JOBIN, ANDRÉ, notaire, patriote, juge de paix, homme politique, officier de milice et fonctionnaire, né le 8 août 1786 à Montréal, fils de François Jobin et d’Angélique Sarrère, dit La Victoire ; le 16 mai 1808, il épousa Marie-Joseph Baudry, puis le 22 avril 1816, à Montréal, Marie Archambault, veuve de Louis Baudry, ensuite le 16 février 1824, à Sainte-Geneviève (Sainte-Geneviève et Pierrefonds, Québec), Émilie Masson, sœur de Marc-Damase Masson*, et finalement le 27 mai 1839, à L’Assomption, Bas-Canada, Marie-Élize Dorval ; plusieurs enfants naquirent de ces mariages ; décédé le 11 octobre 1853 à Sainte-Geneviève.

Après avoir obtenu son diplôme en 1805 au collège Saint-Raphaël, dirigé par les sulpiciens, et terminé ses stages de clerc, André Jobin reçut sa commission de notaire le 24 septembre 1813. Il ouvrit un bureau à Montréal et rédigea son premier acte le 24 octobre. Il démarra lentement, ne produisant en moyenne guère plus qu’un acte par semaine au cours de sa première année de pratique. Sa clientèle se composait surtout d’ouvriers et d’artisans. En fait, une bonne partie de son travail consistait à établir des conventions entre maîtres et compagnons ainsi que des contrats de substitution pour ceux qui se faisaient remplacer dans la milice active moyennant paiement. En 1820, il rédigeait en moyenne plus d’un acte par jour et sa clientèle s’étendait aux marchands, aux constructeurs et aux spéculateurs immobiliers. Dès le début, son travail se distingua par la clarté d’expression et le souci du détail.

À la fin des années 1820, Jobin était devenu un des patriotes les plus en vue de la ville. En 1828, il fut élu membre du comité chargé de rédiger les instructions destinées aux délégués de la chambre d’Assemblée, John Neilson*, Denis-Benjamin Viger* et Augustin Cuvillier*. Ces derniers avaient pour mission d’aller expliquer au gouvernement britannique les griefs du Bas-Canada. Bien qu’il ait été nommé juge de paix le 17 août 1830, Jobin ne chercha pas à cacher ses convictions politiques pendant et après l’émeute qui éclata à Montréal avant l’élection de Daniel Tracey*. Le 21 mai 1832, les réguliers britanniques firent feu sur la foule, tuant trois Canadiens français. Jobin et ses collègues Joseph Roy et Pierre Lukin avaient été les seuls juges de paix à s’opposer à la demande de faire appel aux militaires pour maintenir l’ordre. Il assista ostensiblement aux funérailles des victimes et, en septembre, aida Roy à recueillir de nouveaux témoignages qui conduisirent, pour la deuxième fois, à l’arrestation des officiers qui commandaient la troupe. En novembre, il fut élu membre d’un comité formé pour protester contre les événements du 21 mai. En raison de toutes ces activités, le gouverneur, lord Aylmer [Whitworth-Aylmer*], raya en 1833 le nom de Jobin de la liste des juges de paix. Toutefois, celui-ci devait être réintégré dans ses fonctions en 1837 par lord Gosford [Acheson*].

Jobin ne changea rien à ses convictions politiques à la suite de son renvoi. En 1834, peu après qu’il se fut installé à Sainte-Geneviève, dans l’île de Montréal, il fit partie d’un comité créé dans la paroisse afin de promouvoir une action politique axée sur les Quatre-vingt-douze Résolutions. En novembre de l’année suivante, la popularité que lui avait value sa condition de « martyr » en 1833 aida à le faire élire sans opposition à la chambre d’Assemblée comme député de la circonscription de Montréal. À la chambre, Jobin appuya constamment Louis-Joseph Papineau*.

