Titre original :  Manitoba History: The Victorian Family in Canada in Historical Perspective: The Ross Family of Red River and the Jarvis Family of Prince Edward Island

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JARVIS, EDWARD JAMES, avocat, notaire, fonctionnaire, juge et homme politique, né en 1788 à Saint-Jean, Nouveau-Brunswick, fils cadet de Munson Jarvis* et de Mary Arnold ; le 29 avril 1817, il épousa Anna Maria Boyd, fille du docteur John Boyd, de Saint-Jean, et ils eurent huit enfants, puis le 12 décembre 1843 Elizabeth Gray, fille de Robert Gray* et de Mary Burns, et de ce mariage naquirent trois enfants ; décédé le 9 mai 1852 à Spring Park (Charlottetown).

Le père d’Edward James Jarvis, important loyaliste du Connecticut, s’installa au Nouveau-Brunswick en 1783, fonda une compagnie de commerce à Saint-Jean, fut député à l’Assemblée de la province et membre du conseil paroissial de l’église anglicane de la ville. Edward, pour sa part, obtint en 1809 une licence ès lettres du King’s College de Windsor, en Nouvelle-Écosse, s’inscrivit au barreau du Nouveau-Brunswick comme attorney-at-law le 12 octobre 1811, puis devint notaire à Saint-Jean le 22 février 1812. En janvier 1813, il quitta la ville pour aller poursuivre ses études de droit à Londres. Devenu élève de Joseph Chitty, il fut admis au barreau à l’Inner Temple. Pendant son séjour à Londres, il fit la connaissance de deux autres étudiants en droit venus de sa province, John Simcoe Saunders* et Ward Chipman. Jarvis rentra à Saint-Jean en 1816 pour reprendre la pratique du droit. L’année suivante, sa position au sein de l’élite locale se trouva consolidée par son mariage avec Anna Maria Boyd, membre d’une autre influente famille du milieu des affaires de Saint-Jean, et, bientôt, les autorités commencèrent à s’intéresser à lui.

George Ludlow Wetmore*, greffier de la chambre d’Assemblée, étant décédé en 1821, le lieutenant-gouverneur, George Stracey Smyth*, nomma Jarvis à sa succession le 22 janvier 1822. Peu après, Jarvis obtint un siège à la première commission de l’hôpital de marine de Saint-Jean, où se trouvait aussi son beau-frère Alexander Boyle. À compter du 16 mars, il remplaça aussi Chipman comme recorder de la municipalité de Saint-Jean pendant que celui-ci était en Angleterre. Le 19 octobre, Smyth accorda à Jarvis le poste de juge suppléant de la Cour suprême que John Saunders* avait quitté pour remplacer Jonathan Bliss* comme juge en chef puis, le 30 octobre, il le nomma au Conseil du Nouveau-Brunswick. La nomination de Jarvis comme juge suscita une vive opposition de la part du solliciteur général, William Botsford*, et de ses partisans, en particulier sir James Kempt, lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse, selon qui le poste aurait dû être confié au solliciteur général. Au printemps de 1823, Londres renversa la décision de Smyth et nomma Botsford, de sorte que Jarvis se rendit en Angleterre pour exposer son cas au gouvernement. En juillet, en guise de compensation, les autorités le firent assesseur du roi à Malte (poste semblable à celui de procureur général). Il le demeura jusqu’à ce que, à la fin de 1827, son poste soit éliminé en vertu d’une série de mesures d’économie. Ensuite. il remplaça Samuel George William Archibald* comme juge en chef de l’Île-du-Prince-Édouard.

Au moment de son assermentation le 30 août 1828, Jarvis était l’unique juriste de profession à l’Île-du-Prince-Édouard. Le poste de juge en chef avait connu une histoire mouvementée et avait été occupé par une succession d’hommes singulièrement incompétents. Plusieurs des prédécesseurs de Jarvis, dont Thomas Tremlett* et Cæsar Colclough*, avaient été démis de leurs fonctions parce qu’ils n’avaient pas manifesté assez de souplesse pour ménager à la fois les susceptibilités politiques et sociales. Jarvis, par contre, se plaça au-dessus de la politique, et il connaissait le droit. En plus d’exercer ses fonctions de juge, qui, au début, l’occupaient trois quinzaines par an, il se montra d’abord très assidu aux réunions du Conseil de l’Île-du-Prince-Édouard, où il joua un rôle de modérateur et de conciliateur.

