Titre original :  Frère Luc (Claude François)

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FRANÇOIS, CLAUDE, dit frère Luc, récollet, peintre et architecte, fils de Mathieu François, « maître-saîteur » ou fabricant de drap, et de Perrette Prieur, né dans la ville d’Amiens, en Picardie, au début de mai 1614, décédé à Paris en 1685.

Ce n’est pas un hasard si, à leur retour en Nouvelle-France en 1670, les Récollets comptent parmi eux un artiste, à la fois architecte et peintre. Il est alors de tradition, dans cet ordre de Frères mineurs aussi bien que dans les autres ordres, que tout couvent puisse se suffire à lui même, aussi bien au point de vue artistique qu’au point de vue matériel. Chez les Récollets de la Nouvelle-France, cette tradition s’est maintenue jusqu’à la disparition de l’ordre, en l’année 1813. Citons sommairement le père Augustin Quintal*, peintre et architecte, le père Juconde Drué*, constructeur habile, le frère Anselme (ou Ignace) Bardou, contre-maître plein de ressources, le père François Brekenmacher, peintre de portraits et de tableaux religieux. Le plus connu de ces artistes récollets est assurément le frère Luc.

On possède peu de renseignements sur les premières années de Claude François, sauf le récit d’un accident qui a probablement orienté son existence. Un jour – le 25 avril 1630, d’après une chronique –, « ce jeune homme, suivant le naturel et l’humeur de son âge, prenant plaisir de monter à cheval et faisant gloire d’en conduire un à l’abreuvoir du côté, du pont de Moucreux [à Amiens, sur la Somme], où le cheval par faute de conduite perdit terre et entraîna celui qui le manioit ; donc se voyant en un danger si évident et si apparent, ayant déjà par plusieurs fois plongé dans la rivière sans quitter sa monture, il se souvint de réclamer Notre-Dame-de-Foy, la suppliant de lui sauver la vie [...] ; et lors, laissant la bride et abandonnant le cheval, il ne sait ni quand ni comment, il a passé dessous la grille et entre les poteaux et la barrière qui bouchent ledit pont, où l’on ne peut s’imaginer comment un homme ait pu passer et encore moins un cheval, au dela duquel [pont] par après s’étant trouvé sur les eaux et hors de péril et le cheval qui le suivoit à la nage, il s’aperçut estre hors de là ville du costé du faubourg [...] » « Pour un bénéfice tant signalé », ajoute le chroniqueur, Claude se hâte d’aller avec sa mère rendre grâces à Notre-Dame-de-Foy, dans l’église des Augustins. Plus tard, après son entrée chez les Récollets, il rappellera cet accident dans un de ses plus charmants tableaux (église de Neuville-lès-Loeuilly, près d’Amiens).

À l’époque de l’accident du pont de Moucreux, Claude François se livre depuis quelques années au dessin et à la peinture. Sans doute a-t-il pris quelques leçons de l’un des artistes ambulants qui, sous Louis XIII, font des séjours plus ou moins prolongés dans les villes du royaume. Insatisfait, il tente sa chance à Paris. En 1632, il entre dans l’atelier de Simon Vouet, revenu de Rome depuis cinq ans. Il y acquiert, tout comme Le Brun d’ailleurs, un métier facile, des recettes magiques et le goût de la peinture italienne.

En 1635, Claude François est à Rome. Il y travaille ferme pendant trois ou quatre ans, tire des copies des plus belles compositions qu’il y trouve et s’impose à la critique autant par son caractère que par son activité et son talent. On connaît ses idoles : Raphaël, Francesco da Ponte, Guido Reni, Guercino, Honthorst, Caravage... Il ne les oubliera jamais.

C’est vraisemblablement en 1639 que Claude regagne Paris. Il y retrouve son maître Vouet, qui le présente à Sublet de Noyers, surintendant des Bâtiments du roi. Le grand projet du surintendant est l’ornementation de la galerie du Bord-de-l’Eau, au palais du Louvre, et celle de son château de Dangu. Pour la direction de cette vaste entreprise, il rappelle Nicolas Poussin d’Italie ; puis il embrigade les jeunes peintres, de préférence les retour-de-Rome. C’est ainsi que Claude François entre dans l’équipe du Louvre ; de ses deux années de labeur (1640–1642), il obtient le titre de « peintre du roi ».

À la mort de sa mère (1644), il entre chez les Récollets de Paris ; il y fait profession le 8 octobre de l’année suivante et prend le nom de frère Luc, sans doute en souvenir du patron des peintres. Si le frère Luc a dit adieu au monde, il n’a pas renoncé à la peinture. Au contraire. Il poursuit une double carrière de peintre de tableaux d’église et de professeur.

Il orne de grandes Compositions franciscaines la plupart des chapelles des Récollets de la province Saint-Denis : Paris, naturellement, Melun, Sézanne, Châlons-sur-Marne, Saint-Germain-en-Laye, Rouen, Versailles. Il peint aussi quelques portraits et de petits tableaux édifiants, qu’il confie aux graveurs les plus habiles de son temps.