Pendant les mois qui précédèrent la rébellion de 1837, Jobin se manifesta comme patriote d’une façon non équivoque. À la grande assemblée tenue à Montréal le 15 mai et qui allait servir de modèle à d’autres endroits de la colonie, il présenta la proposition qui accusait lord Gosford de donner l’image d’un conciliateur pour mieux contraindre. Jobin siégea aussi au Comité central et permanent du district de Montréal qui coordonnait l’activité des patriotes dans tout ce secteur. En août, afin de protester contre la tentative de Gosford d’interdire aux juges de paix d’assister à des assemblées politiques, Jobin renonça à sa charge de juge de paix qu’il venait de réintégrer. Dans sa lettre de démission, il affirmait que son mandat n’avait aucune signification, puisqu’il ne lui venait pas du peuple, et il concluait sur cette note dramatique et provocante : « le sacrifice de ma commission, comme juge de paix est trop peu de chose pour être mis en parallèle avec celui de mon droit le plus sacré, comme sujet britannique (celui de discuter paisiblement les mesures qui intéressent son pays). Je renonce avec plaisir à ma commission de juge de paix, pour conserver le titre d’homme libre. » Ce geste de Jobin fut applaudi par le comité et les journaux voués à la cause des patriotes, y compris le Vindicator and Canadian Advertiser et la Minerve qui publièrent sa lettre de démission.

Quand les juges de paix commencèrent à lancer des mandats d’amener contre les chefs des patriotes, Jobin se réfugia en lieu sûr, le 14 novembre 1837, et demeura caché pendant plus de cinq mois. Le souvenir de cette période de sa vie devait lui laisser pour toujours un goût amer. Entendant dire que les soldats allaient incendier leur maison ou tout autre bâtiment où pourraient se trouver leurs biens, la femme de Jobin, Émilie, tenta de sauver le ménage en simulant une vente à l’encan par huissier. Mais la malhonnêteté de quelques acheteurs fit échouer le stratagème. Cette épreuve, jointe à l’absence de Jobin, peut avoir hâté la mort d’Émilie qui survint le 27 mars 1838 à la demeure de son père. Le 27 avril de cette année-là, le gouvernement afficha une proclamation qui mettait fin à la loi martiale. Jobin sortit de sa retraite le jour même et fut arrêté le 3 mai. Bien qu’accusé d’actes séditieux, il ne subit aucun procès et recouvra sa liberté le 7 juillet, après avoir versé un cautionnement de £1 000.

Jobin ne perdit pas pour autant le goût de la politique. En 1840, en sa qualité de notaire des sulpiciens, il se rendit au nord de l’île de Montréal afin d’organiser l’opposition à la politique du gouvernement qui visait à abolir progressivement le droit de propriété des sulpiciens sur leurs vastes seigneuries. Certains de ses auditeurs à Saint-Benoît affirmèrent que Jobin avait dénoncé avec force le gouvernement et « les Écossais » pour avoir fermé les yeux sur le pillage et les incendies au temps des rébellions et, ensuite, sur le vol des terres des Canadiens français. Jobin nia d’une façon véhémente, mais pas tout à fait convaincante, ces remarques qu’on lui attribuait et qu’un juge de paix qualifia de séditieuses.

Jobin se présenta comme candidat réformiste dans la circonscription de Vaudreuil aux élections générales de 1841. Les violentes tactiques employées par les partisans de son adversaire, John Simpson*, contribuèrent à la défaite de Jobin qui échappa de justesse à une agression en sautant d’une fenêtre. Cependant, il remporta la victoire lors d’une élection partielle dans la circonscription de Montréal en octobre 1843. Aux élections de 1844, faisant campagne en faveur d’un gouvernement responsable, Jobin infligea une défaite humiliante à Viger, un des principaux membres du gouvernement, qui avait aussi été défait dans Richelieu. Pendant les années où il fut député à l’Assemblée, soit de 1843 à 1851, Jobin appuya le leader réformiste Louis-Hippolyte La Fontaine* sur des questions de première importance, tels le projet de loi proscrivant les sociétés secrètes, le statut de la langue française et le projet de loi pour l’indemnisation des pertes subies pendant la rébellion.

Comme député, Jobin consacra une bonne part de son énergie à des questions d’ordre technique et juridique, comme l’enregistrement des terres et les pouvoirs des communautés religieuses catholiques en tant que sociétés. En outre, il fut actif dans les domaines du droit commercial et de l’extension du commerce, étant l’un des principaux auteurs des lois visant à régir les compagnies d’assurance-vie mutuelles (1845), à développer le réseau des routes à péage près de Montréal (1846) et à accroître l’aide financière à la construction des chemins de fer (1849).

En 1849, Jobin présenta un projet de loi modifiant la loi de 1847 qui avait organisé la profession de notaire. Un déluge de protestations provenant des notaires de Montréal, lesquels n’avaient pas été consultés, ne détourna pas Jobin de son projet. À la session suivante, il réussit à introduire dans la loi ses vues personnelles sur cette question. La loi organique de 1850 resserrait les normes relatives à la façon de rédiger et de conserver les actes, prévoyait l’autonomie financière des chambres de notaires des districts de Montréal, de Québec et de Trois-Rivières, au moyen de contributions obligatoires, et, enfin, restreignait la compétence des tribunaux en matière d’inspection aux quelques cas où elle était nécessaire, telles la suspension des notaires et la fixation des honoraires.