Grâce à sa connaissance du droit, Jarvis releva plusieurs faiblesses dans la manière dont la justice était administrée dans la colonie. Ayant découvert à son arrivée que les membres du barreau avaient « de solides habitudes d’intempérance », il s’attacha, semble-t-il, à présider les audiences avec fermeté et selon les usages. Quand un barrister suspendu pour manquement à ses devoirs eut gain de cause après en avoir appelé au Conseil privé, Jarvis ne s’inquiéta pas de ce que sa décision avait été renversée, mais du fait qu’il aurait désormais moins d’autorité pour améliorer la conduite de l’ensemble du barreau. Même si la Cour suprême comptait plusieurs juges suppléants non rémunérés, il appartenait en définitive au juge en chef de régler les litiges fréquents et complexes qui étaient portés devant elle. Tout au long de sa carrière, Jarvis allait se plaindre amèrement de sa charge de travail. Ainsi, en 1830, parlant d’une « très laborieuse session du tribunal », il notait : « pendant dix jours consécutifs, je ne suis pas rentré à la maison avant huit heures du soir et, un jour, pas avant minuit ». Deux ans plus tard, il observait que le solliciteur général, à lui seul, était chargé de 68 causes au civil.

En 1831, la chambre d’Assemblée avait confié à un comité spécial le mandat d’examiner la situation des tribunaux, et Jarvis fut appelé à témoigner. Le comité recommanda que la Cour suprême devienne itinérante, que des cours des sessions générales soient créées et qu’un juge professionnel salarié soit affecté comme suppléant auprès du juge en chef et comme maître des rôles auprès de la Cour de la chancellerie. Quand il devint évident que cette proposition serait rejetée pour des raisons financières, il semble que Jarvis proposa de présider les audiences du tribunal itinérant à condition de ne pas avoir à assumer ses frais de voyage. Les tribunaux itinérants furent finalement établis en 1833, mais aucun crédit ne fut accordé pour un juge supplémentaire ; dès lors, Jarvis dut beaucoup voyager, car il se rendit dans chacun des quatre districts deux fois l’an. Comme sa femme le faisait remarquer avec colère en juillet 1836, sans juge suppléant, Jarvis était « obligé de songer tellement à son travail qu’[elle] crai[gnait] vraiment qu’il ne s’épuise ». Il devait siéger pendant plusieurs jours consécutifs, souvent par une chaleur accablante, et sans répit. « Depuis le début de novembre dernier, notait Mme Jarvis, huit sessions ont eu lieu dans l’île et Edward a fait l’allocution à sept jurys d’accusation alors que, à son arrivée ici, il n’y avait guère que trois sessions par an. »

Pendant ses premières années dans l’île, Jarvis connut beaucoup d’incertitude. Même si, en 1832, il ne prit pas tout à fait au sérieux les rumeurs de l’annexion de l’Île-du-Prince-Édouard à la Nouvelle-Écosse, qui lui ferait perdre son poste, il espérait néanmoins une nomination au Nouveau-Brunswick, qu’il n’obtint jamais. Puis, dès 1833, malgré ses plaintes et ses ambitions, il se sentit assez bien établi pour commencer à mettre en valeur un domaine situé juste à l’extérieur de Charlottetown. Il entendait faire construire une maison de brique ; ce matériau n’était guère utilisé dans l’île, mais c’était un choix compréhensible chez un homme qui souhaitait aménager un domaine familial « pour plusieurs générations à venir ». La plupart des matériaux furent importés d’Angleterre et la construction ne fut pas achevée avant 1835, moyennant des frais énormes qui dépassèrent de plus de « cent pour cent les estimations et contrats initiaux ». Les Jarvis finirent de meubler la maison en 1836 et, au début de l’année suivante, ils pendirent la crémaillère à l’occasion d’un bal qui réunissait 81 personnes, même si les chambres n’étaient toujours pas peintes. Mount Edward était une vaste demeure de deux étages qui contenait des salles de bal et plusieurs autres salles de réunion, un nombre substantiel de chambres, deux cuisines et des appartements pour les domestiques. Mais ses dimensions n’étaient pas simplement motivées par un désir d’ostentation. Les Jarvis devaient donner des réceptions officielles, et leurs enfants voulaient des bals et des soirées ; de plus, ils avaient de nombreux parents, qui vivaient surtout au Nouveau-Brunswick. Mount Edward abritait non seulement la famille immédiate, mais au moins trois domestiques à demeure. Il s’y trouvait toujours un groupe d’hôtes permanents et temporaires, parents et amis ; comme il était difficile de se rendre dans l’île, les longs séjours devenaient essentiels, quoiqu’ils aient été pratique courante partout au xixe siècle. Même avec des domestiques, tenir cette maison représentait des responsabilités et des dépenses très lourdes, et Jarvis dut finalement la quitter en janvier 1848 pour une autre, plus modeste. Son fils reviendrait habiter Mount Edward après sa mort.