On connaît quelques-uns de ses élèves : Louis de Nameur (1627–1693), Roger de Piles, historien d’art (1639–1705), Jacques Galliot (1640– ?), Claude de Saint-Paul (1666–1716), Desmarets... Ces noms peu connus de peintres et de graveurs ne font pas au frère Luc une auréole prestigieuse. Sans doute n’a-t-il disposé que de rares loisirs pour dispenser son enseignement à des rapins médiocrement douées – sauf Roger de Piles, dont les écrits ne manquent pas de justesse.

Au printemps de 1670, le frère Luc quitte Paris pour la Nouvelle-France. Il fait partie d’un groupe de six récollets qui, sous la direction du père Germain Allart, futur évêque de Vence, vont relever de ses ruines leur couvent de Québec. À la fin de mai, ils s’embarquent à La Rochelle, sur le navire qui porte l’intendant Talon. Ils débarquent à Québec le 18 août.

La tâche qu’ils entreprennent est plus considérable qu’ils ne le croyaient ; car ils trouvent leur couvent, abandonné en 1629 après la prise de Québec par les Kirke, dans un tel état de délabrement qu’ils doivent le rebâtir de fond en comble. Ils se mettent résolument à la besogne, certains de pouvoir compter sur la générosité publique aussi bien que sur les libéralités du roi. Le 22 juin 1671, Jean Talon pose la première pierre de la chapelle ; en octobre, Mgr de Laval* célèbre la messe dans l’église déjà couverte. Cette chapelle, la plus ancienne du Canada, existe encore ; c’est la chapelle de l’Hôpital Général. Le frère Luc en a donné les plans et en a dessiné le retable tel qu’il est aujourd’hui ; il a même peint l’Assomption qui orne ce retable à la récollette, le premier de l’École canadienne. Le frère Luc s’y montre adroit dans la composition de l’ensemble et dans la mouluration des éléments.

Au reste, ce n’est pas la seule œuvre d’architecture qu’il a laissée. L’aile de la procure, au séminaire de Québec, a été érigée en 1677–1678 d’après ses dessins. Les retables des chapelles des Récollets de Paris, de Sézanne et de Châlons-sur-Marne sont également parmi ses plus belles œuvres architecturales.

On peut dire du retable de la chapelle des Récollets de Québec qu’il a eu une vogue considérable en Nouvelle-France. Il en existe encore quelques-uns (chez les Ursulines et à l’Hôtel-Dieu de Québec, à Verchères, au Sault-au-Récollet, à L’Ange-Gardien, etc.) qui sont des chefs-d’œuvre de composition et de sculpture sur bois.

L’artiste récollet a beaucoup produit pendant son séjour de 15 mois à Québec ; après son départ en octobre 1671, il a continué à peindre des tableaux pour nos églises, même des portraits ; et longtemps après sa mort, c’est-à-dire en 1817, certaines de ses œuvres, enlevées d’églises parisiennes au début de la Révolution, ont appartenu à l’abbé Philippe-Jean-Louis Desjardins* et ont été vendues à Québec avec sa collection de tableaux.

Citons d’abord les ouvrages qu’il a faits pendant son séjour en Nouvelle-France. Nous avons signalé l’Assomption de la chapelle des Récollets. D’autres tableaux du frère Luc s’y trouvaient : par exemple, une tête d’expression de Saint François d’Assise, qui est aujourd’hui à Montréal ; les autres tableaux ont été transportés, en 1693, dans la chapelle des Récollets de la haute ville ; ils ont péri dans le sinistre du 6 septembre 1796. La Sainte Famille qu’il a peinte en 1671 pour la cathédrale de Québec a péri en 1759, ainsi qu’une Descente de croix.

Mais tout n’a pas été sinistré, heureusement. L’Ange gardien de l’église de ce nom est l’une des plus harmonieuses compositions de l’artiste ; il se dégage de cette toile une telle sérénité dans les expressions et un tel charme dans la couleur qu’il s’agit ici d’une œuvre de maître. Les deux têtes d’expression de l’église de Saint-Joachim – Jésus adolescent et la Vierge de douleur – sont des œuvres édifiantes, comme d’autres ouvrages du même genre que nous connaissons par la gravure. Mais la Sainte Famille de l’église du même nom (île d’Orléans) rappelle les tableaux nostalgiques que le Poverello a inspirés au peintre récollet. Nous en dirions autant de la Sainte Famille à la Huronne (Ursulines de Québec), d’une Hospitalière soignant le Christ dans la personne d’un malade, de deux Ecce Homo (Hôtel-Dieu de Québec) et de la France apportant la foi aux Indiens du Canada (Ursulines de Québec) ; ces ouvrages ne sont pas nécessairement pleins d’originalité ; mais ils sont touchants, naïvement expressifs, gonflés de tendresse. D’autres toiles, conservées au monastère des Ursulines, notamment Tobie et l’Ange, n’offrent pas la même tenue de pinceau.