Au cours de ses dernières années, Jobin jouit d’un grand prestige. Il fut nommé membre du conseil d’administration de la Banque d’épargne de la cité et du district de Montréal en 1846 et lieutenant-colonel de la milice l’année suivante. En 1847 également, il fut élu premier président de la Chambre des notaires de Montréal, poste qu’il quitta deux ans plus tard, dégoûté qu’il était de la controverse à laquelle donna lieu son projet de loi modificateur. En 1852, Jobin fut nommé inspecteur des écoles catholiques de la ville et du comté de Montréal. L’estime dont il jouissait parmi les réformistes se manifesta clairement lorsqu’on le plaça à la table d’honneur au cours du banquet donné afin de souligner le départ de La Fontaine de la vie publique en 1851. Près de 50 ans après la mort de Jobin, la Revue du notariat rendit hommage à sa mémoire en lui réservant la première place dans une série de biographies consacrées à des notaires éminents.

Jobin était un homme aux multiples talents. Il jouissait du respect de la population de Sainte-Geneviève, en raison de sa générosité et de son efficacité comme bienfaiteur d’établissements scolaires et de sa haute compétence d’arboriculteur. Il s’intéressa aussi beaucoup à la géographie de la région de Montréal, probablement à la suite de son expérience comme notaire des sulpiciens. Cette expérience fut mise à profit quand il publia en 1834 une carte de la ville et de l’île d’une grande exactitude, carte utilisée par une commission d’enquête présidée par lord Gosford en 1835–1836. Jobin dressa aussi un plan détaillé de la prison de Montréal pendant son incarcération. Le Devoir fit référence à ce plan en 1911 pour réfuter les prétentions de la Patrie et de l’historien Laurent-Olivier David* voulant que les patriotes aient été détenus dans les cachots de la vieille prison.

On doit se souvenir d’André Jobin non seulement comme un des premiers organisateurs de la profession notariale, ou comme un député qui a rendu de grands services, ou encore comme un homme politique qui connut le succès, mais aussi comme un citoyen qui eut le courage d’agir et de souffrir pour affirmer ses convictions politiques.

F. Murray Greenwood

Le minutier d’André Jobin, contenant des actes passés entre 1813 et 1853, est conservé aux ANQ-M, sous la cote CN1-215. La carte de l’île de Montréal dessinée par Jobin est déposée aux APC, Coll. nationale des cartes et plans, sous la cote H2/349-Montréal-1834 (1837). Une copie du plan de la prison de Montréal fait partie du fonds Ægidius Fauteux, à la BVM-G.

ANQ-M, CE1-28, 16 févr. 1824, 14 oct. 1853 ; CE1-51, 16 mai 1808, 22 avril 1816.— ANQ-Q, E17/6–52 ; P-316.— APC, MG 24, B2 : 2901–2903, 2925–2928, 3608–3611, 3875–3882, 3993–3998 ; RG 4, A1, 561.— B.-C., chambre d’Assemblée, Journaux, 1832–1833, app. M ; 1835–1837.— Coll. Elgin-Grey (Doughty).— Debates of the Legislative Assembly of United Canada (Abbott Gibbs et al.), 1843–1851.— « Document historique inédit sur la rébellion de 1837–38 », le Devoir (Montréal), 18 févr. 1911 : 5–6.— Docs. relating to constitutional hist., 1819–1828 (Doughty et Story).— La Minerve, janv.–mars 1828, 1832–1837, oct.–nov. 1844.— Vindicator and Canadian Advertiser (Montréal), 1832–1837.— Almanach de Québec, 1832–1837.— F.-J. Audet, les Députés de Montréal (ville et comtés), 1792–1867 [...] (Montréal, 1943), 417–419.— Fauteux, Patriotes, 275–276.— J.-E. Roy, Hist. du notariat, 3 : 147–170.— André Vachon, Histoire du notariat canadien, 1621–1960 (Québec, 1962).— « André Jobin », la Rev. du notariat (Lévis, Québec), 3 (1900–1901) : 25–28.

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F. Murray Greenwood, « JOBIN, ANDRÉ », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 4 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/jobin_andre_8F.html.

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Auteur de l'article:    F. Murray Greenwood
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1985
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