À la fin des années 1830, Jarvis et sa femme étaient constamment malades, le juge en chef étant affligé d’une cécité progressive, peut-être due à son travail, qui compliquait en tout cas sérieusement l’exercice de ses fonctions, surtout lorsqu’il devait lire ou écrire. En 1839, le lieu tenant-gouverneur, sir Charles Augustus FitzRoy, exprima dans une lettre au ministère des Colonies son inquiétude au sujet de l’« état très précaire » de la vue du juge en chef et recommanda une personne en particulier pour lui succéder. Jarvis, cependant, ne démissionna pas. En dépit de la mauvaise santé de sa femme et de ses constants soucis d’argent – les entreprises familiales du Nouveau-Brunswick dont Jarvis attendait un complément à son salaire ne prospéraient pas –, le juge en chef reçut des médecins de l’île le conseil de se rendre en Angleterre pour se faire soigner. Il s’embarqua seul à Halifax en juin 1841, et, deux mois plus tard, sa femme mourut subitement. Elle ne s’était pas sentie capable d’entreprendre le voyage, mais elle avait caché ses souffrances à son mari. À son retour à Charlottetown en novembre, Jarvis était au bord de la dépression nerveuse : ses difficultés financières, ses responsabilités familiales et la culpabilité qu’il éprouvait d’avoir laissé sa femme, tout cela le jetait dans un profond abattement. « Je n’arrive pas, disait-il, à secouer le fardeau et l’oppression épouvantables qui pèsent de plus en plus sur mes esprits, et la plus légère cause d’excitation semble prendre des proportions considérables [...] J’éprouve la plus complète indifférence envers tous les événements qui surviennent, comme envers mes occupations, et je suis incapable de la surmonter. » Il reprit ses fonctions de juge – son salaire lui était de plus en plus nécessaire pour subsister –, mais sans enthousiasme ni énergie.

La vue de Jarvis s’améliora pendant quelque temps, mais d’autres malaises se mirent à l’assaillir et il commença à éprouver des difficultés encore plus graves dans l’administration de la justice, surtout après que sa vue eut de nouveau baissé, en 1843. Malgré tout, son mariage inattendu, cette année-là, le rajeunit quelque peu. Il avait pris cette décision parce que sa fille aînée, qui dirigeait la grande maisonnée, avait elle-même résolu de se marier : « Mes yeux ne me permettent plus de lire, se plaignait Jarvis, et je me sens extrêmement dépourvu et abandonné. » Après avoir épousé Elizabeth Gray, une des meilleures amies de sa première femme, qui avait elle-même souhaité la voir lui succéder, Jarvis entra de nouveau dans le tourbillon de la vie mondaine de Charlottetown, se vantant de pouvoir encore assister à un bal jusqu’à trois heures du matin et se présenter en cour quelques heures plus tard. Pendant les années qui suivirent, il multiplia ou restreignit ses apparitions publiques, selon l’état de sa santé et sa situation personnelle. Puis, en septembre 1847, Elizabeth Gray mourut en donnant naissance à leur troisième enfant, et Jarvis tomba de nouveau dans une dépression profonde. Il se sentait, disait-il, « tout à fait inapte à quelque occupation que ce soit » et désirait impatiemment « quitter l’île aussi longtemps qu[‘il] le pourra[it] ». Il continua de siéger, mais il pressa de plus en plus l’Assemblée de lui nommer un juge suppléant, ajoutant dans une lettre à un membre de sa famille : « Si mes enfants n’avaient pas besoin de mon aide, je pense que j’abandonnerais immédiatement mon poste, à condition de pouvoir retirer ne serait-ce qu’une modeste pension. » Enfin, en 1848, l’Assemblée lui alloua £400 et adopta un projet de loi autorisant la nomination d’un juge suppléant et maître des rôles, comme cela avait d’abord été proposé en 1831. Le soulagement de Jarvis fut cependant de courte durée. En accordant le gouvernement responsable à la colonie en 1851, les autorités britanniques réclamèrent en retour certaines concessions, qui touchaient le salaire de Jarvis et d’autres. Une loi de l’Assemblée réduisit considérablement son traitement et aggrava encore sa situation financière. Cette diminution de salaire fut un sujet constant de frictions entre lui, l’Assemblée et le ministère des Colonies jusqu’à sa mort, le 9 mai 1852. C’est Robert Hodgson* qui lui succéda.

