Lydia Jackson (circa 1760–1792), domestique noire engagée de manière malhonnête, parvint à obtenir sa liberté et à quitter le Canada pour la Sierra Leone en 1792. On sait peu de choses à son sujet. L’officier de marine britannique John Clarkson, frère de l’abolitionniste Thomas Clarkson, consigna une partie de son histoire dans son journal. Il témoigne de la brutalité dont les esclaves des Maritimes étaient souvent victimes.
Titre original :  John Clarkson Manuscripts, August 6, 1791-August 4, 1792 -- New York Heritage Digital Collections 

https://cdm16694.contentdm.oclc.org/digital/collection/p15052coll5/id/27932

Provenance : Lien

JACKSON, LYDIA, domestique noire asservie, née peut-être au début des années 1760 ; décédée après 1792.

On sait peu de choses sur la vie de Lydia Jackson. Les témoignages sur ses origines, sur les enfants qu’elle a peut-être eus et même sur son âge (la seule source qui confirme officiellement son existence la décrit comme une jeune femme en 1791) sont contradictoires. L’afflux de loyalistes noirs, tel Boston King*, dans les Maritimes à la suite de la guerre d’Indépendance américaine laisse supposer que Lydia arriva des États-Unis après 1783. Quelque temps avant le début des années 1790, son mari la quitta ; on ne peut donc déterminer si Jackson correspondait à son nom de jeune fille ou de femme mariée. Aucune femme nommée Jackson ne figure dans le « Book of Negroes », registre compilé par des officiers britanniques en 1783 et qui contient les noms de 3 000 passagers noirs à destination de l’Amérique du Nord britannique. Toutefois, deux femmes prénommées Lydia sans mention de leur nom de famille, toutes deux anciennes esclaves originaires des Carolines, y sont inscrites ainsi qu’une certaine Lydia Johnson. Lydia Jackson était peut-être l’une d’entre elles. Même s’il s’agit d’une importante source historique, le « Book of Negroes » comporte plusieurs erreurs quant aux noms et à l’âge des passagers noirs répertoriés.

Les noms de la plupart des esclaves noirs ayant vécu dans les Maritimes à l’époque de la colonisation demeurent inconnus [V. Nom inconnu], mais l’histoire de Lydia Jackson survécut grâce à une note que John Clarkson écrivit dans son journal en 1791. Lieutenant dans la marine royale et frère de l’abolitionniste Thomas Clarkson, John y décrivit ses activités de recrutement pour la colonie d’esclaves affranchis établie par la Sierra Leone Company [V. David George* ; Thomas Peters]. La note de Clarkson sur Lydia révèle à quel point la liberté des Noirs pouvait être précaire durant la période de la colonisation en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick, où ils étaient souvent asservis, libérés, puis asservis à nouveau.

Lydia Jackson arriva vraisemblablement libre en Nouvelle-Écosse et s’installa à Manchester. Apparemment, son mari l’abandonna ; elle se retrouva en situation de « grande détresse » et contrainte de chercher diverses possibilités d’emploi. Elle finit par aller vivre chez un certain Henry Hedley pour servir de « compagne à sa femme ». Hedley demanda à Lydia de payer un loyer ou d’accepter un contrat de travail de sept ans. Faisant preuve d’une détermination qui caractérisait sans doute sa personnalité, elle refusa l’engagement à long terme, lequel correspondait à une forme d’asservissement, mais décida d’y rester pendant une année. Hedley, « profitant de son ignorance », lui fit toutefois apposer sa marque sur un contrat non pas d’un an, mais d’une durée scandaleuse de 39 ans. Le jour suivant, il confia Lydia à un certain Dr Bulman, de Lunenburg, qui informa celle-ci qu’il l’avait achetée pour 20 £ (le prix d’une esclave adulte en Nouvelle-Écosse après la guerre d’Indépendance américaine).

La vie de Lydia Jackson, devenue l’esclave de Bulman, fut particulièrement brutale ; elle subit de nombreux sévices de la part de ce dernier et de sa femme. Selon le journal de Clarkson, Bulman « s’avéra un très mauvais maître » qui battait régulièrement Lydia avec « des pinces, des bâtons, des bouts de corde, etc., sur la tête et le visage ». Les actes de violence semblaient se produire de manière impulsive. Un jour où Lydia parlait à son maître sans « la moindre intention de l’offenser, Bulman en profita pour la faire tomber et, même si elle était dans le dernier mois de sa grossesse [la paternité de l’enfant n’est pas claire], de la façon la plus inhumaine, la piétina alors qu’elle était étendue sur le sol ». L’enfant à naître ne survécut probablement pas – Clarkson ne mentionne pas que Lydia était mère quand il la rencontra.

Au risque de recevoir des coups effroyables, Lydia tenta d’obtenir de l’aide. Elle s’adressa à un avocat du coin, nommé Lambert, qui porta son affaire devant le tribunal. Toutefois, en raison des « manières autoritaires et de l’influence de Bulman », Lambert et Lydia furent « rapidement réduits au silence ». Bulman menaça de la vendre à un acheteur des Antilles en guise de punition, mais l’envoya plutôt effectuer des tâches dans sa propriété agricole à l’extérieur de Lunenburg. Il la plaça sous la surveillance de ses autres domestiques et leur permit de « la battre et la châtier comme bon leur semblait ».

Lydia travailla trois ans à la ferme avant de s’enfuir à Halifax, « subissant d’innombrables épreuves », selon Clarkson, qui qualifia son évasion de « remarquable ». Une fois à Halifax, elle tenta d’obtenir sa liberté permanente ainsi qu’une rémunération pour les travaux réalisés chez Bulman et chez Hedley. Elle déposa une demande auprès du lieutenant-gouverneur John Parr, qui n’en tint pas compte, et elle rencontra le juge en chef Thomas Andrew Lumisden Strange*, opposant notoire à l’esclavage, qui « promit d’enquêter sur l’affaire ». Les promesses de Strange ne semblent avoir eu aucune suite. Après ces déceptions, Lydia fit la connaissance de Clarkson qui chercha un avocat dans l’espoir qu’elle récupère ses revenus perdus. L’avocat affirma qu’une telle affaire avait peu de chances d’aboutir, ce qui amena Clarkson à suggérer à Lydia de passer à autre chose.

Bien qu’obligée de renoncer à ses réclamations contre Bulman et Hedley, Lydia Jackson réussit apparemment à retrouver sa liberté. Peu après, elle aurait accompagné Clarkson ainsi que 1 200 loyalistes noirs en Sierra Leone. Même si Clarkson avoua dans son journal qu’il « ne sa[vait] pas ce qui [l’avait] incité à mentionner le cas [de Jackson], car [il y] en [avait] beaucoup d’autres de nature similaire », les historiens peuvent lui être reconnaissants de l’avoir fait. Sans cela, il existerait encore moins de preuves décrivant combien précaire pouvait être la liberté des Noirs dans les Maritimes au temps de la colonisation.

Harvey Amani Whitfield

Black slavery in the Maritimes : a history in documents, H. A. Whitfield, édit. (Peterborough, Ontario, 2018).— [John] Clarkson, Clarkson’s mission to America, 1791–1792, C. B. Fergusson, édit. (Halifax, 1971), 89–90.— H. A. Whitfield, North to bondage : loyalist slavery in the Maritimes (Vancouver et Toronto, 2016), 88–89.

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Harvey Amani Whitfield, « JACKSON, LYDIA », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 5 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/jackson_lydia_4F.html.

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Auteur de l'article:    Harvey Amani Whitfield
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2024
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Date de consultation:    5 nov. 2024