Mais la nostalgique expression des personnages se retrouve dans les deux compositions que le frère Luc a peintes en 1677 pour l’église de Sainte-Anne de Beaupré – Saint Joachim et la Vierge et la Vierge et l’Enfant Jésus ; ici, tout est tendresse et douleur contenues : saint Joachim et la Vierge pressentent, dirait-on, l’avenir et semblent voir au loin la croix du Golgotha. L’artiste a souvent insisté sur cette note sentimentale. Par exemple, au musée d’Amiens, un ex-voto représente la madone tenant son enfant, à qui un ange, descendant du ciel, présente une croix. Le tableau s’intitule : Croix aimable, à Jésus quoiqu’ignominieuse-cet alexandrin joue sur le nom du donateur, François Quignon.

Dans l’église de Saint-Philippe, à Trois-Rivières, se trouve un vaste ex-voto d’une certaine somptuosité de couleur. C’est une Immaculée Conception. À gauche, un angelet tient une lance et un bouclier sur lequel on lit : ipsa conteret caput nunc ; à droite sont agenouillés les donateurs. Le visage de la donatrice rappelle étrangement celui, de la mère Catherine de Saint-Augustin [V. Simon]. Déjà, le peintre récollet avait choisi ce visage émacié dans l’Hospitalière soignant le Christ dans la personne d’un malade.

Voici un autre tableau, la Dernière Communion de sainte Catherine de Sienne, dans lequel en retrouve les traits et l’expression du portrait de la mère Catherine de Saint-Augustin, que l’abbé Hugues Pommier a peint en 1668. Il faut croire que le frère Luc a été envoûté par la caractère douloureux de la religieuse sur son lit de mort. Cette Dernière Communion de sainte Catherine de Sienne est l’une des deux peintures qui nous sont venues de Paris avec la collection Desjardins en 1817. L’autre est le Christ dictant à saint François les statuts de son ordre ; il date de l’année 1679 et il a été peint pour la chapelle des Récollets de Paris ; il en existe une réplique dans l’ancienne chapelle des Récollets de Sézanne.

Dans l’œuvre du récollet, il existe quelques portraits peints. Deux se trouvent à Québec : Jean Talon à l’Hôtel-Dieu, et Mgr de Laval au séminaire. Ils datent des années 1671–1672. Mgr de Laval a une expression grave, un peu renfrognée. Au contraire, Talon est presque souriant ; en tout cas, il n’a pas l’expression figée et quelque peu prétentieuse qui marque les copies qu’on a faites de ce vivant portrait.

Retourné en France à l’automne de 1671, l’artiste reçoit, l’année suivante, son obédience pour le couvent de Sézanne, en Champagne. Il y peint une dizaine de tableaux pour la chapelle et un portrait, l’avocat Charles Poullet. Revenu à Paris en 1675, il s’occupe encore de peinture. Mais l’idée lui vient de s’intéresser aux missions canadiennes. Il s’en constitue, écrit le rédacteur du Mortuologe, le procureur et l’agent à Paris. Il a des entrevues avec Colbert ; il communique à l’évêque de Québec les intentions du ministre sur le rôle des Récollets en Nouvelle-France ; enfin il se charge de trouver des recrues pour les besoins de l’Église canadienne.

En 1684, le moine quitte son atelier pour ne plus le revoir. Et les manuscrits ne le nomment plus que pour nous apprendre sa mort : il s’éteint le 17 mai 1685.

Gérard Morisset

ASQ, MSS, 200, Mortuologe des Recolets.— BN, Estampes, Da 40.— Boitel, Annuaire du département de la Marne pour 1850–1851 (Châlons-sur-Marne, 1851).— Charles-Philippe Chennevières-Pointel, Recherches sur la vie et les ouvrages de quelques peintres provinciaux de l’ancienne France (4 vol., Paris, 1847–62), III : 305s.— Florent Lecomte, Cabinet des singularitéz d’architecture, peinture, sculpture et graveure (2e éd., 3 vol., Bruxelles, 1702).— Hugolin Lemay, Un Peintre de renom à Québec en 1670 : le diacre Luc François, récollet, MSRC, XXVI (1932), sect. : 65–82.— Gérard Morisset, La Vie et l’Œuvre du Frère Luc (Québec, 1944).— Roger de Piles, Abrégé de la vie des peintres, avec des réflexions sur leurs ouvrages (Paris, 1715).

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Gérard Morisset, « FRANÇOIS, LUC (baptisé Claude) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 12 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/francois_claude_1F.html.

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Auteur de l'article:    Gérard Morisset
Titre de l'article:    FRANÇOIS, LUC (baptisé Claude)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1966
Année de la révision:    1986
Date de consultation:    12 déc. 2024