Edward James Jarvis avait toujours tenté de demeurer politiquement neutre. Lorsque l’opposition populaire au lieutenant-gouverneur sir Henry Vere Huntley* se fut accrue à un point tel que, en 1846, l’Assemblée adopta à 19 voix contre 3 une motion de censure contre lui, Jarvis observa : « Je suis presque le seul à ne pas avoir eu d’affrontement personnel avec Son Excellence. » Dans l’ensemble, sa participation relativement faible à la vie politique de l’île, surtout dans les dernières années, joua probablement en sa faveur. Même si certains auraient souhaité une Cour suprême plus engagée, la plupart des groupes politiques de l’île étaient heureux de laisser Jarvis occuper son poste.

J. M. Bumsted et H. T. Holman

APC, MG 24, B13.— APNB, MC 288, MS8a, 12 oct. 1811 ; Trinity Term, 1820 ; RG 2, RS6, A3 : 103, 150, 157–159 ; RG 18, RS538, B5, part. 1 : 43, 63, 66.— Musée du N.-B., Jarvis family papers ; Reg. of marriages for the city and county of Saint John, book A (1810–1828) : 94.— PRO, CO 158/36 : 1287 ; 158/56 : 2902 ; 159/5 ; 7–8 ; 226/54 : 238.— St Paul’s Anglican Church (Charlottetown), Reg. of marriages, 12 déc. 1843 (mfm aux PAPEI).— Supreme Court of P.E.I. (Charlottetown), Estates Division, testament d’E. J. Jarvis.— Î.-P.-É., House of Assembly, Journal, 25–26 avril 1831, 14, 23 avril 1841, 8 mars 1848, 31 mars 1851.— Royal Gazette (Charlottetown), 10 mai 1852.— The Jarvis family : or, the descendants of the first settlers of that name in Massachusetts and Long Island, and those who have more recently settled in other parts of the United States and British America, G. A. Jarvis et al., compil. (Hartford, Conn., 1879), 28–29, 60.— « Provincial chronology », New Brunswick Magazine (Saint-Jean), 2 (janv.–juin 1899) : 285.— An Island refuge : loyalists and disbanded troops on the Island of Saint John, Orlo Jones et Doris Haslam, édit. (Charlottetown, 1983), 120–121.— Lawrence, Judges of N.B. (Stockton et Raymond), 240, 270–279.— J. M. Bumsted, « The household and family of Edward Jarvis, 18281852 », Island Magazine (Charlottetown), no 14 (automne–hiver 1983) : 22–28.— J. W. Lawrence, « The first courts and early judges of New Brunswick ; read before the New Brunswick Historical Society, November 25, 1874 », N.B. Hist. Soc., Coll. (Saint-Jean), no 20 (1971) : 8–34.— W. O. Raymond, « New Brunswick schools of the olden time », Educational Rev. (Saint-Jean), oct. 1894 : 89–90.

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J. M. Bumsted et H. T. Holman, « JARVIS, EDWARD JAMES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 4 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/jarvis_edward_james_8F.html.

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Auteur de l'article:    J. M. Bumsted et H. T. Holman
Titre de l'article:    JARVIS, EDWARD JAMES
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1985
Année de la révision:    1985
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