ils parurent dans des périodiques aussi divers que le Lotus de Kansas City, dans le Missouri, magazine littéraire de Walter Blackburn Harte, et le Youth’s Companion de Boston, périodique familial populaire, de même que dans le Delineator, le Hampton et le Good Housekeeping (tous trois de New York), le Land of Sunshine de Los Angeles, le Chautauquan de Chautauqua, dans l’État de New York, le Century Illustrated Magazine, le New York Evening Post et le Montreal Daily Witness. Bon nombre de ses histoires sur les communautés chinoises et eurasiennes furent rassemblées dans un recueil publié à Chicago en 1912, Mrs. Spring Fragrance. Bien qu’elle ait toujours espéré pouvoir abandonner la sténographie et vivre de sa plume, Mlle Eaton n’eut jamais des assises assez solides pour le faire. Sa sœur Winnifred Babcock, née à Montréal, se ferait passer pour une Eurasienne japonaise et deviendrait une écrivaine prolifique et populaire.

La conscience qu’Edith Maud Eaton avait de sa double origine semble expliquer au moins en partie son nomadisme. « Ainsi, je vagabonde d’un bout à l’autre du continent, écrivait-elle en 1909. Quand je suis dans l’Est, mon cœur est à l’Ouest. Quand je suis dans l’Ouest, mon cœur est à l’Est. J’espère être en Chine avant longtemps. Ma vie a commencé au pays de mon père ; elle pourrait se terminer dans celui de ma mère. » Pourtant, elle ne visita jamais la Chine ; à un moment donné, les guerres l’empêchèrent de réaliser ses projets dans ce sens. Lorsqu’elle mourut en 1914, la communauté chinoise de Montréal lui exprima sa reconnaissance en érigeant un monument sur sa tombe, au cimetière du Mont-Royal. On peut considérer Edith Maud Eaton comme le premier auteur nord-américain d’extraction chinoise à avoir écrit de manière réaliste et convaincante sur la culture chinoise et les difficultés et préjugés subis par les Chinois en Amérique du Nord.

Lorraine McMullen

Souvent sous le pseudonyme de Sui Sin Far, Edith Maud Eaton a rédigé de nombreux articles et nouvelles qui ont paru surtout dans des journaux et périodiques américains ; mentionnons plus particulièrement : dans le Dominion Illustrated (Montréal), 6 (1890) : 358s., « Spring impressions » ; dans l’Independent (Boston) du 21 janv. 1909, « Leaves from the mental portfolio of an Eurasian », dans le numéro du 15 août 1912, « Literary notes » et dans celui du 3 juill. 1913, « Chinese workman in America » ; dans le Lotus (Kansas City, Mo.), août 1896 : 117–119, « The story of Iso », et dans le numéro d’octobre 1896 : 203–207, « A love story of the Orient ». Un recueil de ses nouvelles a été publié sous le titre Mrs. Spring Fragrance (Chicago, 1912). Sa correspondance avec le directeur adjoint du Century Illustrated Magazine (New York et Londres) est conservée à la New York Public Library, mss and Arch. Div., Century Company records.

      Globe, 9 avril 1914 (notice nécrologique).— New York Times, 7 juill. 1912 : 405 ; 9 avril 1914 (notice nécrologique).— Annuaires, Montréal, 1865–1916.— K.-K. Cheung et Stan Yogi, Asian American literature : an annotated bibliography (New York, 1988).— Amy Ling, « Edith Eaton : pioneer Chinamerican writer and feminist », American Literary Realism, 1870–1910 (Arlington, Tex.) 16 (1983) 287298 ; « Winnifred Eaton : ethnic chameleon and popular success », MELUS (Los Angeles) 11 (1984), no 3 : 5–15.— Lorraine McMullen, « Double colonization : femininity and ethnicity in the writings of Edith Eaton », dans Crisis and creativity in the new literatures in English : Canada, Geoffrey Davis, édit. (Amsterdam et Atlanta, Ga, 1990), 141151.— S. E. Solberg, « Sui Sin Far/Edith Eaton : the first Chinese-American fictionist », MELUS, 8 (1981), no 1 : 27–39.— Annette W hite-Parks, Sui Sin Far/Edith Maude Eaton : a literary biography (Urbana, Ill., 1995).

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Lorraine McMullen, « EATON, EDITH MAUD (Sui Sin Far) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 5 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/eaton_edith_maud_14F.html.

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Auteur de l'article:    Lorraine McMullen
Titre de l'article:    EATON, EDITH MAUD (Sui Sin Far)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
Année de la révision:    1998
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